Cour d'appel, 12 novembre 2018, Le Ministère public c/ Monsieur m. PI.
Abstract🔗
Abandon de famille éléments constitutifs prévenu relaxé des fins de la poursuite - principe de légalité des crimes et délits - article 296 du Code pénal - prestation compensatoire assimilation à une pension alimentaire (non)
Résumé🔗
Contrairement à ce qui s'est produit en droit français où le législateur avait modifié l'ancien article 357-2 du Code pénal français en incriminant le défaut de paiement des « prestations et pensions de toute nature » qu'une personne doit à son conjoint « en vertu d'un jugement ou d'une convention judiciairement homologuée.» après l'instauration de la prestation compensatoire en 1975, il apparait qu'en droit monégasque, l'introduction de la prestation compensatoire par la Loi n° 1.366 du 3 avril 2007 n'a pas conduit à une modification de l'article 296 du Code pénal, lequel ne prévoit entre époux divorcés que le défaut de paiement de la pension alimentaire à l'ex-conjoint alors par ailleurs qu'aucun autre texte pénal n'incrimine cette abstention.
Ainsi, l'élément légal de l'infraction fait défaut dès lors que ce texte ne vise pas le non-paiement de la prestation compensatoire.
Par ailleurs, étant rappelé que la loi pénale est d'interprétation stricte, la prestation compensatoire n'apparait pas pouvoir être assimilée à une pension alimentaire.
À cet égard, les premiers juges ont justement rappelé les termes de l'article 204-5 du Code civil qui disposent que le divorce met fin au devoir de secours entre époux et que l'un des époux peut être tenu de verser de manière forfaitaire et définitive à l'autre une prestation compensatoire des disparités créées par le divorce dans les conditions de vies respectives des époux.
Cependant, à supposer même qu'elle revête un caractère alimentaire, ce qui ne ressort nullement de l'exposé des motifs de la Loi n° 1.366 du 3 avril 2007, son assimilation à une pension alimentaire est exclue en raison tant de son caractère forfaitaire résultant du versement sous forme d'un capital que de son caractère indemnitaire en ce qu'elle est destinée à compenser la disparité des conditions de vies respectives des époux après divorce.
Sur la question d'une situation légale imparfaite, il convient de relever que l'office du juge répressif se trouve cantonné à l'interprétation de la loi pénale en sorte que sa résolution éventuelle relève de la seule compétence du législateur tout en observant que le créancier ne se trouve pas sans possibilité d'agir pour obtenir le recouvrement forcé des sommes qui lui sont dues à ce titre en usant des voies civiles d'exécution.
Dans ces conditions, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a relaxé le prévenu des fins de la poursuite.
Motifs🔗
Principauté de Monaco
Dossier PG n° 2018/000409
Cour d'appel correctionnelle
R. 864
ARRÊT DU 12 NOVEMBRE 2018
En la cause du :
MINISTERE PUBLIC ;
APPELANT
Contre :
m. PI., né le 19 février 1941 à SASSARI (Italie), de Jean-Marie et de Marie RO. de nationalité italienne, retraité, demeurant X1 à MONACO (98000) ;
Prévenu de :
ABANDON DE FAMILLE
ABSENT aux débats, représenté par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, substituée par Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur ;
INTIME
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,
Jugeant correctionnellement, après débats à l'audience du 22 octobre 2018 ;
Vu le jugement contradictoirement rendu par le Tribunal correctionnel le 27 mars 2018 ;
Vu l'appel interjeté le 27 mars 2018 par le Ministère public, à titre principal ;
Vu l'ordonnance présidentielle en date du 17 août 2018 ;
Vu la citation signifiée, suivant exploit, enregistré, de Maître Claire NOTARI, Huissier, en date du 29 août 2018 ;
Vu les pièces du dossier ;
Ouï Eric SENNA, Conseiller, en son rapport ;
Ouï le Ministère public en ses réquisitions ;
Ouï Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur, pour m. PI. prévenu, en ses plaidoiries ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Par jugement contradictoire en date du 27 mars 2018, le Tribunal correctionnel a, sous la prévention :
« D'être, à MONACO, courant décembre 2016 à février 2018, en tout cas depuis temps non prescrit, en méconnaissance d'un jugement du Tribunal de première instance du 9 juin 2016 l'ayant condamné à verser une prestation compensatoire de 18.000 euros payable par mensualités de 300 euros à son épouse, volontairement demeuré plus de deux mois sans acquitter le montant intégral de la pension ».
DÉLIT prévu et réprimé par les articles 26, 27 et 296 du Code pénal,
relaxé m. PI. des fins de la poursuite sans peine ni dépens,
laissé les frais à la charge du Trésor.
Le Ministère public a interjeté appel principal de ladite décision le 27 mars 2018.
Considérant les faits suivants :
Le 25 janvier 2018, m. GI. déposait plainte à l'encontre de son ex-époux m. PI. pour le non-paiement de la prestation compensatoire à raison de 300 euros par mois en décembre 2016, mars 2017 et à compter du mois d'août 2017.
Elle exposait que par jugement du 9 juin 2016 homologuant la convention réglant les conséquences de leur divorce m. PI. s'était engagé à lui verser une prestation compensatoire de 18.000 euros échelonnée pendant une durée de cinq ans, qu'il lui avait réglé la somme 1.500 euros et ensuite la somme de 300 euros de janvier 2017 jusqu'au mois de juillet 2017 à l'exception du mois de mars 2017.
Elle indiquait encore qu'il ne lui avait pas payé le mois de décembre 2016 et qu'elle n'avait plus été payée depuis le mois d'août 2017, ce qui l'avait incité à déposer cette plainte.
Entendu par les policiers le 9 février 2018, m. PI. reconnaissait pour sa part le non-paiement des mois de décembre 2016, mars 2017 et à compter du mois d'août 2017 sous réserve de vérifications. Il précisait qu'il avait cessé les paiements car il s'était aperçu que m. GI. avait beaucoup plus d'argent sur son compte bancaire qu'elle ne le prétendait ce qui à ses yeux remettait en cause leur accord.
Le casier judiciaire de m. PI. ne comporte aucune mention.
À l'audience devant le Tribunal, m. PI. reconnaissait que les impayés s'élevaient à dix mois et reprenait ses explications sur le montant trop élevé de la prestation compensatoire eu égard à la situation de fortune de m. GI.
Par jugement du 27 mars 2018, m. PI. était relaxé des fins de la poursuite.
Pour statuer ainsi le Tribunal correctionnel a retenu que le délit d'abandon de famille n'était pas juridiquement constitué dès lors que la prestation compensatoire n'entrait pas dans les prévisions de l'article 296 du Code pénal.
Le Ministère public a relevé appel de cette décision le 27 mars 2018.
À l'audience fixée pour l'examen de l'affaire, le Ministère public a requis de la Cour la réformation de la décision et le prononcé d'une peine d'amende de 2.000 euros avec sursis en faisant valoir que :
la prestation compensatoire devait s'analyser comme une compensation de la perte du devoir de secours,
elle a un caractère alimentaire et indemnitaire,
l'article 296 du Code pénal, qui n'a pas connu d'évolution, n'est pas clair et ne vise pas expressément la prestation compensatoire, aussi il est nécessaire que la Cour d'appel puisse trancher ce débat juridique,
la position inverse aboutirait à ce que l'absence de paiement ne puisse pas être incriminée même si en l'espèce, la situation a été régularisée.
Le conseil de l'appelant a été entendu en ses observations aux termes desquelles, il a sollicité la confirmation de la décision en faisant valoir :
la situation avait été entièrement régularisée et si la dispense de peine existait en droit monégasque, c'est un cas où celle-ci aurait pu être prononcée,
le divorce a mis fin au devoir de secours et la prestation compensatoire n'est pas là pour le faire survivre,
la prestation compensatoire qui est constituée par l'allocation d'un capital compense la disparité dans la situation des ex-époux,
lorsqu'elle a été introduite en France, le texte pénal réprimant l'abandon de famille a été modifié pour y insérer le non-paiement de la prestation compensatoire,
la loi pénale étant d'interprétation stricte, ce manquement n'entre pas dans les prévisions de l'article 296 du Code pénal.
SUR CE,
Attendu qu'aux termes de l'article 19 de la Constitution « Nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi, devant les juges qu'elle désigne et dans la forme qu'elle prescrit. » ;
Que le principe de légalité des crimes et délits s'oppose à ce qu'une action ou inaction qui n'est prévue par un texte l'incriminant puisse être poursuivie pénalement ;
Qu'aux termes de l'article 296 du Code pénal, est coupable du délit d'abandon de famille toute personne qui, en méconnaissance d'une décision l'ayant condamnée à verser une contribution aux charges du ménage, ou une pension alimentaire à son conjoint, à ses ascendants, à ses descendants, sera volontairement demeurée plus de deux mois sans fournir la totalité des subsides déterminés par le juge ni acquitter le montant intégral de la pension ;
Que contrairement à ce qui s'est produit en droit français où le législateur avait modifié l'ancien article 357-2 du Code pénal français en incriminant le défaut de paiement des « prestations et pensions de toute nature » qu'une personne doit à son conjoint « en vertu d'un jugement ou d'une convention judiciairement homologuée » après l'instauration de la prestation compensatoire en 1975, il apparait qu'en droit monégasque, l'introduction de la prestation compensatoire par la loi n° 1.366 du 3 avril 2007 n'a pas conduit à une modification de l'article 296 du Code pénal, lequel ne prévoit entre époux divorcés que le défaut de paiement de la pension alimentaire à l'ex-conjoint alors par ailleurs qu'aucun autre texte pénal n'incrimine cette abstention ;
Qu'ainsi, l'élément légal de l'infraction fait défaut dès lors que ce texte ne vise pas le non-paiement de la prestation compensatoire ;
Attendu par ailleurs, étant rappelé que la loi pénale est d'interprétation stricte, la prestation compensatoire n'apparait pas pouvoir être assimilée à une pension alimentaire ;
Qu'à cet égard, les premiers juges ont justement rappelé les termes de l'article 204-5 du Code civil qui disposent que le divorce met fin au devoir de secours entre époux et que l'un des époux peut être tenu de verser de manière forfaitaire et définitive à l'autre une prestation compensatoire des disparités créées par le divorce dans les conditions de vies respectives des époux ;
Qu'à supposer même qu'elle revête un caractère alimentaire, ce qui ne ressort nullement de l'exposé des motifs de la Loi n° 1.366 du 3 avril 2007, son assimilation à une pension alimentaire est exclue en raison tant de son caractère forfaitaire résultant du versement sous forme d'un capital que de son caractère indemnitaire en ce qu'elle est destinée à compenser la disparité des conditions de vies respectives des époux après divorce ;
Qu'au surplus, sur la question d'une situation légale imparfaite, il convient de relever que l'office du juge répressif se trouve cantonné à l'interprétation de la loi pénale en sorte que sa résolution éventuelle relève de la seule compétence du législateur tout en observant que le créancier ne se trouve pas sans possibilité d'agir pour obtenir le recouvrement forcé des sommes qui lui sont dues à ce titre en usant des voies civiles d'exécution ;
Que dans ces conditions, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a relaxé le prévenu des fins de la poursuite ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,
Statuant en matière correctionnelle, publiquement et contradictoirement par application de l'article 377 du Code de procédure pénale à l'égard de m. PI.,
Reçoit l'appel,
Confirme le jugement du Tribunal correctionnel en date du 27 mars 2018,
Laisse les frais à la charge du Trésor.
Composition🔗
Après débats en audience publique de la Cour d'appel de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le vingt-deux octobre deux mille dix-huit, qui se sont tenus devant Monsieur Eric SENNA, Conseiller, faisant fonction de Président, Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, Madame Françoise CARRACHA, Conseiller, en présence de Mademoiselle Cyrielle COLLE, Premier Substitut du Procureur général, assistés de Mademoiselle Bénédicte SEREN, Greffier stagiaire ;
Après qu'il en ait été délibéré et jugé, le présent arrêt a été signé par Monsieur Eric SENNA, Conseiller, faisant fonction de Président, Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, Madame Françoise CARRACHA, Conseiller, Magistrats en ayant délibéré et ce en application des articles 58 à 62 de la Loi n° 1.398 du 24 juin 2013, relative à l'administration et à l'organisation judiciaires ;
Lecture étant donnée à l'audience publique du douze novembre deux mille dix-huit par Monsieur Eric SENNA, Conseiller, faisant fonction de Président, assisté de Mademoiselle Bénédicte SEREN, Greffier stagiaire, en présence de Mademoiselle Cyrielle COLLE, Premier Substitut du Procureur général, et ce en application des dispositions des articles 58 à 62 de ladite Loi.