Cour d'appel, 28 septembre 2018, Monsieur v. FI. c/ La Compagnie B

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Abstract🔗

Accident du travail - Rechute - Prise en charge au titre des accidents du travail (non) - Homologation du rapport d'expertise judiciaire

Résumé🔗

Le salarié, employé en qualité de magasinier cariste, a été victime d'un accident du travail lui occasionnant des douleurs au bas du dos et du membre inférieur droit pouvant s'apparenter à une sciatique. Arrêté avec trois mois de soins, le salarié subissait une nouvelle période d'interruption de travail que l'assureur-loi désirait voir qualifier par voie d'expertise. L'expert-judiciaire a considéré que les troubles présentés durant cette période « […] trouvent leur cause exclusive dans un état pathologique antérieur constitué essentiellement par un état dégénératif rachidien chez une personne ayant une activité de manutention. ». Le Tribunal a homologué le rapport, contesté par le salarié.

L'expert judiciaire a relevé que le salarié a été déclaré guéri des suites de son accident du travail et que son médecin traitant a établi un certificat médical initial en maladie et non en accident du travail en ce qui concerne les nouveaux troubles invoqués par l'intéressé. Par ailleurs, les soins et les renouvellements d'arrêt de travail ont été déclarés au titre maladie dans les certificats médicaux dressés par le médecin traitant de la victime. Le seul élément critique produit par le salarié est constitué par le certificat médical établi par son médecin traitant. Ce dernier ne peut toutefois contredire utilement le rapport d'expertise dès lors que l'opinion de ce praticien apparaît exprimée de façon dubitative, sans procéder à une démonstration clinique ou une analyse médicale de ce qui pourrait caractériser un lien de cause à effet entre l'accident et la rechute. La Cour homologue en conséquence le rapport d'expertise litigieux et déboute le salarié de ses demandes.


Motifs🔗

COUR D'APPEL

ARRÊT DU 28 SEPTEMBRE 2018

En la cause de :

  • - Monsieur v. FI., de nationalité roumaine, né le 26 février 1975 à Galati (Roumanie), magasinier cariste, demeurant X1à NICE (06200) ;

Bénéficiaire de plein droit de l'assistance judiciaire au titre de la législation sur les accidents du travail

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Sophie LAVAGNA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;

APPELANT,

d'une part,

contre :

  • - La Compagnie B, Société anonyme de droit français au capital de 991.967.200 euros, Entreprise régie par le Code des Assurances, dont le siège social est situé X2 - 75002 PARIS, inscrite au RCS PARIS sous le numéro X, prise en la personne de son Président du Conseil d'Administration, domicilié es-qualité audit siège, en sa qualité d'assureur-loi de la SAM E, représenté par la Compagnie B Cabinet C, sis X3 à Monaco, prise en la personne de son Agent Général, demeurant en cette qualité audit siège ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;

INTIMÉE,

d'autre part,

LA COUR,

Vu le jugement rendu par le Tribunal de première instance, le 21 décembre 2017 (R. 2013) ;

Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 18 janvier 2018 (enrôlé sous le numéro 2018/000077) ;

Vu les conclusions déposées les 27 mars 2018 et 19 juin 2018 par Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur, au nom de la Compagnie B ;

Vu les conclusions déposées le 8 mai 2018 par Maître Sophie LAVAGNA, avocat-défenseur, au nom de Monsieur v. FI.;

À l'audience du 26 juin 2018, vu la production de leurs pièces par les conseils des parties ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel relevé par Monsieur v. FI. à l'encontre d'un jugement du Tribunal de première instance du 21 décembre 2017.

Considérant les faits suivants :

v. FI. est employé en qualité de magasinier cariste pour le compte de la SAM E dont l'assureur-loi est la compagnie B (Cabinet C).

L'employeur déclarait le 15 juillet 2013 un accident du travail, son employé se plaignant de douleurs au bas du dos et du membre inférieur droit pouvant s'apparenter à une sciatique.

Arrêté jusqu'au 30 septembre 2013 avec trois mois de soins, Monsieur v. FI. subissait une nouvelle période d'interruption de travail le 24 novembre 2014 que l'assureur-loi désirait voir qualifier par voie d'expertise.

Suivant ordonnance en date du 30 janvier 2015, le Juge chargé des accidents du travail a désigné, en application des dispositions de l'article 12 de la loi n° 636 du 11 janvier 1958, le Docteur GHURGHEGUIAN en qualité d'expert aux fins de voir déterminer :

  • - si les troubles initiaux présentés par v. FI. résultent d'un effort exécuté le 15 juillet 2013 au cours de son travail ou sont la conséquence d'une action lente et répétée sans date, ni origine certaine ou d'un état pathologique antérieur,

  • - si les troubles constatés selon certificat médical du 24 novembre 2014 par le médecin traitant de la victime doivent être considérés comme une rechute de l'accident du travail,

  • - de fixer la durée des soins et de l'ITT, la date de reprise du travail et éventuellement de consolidation en précisant s'il subsiste ou non des séquelles.

Aux termes de son rapport en date du 18 février 2015, l'expert GHURGHEGUIAN a conclu que « les troubles dont a souffert v. FI. ont résulté d'un effort exécuté le 15 juillet 2013 au cours de son travail. Des suites immédiates, l'ITT qui en est résultée, du 15 juillet 2013 au 30 septembre 2013, doit être prise en charge dans le cadre accident du travail. Les soins effectués du 15 juillet 2013 au 15 octobre 2013 doivent être pris dans le cadre accident du travail. La reprise du travail a été effective le 1er septembre 2013. La guérison est fixée au 15 octobre 2013, sans séquelle des suites de l'accident du travail. Les troubles constatés selon certificat médical du 24 novembre 2014 ne peuvent être considérés comme une rechute de l'accident du travail du 15 juillet 2013, mais doivent être pris en charge dans le cadre maladie ».

La victime ayant contesté le rapport d'expertise, une ordonnance de non-conciliation était rendue le 30 juillet 2015 par le Juge chargé des accidents du travail et l'affaire renvoyée devant le Tribunal de première instance.

Selon exploit en date du 20 mai 2016, v. FI. a fait assigner devant le Tribunal de première instance la société anonyme B aux fins de voir désigner un nouvel expert pour se prononcer sur la qualification et l'imputabilité de l'épisode du 24 novembre 2014.

Aux termes d'un jugement en date du 12 janvier 2017, le Tribunal de première instance a :

  • ordonné un complément d'expertise confié au Docteur GHURGHEGUIAN avec pour mission de :

    • 1°) de dire si les troubles constatés par certificat médical du 24 novembre 2014, établi par le médecin traitant de la victime, constituent une rechute de l'accident du travail du 15 juillet 2013, c'est-à-dire, relèvent, en dehors de tout évènement brutal survenu au travail, d'une aggravation de l'état de santé de v. FI.(lésions organiques elles-mêmes ou état général), après guérison apparente, en lien direct et certain avec l'accident du travail,

    • 2°) de dire si au contraire, ces troubles trouvent leur cause exclusive dans un état pathologique antérieur et dans l'affirmative lequel,

    • 3°) de fixer, en cas de rechute, la durée des soins, de l'ITT, la date de reprise du travail et le cas échéant la date de consolidation, en précisant s'il subsiste ou non des séquelles.

L'expert judiciaire ainsi désigné établissait son rapport le 8 mars 2017 tout en concluant que : « les troubles constatés par certificat médical du 24 novembre 2014, établi par le médecin traitant de la victime, ne constituent pas une rechute de l'accident du travail du 15 juillet 2013.

Ces troubles trouvent leur cause exclusive dans un état pathologique antérieur constitué essentiellement par un état dégénératif rachidien chez une personne ayant une activité de manutention. ».

v. FI. a alors demandé au Tribunal de ne pas homologuer le rapport de cet expert, exposant que les troubles dont il souffre doivent être considérés comme une rechute de l'accident du travail du 15 juillet 2013 et être pris en charge au titre de la législation sur les accidents du travail tout en estimant qu'il y a lieu de faire évaluer sa capacité résiduelle de gains.

L'assureur-loi a, quant à lui, purement et simplement demandé l'homologation du rapport de l'expert en date du 8 mars 2017.

Suivant jugement en date du 21 décembre 2017 le Tribunal de première instance a homologué avec toutes conséquences de droit les rapports de l'expert GHURGHEGIAN en date des 18 février 2015 et 8 mars 2017 tout en déboutant v. FI. de l'ensemble de ses demandes.

Les premiers juges ont pour l'essentiel constaté que la présomption d'imputabilité ne pouvait pas s'appliquer en l'espèce, à défaut pour la victime de démontrer la continuation des troubles et des soins depuis l'accident du travail initial.

Suivant exploit en date du 18 janvier 2018, v. FI. a interjeté appel du jugement susvisé en date du 21 décembre 2017 dont il a sollicité la réformation en toutes ses dispositions.

Il expose en substance aux termes de l'ensemble de ses écritures que :

  • - les premiers juges ont à tort estimé que dès lors qu'une personne a été considérée comme guérie ou que les soins se sont interrompus, l'apparition de nouveaux troubles ne bénéficierait pas de la présomption d'imputabilité,

  • - un tel raisonnement est contraire à la qualification de la rechute qui se définit comme une récidive subite et spontanée de l'affection initiale présentant un lien avec les lésions d'origine causées par l'accident du travail, et ce indépendamment de toute consolidation ou guérison,

  • - c'est précisément ce qui avait conduit le Tribunal à ordonner un complément d'expertise par jugement du 12 janvier 2017 à l'effet de vérifier l'imputabilité des nouveaux troubles,

  • - il ressent toujours les séquelles de l'accident du travail du 15 juillet 2013 et les divers soins qui lui ont été dispensés ont été étalés dans le temps depuis le mois de mars 2014, outre plusieurs arrêts de travail prescrits durant cette même période de temps, la continuité des troubles étant effective,

  • - le certificat établi le 17 mars 2016 par son médecin traitant le Docteur GAJO évoque bien une récidive de douleurs lombaires irradiant dans les deux membres inférieurs,

  • - la continuation des troubles et des soins est établie et la présomption d'imputabilité doit dès lors s'appliquer indépendamment de toute consolidation ou guérison apparente,

  • - le rapport d'expertise du 8 mars 2017 ne démontre nullement que les troubles subis seraient exclusivement rattachables à un état pathologique antérieur résultant d'un état dégénératif rachidien, l'expert n'ayant par ailleurs pas suffisamment caractérisé l'absence de rechute,

  • - dans son rapport complémentaire du 8 mars 2017, l'expert se réfère essentiellement à son premier examen du 18 février 2015 sans avoir procédé à d'autres examens complémentaires et il ne peut donc valablement exclure la présomption d'imputabilité au titre de la rechute du 24 novembre 2014.

La compagnie B, assureur-loi, intimée, sollicite quant à elle la confirmation du jugement du Tribunal de première instance dont appel et entend voir débouter Philippe v. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

L'assureur-loi fait pour l'essentiel valoir que l'appelant réitère son argumentation de première instance et se contente de faire état du certificat médical de son médecin traitant sans articuler aucun grief nouveau.

Il observe que l'expert judiciaire a fait état de l'état dégénératif de la victime consistant en une discopathie lombaire et hyperlordose facteur de lombalgies notamment dans les activités professionnelles manuelles de Monsieur FI. l'arrêt de travail du 24 novembre 2014 ne relevant pas d'un élément brutal et documenté et ne caractérisant pas une rechute de l'accident initial de 2013.

L'assureur-loi rappelle également que les divers arrêts de travail intervenus postérieurement au mois de novembre 2014 ont été formulés dans le cadre de la maladie tout comme les soins médicaux prescrits, tous ces épisodes contrevenant à l'hypothèse d'une récidive subite et spontanée, Monsieur FI. ayant été considéré comme consolidé ou guéri de ses séquelles dès le 15 octobre 2013.

L'assureur-loi intimé estime qu'à défaut de tout lien de causalité direct et certain entre l'accident du travail initial du 15 juillet 2013 et les nouveaux épisodes du mois de novembre 2014 l'expert judiciaire a donc parfaitement écarté toute imputabilité en affirmant que les nouveaux troubles trouvaient leur explication dans une chronicisation de la symptomatologie.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.

SUR CE,

Attendu que l'appel interjeté par Monsieur v. FI. dans les conditions de forme et de délai prescrites par le Code de procédure civile apparaît régulier et doit être déclaré recevable ;

Attendu que la rechute se définit comme toute modification de l'état de la victime dont la première constatation médicale est postérieure à la date de guérison apparente ou de consolidation des blessures ;

Qu'il s'ensuit que la rechute ne peut donc survenir qu'après constatation de la consolidation ou de la guérison des suites de l'accident initial et se caractérise soit par l'aggravation de la lésion dont est atteinte une victime consolidée soit par l'apparition de lésions résultant de l'accident chez une victime considérée comme guérie ;

Attendu qu'en matière de rechute d'accident du travail, la présomption d'imputabilité induite des dispositions de l'article 2 de la loi n° 636 du 11 janvier 1958 ne joue pas de plein droit, mais il appartient au contraire à la victime de rapporter la preuve d'une modification de son état de santé d'une part mais aussi de l'imputation de cette évolution à l'affection initiale d'autre part, et ce dès lors que les nouveaux symptômes ou les soins nouvellement dispensés ne présentent pas de lien de continuité avec les séquelles d'origine ;

Attendu que l'expert judiciaire relève que Monsieur v. FI. a été déclaré guéri des suites de son accident du 15 juillet 2013 et observe en page 4 de son rapport que « entre la date de consolidation de l'accident de juillet 2013 et le 24 novembre 2014 le patient a bénéficié de soins médicaux depuis au moins le mois de mars 2014 dans le cadre maladie. Ces soins étalés dans le temps vont à l'encontre d'une récidive subite et spontanée datée du 24 novembre 2014 » ;

Que l'expert observe également que : « concernant l'atteinte du 24 novembre 2014 le médecin traitant de la victime a établi un certificat médical initial en maladie et non en accident du travail » ;

Attendu qu'il est non moins constant, concernant l'atteinte du 24 novembre 2014, que les soins et les renouvellements d'arrêt de travail ont été déclarés au titre maladie dans les certificats médicaux dressés par le médecin traitant de la victime ;

Que le seul document critique versé aux débats est constitué par le certificat médical qu'a établi le Docteur Gérard GAJO le 17 mars 2016 ;

Que l'opinion de ce praticien apparaît cependant exprimée de façon dubitative en ce qu'il observe : « une récidive de douleur lombaire s'irradiant dans les membres inférieurs pouvant être imputable à une rechute de l'accident du travail du 15 juillet 2013 » et ce, sans procéder à une démonstration clinique ou une analyse médicale de ce qui pourrait caractériser ce lien de cause à effet ;

Attendu qu'il s'ensuit qu'à défaut de toute autre pièce produite en cause d'appel et d'aucun autre élément critique de nature à contester utilement la teneur du rapport d'expertise, il n'apparaît pas établi que l'expert judiciaire aurait commis des erreurs ou des omissions en affirmant que les troubles constatés le 24 novembre 2014 trouvaient leur cause exclusive dans un état pathologique antérieur constitué essentiellement par un état dégénératif rachidien ;

Attendu que Monsieur v. FI. doit dès lors être débouté des fins de son appel et le jugement en date du 21 décembre 2017 sera confirmé en toutes ses dispositions ;

Attendu que les dépens d'appel demeureront à la charge de Monsieur v. FI.;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant publiquement et contradictoirement,

Reçoit l'appel de Monsieur v. FI.

Au fond l'en déboute et confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de première instance le 21 décembre 2017,

Laisse les dépens d'appel à la charge de Monsieur v. FI. et dit qu'ils seront distraits au profit de Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable,

Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.

Composition🔗

Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Monsieur Éric SENNA, Conseiller, assistés de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint,

Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,

Lecture est donnée à l'audience publique du 28 SEPTEMBRE 2018, par Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef adjoint, en présence de Monsieur Hervé POINOT, Procureur Général adjoint.

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