Cour d'appel, 12 novembre 2018, Le Ministère Public c/ s. VE.

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Abstract🔗

Travail - Défaut d'autorisation d'embauchage - Salarié d'une société de droit français - Affectation temporaire sur un chantier monégasque - Salarié soumis au droit français - Relaxe

Résumé🔗

Le prévenu est poursuivi pour avoir embauché un travailleur étranger sans autorisation d'embauchage, délit prévu et réprimé par les articles 1, 3, 4 et 10 de la loi n° 629 du 17 juillet 1957 tendant à réglementer les conditions d'embauchage et de licenciement en Principauté et par l'article 26 du Code pénal. Cependant, s'il n'est pas contesté que le salarié contrôlé, employé par la société de droit français dirigé par le prévenu, a été temporairement affecté sur un chantier exploité à Monaco par ladite société, il résulte de l'ordonnance n° 15.085 du 30 octobre 2001 et de l'article L. 761-1 du Code de la sécurité sociale français que le détachement d'un salarié français, quelle que soit sa durée, n'est pas soumis à la loi de 1957 précitée et, qu'ainsi, ce salarié demeure soumis à la législation française. Cette analyse est confortée par la loi n° 1.448 du 28 juin 2017 sur le droit international privé qui énonce, en son article 7, qu'à défaut de choix fait par les parties, le contrat individuel de travail est régi par le droit de l'État sur le territoire duquel ou à défaut, à partir duquel, le salarié, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail, que l'État sur le territoire duquel le travail est habituellement accompli n'est pas réputé changer lorsque le travailleur accomplit son travail de façon temporaire sur le territoire d'un autre État, et que si le droit applicable ne peut être déterminé sur la base du précédent alinéa, le contrat est régi par le droit de l'État sur le territoire duquel est situé l'établissement qui embauche le salarié. En conséquence, c'est à tort que le Tribunal correctionnel a retenu la culpabilité du prévenu.


Motifs🔗

COUR D'APPEL CORRECTIONNELLE

ARRÊT DU 12 NOVEMBRE 2018

En la cause du :

  • MINISTÈRE PUBLIC ;

APPELANT

Contre :

  • s. VE. ès qualités de président de la S. A. S dénommée A, né le 14 février 1964 à VILLENEUVE-LES-AVIGNON (60), de Etienne et de Anne MA. de nationalité française, président de société, demeurant X1 à NICE (06000) ;

Prévenu de :

  • DÉFAUT D'AUTORISATION D'EMBAUCHAGE

PRÉSENT aux débats, comparaissant en personne ;

INTIMÉ

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

jugeant correctionnellement, après débats à l'audience du 8 octobre 2018 ;

Vu le jugement contradictoirement rendu par le Tribunal de première instance, jugeant correctionnellement, le 13 février 2018 ;

Vu l'appel interjeté à titre principal par le Ministère public le 19 février 2018 ;

Vu l'ordonnance présidentielle en date du 16 mars 2018 ;

Vu la citation signifiée, suivant exploit, enregistré, de Maître Claire NOTARI, Huissier, en date du 29 mars 2018 ;

Vu les pièces du dossier ;

Ouï Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, en son rapport ;

Ouï s. VE. ès qualités de président de la S. A. S. A prévenu, en ses réponses ;

Ouï le Ministère public en ses réquisitions ;

Ouï le prévenu, en dernier, en ses moyens de défense ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Par jugement en date du 13 février 2018, le Tribunal correctionnel a, sous la prévention :

« D'avoir, à MONACO, le 19 mai 2017, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, embauché un travailleur de nationalité étrangère sans avoir sollicité préalablement de permis de travail, sans déclaration de l'offre d'emploi et sans obtention préalable à l'entrée à son service d'une autorisation écrite de la Direction de la Main d'œuvre »,

DÉLIT prévu et réprimé par les articles 1, 3, 4 et 10 de la Loi n° 629 du 17 juillet 1957 tendant à réglementer les conditions d'embauchage et de licenciement en Principauté et par l'article 26 du Code pénal,

  • - relaxé s. VE. ès qualités de président de la S. A. R. L. A du chef de défaut de déclaration de l'offre d'emploi et d'obtention préalable à l'entrée à son service d'une autorisation écrite de la Direction de la Main-d'œuvre,

  • - déclaré s. VE. ès qualités de président de la S. A. R. L. A coupable du surplus des faits qui lui sont reprochés,

En répression, faisant application des articles visés par la prévention, ainsi que de l'article 393 du Code pénal,

  • - condamné s. VE. à la peine de CINQ CENTS EUROS D'AMENDE AVEC SURSIS, l'avertissement prescrit par l'article 395 du Code pénal ayant été adressé au condamné,

  • - condamné, enfin, s. VE. aux frais.

Le Ministère public a interjeté appel principal de ladite décision le 19 février 2018.

Considérant les faits suivants :

Le 19 mai 2017, la Direction du travail a organisé un contrôle inopiné sur le chantier X4 à Monaco.

À l'occasion de ce contrôle, elle a constaté la présence, sur le chantier, d'un salarié de la S. A. S. A s. MO. démuni de l'autorisation de travail délivrée par le service de l'emploi et de la carte professionnelle du bâtiment monégasque.

Le 2 juin 2017, la Direction du travail a avisé la S. A. S. A du résultat de ce contrôle.

Le 30 août 2017, l'inspecteur du travail a établi un procès-verbal d'infraction à l'encontre de la S. A. S. A pour infraction aux dispositions des articles 1, 3 et 4 de la Loi n° 629 du 17 juillet 1957 modifiée, réglementant les conditions d'embauchage et de licenciement en Principauté, infraction réprimée par l'article 10 du texte précité.

Le 21 septembre 2017, les fonctionnaires de la Sûreté publique ont procédé à l'audition libre de s. VE. Président de la S. A. S. A qui a déclaré :

« Je reconnais qu'il y a eu une erreur matérielle niveau de ma société. Un groupe de 11 salariés avait été détaché sur Monaco en début d'année 2017. L'activité sur le chantier étant important (SIC), il est apparu nécessaire d'ajouter deux salariés supplémentaires, s'agissant de M. MO s. et M. EU c. J'avais laissé une note à ma comptable pour qu'elle fasse le nécessaire pour les détachements de ces deux salariés, mais il y a eu un oubli de sa part. De ce fait, lors du contrôle effectué par l'inspecteur du travail, M. MO. était effectivement démuni de permis de travail, tout comme M. EU. qui lui n'a pas fait l'objet du contrôle mais était bien présent . Suite à cette information concernant l'absence de permis de travail, j'ai immédiatement fait les démarches nécessaires afin de régulariser la situation, dès le 22 mai 2017. À réception des imprimés les caisses sociales de Monaco, des formulaires de convention de sécurité sociale entre la France et Monaco, j'ai pu faire la demande de détachement auprès du Service de l'Emploi et vous remets copie du courrier que j'avais adressé le 7 juin 2017. Je recevais les autorisations de détachement de MM. MO. et EU. le 24 juin 2017. Je vous en remets copie . Je regrette cette situation, d'autant que les démarches nécessaires avaient été faites pour tous les autres salariés et que nous sommes habitués à travailler en Principauté ».

Cette procédure a été transmise pour avis le 9 novembre 2017 par le Parquet à la Direction du travail.

Selon avis du 21 décembre 2017, la Direction du travail a confirmé qu'une action de contrôle avait bien été effectuée le 19 mai 2017 sur le chantier X4 à MONACO, que s. VE. en sa qualité de Président de la S. A. S A avait été informé du résultat de ce contrôle, qu'un procès-verbal avait été établi dans la mesure où lors de ce contrôle, l'entreprise avait effectivement occupé s. MO. alors que ce dernier était démuni de permis de travail, que la présence de c. EU. n'avait pas été constatée sur le site, et que s. VE. avait reconnu avoir employé s. MO. sans avoir préalablement effectué les démarches auprès du Service de l'Emploi, en contravention avec la Loi n° 629 du 17 juillet 1957.

Ce service concluait que « des sanctions dissuasives doivent être prises à l'encontre de l'intéressé ».

Le casier judiciaire monégasque de s. VE. ne porte aucune mention. Son casier judiciaire français porte trace d'une condamnation prononcée le 28 avril 2015 par le Tribunal correctionnel de NICE à la peine de 200 euros d'amende du chef de recours à la sous-traitance sans faire accepter le sous-traitant et agréer ses conditions de paiement par le maître de l'ouvrage.

s. VE. a été cité devant le Tribunal correctionnel sous la prévention d'avoir, à Monaco, le 19 mai 2017, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, embauché un travailleur de nationalité étrangère sans avoir sollicité préalablement de permis de travail, sans déclaration de l'offre d'emploi et sans obtention préalable à l'entrée à son service d'une autorisation écrite de la Direction de la Main-d'œuvre.

Par jugement contradictoire en date du 13 février 2018, le Tribunal correctionnel a relaxé s. VE. du chef de défaut de déclaration de l'offre d'emploi et d'obtention préalable à l'entrée à son service d'une autorisation écrite de la Direction de la Main-d'œuvre, l'a déclaré coupable du surplus des faits reprochés et l'a condamné à la peine de 500 euros d'amende avec sursis ainsi qu'au paiement des frais.

Pour statuer ainsi, le Tribunal a retenu que « s. MO. était bien, lors du contrôle opéré le 19 mai 2017, détaché par la société de droit français A en qualité de peintre sur le chantier X4 ;

Attendu qu'il résulte des conventions signées entre la France la Principauté de Monaco les 28 février 1952 et 7 août 2000 que si la durée de ce détachement n'excède pas 12 mois, le pays accueillant est tenu de recevoir le travailleur sans pouvoir lui opposer les règles internes d'embauchage dès lors qu'il est muni des documents nécessaires ;

Attendu qu'il en découle que les dispositions des articles 3 et 4 de la loi 629 du 17 juillet 1957 n'ont pas vocation à s'appliquer au cas d'espèce s'agissant des formalités d'offre d'emploi ou de la demande d'autorisation d'embauche. Mais attendu qu'il est prévu à l'article 1er de ladite loi 629 qu'aucun étranger ne peut occuper un emploi privé à Monaco s'il n'est titulaire d'un permis de travail (...) ;

Que cette disposition, qui ne contredit aucunement les termes des textes internationaux, n'a pas été respectée en l'espèce par s. VE. s'agissant de la situation du dénommé MO s. le 19 mai 2017 ;

Que s. VE. devra donc être condamné de ce seul chef et relaxé du surplus ».

Par acte d'appel en date du 19 février 2018, le Procureur général a relevé appel à titre principal de ce jugement.

À l'audience fixée pour l'examen de l'affaire, le Procureur général a requis la relaxe du prévenu.

s. VE. a été entendu en dernier.

SUR CE,

Attendu que l'appel, relevé conformément aux conditions de forme et de délai prescrites par les articles 406 et 411 du Code de procédure pénale, est régulier et recevable ;

Attendu que l'article 1er de la Loi n° 629 du 17 juillet 1957, modifiée par la Loi n° 1.429 du 4 juillet 2016 tendant à réglementer les conditions d'embauchage et de licenciement en Principauté, énonce qu'aucun étranger ne peut occuper un emploi privé à Monaco s'il n'est titulaire d'un permis de travail ;

Que l'article 3 de cette loi énonce que toute offre d'emploi doit être déclarée par l'employeur à la Direction de la Main-d'œuvre et des Emplois qui lui adresse, dans les quatre jours francs de la déclaration, le ou les candidats à l'emploi ;

Que l'article 4 énonce que tout employeur qui entend embaucher ou réembaucher un travailleur de nationalité étrangère doit obtenir, préalablement à l'entrée en service de ce dernier, une autorisation écrite de la direction de la Main-d'œuvre et des Emplois ;

Mais attendu que l'Ordonnance n° 15.085 du 30 octobre 2001 rendant exécutoire l'arrangement administratif particulier portant diverses dispositions relatives à l'application de la Convention de Sécurité sociale entre la république française et la Principauté de Monaco, signé à Monaco le 7 avril 2000 énonce, en son article 2 relatif à la durée du détachement : « Les travailleurs salariés ou assimilés assurés d'un régime français et monégasque qui exercent une activité sur le territoire d'un État au service d'une entreprise dont ils relèvent normalement et qui sont détachés par cette entreprise sur le territoire de l'autre État afin d'y effectuer un travail pour le compte de celle-ci, demeurent soumis à la législation du premier État, à condition que la durée prévisible de ce travail n'excède pas douze mois, y compris la durée des congés, et qu'ils ne soient pas employés en remplacement d'autres travailleurs salariés ou assimilés parvenus au terme de la période de leur détachement. Si la durée du travail à effectuer se prolonge en raison de circonstances imprévisibles au-delà de la durée primitivement prévue et vient excéder douze mois, la législation du premier État demeure applicable jusqu'à l'achèvement de ce travail, à condition que l'autorité compétente de l'État sur le territoire duquel l'intéressé est détaché, ou l'organisme désigné par cette autorité, ait donné son accord. Cet accord doit être sollicité avant la fin de la période initiale de douze mois. Il ne peut pas être ordonné pour une période excédent douze mois. ».

Qu'en outre l'article L. 761-1 du Code français de la sécurité sociale énonce que les travailleurs détachés temporairement à l'étranger par leur employeur pour y exercer une activité salariée ou assimilée qui demeurent soumis à la législation française de sécurité sociale en vertu de conventions ou de règlements internationaux, sont réputés, pour l'application de cette législation, avoir leur résidence et leur lieu de travail en France ;

Qu'il résulte de l'ensemble de ces dispositions que le détachement d'un salarié français, quelle que soit sa durée, n'est pas soumis à la Loi n° 629 du 17 juillet 1957 ;

Attendu qu'au cas d'espèce, il n'est pas contesté que s. MO. salarié employé par la société française A a été temporairement affecté sur un chantier, exploité à Monaco par ladite société, pour une mission de courte durée ;

Qu'au regard des textes précités, il apparaît que ce salarié demeure soumis à la législation française, sans que les dispositions de la Loi n° 629 du 17 juillet 1957 ne lui soient applicables ;

Que cette analyse est confortée par la Loi n° 1.448 du 28 juin 2017 sur le droit international privé qui énonce, en son article 7, qu'à défaut de choix fait par les parties, le contrat individuel de travail est régi par le droit de l'État sur le territoire duquel ou à défaut, à partir duquel, le salarié en exécution du contrat accomplit habituellement son travail. L'État sur le territoire duquel le travail est habituellement accompli n'est pas réputé changer lorsque le travailleur accomplit son travail de façon temporaire sur le territoire d'un autre État. Si le droit applicable ne peut être déterminé sur la base du précédent alinéa, le contrat est régi par le droit de l'État sur le territoire duquel est situé l'établissement qui embauche le salarié ;

Qu'ainsi, c'est à tort que le Tribunal correctionnel a condamné s. VE. du chef de défaut d'autorisation d'embauchage ;

Attendu qu'en conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a relaxé s. VE. des chefs de défaut de déclaration de l'offre d'emploi et d'obtention préalable à l'entrée à son service d'une autorisation écrite de la Direction de la Main d'œuvre et infirmé en ce qu'il a condamné ce dernier pour le surplus des délits poursuivis et en ce qu'il l'a condamné aux frais ;

Attendu que les frais du présent arrêt, comme ceux du jugement entrepris, seront laissés à la charge du Trésor ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant en matière correctionnelle, publiquement et contradictoirement,

Reçoit l'appel,

Confirme le jugement rendu le 13 février 2018 par le Tribunal correctionnel en ce qu'il a relaxé s. VE. des chefs de défaut de déclaration de l'offre d'emploi et d'obtention préalable à l'entrée à son service d'une autorisation écrite de la Direction de la Main d'œuvre,

L'infirme en ce qu'il l'a condamné pour le surplus,

Statuant à nouveau,

Relaxe s. VE. du délit d'embauchage d'un travailleur de nationalité étrangère sans avoir sollicité préalablement son permis de travail,

Laisse les frais du jugement entrepris et ceux du présent arrêt à la charge du Trésor ;

Composition🔗

Après débats en audience publique de la Cour d'appel de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le huit octobre deux mille dix-huit, qui se sont tenus devant Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, faisant fonction de Président, Monsieur Eric SENNA, Conseiller, Madame Françoise CARRACHA, Conseiller, en présence de Monsieur Hervé POINOT, Procureur général adjoint, assistés de Mademoiselle Bénédicte SEREN, Greffier stagiaire ;

Après qu'il en ait été délibéré et jugé, le présent arrêt a été signé par Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, faisant fonction de Président, Monsieur Eric SENNA, Conseiller, Madame Françoise CARRACHA, Conseiller, Magistrats en ayant délibéré et ce en application des articles 58 à 62 de la Loi n° 1.398 du 24 juin 2013, relative à l'administration et à l'organisation judiciaires ;

Lecture étant donnée à l'audience publique du douze novembre deux mille dix-huit par Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, faisant fonction de Président, assistée de Mademoiselle Bénédicte SEREN, Greffier stagiaire, en présence de Mademoiselle Cyrielle COLLE, Premier Substitut du Procureur général, et ce en application des dispositions des articles 58 à 62 de ladite loi.

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