Cour d'appel, 16 avril 2018, Organisme privé chargé de la gestion d'un service public P c/ a. ZE.
Abstract🔗
Escroquerie - Escroquerie aux assurances sociales - Éléments constitutifs - Médecin - Manœuvres frauduleuses (non) - Facturation d'actes fictifs ou ne pouvant être remboursés (non) - Relaxe
Résumé🔗
Le médecin psychiatre poursuivi du chef d'escroquerie aux assurances sociales doit être relaxé. La preuve n'est pas rapportée de la facturation aux organismes sociaux d'actes fictifs, consultations ou électroencéphalogrammes. Il n'est pas démontré de facturation par le prévenu de consultations psychiatriques et d'électroencéphalogrammes ne répondant pas aux exigences médicales permettant d'en justifier la facturation.
Motifs🔗
Cour d'appel correctionnelle
ARRÊT DU 16 AVRIL 2018
En la cause du :
MINISTÈRE PUBLIC ;
Et de :
L'organisme privé chargé de la gestion d'un service public P et l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public M, sises X à MONACO (98000), prises en la personne de leur directeur général en exercice j-j. CA., constituées parties civiles,
REPRESENTÉES par Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, plaidant par ledit avocat-défenseur ;
APPELANTS
Contre :
a. ZE., né le 15 avril 1952 à BLIDA (Algérie), d a. et d'Irène SO., de nationalité monégasque, retraité, demeurant X1 à MONACO (98000) ;
Prévenu de :
ESCROQUERIE
PRÉSENT aux débats, assisté de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et de Maître Eric DUPOND-MORETTI, avocat au Barreau de Lille, plaidant par lesdits avocats ;
INTIMÉ
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO, jugeant correctionnellement, après débats à l'audience du 19 février 2018 ;
Vu le jugement contradictoirement rendu par le Tribunal correctionnel le 12 avril 2016 ;
Vu les appels interjetés le 18 avril 2016, par le Ministère public à titre principal, et le 19 avril 2016 par Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, pour l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public P et l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public M, parties civiles ;
Vu l'ordonnance présidentielle en date du 3 mai 2016 ;
Vu la citation signifiée, suivant exploit, enregistré, de Maître Patricia GRIMAUD-PALMERO, Huissier, en date du 13 mai 2016 ;
Vu les dénonciations de témoins et les citations de témoin, signifiées, suivant exploits, enregistrés, de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, Huissier, en date des 22 et 23 décembre 2016, 26, 30 janvier, 15, 18 et 19 décembre 2017 à la requête de l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public P et de la C. AM. T. I., parties civiles, pour faire entendre f. DE GI., m. PA-BO., v. BO-LA., n. BA. et m. TO. ;
Vu les pièces du dossier ;
Vu les conclusions de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, pour l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public P et la C. AM. T. I., parties civiles, en date des 13 janvier et 10 novembre 2017 ;
Vu les conclusions de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur, pour a. ZE., prévenu, en date du 11 janvier 2017 ;
Ouï Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, en son rapport ;
Ouï a. ZE., prévenu, en ses réponses ;
Ouï m. TO., né le 23 août 1961 à MARSEILLE (13), de nationalité française, technicien, demeurant X2 à ROQUEBRUNE-CAP-MARTIN (06190), cité et entendu ès qualités de témoin, en ses déclarations, serment préalablement prêté ;
Ouï Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, pour l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public P et la C. AM. T. I., parties civiles, en ses moyens d'appel et plaidoiries ;
Ouï le Ministère public en ses réquisitions ;
Ouï Maître Eric DUPOND-MORETTI, avocat au Barreau de Lille, régulièrement autorisé par Madame le Président à assister a. ZE., prévenu, en ses plaidoiries par lesquelles il sollicite la relaxe de son client ;
Ouï Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur, pour a. ZE., prévenu, en ses plaidoiries par lesquelles il sollicite la relaxe de son client ;
Ouï le prévenu, en dernier, en ses moyens de défense ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Par jugement contradictoire en date du 12 avril 2016 le Tribunal correctionnel a, sous la prévention :
« De s'être, à Monaco, dans le courant des années 2005 à 2008, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, par l'emploi de manœuvres frauduleuses pour persuader de l'existence de fausses entreprises, d'un pouvoir ou d'un crédit imaginaire, fait remettre ou délivrer des fonds par l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public P et l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public M et d'avoir, par ces moyens, escroqué la totalité ou partie de leur fortune, en l'espèce en facturant sciemment, par l'établissement de feuilles de soins, et en obtenant indûment le paiement, par ces organismes sociaux, de consultations psychiatriques et d'électroencéphalogrammes fictifs ou ne répondant pas aux exigences médicales pour en justifier la facturation »
DÉLIT prévu et réprimé par les articles 26, 27 et 330 du Code pénal,
sur l'action publique,
- relaxé a. ZE. des fins de la poursuite sans peine ni dépens,
sur l'action civile,
- reçu l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public P et l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public M en leur constitution de partie civile mais au fond les a déboutées de leurs demandes,
- et a laissé les frais à la charge du Trésor.
Le Ministère public a interjeté appel principal de ladite décision le 18 avril 2016.
Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, pour l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public P et l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public M, parties civiles, a interjeté appel de cette décision par acte de greffe en date du 19 avril 2016.
Considérant les faits suivants :
Le 2 octobre 2009, l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public P et l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public M déposaient plainte devant le Procureur général contre le Docteur a. ZE. du chef d'escroquerie ou de toute autre infraction qui serait révélée par l'enquête.
Les organismes plaignants exposaient que ce médecin, qui exerçait en Principauté la profession de psychiatre depuis 1983, se trouvait, de ce fait, adhérent des conventions signées entre les Caisses et l'Ordre des médecins et, qu'à ce titre, il s'était engagé à respecter le montant maximum des honoraires par application d'un tarif fixé en accord avec les organismes sociaux.
Ils exposaient ensuite qu'à l'occasion d'un contrôle du respect des dispositions tarifaires de la convention, les Caisses avaient relevé des anomalies quant au volume des actes relevant de l'activité de ce médecin.
Ainsi, les Caisses considéraient-elles qu'il y avait eu des abus de facturation d'actes de consultations, des abus de facturation d'électroencéphalogrammes ainsi qu'un usage abusif de la procédure dite d'honoraires non perçus.
De même, la Commission Mixte d'Etude et de Conciliation, constituée en vue d'assurer la collaboration entre les médecins et les organismes sociaux, après avoir, notamment, relevé le nombre élevé de consultations dans une même journée, incompatible avec l'exercice normal d'une activité médicale en psychiatrie, ainsi qu'une motivation d'indications médicales pour la réalisation d'électroencéphalogrammes ne correspondant pas aux données actuelles de la science, estimait que les agissements du Docteur ZE. constituaient, par leur caractère systématique, de graves abus justifiant une décision de déconventionnement définitif, qui devait être notifiée à l'intéressé selon lettre recommandée avec avis de réception dans le courant du mois de novembre 2008.
Le Docteur ZE. formait deux recours à l'encontre de cette décision, l'un devant la Cour d'appel, l'autre devant la Cour de révision.
Les Caisses sociales déduisaient des contrôles réalisés que l'activité globale journalière du Docteur ZE. était « pour le moins suspecte ».
Ainsi, elles relevaient pour l'année 2006, 18.008 actes sur 293 jours, soit une moyenne journalière se décomposant comme suit : le lundi 110 actes, le mardi 71 actes, le mercredi 71 actes, le jeudi 68 actes, le vendredi 86 actes, le samedi 13 actes et le dimanche 1 acte.
Elles observaient aussi 16 journées à plus de 120 actes, 33 journées comprenant de 119 à 100 actes et 43 journées comprenant de 99 à 80 actes. Pour la journée du 18 avril 2006, 148 actes facturés étaient recensés.
Pour l'année 2007, 93 actes étaient dénombrés pour le 16 mai, 105 actes pour le 21 mai, 107 actes pour le 29 mai, 101 actes pour le 1er août et 101 actes pour le 16 août.
Une comparaison était effectuée avec les éléments statistiques recueillis sur l'activité des praticiens spécialistes en psychiatrie en France, et dans la région PACA plus particulièrement, qui permettait d'établir une moyenne annuelle de 2.235 actes, soit 14 actes par jour, pour une durée moyenne de 38 minutes par consultation sur une journée de près de 9 heures.
Les caisses déduisaient que l'activité en nombre d'actes du Docteur ZE. dépassait largement la pratique nationale française, jusqu'à parfois, au niveau régional, 9 fois la norme.
Elles relevaient, en outre, que la durée moyenne d'une consultation en psychiatrie était de 38 minutes selon un journal professionnel et de 34 minutes selon une enquête effectuée auprès de praticiens franciliens.
Les caisses s'interrogeaient alors sur la capacité de ce praticien à réaliser, de façon habituelle, plus de 100 actes par jour et en concluaient qu'il était matériellement impossible de recevoir, d'examiner, d'écouter et de traiter jusqu'à même 148 personnes au cours de la même journée, ce qui les conduisait à soupçonner une facturation d'actes fictifs ayant permis de servir des prestations indues et c'est ainsi qu'elles portaient plainte.
À l'appui de celle-ci, les caisses sociales produisaient les rapports rédigés sur l'activité du Docteur a. ZE. qui concluaient à un abus dans les facturations des consultations, à un abus dans les facturations des électroencéphalogrammes et à une pratique disproportionnée de la procédure dite des honoraires non perçus, en violation des dispositions de l'article 14 de la convention conclue le 1er février 2006 avec l'Ordre des médecins consacrant le caractère exceptionnel de cette procédure.
Le rapport d'étude statistique rédigé suite au « contrôle sélectif d'activité du Docteur a. ZE. Psychiatre », essentiellement fondé sur une recherche bibliographique relative aux pratiques et aux activités usuelles en psychiatrie, sur une analyse statistique comparée des psychiatres pour les actes remboursés auprès des régimes d'assurance-maladie monégasques et une analyse statistique des actes présentés au remboursement par le Docteur ZE. auprès des quatre caisses sociales monégasques pour l'année 2006, concluait, au regard des anomalies déjà relevées, à une activité de ce praticien qualifiée de « totalement atypique ».
Le rapport d'étude clientèle rédigé suite au « contrôle sélectif d'activité du Docteur a. ZE. Psychiatre » concluait également à des factures abusives d'actes non médicalement justifiés et à une pratique tout aussi abusive de la procédure d'honoraires non perçus.
Était également annexé à la plainte, l'avis rédigé le 9 octobre 2008 par le Professeur Jean NAUDIN, sollicité en qualité de sapiteur par le Directeur des caisses sociales.
À l'issue d'un contrôle sur pièces, ce médecin concluait de la manière suivante :
« Une bonne pratique psychiatrique est incompatible avec les volumes d'activité relevés pour chaque journée de travail,
eu égard aux données actuelles de la science, les indications médicales ayant conduit à la réalisation d'électroencéphalogrammes ne sont pas valides et ne peuvent en aucun cas être justifiées par la clinique psychiatrique seule,
l'ancienneté du suivi, mais non la grande fréquence, peut trouver sa justification dans une pratique dite « de soutien » chez des patients chroniques,
la grande fréquence du suivi, clinique et électrique, effectué par un médecin chez des patients prêts à signer de façon unanime des lettres de soutien en sa faveur, témoigne d'une alliance moins thérapeutique que stratégique, dans un but énoncé par les patients eux-mêmes lorsqu'ils avancent dans leur courrier à la CSM leurs difficultés financières et leur propre besoin de sécurité ».
En réponse aux rapports sur le contrôle de son activité établis par le service du contrôle médical des caisses (CMC), le Docteur ZE. rédigeait, le 29 août 2008, un document recueillant ses observations aux termes desquelles il contestait les conditions du déroulement de ce contrôle et la compétence des personnes chargées d'y procéder.
Il expliquait, essentiellement, que la consultation psychiatrique était une relation humaine verbale, consistant en un dialogue, et qu'elle n'avait rien de mécanique, qu'aucun texte ne liait le remboursement d'une consultation à sa durée et que le service de contrôle avait fondé son analyse sur l'idée d'une durée minimale de la consultation psychiatrique en dépit de l'absence, tant en France qu'à Monaco, de textes réglementaires sur ce point.
Sur l'interprétation des données chiffrées, il faisait observer que l'activité prise en compte était celle du lundi au vendredi alors qu'il donnait ordinairement des soins jusqu'au samedi inclus, précisant qu'aucune réglementation n'obligeait le praticien libéral à prendre, ou non, des congés, et qu'il était donc entièrement libre d'organiser son temps de travail. Sur le nombre d'actes par patient, il observait que contrairement aux affirmations du service du contrôle médical des caisses, la fréquence réelle de ses soins aux assurés était inférieure ou égale à un acte par patient et par semaine pour 83 % de sa patientèle, données comparables aux pratiques habituelles de la psychiatrie française. Il en concluait que le volume de sa patientèle était nettement supérieur à celui de tous ses confrères psychiatres, tant sur le plan national français que localement. S'agissant de l'analyse comparative à l'activité des autres psychiatres conventionnés avec les caisses sociales monégasques, il soulignait que son activité était exclusivement libérale contrairement aux autres pratiques auxquelles le rapport l'avait comparé. Sur l'étude clientèle, il relevait que bon nombre de documents fondant cette étude ne lui avaient pas été communiqués contradictoirement.
Le 9 octobre 2009, le Procureur général prenait des réquisitions aux fins d'informer du chef d'escroqueries, commises courant 2005 et jusqu'au 6 octobre 2009, au préjudice de l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public P et de l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public M, à l'encontre d a. ZE..
Une commission rogatoire était confiée, le 14 octobre 2009, au directeur de la Sûreté publique, qui permettait l'audition de :
G. V. DE R., attaché de direction à l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public P, à l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public M, à la C. A. R. T. I. et à la C. A. R. de Monaco, qui précisait que des anomalies avaient été relevées depuis des années dans la procédure des honoraires non perçus pratiquée par le Docteur ZE., que les contrôles de son activité avaient mis en évidence des actes non médicalement justifiés, un abus d'électroencéphalogrammes, une pratique abusive des honoraires non perçus ainsi que des actes de consultations neuropsychiatriques non compatibles avec la qualité des soins, et qu'à ce jour il n'était pas en mesure de déterminer s'il s'agissait d'une mauvaise pratique de la médecine ou d'une escroquerie consistant dans le remboursement de consultations et d'actes fictifs. Lors d'une audition ultérieure, il ajoutait que ce médecin avait été déconventionné en décembre 2008, que depuis cette date, 350 patients n'étaient plus suivis par un psychiatre et que le nombre d'électroencéphalogrammes avait notoirement baissé dans le courant de l'année 2008.
b. PA., médecin-conseil, chef de service à l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public P et à l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public M, qui précisait que suite à une première étude statistique de l'activité du Docteur ZE., le Conseiller du Gouvernement pour les Affaires Sociales avait prescrit une analyse conjointe de l'activité de ce praticien par les trois caisses sociales (l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public P, S. P. M. E. et l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public M), qu'au regard des chiffres, « l'activité de ce médecin leur avait paru inconcevable et irréalisable de par sa volumétrie pour une pratique normale », qu'en 2007, les caisses avaient versé 426.725 euros à ce médecin alors que pour un praticien dans la même spécialité exerçant à Beausoleil la somme versée avait été de 63.000 euros, que l'étude avait également porté sur la clientèle du médecin, qu'il s'agissait néanmoins de patients fragiles et qu'il n'avait pas pu être mis en évidence d'actes non réalisés, que s'agissant des électroencéphalogrammes, le Docteur ZE. les « pratiquait d'une manière atypique pour un psychiatre », que depuis le contrôle, ce médecin n'avait plus facturé d'électroencéphalogrammes et qu'elle confirmait les termes des rapports fournis par les médecins conseils des caisses,
m. CO., chef du Service des Prestations Médicales de l'État (S. P. M. E.) à Monaco qui déclarait qu'elle recevait au service des feuilles de remboursement de ce médecin en liasse, « c'est-à-dire plusieurs dizaines de feuilles à la fois concernant plusieurs patients, et dont la majorité était des feuilles en HNP pour des visites très rapprochées et très nombreuses », que les autres médecins pratiquaient la procédure HNP dans de bien moindres proportions, que les médecins-conseil avaient également remarqué un nombre élevé de visites par patient et que, depuis la décision de déconventionnement, les feuilles de remboursement du Docteur ZE., leur parvenaient de façon normale et non plus par liasses,
j. GR., médecin-conseil au S. P. M. E. à Monaco, missionné pour « établir un mémoire en réponse à celui fait par M. ZE. et pour fournir des éléments au Conseil de l'Ordre des médecins dans la plainte ordinale diligentée par le Ministère d'État », qui constatait, notamment, des attestations de patients déclarant des actes fictifs en série, un nombre d'actes facturés quotidiennement au S. P. M. E. d'environ 60 dans la période écoulée entre le 1er janvier 2007 et le 30 septembre 2007, des électroencépha-logrammes qui n'étaient pas « médicalement justifiés pour le suivi des patients dans le cadre de leurs pathologies au sens des référentiels médicaux actuels », ainsi qu'un défaut de qualité de prise en charge du patient au regard du nombre de consultations.
En exécution de la commission rogatoire, les services de police recueillaient le mémoire établi le 2 mars 2009 par le S. P. M. E. duquel il résultait les interrogations suivantes :
les actes facturés par le Docteur ZE. avaient-ils tous été réalisés ?
si des actes aussi nombreux avaient effectivement été réalisés, étaient-ils médicalement justifiés ?
enfin, ces actes correspondaient-ils à une bonne qualité de prise en charge de chaque patient ?
Au terme de l'analyse de l'activité du Docteur ZE. réalisée par ce service, il était relevé que :
sur la non réalisation effective d'actes facturés, cinq patients avaient certifié par écrit que certains des actes facturés par ce praticien n'avaient pas été réalisés, le Docteur ZE. ne le contestant pas pour deux d'entre eux,
sur l'absence de justification médicale d'actes facturés, s'agissant des consultations de psychiatrie et eu égard aux référentiels en la matière, que la moyenne de durée de suivi de l'ensemble des patients de ce médecin était de près de dix années, qu'elle dépassait quinze années pour six patients et vingt ans pour trois d'entre eux, que face à « pareille endémie de chronicisation de symptômes dépressifs chez les patients du Docteur ZE. », soit les thérapeutiques de ce médecin étaient inefficaces, soit il y avait erreur sur la pathologie, soit cette chronicisation était « entretenue par le Docteur ZE. »,
sur la pratique d'électroencéphalogrammes en série, qu'elle constituait un abus d'actes facturés par ce médecin aux organismes d'assurance-maladie alors même qu'aucun tracé ni compte-rendu ne devait être fourni au médecin de l'administration suite à sa demande et que, eu égard aux recommandations en la matière relatives, notamment, aux situations cliniques où ce type d'actes est considéré comme inutile, ce médecin n'avait pas le droit de facturer à l'assurance-maladie en général, et au S. P. M. E. en particulier, « des actes que la communauté scientifique a reconnu non utiles dans le cadre de l'exercice de sa spécialité » et qu'ainsi les « EEG facturés par le Docteur ZE. au SPME l'ont donc été abusivement »,
sur le défaut de qualité de prise en charge des patients, qu'il était d'ores et déjà démontré au regard d'une part, du nombre de consultations quotidiennes, de l'ordre de 60 à près de 100 par jour, réduisant la durée de chacune d'elles à quelques minutes et « privant nécessairement les patients de la qualité d'écoute et de la disponibilité intellectuelle du praticien », au regard d'autre part, des pathologies « chronicisées pendant des dizaines d'années avec des consultations répétées bihebdomadaires » et au regard enfin de « EEG répétitifs dans des indications médicales non validées par la communauté scientifique ».
Le rapport sur l'activité du Docteur a. ZE. rédigé le 8 octobre 2009 par le Docteur p. LA., rapporteur pour l'Ordre des médecins, concluait ainsi :
l'accusation de facturation d'actes fictifs devait certainement être retenue, « basée sur une très forte présomption découlant de l'impossibilité matérielle de réaliser jusqu'à 148 actes médicaux par jour et sur des témoignages recevables »,
l'accusation de défaut de qualité de prise en charge était essentiellement fondée sur un cas de rupture de continuité des soins ; en ce qui concerne la durée moyenne des séances, elle n'était « manifestement pas compatible avec une bonne qualité de prise en charge dans ce type de pathologie qui nécessite une écoute attentive et prolongée » mais que, compte tenu « du retour favorable de ses patients et de ses confrères concernant la qualité des soins qu'il dispense » il ne fallait pas retenir un défaut global de qualité de prise en charge des patients mais plutôt une facturation d'actes fictifs en très grand nombre,
l'accusation de facturation en série d'actes injustifiés semblait parfaitement fondée en ce qui concerne les EEG. Pour les consultations, étaient relevées les lacunes de l'analyse faite par le médecin du S. P. M. E..
Il apparaissait au rapporteur indispensable de reprendre cette étude et de faire réaliser une expertise des patients.
Une perquisition était effectuée au cabinet du Docteur ZE. le 2 mars 2010, au cours de laquelle une copie de son agenda de l'année 2010 était recueillie, pour la période allant du 4 janvier au 27 mars 2010, les agendas antérieurs n'ayant pas été retrouvés.
Lors de cette perquisition, les services de police procédaient aux constatations suivantes :
à l'heure de leur arrivée au cabinet de ce médecin, soit à 9 heures 15, ils constataient que celui-ci était en rendez-vous et que le patient quittait les lieux à 9 heures 25, la consultation ayant duré dix minutes,
à leur arrivée, les salles d'attente n'accueillaient aucun patient,
entre 9 heures 15, heure de leur arrivée au cabinet, et 10 heures 50, heure de la fin de leurs opérations, six personnes s'étaient présentées au cabinet à 9 heures 40, 10 heures, 10 heures 15, 10 heures 25, 10 heures 35 et 10 heures 45,
le Docteur ZE. ne disposait d'aucune secrétaire et assurait lui-même la réception des appels téléphoniques, l'accueil des patients, la rédaction des ordonnances et celle des feuilles de soins,
le nombre de dossiers de patients de ce médecin était faible compte tenu du nombre d'années d'activité de celui-ci (25 ans) et de sa patientèle déclarée.
Le 1er juillet 2010, le Juge instruction procédait à l'interrogatoire de première comparution d a. ZE. et lui notifiait son inculpation du chef d'escroqueries au préjudice de l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public P et de l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public M. Ce dernier contestait les faits reprochés.
Le 21 octobre 2010, le Magistrat instructeur procédait à l'interrogatoire au fond de l'inculpé.
Celui-ci expliquait notamment que lors du contrôle de son activité, il n'avait eu accès à aucune donnée, qu'aucun contact n'avait été pris avec lui, que suite au déconventionnement, il avait perdu les trois quarts de sa clientèle, et que l'arrêt des soins, suite à ces contrôles, avait eu un effet dramatique pour certains patients. Il confirmait que dans son activité, il n'était assisté ni pour la réception des patients, ni pour le standard téléphonique et qu'il n'avait jamais eu recours à un remplaçant lors de ses congés en raison de la relation intime existant entre le psychothérapeute et le patient. Il précisait aussi que les patients le choisissaient en raison de sa disponibilité, que le temps consacré à chacun d'eux était variable en fonction du contexte et que ses horaires habituels de réception étaient de 6 heures 30 à 22 heures 30. Il critiquait également le rapport du Professeur NAUDIN, rappelant qu'il ne s'agissait que d'un avis sur pièces, sans examen des patients concernés. Il expliquait qu'il n'avait pas conservé ses agendas antérieurs à l'année 2010 qui ne lui étaient plus utiles.
Le Juge d'instruction procédait à l'audition du Professeur NA., auquel il était donné connaissance du « rapport critique sur l'avis sapiteur du Professeur NA. » rédigé par le Docteur ZE.. Le témoin considérait ce rapport comme relevant « d'une stratégie visant à accumuler les documents pour opacifier le dossier ». Rappelant que son propre service était l'un des rares à disposer d'un électroencéphalographiste à temps plein, il soutenait néanmoins que la répétition des électroencéphalogrammes, dont la fonction était essentiellement diagnostique, ne se justifiait pas. S'agissant de la durée des consultations, il estimait qu'une « conversation de 5 minutes avec quelqu'un ne peut pas avoir une portée fondamentale. Le simple bon sens indique qu'il doit y avoir une durée minimum de séance pour qu'un récit oral puisse se construire et être entendu ». Il ajoutait à titre d'exemple : « Il y a bien un jour de consultation du Docteur ZE., un lundi, où il en a déclaré 134, ce qui signifie 6 minutes par consultation en admettant qu'il ait travaillé 24 heures d'affilée ».
Une expertise judiciaire était également réalisée par les Docteurs Daniel SASSA et Denis HEISELBEC, auxquels il était demandé de « procéder à une expertise sur pièces concernant l'activité médicale du docteur a. ZE. » et qui concluaient aux termes de leur rapport déposé le 2 juillet 2013 :
« Nous pouvons affirmer que les volumes d'activité du Dr ZE. tels que relevés pour chaque jour de travail sur la période considérée ne sont pas compatibles avec une bonne pratique médicale en matière de durée de consultation. Il était matériellement impossible au Dr ZE. d'effectuer un tel nombre de consultations psychiatriques par jour (avec des pics à plus de 100 consultations par jour), si l'on se réfère à la durée habituelle d'une consultation psychiatrique¿ Enfin, l'usage de la procédure d'honoraires non perçus favorise assez aisément les actes fictifs, d'autant plus qu'ils sont récurrents dans l'activité du Dr ZE.. Ainsi, les griefs d'actes fictifs et médicalement injustifiés qui auraient permis le versement de prestations indues nous semblent réels. Un examen du dossier médical de chaque patient n'est pas indispensable pour nous prononcer sur ces différents points ».
Ce rapport d'expertise était critiqué par les conseils de l'inculpé.
Le Magistrat instructeur procédait aussi à l'audition de j-j. CA., directeur général des Caisses de MONACO, représentant l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public P et l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public M, parties civiles, auquel il donnait connaissance des observations du Docteur ZE. et qui déclarait, en substance, que les données utilisées à l'appui de la plainte étaient fondées sur le remboursement des actes et qu'il ne s'agissait « donc pas de chiffres statistiques mais de la réalité des paiements effectués ».
Il délivrait une commission rogatoire complémentaire au Directeur de la Sûreté publique visant, au vu des différentes pièces transmises par l'inculpé, à recueillir la position des caisses sur les contestations émises par le Docteur ZE. sur le comptage des actes et sur l'incompatibilité des données annoncées.
L'exécution de cette commission rogatoire permettait, notamment, d'apprendre que le déconventionnement du Docteur ZE. avait été prononcé une première fois à titre temporaire, du 1er au 31 juillet 2007, au motif d'un « non-respect des dispositions tarifaires conventionnelles », des dépassements à hauteur de 6.000 euros ayant en effet été constatés sur une période d'un trimestre, du 1er juillet 2006 au 30 septembre 2006.
g. V. DE R., attaché de direction aux Caisses sociales, expliquait qu'habituellement une décision de déconventionnement temporaire était assortie du sursis si, par exemple, le médecin remboursait les dépassements constatés mais qu'en l'espèce, tel n'avait pas été le cas et ce, en raison de la volumétrie des actes. Il précisait, en outre, que le Docteur ZE. avait pour habitude d'envoyer les dossiers de HNP « par vague, environ trois à quatre vagues par an », ce qui rendait, selon le témoin, le contrôle de ces remboursements « très difficile et long ».
m. CO., chef du S. P. M. E., précisait quant à l'arrêt de la procédure HNP pour le Docteur ZE., que ce dernier avait fait l'objet de nombreux avertissements de son service en 2003, 2005, 2006 et 2007.
Une demande d'actes était formulée par le conseil de l'inculpé, à laquelle, par un arrêt du 13 février 2012, la Chambre du conseil de la Cour d'appel faisait partiellement droit, sollicitant du Juge d'instruction la production par les parties civiles de feuilles de soins, d'actes, de demandes de remboursements ou de justificatifs de remboursements, pour la période 2006-2007 et pour les journées au cours desquelles plus de 50 actes ou soins étaient constatés.
Ces documents étaient produits par les parties civiles le 23 avril 2012 sous forme de tableaux de synthèse et de listes informatiques, détaillées par journée de soins, des assurés ayant bénéficié d'un remboursement de l'organisme avec les références de paiement.
Le conseil des parties civiles précisait au Magistrat instructeur que les archives des organismes sociaux ne concernaient que l'activité des soins dispensés aux affiliés à l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public P et à l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public M, nécessairement inférieure à l'activité globale du Docteur ZE.. Il ajoutait que 204 journées en 2006 avaient fait l'objet d'une activité de plus de 50 actes par jour et 141 journées en 2007. Il indiquait qu'une « mesure d'extraction des feuilles de maladie concernant les actes facturés par ce praticien avait été mise en place afin de ne pas encourir le risque de destruction des archives qui, selon les procédures habituelles des caisses sociales, intervient dans un délai maximal de quatre années après le remboursement des soins » et qu'ainsi, si elle était estimée utile par le Magistrat instructeur, la production des feuilles de soins originales restait possible.
Finalement, les Caisses parvenaient à réunir des feuilles de soins relatives aux journées au cours desquelles l'inculpé avait facturé un nombre d'actes égal ou supérieur à soixante, précisant toutefois que sur un total de 1.581 actes pour l'ensemble des journées considérées, elles n'avaient pu retrouver les archives relatives à 292 actes, soit que certaines pièces aient été transmises aux compagnies d'assurances à l'appui d'une demande de remboursement, soit qu'à la suite des multiples manipulations internes, certaines archives avaient été perdues.
Le Juge d'instruction adressait l'avis de fin d'information visé à l'article 213 du Code de procédure pénale à l'ensemble des parties.
Le 28 janvier 2015, le Procureur général requérait du Magistrat instructeur qu'il dise n'y avoir lieu à suivre contre l'inculpé du chef d'escroqueries pour la période suivante : courant 2009 et jusqu'au 6 octobre 2009 et requérait que l'inculpé soit renvoyé devant la juridiction de jugement du chef d'escroqueries pour la période allant de l'année 2005 à l'année 2008.
Par ordonnance de non-lieu partiel et de renvoi devant le Tribunal correctionnel en date du 20 avril 2015, le Juge d'instruction ordonnait un non-lieu partiel du chef du délit d'escroquerie commis dans le courant de l'année 2009 et jusqu'au 6 octobre 2009 et, estimant qu'il résultait de l'information charges suffisantes contre a. ZE. d'avoir commis le délit d'escroqueries au préjudice de l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public P et de l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public M, dans le courant des années 2005 à 2008, renvoyait celui-ci devant le Tribunal correctionnel.
À l'audience du Tribunal correctionnel fixée pour l'examen de l'affaire, l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public P et l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public M demandaient à être accueillies en leur constitution de partie civile et sollicitaient la condamnation du prévenu à leur payer, à titre de dommages-intérêts, la somme de 725.984,25 euros, ainsi que celle de 20.000 euros « à titre de dommages-intérêts forfaitaires en réparation des préjudices complémentaires subis par les parties civiles ».
Les conseils du prévenu déposaient des conclusions aux fins de relaxe exposant, en substance, que l'information n'avait pas permis d'établir l'existence de manœuvres frauduleuses au sens de l'article 330 du Code pénal, que le recours aux statistiques était totalement inopérant pour calculer l'activité de leur client, que les chiffres avancés par les plaignantes étaient faux, qu'il n'existait aucune durée minimum de consultation en matière de psychiatrie, que l'utilisation des électroencéphalogrammes ne pouvait pas être reprochée au Docteur ZE., l'utilité médicale d'une telle pratique ne pouvant pas être tranchée par le Tribunal correctionnel, et enfin qu'aucun élément n'avait permis d'établir que le prévenu avait pour pratique de faire signer des feuilles de soins en blanc à des patients bénéficiant de la procédure du tiers payant.
Par jugement contradictoire en date du 12 avril 2016, le Tribunal correctionnel, sur l'action publique, relaxait a. ZE. des fins de la poursuite et, sur l'action civile, recevait l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public P et l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public M en leur constitution de partie civile, les en déboutait au fond et laissait les frais à la charge du Trésor.
Pour statuer ainsi, le Tribunal retenait que :
il ne ressortait d'aucune pièce produite que a. ZE. ait facturé des actes de consultation ou d'électroencéphalogramme sans les avoir accomplis,
si le nombre élevé de consultations journalières pour un psychiatre « peut paraître surprenant il ne peut néanmoins en être déduit, en l'état des seules pièces soumises à l'appréciation du Tribunal, une impossibilité matérielle absolue pour a. ZE. d'avoir effectivement reçu et consulté durant une journée de travail toutes ces personnes qui n'ont, au demeurant, aucune été entendues lors de l'enquête »,
la juridiction répressive n'était pas en mesure d'apprécier l'utilité des électroencéphalogrammes facturés par a. ZE., ni d'en tirer la conséquence que le prévenu avait escroqué les caisses sociales « en facturant des actes dont il avait obtenu remboursement et qu'il savait ne pas être en droit de le faire »,
s'agissant de la facturation des consultations, « si le nombre élevé de consultations journalières pour un psychiatre peut paraître surprenant et difficilement compatible avec une bonne pratique médicale, il ne peut néanmoins en être déduit, en l'état des seules pièces soumises à l'appréciation du Tribunal, une impossibilité matérielle absolue pour a. ZE. » de réaliser autant de consultations durant une journée de travail,
« les seuls éléments d'appréciation portés à la connaissance du Tribunal ne permettent pas de considérer que a. ZE. avait, par la voie de la procédure dite des honoraires non perçus ou par l'intermédiaire de ses patients, facturé des actes qualifiés de consultations et qui, de par leur nature et fréquence, n'en revêtaient aucunement les caractéristiques pour en justifier le remboursement par les caisses sociales qu'il aurait ainsi voulu escroquer ».
Par acte en date du 18 avril 2016, le Procureur général relevait appel principal de ce jugement.
Par acte en date du 19 avril 2016, le conseil de l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public P et de l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public M relevait appel à son tour.
Par conclusions en date du 11 janvier 2017, déposées le 13 janvier 2017, a. ZE. demande à la Cour, sur le fondement de l'article 330 du Code pénal, de confirmer le jugement du 12 avril 2016 rendu par le Tribunal correctionnel et, en conséquence, de prononcer sa relaxe.
Au soutien de ses demandes, il fait valoir que l'information n'a pas permis d'établir l'existence de manœuvres frauduleuses au sens où l'entend l'article 330 du Code pénal.
Il précise qu'aucun élément n'a permis d'établir le nombre de consultations psychiatriques qu'il a réalisées, que le recours aux statistiques est totalement inopérant pour calculer son activité, que les chiffres avancés par les plaignantes sont faux et qu'il n'existe aucune durée minimum de consultation en matière de psychiatrie.
Il souligne ensuite que l'utilisation des électroencéphalogrammes ne peut pas lui être reprochée dès lors que l'utilité de cette pratique est reconnue par les spécialistes de la maladie mentale et que l'un des principes fondamentaux de la médecine est la liberté de prescription.
Enfin, il observe qu'aucun élément n'a permis d'établir qu'il avait pour pratique de faire signer des feuilles de soins en blanc à des patients bénéficiant de la procédure de HNP.
Par conclusions en date du 13 janvier 2017, déposées à cette date devant la Cour, et par conclusions du 10 novembre 2017, l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public P. et la l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public M demandent à la Cour, sur le fondement de l'article 15 de la nomenclature des actes professionnels et des articles 26, 27 et 330 du Code pénal, de :
constater qu'il résulte des conclusions des divers praticiens ayant émis un avis dans le dossier et notamment celle de la commission mixte d'étude et de conciliation, du Professeur NA., chef de service psychiatrie à l'AHPM-Hôpitaux sud de Marseille, du Dr j. GR. ainsi que du Dr p. LA. entre autres que la volumétrie des actes facturés par le Dr ZE. est totalement incompatible avec la réalité et qu'il s'agit nécessairement d'actes fictifs,
bien vouloir constater également qu'il est à cet égard matériellement impossible qu'un praticien ait pu effectuer dans une seule journée jusqu'à 148 consultations de patients différents alors même que ledit praticien n'a ni secrétaire ni collaborateur,
constater également que cet état de fait se trouve renforcé par le fait que la volumétrie prétendue des actes du Dr ZE. serait, si elle était exacte, neuf fois supérieure à la moyenne des praticiens de la région PACA dans son domaine de spécialité,
constater également qu'il résulte de la plainte d'assurés sociaux relevant directement des caisses sociales que le Dr ZE. a effectivement facturé des consultations et des EEG fictifs en ce qui les concerne, lesdits témoignages et attestations étant corroborés par l'attestation de Monsieur BOISSON, expert-comptable, la déclaration du Directeur des caisses sociales ainsi que les justificatifs comptables fournis en cause d'appel,
constater enfin, qu'en vertu de l'article 15 de la nomenclature des actes professionnels, les consultations éventuelles du Dr ZE. n'ayant représenté qu'un entretien superficiel de quelques minutes, ne constituent pas des actes facturables en tant que consultations,
en conséquence, s'entendre infirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions et statuant de nouveau,
déclarer Monsieur a. ZE. coupable du délit d'escroqueries visées par la prévention,
en répression, faire telle application de la loi pénale qu'il appartiendra,
accueillir l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public P et l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public M, agissant poursuites et diligences de leur Directeur général en exercice, en leur constitution de partie civile comme valable et régulière en la forme,
au fond, les y déclarant fondées, dire et juger que Monsieur ZE. doit être condamné à réparer les conséquences préjudiciables de l'infraction qu'il a commise à leur préjudice,
le condamner en conséquence au paiement, à titre de dommages-intérêts, de la somme de 725.984,25 euros,
le condamner également au paiement de la somme de 20.000 euros à titre de dommages-intérêts forfaitaires en réparation des préjudices complémentaires subis par les parties civiles,
le condamner enfin aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de Maître Franck MICHEL, avocat-défenseur, dont la présence aura été reconnue nécessaire et utile aux débats.
Les parties civiles font grief au jugement entrepris de ne pas avoir tenu compte des nombreux éléments versés à la procédure, en particulier des conclusions de la commission mixte d'étude et de conciliation, de la déposition du Docteur Jacques GRELLIER, des conclusions du rapport du Docteur Pierre LAVAGNA, du contrôle sélectif de l'activité du Docteur ZE. révélant une activité, en nombre d'actes, neuf fois supérieure à la moyenne de la région PACA, ainsi que de l'avis du Professeur Jean NAUDIN, éléments qui, selon elles, concluent de façon univoque à une évidente facturation d'actes fictifs.
Elles reprochent également au Tribunal correctionnel de ne pas avoir tiré les conséquences du nombre « extravagant » de consultations prétendument données par le prévenu, dont les praticiens ont dit qu'il était matériellement incompatible avec la réalité, alors, au surplus, que le Docteur ZE. assurait lui-même la réception des appels téléphoniques, l'accueil des patients et la rédaction des actes médicaux.
Elles font ensuite grief au Tribunal d'avoir eu une appréciation erronée de certains éléments du dossier, pourtant essentiels dans l'évaluation de la responsabilité pénale, en ce que la juridiction n'a pas pris en considération les plaintes des assurés relevant du SP. M. E. qui étaient pourtant de nature à démontrer le comportement frauduleux du prévenu.
Enfin, elles reprochent au Tribunal correctionnel de ne pas avoir répondu à leurs conclusions relatives à l'incidence de l'article 15 de la nomenclature générale des actes professionnels.
Devant la Cour, les parties civiles font citer des témoins et versent de nouvelles pièces qui, selon elles, permettent d'établir de manière incontestable la facturation d'actes fictifs par le prévenu.
A l'audience fixée pour l'examen de l'affaire, l'avocat des parties civiles a soutenu oralement ses conclusions écrites.
Le Procureur général a requis l'infirmation du jugement entrepris et la condamnation du prévenu à une peine de deux ans d'emprisonnement avec sursis assortie d'une liberté d'épreuve d'une durée de cinq ans, avec obligation d'indemniser les parties civiles, et à l'interdiction d'être expert prévue par l'article 27 du Code pénal.
Développant oralement leurs conclusions, les avocats du prévenu ont sollicité la confirmation du jugement entrepris.
Le prévenu a été entendu en dernier.
SUR CE,
1- Attendu que les appels, relevés dans les formes et conditions prescrites par les articles 406 et 411 du Code de procédure pénale, sont réguliers et recevables ;
2- Attendu que l'article 330 du Code pénal définit l'escroquerie comme le fait pour quiconque, soit en faisant usage de faux noms ou de fausse qualité, soit en employant des manoeuvres frauduleuses pour persuader l'existence de fausses entreprises, d'un pouvoir, d'un crédit imaginaire, ou pour faire naître l'espérance ou la crainte d'un succès, d'un accident ou de tout autre événement chimérique, de se faire remettre ou délivrer ou de tenter de se faire remettre ou délivrer des fonds, meubles, effets, deniers, marchandises, billets, promesses, quittances ou tous autres écrits contenant ou opérant obligation ou décharge et, par un de ses moyens, d'escroquer ou de tenter d'escroquer la totalité ou partie de la fortune d'autrui ;
Attendu qu'en l'espèce, les manoeuvres frauduleuses reprochées à a. ZE. sont, aux termes de la prévention, définies de la manière suivante : « en facturant sciemment, par l'établissement de feuilles de soins, et en obtenant indûment le paiement, par ces organismes sociaux, de consultations psychiatriques et d'électroencéphalogrammes fictifs ou ne répondant pas aux exigences médicales pour en justifier la facturation » ;
2-1 : La facturation d'actes fictifs :
Attendu que si le contrôle sélectif de l'activité d a. ZE. a, selon les caisses sociales plaignantes, mis en évidence des anomalies quant au volume d'actes facturés, mentionnées dans le rapport du Directeur général des caisses sociales monégasques et les rapports du service médical, il apparaît que l'analyse des caisses plaignantes a essentiellement porté sur le nombre d'actes présentés au remboursement par ce praticien, sans toutefois que ces données chiffrées, par ailleurs contestées par le prévenu, aient toutes été corroborées par des pièces comptables certifiées, ni vérifiées par une expertise, ni encore attestées par la production de l'ensemble des feuilles de soins correspondantes ;
Qu'en effet, le nombre de feuilles de soins produites aux débats par les caisses sociales, en exécution d'un arrêt de la Chambre du conseil de cette Cour, ne correspond pas au volume d'actes annoncé à l'issue de leur contrôle ;
Qu'en outre, l'explication, proposée par les caisses plaignantes, selon laquelle une partie des feuilles de soins aurait été égarée à la suite de manipulations multiples, tandis qu'une autre partie aurait été transmise à leur compagnie d'assurance, n'a pas été vérifiée au cours de l'information ;
Or, attendu que l'avis du Professeur j. NA., recueilli par les caisses sociales, ainsi que le rapport d'expertise des experts judiciaires d. DA. et d. HE., qui portent sur l'analyse de l'activité professionnelle du prévenu, ont été établis sur la seule base de données chiffrées communiquées par les organismes plaignants, mais non corroborées ultérieurement par les feuilles de soins correspondantes ;
Que, de même, le rapport du Docteur p. LA., rapporteur pour le Conseil de l'Ordre des médecins, qui conclut que « l'accusation de facturation d'actes fictifs doit certainement être retenue. Elle est basée sur une très forte présomption découlant de l'impossibilité matérielle de réaliser jusqu'à 148 actes médicaux par jour, et sur des témoignages recevables », établi d'après une synthèse de l'analyse de l'activité d a. ZE., un mémoire du S. P. M. E., des pièces fournies par le prévenu et un entretien avec ce dernier, ne contient aucune démonstration et n'est fondé que sur la volumétrie des actes du prévenu, contestée par celui-ci et non avérée par les pièces du dossier, ainsi que sur des témoignages qui, bien que considérés par le rapporteur comme recevables, n'émanent pas de patients relevant des caisses sociales plaignantes ;
Qu'en cause d'appel, les parties civiles ont produit une attestation établie le 22 décembre 2016 par c. BO., expert-comptable, selon laquelle : « Le Docteur a. ZE. a demandé le remboursement de 952 actes de soins dont 55 électroencéphalographies pour 4 patients pour la période comprise entre le 1er janvier 2006 et décembre 2007. Ces demandes de remboursement ont fait l'objet soient d'un décaissement des CAISSES SOCIALES DE MONACO sur le compte bancaire n° X du Docteur a. ZE., soit d'un remboursement direct à l'assuré » ;
Que néanmoins cette attestation, dont la portée est limitée à quatre patientes du prévenu, ne distingue pas parmi les actes remboursés, ceux pouvant être qualifiés de fictifs ;
Qu'au surplus, à l'occasion du contrôle sélectif de l'activité du prévenu portant sur l'année 2007, dont les objectifs étaient de « reconstituer le temps de travail du Dr A. ZE. sur une journée, facilement repérable » et de « mettre en évidence soit des actes fictifs, soit un défaut de qualité des soins, les actes tant de durée trop courte », au cours duquel la journée du 16 août 2007 a été choisie comme échantillon au regard de l'importance alléguée du nombre d'actes, les assurés bénéficiaires de ces actes ont été convoqués par les médecins conseils de leurs caisses respectives ; qu'il apparaît que sur 69 patients convoqués, 65 se sont présentés au contrôle, dont 22 bénéficiant de la procédure HNP, et qu'ils ont unanimement affirmé avoir reçu tous les soins présentés au paiement ;
Que la circonstance qu'aucun des patients n'aurait, selon les caisses sociales, examiné le listing d'actes « attentivement », non corroborée par une audition des patients concernés au cours de l'enquête, ne permet pas pour autant de contredire les résultats de ce contrôle ;
Qu'il apparaît, en outre, qu'au cours de l'information, aucun patient n'a été entendu ;
Qu'en cause d'appel, les parties civiles ont produit des attestations établies, entre le 26 octobre 2016 et le 4 novembre 2016, par quatre patientes, n. BA., f. DE GI., v. BO-LA. et m. PA-BO., selon lesquelles ces dernières n'auraient pas bénéficié de tous les électroencéphalogrammes et consultations facturés en HNP par le prévenu ;
Que cités à la requête des parties civiles, ces témoins n'ont pas comparu à l'audience de la Cour du 19 février 2018 ;
Que cependant, dans leurs attestations, recueillies près de dix ans après les faits, et rédigées en termes très généraux, les témoins ne précisent ni les raisons pour lesquelles leur témoignage n'est pas intervenu plus tôt, ni les éléments qui permettraient à la Cour d'accorder du crédit à des déclarations aussi tardives. Qu'en outre, ces attestations ne sont pas suffisamment circonstanciées, aucune d'entre elles ne précisant la date des actes supposés fictifs, ni les raisons pour lesquelles le témoin est certain de ne pas avoir consulté son praticien à cette date ;
Qu'en outre, certaines de ces patientes, convoquées par les organismes sociaux en 2008 à l'occasion du contrôle effectué sur la période de soins de l'année 2007, ont affirmé avoir bénéficié de toutes les consultations facturées par le prévenu ;
Que bien plus, à l'occasion de ce même contrôle, f. DE GI., n. BA. et v. BO-LA. ont écrit des courriers à a. ZE., évoquant, respectivement, le « besoin de vos bons soins et de votre aide », ou encore « votre compréhension, besoin de vos soins et de votre aide », enfin « l'aide inestimable que vous avez su m'apporter dans ces moments terribles de ma vie, et je tiens à vous manifester une fois de plus toute ma reconnaissance » ;
Qu'il s'ensuit que ces attestations ne suffisent pas à rapporter la preuve de la facturation, par a. ZE., d'actes fictifs au nom de ces quatre patientes ;
Que l'audition, en cause d'appel, de m. TO., cité par les parties civiles, qui déclare qu'il a été le patient du prévenu, de 1987 à 1994, et qu'il aurait, durant cette période, signé des feuilles de soins en blanc, comportant l'indication d'actes fictifs, porte sur des faits antérieurs à la prévention ;
Que, par ailleurs, à supposer même que des actes fictifs aient été facturés à des patients relevant du S. P. M. E., ces faits, non visés par le réquisitoire introductif du 9 octobre 2009, n'ayant pas donné lieu à des réquisitions supplétives, ne peuvent pas être reprochés au prévenu ;
Qu'en outre, la prévention, qui vise l'obtention indue, par le plaignant, d'un paiement émanant des organismes sociaux, ne peut concerner que les actes médicaux en HNP, le reste des consultations donnant lieu à un règlement par le patient, qui en obtient, ensuite, personnellement le remboursement ;
Qu'enfin, pour les journées où le prévenu a facturé un nombre élevé de consultations, il n'est pas établi à l'égard de quels patients précisément identifiés serait intervenue une facturation d'actes fictifs ;
Que si l'établissement de feuilles de soins fictifs, nécessitant l'intervention d'un tiers (le patient qui, par sa signature, atteste de l'existence du soin) constitue bien une manœuvre frauduleuse au sens de l'article 330 du Code pénal, l'absence, au cas d'espèce, de corrélation avérée entre telle ou telle feuille de soins produite par les plaignantes, qui comporterait l'indication de soins fictifs, et son paiement correspondant ne permet pas de caractériser ladite manœuvre ;
Attendu qu'au regard de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de considérer que la preuve n'est pas rapportée de la facturation, par le prévenu, d'actes fictifs, consultations ou électroencéphalogrammes, aux caisses plaignantes ;
2-2 : La facturation de consultations psychiatriques et d'électroencéphalogrammes ne répondant pas aux exigences médicales permettant d'en justifier la facturation :
Attendu que la Cour rappelle que les données communiquées par les caisses sociales sur la volumétrie des actes dont le prévenu a sollicité le paiement ne sont pas corroborées par le nombre de feuilles de soins correspondant aux actes allégués ;
Qu'en outre, aucun des patients bénéficiaires de consultations ou d'électroencéphalogrammes pouvant paraître litigieux n'a été entendu au cours de l'enquête ;
Que dès lors, même si, comme l'a relevé le Tribunal, le nombre élevé de consultations journalières, pouvant parfois, au vu des feuilles de soins produites, atteindre plus de 60, paraît difficilement compatible avec une bonne pratique médicale ainsi que l'ont aussi conclu les experts consultés, il n'en demeure pas moins que l'impossibilité matérielle absolue pour le prévenu, d'avoir effectivement reçu et consulté autant de patients en une journée n'est pas démontrée ;
Attendu qu'enfin, il n'est pas établi que le prévenu ait facturé des électroencéphalogrammes qui n'auraient pas été nécessaires au regard de la pathologie présentée par tel ou tel patient ;
Attendu que, dès lors, la preuve n'est pas rapportée de la facturation, par le prévenu, d'actes ne répondant pas aux exigences médicales permettant cette facturation ;
Attendu qu'en conséquence, le jugement rendu par le Tribunal correctionnel le 12 avril 2016 sera confirmé en ce qu'il a relaxé a. ZE. des fins de la poursuite ;
3- Attendu que ce jugement sera également confirmé en ce qu'il a reçu l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public P et l'organisme privé chargé de la gestion d'un service public M en leur constitution de partie civile et les a déboutées de leurs demandes ;
4- Attendu que les frais du présent arrêt seront laissés à la charge du Trésor ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO, statuant en matière correctionnelle, publiquement, contradictoirement à l'égard du prévenu, et contradictoirement conformément aux dispositions de l'article 377 du Code de procédure pénale à l'égard des parties civiles,
Reçoit les appels,
Confirme le jugement rendu le 12 avril 2016 par le Tribunal correctionnel en toutes ses dispositions,
Laisse les frais du présent arrêt à la charge du Trésor ;
Composition🔗
Après débats en audience publique de la Cour d'appel de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le dix-neuf février deux mille dix-huit, qui se sont tenus devant Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, faisant fonction de Président, Madame Virginie ZAND, Conseiller, Monsieur Paul CHAUMONT, Conseiller, en présence de Mademoiselle Alexia BRIANTI, Substitut du Procureur général, assistés de Madame Sandra MILLIEN, Greffier.
Après qu'il en ait été délibéré et jugé, le présent arrêt a été signé par Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, faisant fonction de Président, Madame Virginie ZAND, Conseiller, Monsieur Paul CHAUMONT, Conseiller, Magistrats en ayant délibéré et ce en application des articles 58 à 62 de la Loi n° 1.398 du 24 juin 2013, relative à l'administration et à l'organisation judiciaires ;
Lecture étant donnée à l'audience publique du seize avril deux mille dix-huit par Madame Virginie ZAND, Conseiller, faisant fonction de Président, assistée de Madame Sandra MILLIEN, Greffier, en présence de Monsieur Jacques DOREMIEUX, Procureur général, et ce en application des dispositions des articles 58 à 62 de la Loi n° 1.398 du 24 juin 2013.