Cour d'appel, 20 mars 2018, La Société A c/ La Société B
Abstract🔗
Contrats et obligations - Prestation de service - Condamnation au paiement - Concurrence déloyale - Détournement de clientèle - Accord d'exclusivité - Convention de sous-traitance - Preuve non rapportée
Résumé🔗
En l'absence de contestation sur la réalité des prestations fournies par la société intimée, la condamnation au paiement de l'appelante est confirmée.
La demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour manquement au devoir de loyauté est rejetée, le détournement de clientèle allégué n'étant pas prouvé. Il n'est rapporté la preuve ni d'un accord d'exclusivité entre les parties, ni d'une convention de sous-traitance.
Motifs🔗
COUR D'APPEL
ARRÊT DU 20 MARS 2018
En la cause de :
- La Société Anonyme Monégasque dénommée A (A SAM) dont le siège social est sis X, 98000 MONACO, immatriculée au Répertoire du Commerce et de l'Industrie de Monaco sous le n° 00 S 03867, agissant poursuites et diligences de son Président Délégué en exercice, demeurant et domicilié ès-qualité audit siège ;
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Patricia REY, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Clyde BILLAUD, avocat-stagiaire près la même Cour, substituant ledit avocat-défenseur ;
APPELANTE,
d'une part,
contre :
- La Société par Actions Simplifiées à associé unique de droit français dénommée B, dont le siège social est sis X1, 75013 PARIS, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Paris sous le n° 399 069 319, prise en la personne de son Président en exercice, demeurant et domicilié audit siège en cette qualité ;
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
INTIMÉE,
d'autre part,
LA COUR,
Vu le jugement rendu par le Tribunal de première instance, le 27 septembre 2016 (R.7682) ;
Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 1er mars 2017 (enrôlé sous le numéro 2017/000114) ;
Vu les conclusions déposées les 13 juin 2017 et 5 décembre 2017 par Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur, au nom de la Société C, société par actions simplifiées de droit français venant aux droits de la société B ;
Vu les conclusions déposées le 7 novembre 2017 par Maître Patricia REY, avocat-défenseur, au nom de la Société Anonyme Monégasque dénommée A (A SAM) ;
À l'audience du 13 février 2018, ouï les conseils des parties en leurs plaidoiries ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
La Cour statue sur l'appel relevé par la Société Anonyme Monégasque dénommée A (A SAM) à l'encontre d'un jugement du Tribunal de Première Instance du 27 septembre 2016.
Considérant les faits suivants :
La SAM A a été mandatée par la société D dans le courant de l'année 2012 pour effectuer une prestation d'assistance, de paramétrage et de maintenance d'un logiciel de paiement.
La SAM A a, pour réaliser cette mission, pris attache avec la SAS B, dénommée SAS B, qui a confié l'exécution de cette prestation à v. BO. dès le 1er décembre 2011.
Le 18 juin 2012, la société D et la SAS B ont alors signé une lettre de commande précisant que les prestations seraient exécutées par v. BO. pendant la période de juillet à septembre 2012.
Si la SAM A s'est régulièrement acquittée des factures des 30 juin 2012 (902007823) et 21 juillet 2012 (902008221), elle n'a pas réglé les factures des 31 août et 30 septembre 2012 (numéro 90208616 et 90208701).
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 3 novembre 2014, la SAS B a mis en demeure la SAM A de régler la somme de 52.822,58 euros. Cette mise en demeure est restée vaine.
Suivant acte d'huissier du 10 juillet 2015, la SAS B a alors fait assigner la SAM A devant le Tribunal de Première Instance de Monaco à l'effet de la voir condamner à lui payer la somme de 39.224,61 euros outre les intérêts au taux légal à compter du 3 novembre 2014 sur le fondement des articles 989 et suivants du Code civil outre celle de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts sur le fondement de l'article 1229 du Code civil.
Aux termes d'un jugement en date du 27 septembre 2016, le Tribunal de Première Instance a :
« - Condamné la SAM A à payer à la SAS B la somme de 39.224,61 euros avec intérêts au taux légal à compter du 6 novembre 2014, date de réception de la mise en demeure ;
- Débouté la SAS B de sa demande en dommages et intérêts ;
- Débouté la SAM A de ses demandes reconventionnelles ;
- Condamné la SAM A aux dépens ».
Au soutien de cette décision, les premiers juges ont pour l'essentiel retenu que la société A ne contestait pas la relation contractuelle existant avec la société B, ni les prestations effectuées et leur coût, en sorte que la demande principale apparaissait justifiée ; ils ont en revanche considéré que la preuve d'un manquement à son devoir de loyauté imputé à la société B n'était pas rapportée, en sorte que la demande reconventionnelle n'apparaissait pas fondée.
Suivant exploit en date du 1er mars 2017, la société A a interjeté appel du jugement rendu par le Tribunal de Première Instance le 27 septembre 2016, signifié le 2 février 2017, à l'effet de voir la Cour :
« - réformer la décision entreprise en ce qu'elle a condamné la société A à payer à la société B la somme de 39.224,61 euros avec intérêts au taux légal à compter du 6 novembre 2014 et en ce qu'elle a débouté la société A de ses demandes reconventionnelles,
Et, statuant à nouveau :
- débouter la société B des fins de sa demande de règlement des factures précitées,
- juger la société B cocontractant de mauvaise foi et déloyal,
- par voie de conséquence, condamner la société B à lui payer la somme de 75.338 euros au titre de deux années de bénéfices à titre de dommages-intérêts, outre la somme de 10.000 euros à titre de dommages intérêts soit un total de 85.338 euros,
- opérer éventuellement la compensation entre les condamnations qui pourraient être prononcées,
- condamner la société B aux entiers dépens de première instance et d'appel ».
Au soutien de son appel et en l'état de l'ensemble de ses écritures judiciaires, la société A fait en substance valoir que :
la société B soutient en vain que les relations contractuelles entre A et elle ne sont pas avérées alors qu'elle a en réalité détourné le client D à son profit exclusif à l'issue de l'exercice 2012, et ce, suite au décès de Madame X, dirigeant historique de cette entité,
le représentant légal de la société A ayant eu des doutes a émis deux contrats, seul celui concernant une société E ayant été retourné, à l'exclusion du contrat avec la société D et ce, en dépit de multiples réclamations,
les différentes relances entre l'année 2013 et l'année 2014 sont versées aux débats, aux termes desquelles il était demandé soit la copie des bons de commande signés, soit la copie du ou des contrats correspondants,
les factures ont été ensuite régulièrement contestées alors même que l'ancienneté des relations commerciales entre A et D était établie au-delà du contrat-cadre du 10 décembre 2007,
le contrat-cadre conclu pour une durée initiale de six mois, présentant un caractère intuitu personnae fort, visait une interdiction de sous-traitance sauf accord préalable écrit du client, en sorte que l'exclusivité de la relation contractuelle apparaît établie,
au demeurant, la relation de confiance entretenue entre le représentant légal de A et l'ancienne dirigeante du groupe X, Madame X décédée en 2013, permet de comprendre l'absence de formalisation par contrat des relations commerciales,
la présentation des relations contractuelles émanant de la société B est erronée, certaines pièces produites se référant à d'autres entités,
l'exclusivité consentie à la société A résulte du contrat-cadre, la relation contractuelle existant entre cette entité et la société X apparaissant à suffisance établie par les pièces produites,
la société A justifie de son préjudice par la production aux débats du livre tiers de ses relations commerciales avec la société D pour les années 2008 à 2012 et de l'attestation de son expert-comptable KPMG justifiant du quantum des sommes réclamées,
la société A ne pouvait plus produire de factures de la société D puisque les clients avaient été récupérés par la société B en sorte que le calcul fondé sur une moyenne des recettes encaissées sur les cinq années précédant le détournement de clientèle semble suffisamment opérant pour quantifier le préjudice à la somme totale réclamée de 75.338 euros et conduire à la réformation du jugement entrepris.
La société « B », intimée, entend pour sa part voir, aux termes de l'ensemble de ses écritures judiciaires, confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a condamné la société A à lui payer la somme de 39.224,61 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 3 novembre 2014 jusqu'à parfait paiement et débouté cette société des fins de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts.
Relevant par ailleurs appel incident, la société B entend voir réformer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée des fins de sa demande de dommages-intérêts ; elle entend par ailleurs voir constater la résistance abusive au paiement de la société A et condamner cette dernière à lui payer la somme de 20.000 euros à titre de dommages intérêts ainsi qu'aux entiers dépens.
Aux termes de l'ensemble de ses écritures judiciaires, la société B développe en substance les moyens suivants :
entre le mois de décembre 2011 et le mois de juillet 2012 la société A s'est régulièrement acquittée du paiement de l'ensemble des factures émises par ses soins, confirmant ainsi son accord sur les conditions tarifaires et la bonne exécution des prestations confiées, seules les deux dernières factures n'ayant pas été honorées,
la société A n'a cependant jamais contesté le principe, ni le montant des factures susvisées, en sorte qu'elle sera condamnée à payer la somme de 39.224,61 euros correspondant aux prestations réalisées,
les accusations relatives à un détournement de clientèle qu'elle aurait commis au préjudice de la société A ne reposent sur aucun fondement, l'existence alléguée d'un contrat cadre signé le 10 décembre 2007 caractérisant en fait une simple lettre de commande relative à une mission ponctuelle de paramétrage de paye d'une durée de 60 jours conclue entre la société A et la société D,
la société B travaillait depuis plusieurs années avec la société D et n'a pas accepté de signer un contrat qui lui aurait interdit de continuer à traiter avec un de ses clients habituels, un tel projet de convention étant selon elle inacceptable dans la mesure où la société A ne disposait quant à elle d'aucun contrat d'exclusivité avec cette entité,
ce refus de contracter était légitime et ne pouvait constituer une manœuvre déloyale dont le but aurait été de détourner la clientèle de la société D,
la société A est malvenue à se prévaloir de cette circonstance pour refuser de payer les prestations réalisées par la société B dont la bonne exécution n'est pas contestée et dont les factures n'ont jamais fait l'objet de réserves de quelque nature que ce soit,
la demande reconventionnelle de la société A apparaît donc dépourvue de tout fondement et doit être rejetée,
la société A sollicite le paiement d'une somme dont le mode de calcul ne repose sur aucun fondement objectif, s'agissant de deux années de marge chiffrée sur la base d'une commission de 11 % calculée sur les recettes moyennes encaissées au cours des cinq dernières années,
cette demande reconventionnelle n'apparaît fondée sur aucune facture ou commande mais seulement sur des extraits de compte émanant de la comptabilité de la société A,
la malveillance et la mauvaise foi de la société A qui s'est abstenue sans raison valable de régler deux factures correspondant à des prestations effectuées apparaît aggravée par les moyens de pression et de chantage utilisés pour la contraindre à signer une convention léonine et justifient la condamnation au paiement de légitimes dommages-intérêts qui ne sauraient être inférieurs à 20.000 euros.
La société C, société par actions simplifiées de droit français déclarant venir aux droits de la société « B » a réitéré le bénéfice des moyens et demandes qui précèdent.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.
SUR CE,
Attendu que les appels tant principal qu'incident ont été formés dans les conditions de forme et de délai prescrites par le Code de procédure civile et doivent être déclarés recevables ;
Attendu, sur la demande en paiement formée par la SAS B, que les premiers juges ont considéré en substance que la société A ne contestait ni la relation contractuelle existant avec la SAS B, ni la réalisation des prestations facturées ou même le montant des factures ;
Attendu qu'il résulte en effet de l'ensemble des pièces produites que la société A a fait appel à la société B qui a mis à sa disposition Madame BO. entre les mois de décembre 2011 et septembre 2012, et s'est régulièrement acquittée de l'ensemble des factures établies au titre de ces prestations, et ce, à l'exception des deux dernières factures qui n'apparaissent pas avoir été honorées, c'est-à-dire celle émise le 31 août 2012 d'un montant de 17.563,26 euros et celle émise le 30 septembre 2012 d'un montant de 21.661,35 euros ;
Attendu qu'aucune contestation n'apparaît cependant avoir été émise sur la réalité des prestations correspondantes dès lors que les divers courriers versés aux débats ne font état d'aucune réserve relative à la mise à disposition de cette salariée en la personne de Madame v. BO., voire d'aucune observation inhérente à la facturation, ces courriers tendant plus à obtenir la signature d'une convention de sous-traitance, tel étant le cas de la lettre très explicite du 25 février 2013 ;
Attendu que la décision entreprise sera dès lors confirmée en ce que la société A a été condamnée à payer à la SAS B la somme de 39.224,61 euros outre intérêts au taux légal à compter du 6 novembre 2014, date de réception de la mise en demeure ;
Attendu s'agissant de la demande reconventionnelle formée devant les premiers juges par la SAM A, que cette entité se prévaut d'un préjudice résultant du détournement de clientèle de la société D qu'aurait commis à son profit exclusif et à la fin de l'année 2012 la SAS B ;
Attendu qu'il appartient cependant à cette société d'établir le manquement à son devoir de loyauté imputable à la SAS B ;
Attendu que s'agissant des relations commerciales entretenues avec la société D, et contrairement à ce qui est suggéré, le contrat signé le 10 décembre 2007 ne caractérise nullement une convention cadre mais correspond à un contrat de prestation spécifique inhérent à une opération de paramétrage de paye souscrit pour une durée de 60 jours ouvrés, soit du 11 février 2008 au 30 avril 2008 pour un prix global forfaitaire de 66.000 euros ;
Que la preuve d'un accord d'exclusivité liant les sociétés A et D n'apparaît pas établi par les pièces produites, l'existence de relations personnelles et de confiance, n'induisant pas à elle seule l'exclusivité c'est-à-dire l'octroi de droits excluant tout partage ;
Qu'il n'est pas davantage démontré l'existence d'une convention de sous-traitance entre la société B et la société A, chacune des sociétés intervenant séparément et de façon indépendante en facturant directement le client et ce, même si la société A a en effet eu recours à la société B pour l'accomplissement des missions ponctuelles, tel ayant été le cas en 2012 ;
Attendu en outre que l'absence de signature par la SAS B du contrat proposé par la SAM A, ne saurait davantage caractériser une manœuvre déloyale tendant à détourner la clientèle de la société D, les premiers juges ayant à bon droit observé que le refus par la SAS B de souscrire un tel engagement apparaissait d'autant plus justifié que le projet d'accord contenait une clause de non-concurrence non antérieurement souscrite ;
Attendu qu'aucune manœuvre déloyale ne s'induit davantage de la simple délégation par la société B de Madame LEBOUCHER auprès de D entre le mois de mai 2012 et le mois de décembre 2013, la preuve d'aucune action malveillante ou dolosive n'étant à cet égard caractérisée ;
Attendu que les premiers juges ont en définitive à bon droit constaté que le détournement de clientèle allégué n'était pas établi dès lors que la SAM A ne justifiait pas de l'existence à son profit d'une clause d'exclusivité, ni d'une quelconque prohibition faite à la SAS B de contracter directement avec la société D ;
Attendu que le jugement entrepris sera dès lors confirmé en ce qu'il a également débouté la société A des fins de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts ;
Attendu s'agissant de la demande de dommages-intérêts réitérée en cause d'appel à titre incident par la société B qu'il est constant que le non-paiement de deux factures ne saurait, à lui seul, caractériser la malveillance ou la mauvaise foi de la société A qui n'apparaît par ailleurs avoir commis aucune erreur équipollente au dol, ni même avoir fait preuve d'un abus dans son droit d'action, en sorte que la décision entreprise sera également confirmée en ce qu'elle a déclaré infondée cette demande d'indemnisation ;
Attendu que le jugement déféré sera dès lors confirmé en toutes ses dispositions, les parties déboutées de l'ensemble de leurs prétentions et la société appelante condamnée aux dépens d'appel ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,
statuant publiquement et contradictoirement,
Déclare recevables les appels principal et incident,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 27 septembre 2016 par le Tribunal de Première Instance,
Déboute les parties de l'ensemble de leurs prétentions,
Condamne la société A aux dépens d'appel distraits au profit de Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,
Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable,
Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.
Composition🔗
Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Virginie ZAND, Conseiller, assistées de Madame Nadine VALLAURI, Greffier,
Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,
Lecture est donnée à l'audience publique du 20 MARS 2018, par Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Nadine VALLAURI, Greffier, en présence de Monsieur Jacques DORÉMIEUX, Procureur Général.