Cour d'appel, 20 mars 2018, La Société A (Suisse) c/ Monsieur é. AR.

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Abstract🔗

Assignation – Nullité (oui) – Conditions

Résumé🔗

Aux termes des dispositions combinées des articles 136-1° et 155 du Code de procédure civile, tout exploit doit contenir, à peine de nullité, le nom, les prénoms, la profession et le domicile de la partie à laquelle l'exploit sera signifié ou du moins une désignation précise de l'une et de l'autre. Au cas d'espèce, la société A SUISSE a fait délivrer le 17 septembre 2015 une assignation à Monsieur é. AR. à l'adresse suivante « X2 à Cologny en Suisse », adresse figurant dans le contrat de cautionnement et la lettre recommandée avec avis de réception adressée le même jour par l'huissier instrumentaire en application de l'article 150 du Code de procédure civile, qui lui est revenue avec la mention « non réclamé ». Pour fonder son exception de nullité, Monsieur é. AR. a produit une attestation de domicile délivrée le 28 octobre 2014 par le service de contrôle des habitants et bureau des étrangers de Porrentruy en Suisse, mentionnant qu'il est arrivé dans cette commune depuis le 11 décembre 2012 en provenance de Cologny et qu'il réside d'une manière régulière et ininterrompue dans la commune et bénéficie d'une autorisation d'établissement. L'appelante qui soutient que Monsieur é. AR. aurait conservé une domiciliation à Cologny ne fournit aucun élément en ce sens alors que le fait que les lettres l'informant de l'assignation et de la mise en demeure lui aient été retournées par la Poste suisse avec la mention « non réclamée » ne permettent pas d'établir la réalité d'un maintien d'un domicile à cette adresse puisqu'aucune mention de vérification de celle-ci n'y figure. L'appelante soutient que l'intimé aurait manqué à son obligation stipulée dans l'acte de caution incombant à Monsieur é. AR. de communiquer immédiatement et par écrit aux créanciers son changement d'adresse sans pour autant fournir aucune explication ni devant le Tribunal, ni devant la Cour, sur les circonstances qui l'ont amenées à connaître la nouvelle adresse de l'intimé et à l'utiliser dès lors qu'il résulte des mentions figurant sur le commandement de payer en date du 11 septembre 2015 délivré à la demande de la société A SUISSE que Monsieur é. AR. demeure X1 Suisse. Elle n'ignorait pas le changement d'adresse effectué par Monsieur é. AR. avant de faire délivrer l'assignation litigieuse. Si la signification du jugement dont appel mentionne effectivement l'ancien domicile de l'intimé, cette inexactitude ne peut avoir comme conséquence de pouvoir emporter régularisation de l'irrégularité affectant l'assignation. Dans ces conditions, les premiers juges par application des articles 136 et 155 du Code de procédure civile, et après avoir constaté que l'obligation pour l'intimé de justifier d'un grief ne s'appliquait pas à la présente instance introduite avant le 19 décembre 2015, ont justement relevé que devait être annulé l'acte de saisie-arrêt et assignation en date du 17 septembre 2015 comme signifié à un domicile inexact en toute connaissance de cause par la société A SUISSE.


Motifs🔗

COUR D'APPEL

ARRÊT DU 20 MARS 2018

En la cause de :

  • - La société de droit suisse dénommée A (SUISSE) SA, dont le siège social est sis X3 GENEVE 11, SUISSE, immatriculée sous le numéro X, prise en la personne de son Président du Conseil d'Administration en exercice, domicilié en cette qualité audit siège ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;

APPELANTE,

d'une part,

contre :

  • - Monsieur é. AR., né le 19 mai 1966 à Grenoble, de nationalité française, dirigeant de société, demeurant X1 (Suisse) ou encore X2, 1223 Cologny (Suisse) ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, ayant pour avocat plaidant ledit avocat-défenseur ;

INTIMÉ,

d'autre part,

LA COUR,

  • Vu le jugement rendu par le Tribunal de première instance, le 18 mai 2017 (R. 5465) ;

  • Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 9 août 2017 (enrôlé sous le numéro 2018/000020) ;

  • Vu les conclusions déposées le 7 novembre 2017 par Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur, au nom de Monsieur é. AR. ;

À l'audience du 6 février 2018, vu la production de leurs pièces par les conseils des parties ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel relevé par la société de droit suisse dénommée A (SUISSE) SA à l'encontre d'un jugement du Tribunal de première instance du 18 mai 2017.

Considérant les faits suivants :

Le 19 février 2010, la société B SUISSE devenue la société A par suite d'une fusion du 18 octobre 2013 a consenti à la société de droit suisse C SA un prêt d'un montant de 17.000.000 euros, remboursable en 120 mois outre intérêts au taux Euribor 3 mois + coût de liquidité + marge de 1,30 % l'an pour la constitution d'un premier chalet (de maître), et au taux swap EUR-CMS-2ans + coût de liquidité + marge de 1,30 % l'an pour la construction d'un deuxième chalet.

Par acte notarié du 22 février 2010, Monsieur é. AR. s'est porté caution solidaire de la société C SA pour toute somme qui pourrait être due par cette dernière au titre du contrat de prêt du 19 février 2010, et ce, à concurrence de la somme de 22.100.000 euros.

Le 19 juillet 2012, la société B SUISSE a dénoncé le contrat de prêt et sollicité son remboursement intégral. L'emprunteur ne s'étant pas acquitté des sommes réclamées, la banque a actionné la garantie bancaire de 1.600.000 euros, qui a été payée le 16 août 2012.

Par jugement définitif du 29 janvier 2015, le Tribunal de première instance du canton de Genève a condamné la société C SA à payer à la société A SUISSE SA la somme de 15.874.073,27 euros, outre intérêts de 12 % à compter du 18 août 2012 et la somme de 20.000 francs au titre des dépens.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 6 août 2015, la société A a mis en demeure Monsieur é. AR. d'avoir à lui payer en sa qualité de caution solidaire de la société C SA la somme de 21.512.255,21 euros et a saisi le Président du Tribunal de première instance d'une requête en autorisation de saisie-arrêt des sommes détenues pour le compte de Monsieur é. AR. par la SAM D, et ce, pour avoir sûreté, garantie et paiement de la somme de 22.100.000 euros.

Par ordonnance du 11 septembre 2015, ce magistrat l'a autorisée à faire pratiquer une saisie-arrêt auprès de cet établissement bancaire ce, à concurrence de la somme de 21.700.000 euros, sur toutes sommes ou valeurs dues à Monsieur é. AR..

Par acte d'huissier du 17 septembre 2015, la société A a fait :

  • - signifier à cet établissement bancaire la saisie-arrêt autorisée par ordonnance du 11 septembre 2015,

  • fait assigner Monsieur é. AR. devant le Tribunal de première instance à l'effet d'obtenir sa condamnation à payer le montant des causes de la saisie-arrêt et en validation de celle-ci.

Par lettre du 21 octobre 2015, le tiers saisi a effectué sa déclaration complémentaire, faisant ressortir un nouveau solde du compte d'un montant en contre-valeur de 164.642,79 euros.

Par jugement du 18 mai 2017, le Tribunal de première instance a statué comme suit :

  • déclare nul l'acte de saisie-arrêt et assignation du 17 septembre 2015,

  • dit n'y avoir lieu à statuer sur l'exception d'incompétence et sur le fond,

  • ordonne en tant que de besoin la mainlevée de la saisie-arrêt, annulée, du 17 septembre 2015,

  • condamne la société A aux entiers dépens du jugement, distraits au profit de Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

Par acte du 9 août 2017 la société A a formé appel de ce jugement en ces termes :

  • « déclarer recevable l'appel interjeté par la société A à l'encontre du jugement rendu par le Tribunal de première instance le 18 mai 2017,

  • infirmer ledit jugement,

  • condamner Monsieur é. AR. aux entiers dépens distraits au profit de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ».

Aux motifs essentiellement que :

  • - l'assignation échappe à la nullité même si celle-ci a été délivrée à l'ancienne adresse de Monsieur é. AR. au X2 à Cologny en Suisse dès lors qu'il lui appartenait de communiquer immédiatement et par écrit aux créanciers tout changement d'adresse, et ce, en application de l'acte de caution,

  • - comme celui-ci a failli à son obligation contractuelle, Monsieur é. AR. y a conservé sa domiciliation et les lettres l'informant de l'assignation et de la mise en demeure sont revenues avec la mention « non réclamée »,

  • - le Tribunal a inversé la charge de la preuve car ce n'est pas à elle d'établir une absence de communication,

  • - les lettres recommandées qui sont revenues ne mentionnent pas que le destinataire est inconnu à cette adresse,

  • lors du dépôt de la requête en saisie-arrêt, elle ne connaissait que cette adresse à Cologny qui a été confirmée par l'intimé lui-même dans l'acte de signification du jugement en date du 14 juillet 2017.

Par conclusions en date du 7 novembre 2017, Monsieur é. AR. sollicite à titre principal la confirmation du jugement sur la nullité de l'assignation du 17 septembre 2015 ainsi que la mainlevée de la saisie-arrêt et subsidiairement :

  • « Si par impossible la Cour devait retenir que Monsieur AR. a manqué à son obligation de faire consistant en la communication de son changement d'adresse, dire et juger que le manquement à cette obligation de faire se résout en dommages et intérêts,

  • Ce faisant, débouter la société A des fins de son appel,

  • La débouter de l'intégralité de ses demandes,

  • Confirmer le jugement rendu par le Tribunal de première instance le 18 mai 2017 en ce qu'il a déclaré nul l'acte de saisie-arrêt et assignation du 17 septembre 2015, avec toutes conséquences de droit,

  • Confirmer le jugement rendu par le Tribunal de première instance le 18 mai 2017 en ce qu'il a ordonné en tant que de besoin la mainlevée pure et simple de la saisie-arrêt pratiquée sur le compte de Monsieur é. AR., ouvert dans les livres de la SAM D (MONACO) le 17 septembre 2015,

EN TOUT ÉTAT DE CAUSE,

  • condamner la société A (SUISSE) à verser à Monsieur AR. la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts,

  • condamner la société A (SUISSE) aux entiers dépens de première instance et d'appel, distraits au profit de Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur sous sa due affirmation ».

Aux motifs essentiellement que :

  • - en vertu des articles 136, 155 et 264 du Code de procédure civile, l'assignation mentionne une adresse erronée, alors que son domicile actuel a été communiqué à la banque, qui figurait dans le commandement de payer du 11 septembre 2015,

  • - plusieurs autres actes de procédure comportent la mention de la nouvelle adresse, ce qui établit que l'appelante ne l'ignorait pas,

  • - l'appelante est de mauvaise foi en invoquant une stipulation contractuelle qui élude sa connaissance du nouveau domicile à Porrentruy,

  • - elle ne fournit aucune explication sur ce point qu'elle n'aborde même pas dans ses écritures,

  • - l'appelante était parfaitement informée du changement d'adresse,

  • l'obstination de l'appelante l'a obligé à exposer des frais en justice pour se défendre qui rend son appel abusif.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.

SUR CE,

  • Sur la nullité de l'assignation

Attendu qu'aux termes des dispositions combinées des articles 136-1° et 155 du Code de procédure civile, tout exploit doit contenir, à peine de nullité, le nom, les prénoms, la profession et le domicile de la partie à laquelle l'exploit sera signifié ou du moins une désignation précise de l'une et de l'autre ;

Qu'au cas d'espèce, la société A a fait délivrer le 17 septembre 2015 une assignation à Monsieur é. AR. à l'adresse suivante « X2 à Cologny en Suisse », adresse figurant dans le contrat de cautionnement et la lettre recommandée avec avis de réception adressée le même jour par l'huissier instrumentaire en application de l'article 150 du Code de procédure civile, qui lui est revenue avec la mention « non réclamé » ;

Que pour fonder son exception de nullité, Monsieur é. AR. a produit une attestation de domicile délivrée le 28 octobre 2014 par le service de contrôle des habitants et bureau des étrangers de Porrentruy en Suisse, mentionnant qu'il est arrivé dans cette commune depuis le 11 décembre 2012 en provenance de Cologny et qu'il réside d'une manière régulière et ininterrompue dans la commune et bénéficie d'une autorisation d'établissement ;

Que l'appelante qui soutient que Monsieur é. AR. aurait conservé une domiciliation à Cologny ne fournit aucun élément en ce sens alors que le fait que les lettres l'informant de l'assignation et de la mise en demeure lui aient été retournées par la Poste suisse avec la mention « non réclamée » ne permettent pas d'établir la réalité d'un maintien d'un domicile à cette adresse puisqu'aucune mention de vérification de celle-ci n'y figure ;

Que l'appelante soutient que l'intimé aurait manqué à son obligation stipulée dans l'acte de caution incombant à Monsieur é. AR. de communiquer immédiatement et par écrit aux créanciers son changement d'adresse sans pour autant fournir aucune explication ni devant le Tribunal, ni devant la Cour, sur les circonstances qui l'ont amenées à connaître la nouvelle adresse de l'intimé et à l'utiliser dès lors qu'il résulte des mentions figurant sur le commandement de payer en date du 11 septembre 2015 délivré à la demande de la société A SUISSE que Monsieur é. AR. demeure X1 Suisse ;

Qu'elle n'ignorait pas le changement d'adresse effectué par Monsieur é. AR. avant de faire délivrer l'assignation litigieuse ;

Que si la signification du jugement dont appel mentionne effectivement l'ancien domicile de l'intimé, cette inexactitude ne peut avoir comme conséquence de pouvoir emporter régularisation de l'irrégularité affectant l'assignation ;

Que dans ces conditions, les premiers juges par application des articles 136 et 155 du Code de procédure civile, et après avoir constaté que l'obligation pour l'intimé de justifier d'un grief ne s'appliquait pas à la présente instance introduite avant le 19 décembre 2015, ont justement relevé que devait être annulé l'acte de saisie-arrêt et assignation en date du 17 septembre 2015 comme signifié à un domicile inexact en toute connaissance de cause par la société A SUISSE ;

Que par suite, le jugement sera confirmé ;

Attendu que le droit d'appel n'apparait pas avoir été exercé abusivement par la société A SUISSE ; qu'en conséquence, la demande indemnitaire de ce chef sera rejetée ;

Qu'elle supportera également la charge des dépens de l'instance d'appel ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant publiquement et contradictoirement,

Reçoit la société A SUISSE en son appel,

Le déclare mal fondé,

Confirme le jugement du Tribunal de première instance du 18 mai 2017 en toutes ses dispositions déférées,

Y ajoutant,

Déboute Monsieur é. AR. de sa demande indemnitaire pour appel abusif,

Condamne la société A SUISSE aux entiers dépens d'appel distraits au profit de Maître Régis BERGONZI, Avocat-défenseur, sous sa due affirmation,

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable,

Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,

Composition🔗

Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Monsieur é. SENNA, Conseiller, Monsieur Paul CHAUMONT, Conseiller, assistés de Madame Nadine VALLAURI, Greffier,

Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,

Lecture est donnée à l'audience publique du 20 MARS 2018, par Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Nadine VALLAURI, Greffier, en présence de Monsieur Jacques DORÉMIEUX, Procureur Général.

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