Cour d'appel, 3 décembre 2018, i. DI. et i. MF. c/ Le Ministère Public
Abstract🔗
Recel de vol - Infraction originaire établie - Élément intentionnel de l'infraction - Mauvaise foi du prévenu (oui) - Circonstances de l'acquisition des biens volés - Achat dans la rue à vil prix - Volonté de se débarrasser rapidement des biens - Condamnation
Escroquerie - Échange de vêtements dans une boutique - Manœuvres frauduleuses - Usage de la fausse qualité de propriétaire - Obtention de la remise d'autres vêtements et d'un avoir - Tentative d'escroquerie - Commencement d'exécution - Tentative d'utilisation de l'avoir - Condamnation
Résumé🔗
Le recel est une infraction de conséquence qui suppose la détention d'une chose provenant ou constituant le produit d'une infraction délictuelle ou criminelle originaire ainsi que la connaissance par le receleur de l'origine frauduleuse de la chose. En l'espèce, il est reproché au prévenu d'avoir sciemment recelé des vêtements de marque K. Or, étant établi que lesdits vêtements provenaient d'un vol commis à Nice dans une voiture de location, la preuve du délit originaire est rapportée. Il est tout aussi constant que le prévenu, en possession de ces vêtements, a sollicité leur échange dans une boutique de la marque à Monaco. L'élément matériel de l'infraction de recel est donc établi. Par ailleurs, les conditions d'acquisition des objets sont inhabituelles et contribuent à établir la mauvaise foi du prévenu. En effet, il affirme avoir acquis ces articles K dans la rue auprès d'un inconnu. Il en est de même du prix payé, anormalement inférieur au prix réel, ainsi que des modalités de paiement, en espèces, qui constituent des indices supplémentaires de cette mauvaise foi. En outre, le prévenu était en possession du ticket correspondant à ces articles sur lequel était mentionné, d'une part, le lieu de leur acquisition – à Milan géographiquement très éloignée du lieu allégué de la transaction -, et, d'autre part, le nom du véritable propriétaire, aux consonances slaves, qui ne correspondait pas à l'origine maghrébine supposée du vendeur. Enfin, le prévenu a tout mis en œuvre pour se défaire rapidement des articles dès le lendemain de leur acquisition. Ainsi, la connaissance par le prévenu de l'origine frauduleuse des articles K et sa volonté d'en profiter malgré tout, sont suffisamment établies. La condamnation du chef de recel est confirmée
Le prévenu, en possession de vêtements K acquis à Milan qu'il savait volés, s'est rendu dans la boutique K de Monaco et a remis au vendeur le ticket au nom du légitime propriétaire des vêtements, en vue d'obtenir leur échange. Il a donc fait usage de manœuvres frauduleuses ayant persuadé ce vendeur de sa qualité de légitime propriétaire propre à lui inspirer confiance, et ainsi, à déterminer la remise d'autres effets de la marque et d'un avoir. Il a également fait usage de manœuvres frauduleuses lorsque, dès le lendemain, il a remis au vendeur cet avoir dans le but de le persuader de sa qualité de légitime propriétaire. Cet acte, qui constitue un commencement d'exécution, n'a manqué son effet que grâce à la vigilance du vendeur qui, alerté par sa collègue de la boutique de Milan sur l'origine frauduleuse des articles retournés, n'a pas accédé à la demande du prévenu et a alerté les forces de l'ordre. En conséquence, il convient de confirmer les condamnations des chefs d'escroquerie et de tentative d'escroquerie.
Motifs🔗
COUR D'APPEL CORRECTIONNELLE
ARRÊT DU 3 DÉCEMBRE 2018
En la cause de :
1) i. DI., né le 9 mars 1987 à ABIDJAN (Côte d'Ivoire), de Kabine et de Adama DI. de nationalité ivoirienne, sans profession, demeurant X1 à NICE (06000) ;
Prévenu de :
- RECEL DE VOL,
- ESCROQUERIE,
- TENTATIVE D'ESCROQUERIE,
PRÉSENT aux débats, DÉTENU (mandat d'arrêt du 19 août 2018), assisté de Maître Raphaëlle SVARA, avocat-stagiaire, commis d'office, plaidant par ledit avocat-stagiaire ;
2) i. MF., née le 20 mai 1988 à MARSEILLE (13), de Ernest et de Jeannette NG. de nationalité française, vendeuse, demeurant X1 (06000) ;
Prévenue de :
RECEL D'ESCROQUERIE
PRÉSENTE aux débats (détention préventive du 19 au 20 août 2018), assistée de Maître Paul SOLLACARO, avocat au Barreau de Nice, plaidant par ledit avocat ;
APPELANTS / INTIMÉS
Contre :
le MINISTÈRE PUBLIC ;
INTIMÉ / APPELANT
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,
jugeant correctionnellement, après débats à l'audience du 12 novembre 2018 ;
Vu le jugement contradictoirement rendu par le Tribunal correctionnel le 20 août 2018 ;
Vu les appels interjetés le 23 août 2018 par i. DI. prévenu, détenu, en personne, et par le Ministère public à titre incident, à l'encontre d i. DI. le même jour, le 29 août 2018 par i. MF. prévenue, en personne, et par le Ministère public à titre incident, à l'encontre d i. MF. le même jour ;
Vu les ordonnances présidentielles en date des 24 et 30 août 2018 ;
Vu les citations, suivant exploits, enregistrés, de Maître Claire NOTARI, Huissier, en date des 30 août et 18 septembre 2018 ;
Vu les pièces du dossier ;
Ouï Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, en son rapport ;
Ouï i. DI. et i. MF. prévenus, en leurs réponses ;
Ouï le Ministère public en ses réquisitions ;
Ouï Maître Raphaëlle SVARA, avocat-stagiaire, pour i. DI. prévenu, en ses moyens d'appel et plaidoiries ;
Ouï Maître Paul SOLLACARO, avocat au Barreau de Nice, régulièrement autorisé par Monsieur le Président à assister i. MF. prévenue, en ses moyens d'appel et plaidoiries ;
Ouï les prévenus, en dernier, en leurs moyens de défense ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Par jugement contradictoire en date du 20 août 2018, le Tribunal correctionnel a, sous les préventions :
i. DI. :
« D'avoir, à MONACO, le 16 août 2018, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, sciemment recelé des vêtements K d'une valeur de 3.970 euros au préjudice de s. RO. qu'il savait provenir d'un vol »,
DÉLIT prévu et réprimé par les articles 26, 27, 309, 325, 339 et 340 du Code pénal,
« D'avoir, dans les mêmes circonstances de temps et de lieu, par l'usage de faux nom ou de fausse qualité, par l'emploi de manœuvres frauduleuses pour persuader l'existence de fausses entreprises, d'un pouvoir ou d'un crédit imaginaire, ou pour faire naître l'espérance ou la crainte d'un succès, d'un accident ou de tout autre événement chimérique, fait remettre ou délivrer des fonds, meubles, effets, deniers, marchandises, billets, promesses, quittances ou tous autres écrits contenant ou opérant obligation ou décharge et par un de ces moyens, escroqué la totalité ou partie de la fortune de la boutique exerçant sous l'enseigne K, en l'espèce en procédant à l'échange de trois articles au moyen du ticket d'achat pour se faire remettre cinq articles et un avoir et ce alors que les articles provenaient d'un vol »,
DÉLIT prévu et réprimé par les articles 26, 27 et 330 du Code pénal,
« Et d'avoir, à MONACO, le 17 août 2018, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, par l'usage de faux nom ou de fausse qualité ou par l'emploi de manœuvres frauduleuses pour persuader l'existence de fausses entreprises, d'un pouvoir ou d'un crédit imaginaire, ou pour faire naître l'espérance ou la crainte d'un succès, d'un accident ou de tout autre événement chimérique tenté de se faire remettre ou délivrer des fonds, meubles, effets, deniers, marchandises, billets, promesses, quittances ou tous autres écrits contenant obligation ou décharge, et par ces moyens tenté d'escroqué la fortune de la boutique exerçant sous l'enseigne K, ladite tentative manifestée par un commencement d'exécution, en l'espèce en sollicitant l'utilisation de l'avoir de 1.500 euros provenant de l'escroquerie commise la veille, n'ayant manqué son effet que par une circonstance indépendante de son auteur, la connaissance du vendeur entre temps de l'origine frauduleuse des articles retournés »,
DÉLIT prévu et réprimé par les articles 2, 3, 26, 27 et 330 du Code pénal.
i. MF. :
« D'avoir, à MONACO et à NICE, les 16 et 17 août 2018, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, sciemment recelé des articles K et un avoir au préjudice de la boutique exerçant sous l'enseigne K, qu'elle savait provenir d'une escroquerie commise par i. DI. »,
DÉLIT prévu et réprimé par les articles 26, 27, 325, 330, 339 et 340 du Code pénal, 21 du Code de procédure pénale,
- déclaré i. DI. coupable des délits qui lui sont reprochés,
en répression, faisant application des articles visés par la prévention,
- condamné i. DI. à la peine de huit mois d'emprisonnement,
- déclaré i. MF. coupable des faits commis le 17 août 2018 à Monaco de recel de l'avoir provenant d'une escroquerie et se déclare incompétent pour le surplus des actes qui lui sont reprochés,
en répression, faisant application des articles visés par la prévention, ainsi que de l'article 393 du Code pénal,
- condamné i. MF. à la peine de un mois d'emprisonnement avec sursis, l'avertissement prescrit par l'article 395 du Code pénal ayant été adressé à la condamnée,
- condamné, enfin, i. DI. et i. MF. solidairement aux frais.
i. DI. et i. MF. prévenus, ont respectivement interjeté appel de cette décision par actes de greffe en date des 23 et 29 août 2018.
Le Ministère Public a interjeté appel incident de ladite décision, à l'encontre d i. DI. le 23 août 2018, et à l'encontre d i. MF. le 29 août 2018.
Considérant les faits suivants :
Le 17 août 2018, l. HA. directeur de la boutique K, située X à Monaco, alertait les services de police et leur désignait un véhicule de marque Audi, dont le conducteur venait « de lui dérober des effets », selon le rapport qu'établissaient les fonctionnaires de la Sûreté publique.
Entendu par la police, l. HA. indiquait que la veille, vers 14 heures 40, un individu, identifié ultérieurement comme i. DI. s'était présenté à la boutique afin de procéder à un échange de produits de la marque, achetés dans la boutique K de Milan, et lui présentait un ticket de caisse daté du 9 août 2018, établi par le magasin italien, au nom de s. RO. correspondant à l'achat de six articles, pour un total de 5.795 euros. Il restituait ainsi trois articles : un jean d'une valeur de 890 euros, une paire de sneakers d'une valeur de 980 euros et un manteau en laine croisée d'une valeur de 2.100 euros et se faisait remettre, en échange, une paire de mules d'une valeur de 495 euros, une ceinture d'une valeur de 295 euros, un sac de type banane d'une valeur de 590 euros, une paire de tongs d'une valeur de 690 euros et une casquette d'une valeur de 350 euros, ainsi qu'un avoir d'un montant de 1.550 euros correspondant à la différence entre le prix des articles rapportés et celui des articles choisis.
l. HA. précisait qu'il n'avait pas vérifié que l'identité du client était bien s. RO.
Le lendemain, soit le 17 août 2018, le directeur de la boutique K recevait un appel téléphonique de la vendeuse du magasin de MILAN, l'informant que s. RO. lui avait demandé de commander à nouveau les pièces qu'il avait initialement achetées. En regardant sur le logiciel des achats de son client, la vendeuse s'étonnait que s. RO. ait retourné des articles qu'il commandait de nouveau. Celle-ci donnait à l. HA. une description de son client, qui ne correspondait pas à celle de l'homme qui était venu la veille dans la boutique de Monaco.
Le même jour, vers 18 heures 20, i. DI. se présentait à nouveau dans la boutique. Le directeur prévenait l'agent de sécurité. Selon lui, i. DI. comprenant qu'il y avait un problème, était sorti du magasin et avait rejoint un véhicule AUDI A3.
Le directeur de la boutique faisait alors appel à l'agent de police de la place du Casino qui procédait au contrôle d i. DI. et d'une femme assise dans le véhicule, côté passager, identifiée comme i. MF.
Les services de police interpellaient les deux occupants du véhicule et les plaçaient en garde à vue.
La fouille du véhicule AUDI A3 permettait la découverte, dans l'accoudoir central, d'une liasse de cent reçus de paris sportifs en date du 17 août 2018 et, dans la boîte à gants, d'une facture établie le 10 août 2018 par la boutique M de Monaco au nom d i. MF. d'un montant de 665 euros.
La perquisition effectuée au domicile niçois d i. DI. et d i. MF. sa compagne, permettait de découvrir une paire de mules neuves de couleur noire de marque K, une paire d'espadrilles de marque K, ainsi qu'une casquette neuve de marque K, dans sa boîte.
Lors de cette perquisition, les policiers constataient aussi, dans le placard mural du salon, la présence de nombreuses boîtes de vêtements, chaussures et accessoires des marques M, A, K, B, C et D, certaines contenant des accessoires, chaussures ou vêtements, les autres étant vides. Sur l'une des étagères du placard, ils découvraient aussi une liasse de 280 dollars américains. Sur le balcon, les policiers découvraient de grands sacs plastiques transparents, d'environ cent litres, remplis de vêtements de marques de luxe et de marques de semi-luxe, pour la plupart avec des étiquettes de prix et références, et, dans la chambre, ils constataient la présence de vêtements et d'accessoires de luxe.
La somme de 280 dollars américains ainsi que l'ensemble des vêtements, chaussures et accessoires de luxe et semi-luxe découverts au cours de la perquisition, n'intéressant pas la procédure monégasque, étaient saisis par les policiers niçois et faisaient l'objet d'une procédure distincte de recel de vols.
Lors de la fouille d i. MF. les services de police découvraient le ticket de retour des articles K au nom de s. RO. le ticket représentant l'avoir de 1.550 euros, de nombreuses cartes bancaires à son nom, une carte bancaire au nom de c E et la somme de 5.185 euros en espèces.
Entendu à plusieurs reprises par les enquêteurs, i. DI. déclarait qu'il avait acheté une paire de mules, un sac et une ceinture de marque K au prix de 900 euros à un homme d'origine maghrébine, qu'il ne connaissait pas, qu'il avait rencontré rue Trachel à NICE et que la transaction s'était déroulée « en pleine rue ».
À l'occasion d'une de ses auditions, il précisait également :
« L'Arabe m'a alors dit qu'il avait joué au casino et qu'il avait perdu trop de sous. J'ai alors compris qu'il vendait des vêtements pour se refaire. Je lui ai ensuite demandé si ce qu'il vendait était du vrai ou pas, il m'a répondu que tous les articles étaient des vrais K et qu'il disposait même de la facture d'achat. Il m'a proposé un jean bleu, des baskets et une veste. Les étiquettes de la marque étaient toujours en place et tout me paraissait normal. En aucun cas, je n'ai trouvé ça bizarre. Je vous précise que j'ai pour habitude de voir des choses volées et là, c'était très étonnant car il me proposait de me donner la facture ».
Sur interpellation de l'enquêteur, i. DI. répondait : « Je n'ai pas regardé le nom du client sur la facture, je n'ai pas fait gaffe ».
Il expliquait qu'il avait été négligent, et que même s'il avait lu le nom sur la facture, rien ne l'aurait alerté.
Il indiquait aussi qu'il s'était rendu dans la boutique K de Monaco pour procéder à un échange d'articles qui n'étaient pas à sa taille et qui ne lui plaisaient pas.
Interrogé sur les cinq articles reçus, à la boutique de Monaco, en échange des trois premiers qu'il avait restitués, i. DI. répondait :
« J'ai donné le sac « banane » à un ami qui s'appelle d. J'ignore son nom de famille mais je peux l'appeler. En fait, je ne lui ai pas donné, je lui ai vendu 400 euros. J'ai conservé les 4 autres articles. Les tongs et la ceinture sont dans ma fouille. La casquette se trouve à mon domicile mais je peux vous la restituer sans problème ».
Il expliquait aussi qu'il était revenu le lendemain à la boutique avec sa femme pour utiliser son avoir et faire une surprise à cette dernière, qu'il était entré dans la boutique alors qu'i. MF. l'attendait dans la voiture garée juste devant, qu'en arrivant, il avait trouvé l'ambiance bizarre, qu'en voyant le vendeur s'adresser directement à lui, il avait senti qu'il y avait un problème et qu'il était sorti de la boutique juste pour déplacer son véhicule et mieux le stationner, le temps que le vendeur aille chercher les effets qu'il comptait acquérir grâce à son avoir.
Interrogé sur la participation de sa compagne aux faits poursuivis, i. DI. répondait, dans un premier temps, que sa compagne ignorait les raisons de sa venue en Principauté avant de préciser ultérieurement qu'elle était au courant.
Sur ses activités professionnelles et ses revenus, il expliquait qu'il était sans emploi, qu'il ne percevait aucun revenu, qu'auparavant il exerçait la profession de footballeur, qu'il vivait depuis l'année 2009 grâce aux paris sportifs et que dernièrement, il avait gagné au moins 40.000 euros à la Française des Jeux.
Lors de ses auditions en garde à vue, i. MF. déclarait qu'elle demeurait à Nice, avec son compagnon, dans un appartement de deux pièces dont elle était propriétaire, pour lequel elle payait un crédit immobilier d'un montant mensuel de 700 euros, qu'elle était employée comme vendeuse dans la boutique Zara à Nice, ce depuis une dizaine d'années, et qu'elle percevait un salaire fixe de 1.300 euros par mois, outre des commissions.
Sur les faits, elle affirmait qu'elle n'avait rien à se reprocher, qu'elle ignorait tout des agissements de son compagnon, qu'elle ne savait pas pourquoi une carte bancaire à un autre nom que le sien avait été retrouvée dans ses affaires et, sur l'argent découvert en sa possession, soit la somme de 5.185 euros, elle affirmait qu'elle jouait souvent aux paris sportifs et gagnait des sommes d'argent conséquentes.
Lors de l'exploitation du téléphone portable d i. MF. les enquêteurs découvraient la présence de nombreuses photographies, dont deux représentant une paire de mules neuves et une paire de tongs, ainsi qu'une casquette de couleur rouge, l'ensemble de marque K, effets identifiés comme ceux échangés par son compagnon à la boutique K de Monaco le 16 août 2018.
Informée de cette découverte, l'intéressée expliquait que son compagnon lui avait envoyé les photos des chaussures quand elle dormait et qu'elle n'y avait même pas fait attention. Quant à la photo de la casquette rouge, elle indiquait que son compagnon lui avait demandé son avis et qu'elle lui avait répondu qu'elle ne lui plaisait pas.
Enfin, sur le fait qu'avaient été retrouvés, lors de l'inventaire de ses effets, le ticket provenant de la boutique K du 16 août 2018 au nom de s. RO. et le ticket représentant l'avoir d'un montant de 550 euros, i. MF. répondait que ces deux tickets appartenaient à son compagnon et qu'il avait dû les mettre dans son sac à son insu.
Sur ce point, i. DI. déclarait qu'il avait donné ces tickets à sa compagne pour qu'elle les garde, qu'il ne lui avait pas expliqué ce que c'était et qu'il pensait qu'elle n'avait même pas regardé.
Les services de police prenaient contact téléphonique avec s. RO. le 18 août 2018 et dressaient un procès-verbal à la suite de cet appel.
Ce dernier leur expliquait qu'il séjournait actuellement à Milan, qu'il allait prendre un vol dans l'après-midi pour la Russie et qu'il ne pourrait pas se présenter à Monaco pour porter plainte. Il précisait qu'il avait séjourné à l'hôtel Negresco à Nice dans la nuit du 14 au 15 août 2018, que le véhicule de location qu'il avait loué, stationné dans une rue non loin de l'hôtel, avait fait l'objet d'une effraction le 15 août et qu'à cette occasion, le sac contenant les achats qu'il avait effectués dans la boutique K en Italie -soit, une paire de chaussures, un jean, un manteau, un chapeau, un short et une ceinture- avaient été dérobés, ainsi que la facture d'un montant de 5.795 euros. Il expliquait avoir porté plainte au commissariat de police de Nice.
s. RO. faisait parvenir aux services de police la photocopie de son passeport russe, deux photographies du véhicule de location dégradé, la déclaration de sinistre adressée à la compagnie d'assurances, le ticket de caisse correspondant aux achats d'articles K effectués à Milan ainsi que l'attestation de dépôt de plainte du 15 août 2018.
Les policiers constataient que trois des articles figurant sur le ticket de caisse correspondaient à ceux restitués et échangés par i. DI. dans la boutique de Monaco.
i. DI. et i. MF. affirmaient qu'ils ignoraient que les effets K litigieux provenaient d'un vol.
Les prévenus confirmaient l'ensemble de leurs déclarations lors de l'audience devant le Tribunal correctionnel.
Les casiers judiciaires monégasque et français d i. MF. ne portent aucune mention.
Si sur le casier judiciaire monégasque d i. DI. ne figure aucune condamnation, son casier judiciaire français révèle qu'il a été condamné à trois reprises, entre le 24 mai 2012 et le 29 août 2016, à des peines d'emprisonnement allant de 4 mois à 2 ans, pour des faits d'entrée ou séjour irrégulier en France, escroquerie en bande organisée, tentative d'escroquerie en bande organisée, recel de vol et escroquerie commise en récidive.
Par jugement contradictoire rendu le 20 août 2018, le Tribunal correctionnel déclarait i. DI. coupable des délits reprochés et le condamnait à la peine de huit mois d'emprisonnement.
Il déclarait i. MF. coupable des faits commis le 17 août 2018 à Monaco de recel de l'avoir provenant d'une escroquerie et se déclarait incompétent pour le surplus. En répression, il la condamnait à la peine d'un mois d'emprisonnement avec sursis.
Pour statuer ainsi, le Tribunal retenait à l'égard d i. DI. que les faits objets de la prévention étaient établis parce que d'une part, « le fait d'obtenir, de la part d'une personne qui n'en était manifestement pas le propriétaire initial tel que cela ressort des informations apparaissant sur ledit ticket (de caisse), des biens de surcroît de valeur, leur confère une origine frauduleuse qu'i. DI. ne pouvait ignorer » et d'autre part, que « ce dernier n'a pas hésité à se rendre à Monaco le 16 août 2018 en possession de ces articles afin de les échanger contre d'autres biens mais aussi un avoir de 1.550 euros dont il a voulu faire usage le 17 août 2018 avant son interpellation ».
À l'égard d i. MF. le Tribunal retenait que le recel de l'avoir était établi car elle « ne pouvait pas ne pas connaître l'origine frauduleuse de l'avoir de 1.550 euros retrouvé en sa possession le 17 août 2008 à Monaco et qui lui avait été nécessairement remis par son compagnon ».
Il considérait que le recel d'escroquerie des articles K reprochés à celle-ci « au motif que ces objets ont été retrouvés à son domicile niçois ne peut être connu des juridictions monégasques sur le fondement des dispositions de l'article 21 du Code de procédure pénale car aucun acte caractérisant les éléments constitutifs du délit de recel d'escroquerie de ces articles pour lequel elle a été également poursuivie n'a été commis en Principauté de Monaco. ».
Par acte d'appel du 23 août 2018, i. DI. relevait appel de cette décision.
Le même jour, le Procureur général relevait appel incident du jugement à l'encontre d i. DI.
i. MF. en relevait également appel le 29 août 2018.
Le Procureur général relevait appel incident de ce jugement le 29 août 2018 à l'encontre d i. MF.
À l'audience fixée pour l'examen de l'affaire, le Procureur général requérait la confirmation de la décision entreprise.
Les conseils des prévenus sollicitaient l'infirmation du jugement et la relaxe de leur client respectif.
Le conseil d i. DI. sollicitait, subsidiairement, le prononcé d'une condamnation moins sévère.
SUR CE,
1 - Attendu que les appels, principaux et incidents, relevés conformément aux articles 406 et 411 du Code de procédure pénale, sont réguliers et recevables ;
2 - Attendu que l'article 339 du Code pénal énonce que ceux qui, sciemment, auront recelé des choses enlevées, détournées ou obtenues à l'aide d'un crime ou d'un délit seront punis des peines prévues à l'article 325 du même Code ;
Qu'il résulte de ce texte que le recel est une infraction de conséquence qui suppose, un élément matériel, la détention d'une chose provenant ou constituant le produit d'une infraction délictuelle ou criminelle originaire, ainsi qu'un élément intentionnel, la connaissance par le receleur de l'origine frauduleuse de la chose ;
Attendu qu'au cas d'espèce, i. DI. est prévenu d'avoir sciemment recelé des vêtements K au préjudice de s. RO. qu'il savait provenir d'un vol ;
Qu'il n'est pas contesté que les articles K, objets du recel, proviennent d'un vol commis à Nice le 15 août 2018, dans une voiture de location, au préjudice de s. RO. ce délit étant suffisamment établi par le contact téléphonique que ce dernier a eu avec les fonctionnaires de la Sûreté publique ainsi que par les pièces qu'il leur a transmises, en particulier, le dépôt de plainte au commissariat de police de Nice, la photographie du véhicule ayant fait l'objet d'une effraction, et la déclaration faite à la compagnie d'assurances ;
Qu'il s'ensuit que la preuve du délit originaire est rapportée ;
Attendu qu'il n'est pas davantage contesté que le prévenu a détenu les effets de marque K provenant de ce vol, avant de solliciter leur échange dans la boutique de la marque à Monaco, en sorte que l'élément matériel de l'infraction de recel est également établi ;
Attendu que le recel est aussi une infraction intentionnelle qui suppose, de la part de son auteur, la connaissance de l'origine frauduleuse de la chose, bien qu'il ne soit pas exigé de ce dernier qu'il connaisse les circonstances exactes de l'infraction originaire ;
Qu'il appartient aux juges du fond de constater la mauvaise foi du prévenu ;
Attendu qu'au cas particulier, si l'on s'en tient à la version des faits exposée par i. DI. il apparaît, en premier lieu, que les conditions d'acquisition des objets sont inhabituelles et contribuent à établir la mauvaise foi du prévenu ;
Qu'en effet, la vente des articles K a eu lieu, aux dires du prévenu, dans la rue, soit dans un lieu inhabituel pour une transaction, auprès d'un inconnu ;
Qu'en outre, le prix payé, anormalement inférieur au prix réel -900 euros pour des articles valant en réalité 5.795 euros-, ainsi que les modalités de paiement, en espèces, dans la rue, constituent des indices supplémentaires de la mauvaise foi du prévenu ;
Que le prévenu ne peut pas sérieusement prétendre que le montant payé et les circonstances de la transaction n'ont pas éveillé ses soupçons sur la régularité de l'origine des articles ainsi achetés et qu'il pensait seulement avoir fait une « bonne affaire » ;
Qu'en second lieu, le ticket correspondant à ces articles était en possession du prévenu ;
Que sur ce ticket, écrit pour partie en italien et en anglais, figurait le lieu d'acquisition, soit la boutique K de Milan, géographiquement très éloignée du lieu allégué de la transaction ;
Que ce ticket mentionnait, en outre, le nom du véritable propriétaire, s. RO.; que bien que le prévenu prétend ne pas avoir prêté attention à ce détail, il apparaît que le nom du client est parfaitement visible, écrit en lettres capitales ; qu'enfin, ce nom, aux consonances slaves, ne peut correspondre à l'origine maghrébine supposée du vendeur ;
Attendu qu'en troisième lieu, le prévenu a tout mis en œuvre pour se défaire rapidement des articles dont il a été en possession dès le 15 août 2018, avant de procéder à leur échange partiel dès le lendemain à Monaco, et de tenter d'utiliser son avoir dès le surlendemain, à Cannes sans succès, puis à nouveau en Principauté ;
Qu'au regard de l'ensemble de ces éléments, la connaissance, par le prévenu de l'origine frauduleuse des articles K, ainsi que sa volonté d'en profiter malgré tout, sont suffisamment établies ;
Qu'en conséquence, i. DI. sera déclaré coupable du délit de recel, par voie de confirmation du jugement entrepris ;
3 - Attendu que l'article 330 du Code pénal énonce que quiconque, soit en faisant usage de faux nom ou de fausse qualité, soit en employant des manœuvres frauduleuses pour persuader l'existence de fausses entreprises, d'un pouvoir ou d'un crédit imaginaire, ou pour faire naître l'espérance ou la crainte d'un succès, d'un accident ou de tout autre événement chimérique, se sera fait remettre ou délivrer ou aura tenté de se faire remettre ou délivrer des fonds, meubles, effets, deniers, marchandises, billets, promesses, quittances ou tous autres écrits contenant ou opérant obligation ou décharge, et aura, par un de ces moyens, escroqué ou tenté d'escroquer la totalité ou partie de la fortune d'autrui, sera puni d'un emprisonnement de un à cinq ans et de l'amende prévue au chiffre 4 de l'article 26 du même Code ;
Attendu qu'au cas particulier, en remettant au vendeur de la boutique K de Monaco, le ticket au nom de s. RO. ainsi que des effets de la marque appartenant à ce dernier, en vue d'obtenir leur échange, i. DI. a fait usage de manœuvres frauduleuses ayant persuadé ce vendeur de sa qualité de légitime propriétaire, propre à lui inspirer confiance, et ainsi, à déterminer de sa part, la remise, en échange, d'autres effets de la marque et d'un avoir ;
Qu'en outre, en remettant, dès le lendemain, à ce même vendeur, le ticket d'avoir obtenu la veille, i. DI. a fait usage de manœuvres frauduleuses semblables aux précédentes dans le but de persuader, à nouveau, le vendeur de sa qualité de légitime propriétaire ;
Attendu qu'il ne peut être contesté que cet acte, qui constitue un commencement d'exécution, n'a manqué son effet que grâce à la vigilance du vendeur qui, alerté par sa collègue de la boutique de Milan sur l'origine frauduleuse des articles retournés, n'a pas accédé à la demande du prévenu et a alerté les forces de l'ordre ;
Attendu qu'enfin, il ne saurait être allégué que la boutique K de Monaco, bien que non constituée partie civile, n'a subi aucun préjudice alors que son préjudice résulte d'une part, du fait que la remise des effets et de l'avoir n'a pas été librement consentie mais obtenue par des manœuvres frauduleuses, d'autre part du fait que l'intégralité des articles remis en échange à i. DI. n'a pas pu être restituée à la boutique, le sac banane ayant été, selon ce dernier, vendu à un tiers non identifié ;
Qu'en conséquence, i. DI. a été justement déclaré coupable d'escroquerie et de tentative d'escroquerie par le Tribunal correctionnel ;
4 - Attendu qu'i. MF. est prévenue d'avoir sciemment recélé des articles K ainsi qu'un avoir au préjudice de la boutique exerçant sous l'enseigne K, qu'elle savait provenir d'une escroquerie commise par i. DI. ;
Que la Cour, se référant au point 2 de son arrêt sur les éléments constitutifs du recel, relève que si la présence, dans le sac à main de la prévenue, de l'avoir, peut constituer l'élément matériel de l'infraction de recel, en revanche, les circonstances dans lesquelles cette pièce a été mise dans son sac à main demeurent obscures, et ne révèlent pas l'intention délictuelle de la prévenue, alors même que son compagnon venait de tenter de faire usage de cet avoir dans la boutique de Monaco ;
Qu'en outre, la présence de la prévenue aux côtés de son compagnon dans la boutique K de Cannes ne suffit pas davantage à rapporter la preuve qu'elle était au courant des délits commis par ce dernier ;
Qu'en conséquence, la preuve n'est pas rapportée de la connaissance, par i. MF. de l'origine frauduleuse de l'avoir, ni de sa volonté de le détenir ou d'en profiter ;
Que dès lors, i. MF. sera relaxée de ce chef, par voie d'infirmation du jugement entrepris ;
Attendu qu'enfin, les premiers juges ont fait une exacte application de l'article 21 du Code de procédure pénale en considérant qu'ils n'étaient pas compétents pour connaître de l'infraction de recel d'escroquerie des articles K reprochée à la prévenue ;
5 - Attendu que les faits reprochés à i. DI. revêtent, en Principauté de Monaco, en raison de la présence, sur ce territoire, d'un grand nombre de magasins de luxe, un caractère de gravité certain ;
Qu'en outre, le prévenu est sans emploi, et ne perçoit aucun revenu officiel, ni aide de l'État, qu'il a déclaré avoir exercé son dernier emploi en 2009, comme joueur de football dans une équipe de Londres, avec un salaire de 300 livres par semaine, précisant que depuis cette date, il ne travaille pas et ne vit que de paris sportifs ;
Que, hormis les déclarations faites par i. DI. la Cour ne dispose d'aucune information avérée sur sa situation matérielle et sociale actuelle ;
Que le prévenu n'est ni propriétaire d'un logement, ni titulaire d'un bail ; qu'il occupe l'appartement dont sa compagne est propriétaire à Nice ;
Que s'agissant du passé judiciaire du prévenu, ce dernier a déjà fait l'objet de trois condamnations prononcées en France, entre le 24 mai 2012 et le 29 août 2016, essentiellement pour des infractions d'escroqueries, d'escroqueries en bande organisée et de recel, à des peines d'emprisonnement allant de quatre mois à deux ans ;
Que le prévenu, qui a varié dans ses déclarations en cours d'enquête, et qui a volontairement dissimulé des éléments pouvant être utiles à l'enquête, notamment sa visite à la boutique K de Cannes, n'a pas fait preuve d'une volonté de s'amender ;
Attendu qu'en conséquence, au regard de l'ensemble des éléments ci-dessus tenant, notamment, aux circonstances des infractions et à la personnalité du prévenu, la Cour, confirme la peine de HUIT MOIS D'EMPRISONNEMENT prononcée à son encontre par le Tribunal correctionnel et ajoutant à cette condamnation, le condamne également à une peine d'amende de 2.000 euros ;
6 - Attendu que la totalité des frais du jugement et les frais du présent arrêt seront laissés à la charge d i. DI. ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,
statuant en matière correctionnelle, publiquement et contradictoirement,
Reçoit les appels, principaux et incidents, formés contre le jugement rendu le 20 août 2018 par le Tribunal correctionnel,
Confirme ce jugement en ce qu'il a déclaré i. DI. coupable de l'ensemble des délits qui lui sont reprochés, en ce qu'il l'a condamné à la peine de HUIT MOIS D'EMPRISONNEMENT, en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour connaître du recel d'escroquerie des articles K reproché à i. MF. et en ce qu'il a condamné i. DI. aux frais,
Ajoutant à ce jugement,
Condamne également i. DI. à une peine d'amende de DEUX MILLE EUROS (2.000 euros),
Infirme ce jugement pour le surplus,
Relaxe i. MF. des fins de la poursuite,
Condamne i. DI. à l'intégralité des frais du jugement et aux frais du présent arrêt ;
Composition🔗
Après débats en audience publique de la Cour d'appel de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le douze novembre deux mille dix-huit, qui se sont tenus devant Monsieur Eric SENNA, Conseiller, faisant fonction de Président, Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, Madame Françoise CARRACHA, Conseiller, en présence de Mademoiselle Cyrielle COLLE, Premier Substitut du Procureur général, assistés de Madame Sandra MILLIEN, Greffier ;
Après qu'il en ait été délibéré et jugé, le présent arrêt a été signé par Monsieur Eric SENNA, Conseiller, faisant fonction de Président, Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, Madame Françoise CARRACHA, Conseiller, Magistrats en ayant délibéré et ce en application des articles 58 à 62 de la Loi n° 1.398 du 24 juin 2013, relative à l'administration et à l'organisation judiciaires ;
Lecture étant donnée à l'audience publique du trois décembre deux mille dix-huit par Monsieur Eric SENNA, Conseiller, faisant fonction de Président, assisté de Madame Sandra MILLIEN, Greffier, en présence de Monsieur Hervé POINOT, Procureur général adjoint, et ce en application des dispositions des articles 58 à 62 de ladite Loi.