Cour d'appel, 12 mars 2018, d. LI. c/ d. AN.

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Abstract🔗

Procédure pénale - Infraction commise à l'étranger - Compétence territoriale (non) - Outrages - Messages émis depuis le territoire français - Partie civile se trouvant sur le territoire français au moment de la réception des messages - Prévenu et partie civile de nationalité monégasque (non)

Résumé🔗

L'article 21 du Code de procédure pénale dispose que les tribunaux de la Principauté connaissent des infractions commises sur le territoire et de celles qui sont commises à l'étranger dans les cas déterminés par le même code. Est réputé avoir été commis sur le territoire de la Principauté tout crime ou tout délit dont un acte caractérisant un des éléments constitutifs de l'infraction y aura été accompli. En l'espèce, le prévenu, poursuivi pour outrages, a déclaré qu'il se trouvait sur le territoire français lorsqu'il a émis les messages litigieux. Aucun élément de l'enquête ne vient contredire ces déclarations. La partie civile se trouvait également sur le territoire français lorsqu'elle a reçu les messages. Aucune investigation n'a été effectuée dans le cadre de l'enquête permettant d'établir que l'infraction a été commise en Principauté, soit que les messages aient été envoyés, soit qu'ils aient été reçus sur le territoire monégasque. La résidence habituelle de la partie civile en Principauté de Monaco, le fait que c'est en Principauté que serait subi durablement le préjudice, la qualité de résident monégasque du prévenu sont des éléments ne permettant pas de retenir la compétence des juridictions monégasques. En raison de la nationalité du prévenu et de la partie civile, qui ne sont ni l'un ni l'autre monégasques, et de la nature de l'infraction poursuivie, s'agissant d'un outrage visé à l'article 164 du Code pénal qui ne rentre pas dans les prévisions des articles 5 à 10 du Code de procédure pénale relatifs à « l'exercice de l'action publique à raison des crimes ou délits commis hors de la principauté », les juridictions monégasques n'ont pas compétence pour connaître des faits reprochés sur le fondement de ces textes. Le jugement par lequel le tribunal s'est déclaré territorialement incompétent est donc confirmé.


Motifs🔗

Cour d'appel correctionnelle Dossier PG n° 2016/002271

ARRÊT DU 12 MARS 2018

En la cause de :

  • d. LI., né le 19 février 1948 à SAINT-DENIS (93), de nationalité française, XY, demeurant « X1 », X1 à MONACO (98000), constitué partie civile,

ABSENT, représenté par Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, plaidant par Maître Luc BROSSOLLET, avocat au Barreau de Paris ;

Et du :

  • MINISTÈRE PUBLIC ;

APPELANTS

Contre :

  • d. AN., né le 29 juillet 1970 à MONACO (98000), de Giosofatto et de Francesca BO., de nationalité italienne, avocat, demeurant « X2 », X2 à MONACO (98000) ;

Prévenu de :

  • OUTRAGES SUR HAUTES AUTORITÉS PUBLIQUES

PRÉSENT aux débats, assisté de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et de Maître René FREMY, avocat au Barreau de Paris, plaidant par lesdits avocats ;

INTIMÉ

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO, jugeant correctionnellement, après débats à l'audience du 29 janvier 2018 ;

Vu le jugement contradictoirement rendu par le Tribunal correctionnel le 9 octobre 2017 ;

Vu les appels interjetés le 18 octobre 2017, par Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur, pour d. LI., partie civile, sur les dispositions civiles, et par le Ministère public, à titre incident ;

Vu l'ordonnance présidentielle en date du 13 novembre 2017 ;

Vu la citation et signification, suivant exploit, enregistré, de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 27 novembre 2017 ;

Vu les pièces du dossier ;

Vu les conclusions de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur, pour d. LI., partie civile, en date du 25 janvier 2018 ;

Vu les conclusions de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, pour d. AN., prévenu, en date du 26 janvier 2018 ;

Ouï Virginie ZAND, Conseiller, en son rapport ;

Ouï d. AN., prévenu, en ses réponses ;

Ouï Maître Luc BROSSOLLET, avocat au Barreau de Paris, régulièrement autorisé par Madame le Président à plaider pour d. LI., partie civile, en ses moyens d'appel et plaidoiries ;

Ouï le Ministère public en ses réquisitions ;

Ouï Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, pour d. AN., prévenu, en ses plaidoiries ;

Ouï Maître René FREMY, avocat au Barreau de Paris, régulièrement autorisé par Madame le Président à assister d. AN., prévenu, en ses plaidoiries ;

Ouï le prévenu, en dernier, en ses moyens de défense ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Par jugement contradictoire en date du 9 octobre 2017, le Tribunal correctionnel, poursuivant d. AN. sous la prévention :

« D'avoir à MONACO, le 24 décembre 2014, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription,

- outragé par écrit ou dessin non rendus publics, par paroles, gestes, menaces ou par l'envoi, dans la même intention, d'un objet quelconque, et visant le Ministre d'Etat, le Directeur des Services judiciaires, un conseiller de gouvernement, un membre élu du Conseil National ou du Conseil communal, ou un magistrat de l'ordre administratif ou judiciaire, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, en l'espèce en adressant à M. d. LI., Président du Tribunal Suprême, magistrat de l'ordre administratif, des messages écrits par SMS, en mentionnant notamment « tu es un pourri qui tient la main à des ordures », «  je te vomis tous les matins qui ont pu être les miens depuis ta décision de lâche, j'ai prie pour que tu souffres autant que l'atteinte a ma dignité cause par ton déni de justice, tu es une insulte à la république française, tu passes pour le pire avocat niçois. Tu as vécu une vie de parasite. Sois maudit. Lorsque tu sièges avec tes couilles molles, tu ressembles à un trou du cul dilaté aux petits fours », »

DÉLIT prévu et réprimé par les articles 26 chiffre 3 et 164 du Code pénal,

  • - s'est déclaré territorialement incompétent pour connaître de l'action pénale initiée par le Ministère public,

  • - a laissé les frais à la charge du Trésor.

Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur, pour d. LI., partie civile, a interjeté appel de cette décision par acte de greffe en date du 18 octobre 2017.

Le Ministère public a interjeté appel incident de ladite décision le même jour.

Considérant les faits suivants :

Monsieur d. AN. a été cité par exploit du 27 avril 2017, à comparaître devant le Tribunal correctionnel de Monaco pour des faits d'outrages non rendus publics, visant un magistrat de l'ordre administratif, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, en l'espèce en adressant à Monsieur d. LI., Président du Tribunal Suprême, des messages écrits par SMS, mentionnant notamment « tu es un pourri qui tient la main à des ordures », « je te vomis, tous les matins qui ont pu être les miens depuis ta décision de lâche, j'ai prié pour que tu souffres autant que l'atteinte à ma dignité causée par ton déni de justice, tu es une insulte à la république française, tu passes pour le pire avocat niçois. Tu as vécu une vie de parasite. Sois maudit. Lorsque tu sièges avec tes couilles molles, tu ressembles à un trou du cul dilaté aux petits fours ».

À l'audience du Tribunal correctionnel, les conseils de la défense ont soulevé une exception d'incompétence territoriale, tenant à la nationalité étrangère du prévenu et de la partie civile et aux lieus où a été envoyé et reçu le message incriminé qui ne se situent pas à MONACO, invoquant par ailleurs le défaut de qualité de magistrat de la partie civile au sens de l'article 164 du Code pénal lequel impose une temporalité dans la commission des faits qui en l'espèce est absente.

Par jugement du 9 octobre 2017, le Tribunal correctionnel de Monaco s'est déclaré territorialement incompétent pour connaître de l'action pénale du Ministère public.

Pour statuer ainsi le Tribunal a retenu que :

  • - le prévenu et la partie civile sont étrangers,

  • - le prévenu a indiqué avoir envoyé les messages litigieux, alors qu'il se trouvait sur le territoire français,

  • - la partie civile a eu des déclarations contradictoires concernant le territoire sur lequel il se trouvait lorsqu'il a reçu ces messages, le 24 décembre 2014,

  • - aucune vérification n'a été effectuée dans le cadre de l'enquête, pour déterminer l'endroit où se trouvaient, à cette date, les téléphones portables des deux parties,

  • - il existe un doute sur le lieu de commission des faits, lequel doit bénéficier au mis en cause.

Le 18 octobre 2017, la partie civile a interjeté appel sur les dispositions civiles du jugement.

Le même jour le Ministère public a interjeté appel, à titre incident (SIC), du jugement.

d. LI., par l'intermédiaire de son conseil a adressé à la Cour, le 25 janvier 2018, des conclusions demandant qu'il soit accueilli en sa constitution de partie civile et de condamner d. AN. à lui payer à titre de dommages et intérêts la somme de 5.000 euros en réparation de ses préjudices moral et matériel, ainsi qu'aux frais et dépens de l'instance.

Il fait valoir que :

  • - en raison de la déterritorialisation du SMS, le critère du « lien suffisant, substantiel ou significatif » doit être retenu pour permettre de déterminer la juridiction la plus effectivement pertinemment compétente,

  • - les messages constitutifs d'un outrage à un magistrat de l'ordre administratif ou judiciaire ne peuvent être poursuivis que devant les juridictions monégasques, puisque c'est à Monaco et nulle part ailleurs que d. LI. a cette qualité,

  • - il est raisonnable de rechercher en quel lieu la personne protégée a été atteinte, en raison des déclarations invérifiables quant au lieu d'émission et de réception desdits messages,

  • - le préjudice résulté des messages, directement lié à la fonction de Président du Tribunal Suprême est subi en Principauté de Monaco,

  • - la compétence territoriale de la juridiction monégasque résulte :

    • de la résidence habituelle de la partie civile en Principauté de Monaco,

    • du fait que d. LI. est visé en sa qualité de XY,

    • du fait que c'est en Principauté de Monaco qu'est subi durablement le préjudice,

    • de la qualité de résident monégasque de d. AN.,

    • du fait que le lieu effectif des messages est le lieu du for,

  • - la qualité de Juge administratif de d. LI. apparaît incontestable,

  • - le but poursuivi par d. AN. était d'humilier et de blesser durablement d. LI..

d. AN. a déposé des conclusions le 26 janvier 2018 demandant à la Cour de confirmer le jugement, ni les conditions d'application de l'article 21 du Code de procédure civile, ni celles prévues à la section II du titre I du même Code n'étant réunies, subsidiairement de constater que les dispositions de l'article 164 du Code pénal ne sont pas applicables et de prononcer sa relaxe.

À l'audience de la Cour d'appel du 29 janvier 2018, le conseil de la partie civile a repris et développé les moyens contenus dans ses écritures, et répondant au moyen soulevé de l'irrecevabilité de l'appel de la partie civile, a demandé à la Cour de le rejeter, celle-ci ayant intérêt à participer au débat sur la compétence.

Le Ministère public a indiqué que l'irrecevabilité de l'appel de la partie civile n'ayant pas été soulevée in limine litis, cette exception devait être écartée, et qu'il n'existait pas de raisons juridiques permettant d'infirmer la décision ayant prononcé l'incompétence des juridictions monégasques.

Maître Frank MICHEL, intervenant pour d. AN. a repris et développé les moyens contenus dans ses écritures.

Maître René FREMY, intervenant également pour d. AN. a soulevé l'irrecevabilité de l'appel interjeté par la partie civile, du jugement qui ne s'est prononcé que sur la compétence de la juridiction, mentionnant par ailleurs que la théorie du résultat ne pouvait pas être retenue.

d. AN. a eu la parole en dernier.

SUR CE,

  • 1°- Sur la recevabilité des appels

Attendu que l'appel du Ministère public interjeté dans les formes et délais prescrits par l'article 406 du Code de procédure pénale, est recevable, quand bien même il a été improprement qualifié d'appel incident dans l'acte d'appel ;

Attendu que l'article 403 du Code de procédure pénale énonce que les jugements rendus en matière correctionnelle peuvent être attaqués par la voie de l'appel sans restriction tenant à la nature du jugement, autres que celles prévues aux articles 404 et 405 du même code relatives aux jugements préparatoires et interlocutoires ;

Que le droit d'appel appartient aux parties à l'instance, la Cour d'appel statuant dans les limites prévues à l'article 418 du Code de procédure pénale ;

Que la qualité de partie civile de d. LI. n'est pas contestée et résulte des débats de première instance ;

Que son droit d'interjeter appel à l'encontre d'une décision d'incompétence qui lui fait grief, ne saurait être contesté, au motif que le Tribunal accueillant l'exception d'incompétence, ne s'est pas prononcé sur ses demandes ;

Attendu que dans ces conditions, l'appel interjeté par d. LI. dans les formes et délais prescrits est recevable ;

  • 2°- Sur l'exception d'incompétence

Attendu que l'article 21 du Code de procédure pénale dispose que « les tribunaux de la Principauté connaissent de toutes les infractions commises sur le territoire et de celles qui sont commises à l'étranger dans les cas déterminés à la section II du titre précédent.

Est réputé avoir été commis sur le territoire de la Principauté tout crime ou tout délit dont un acte caractérisant un des éléments constitutifs de l'infraction y aura été accompli » ;

Attendu qu'au cas d'espèce, d. AN., entendu par les services de la Sûreté Publique, a déclaré qu'il se trouvait sur le territoire français, commune d'EZE, le 24 décembre 2014, lorsqu'il a émis les messages litigieux ;

Qu'aucun élément de l'enquête ne vient contredire ces déclarations ;

Attendu que de son côté la partie civile a déclaré lors de son audition à la Sûreté Publique le 23 janvier 2017, qu'elle se trouvait en Principauté de Monaco, le 24 décembre 2014, lorsqu'elle a reçu les dits messages ;

Que cependant, ces déclarations sont contredites par ses propres déclarations antérieures ;

Qu'en effet, dans le cadre de la saisine de Monsieur le Bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris, il précisait se trouver, à cette date, en Haute Garonne, sur le territoire français, pour y passer les fêtes, lorsqu'il a reçu les messages, alors que le lieu de commission des faits mettant en cause d. AN., avocat au Barreau de Paris, était sans conséquence sur la compétente de l'instance ordinale qui a prononcé une sanction disciplinaire le 12 avril 2016 ;

Qu'aucune investigation n'a été effectuée dans le cadre de l'enquête diligentée par la Sûreté Publique permettant d'établir que l'infraction a été commise en Principauté, soit que les messages aient été envoyés, soit qu'ils aient été reçus en ce lieu ;

Que les seules déclarations de la partie civile, qui se contredisent entre elles et qui ne sont ni infirmées ni confirmées par les éléments de l'enquête, ne permettent pas de retenir que l'infraction a été commise sur le territoire monégasque ;

Attendu que la résidence habituelle de la partie civile en Principauté de Monaco, le fait que c'est en Principauté de Monaco que serait subi durablement le préjudice, la qualité de résident monégasque de d. AN. sont des éléments inopérants ne permettant pas de retenir la compétence des juridictions monégasques ;

Attendu par ailleurs qu'en raison de la nationalité du prévenu et de la partie civile, qui ne sont ni l'un ni l'autre monégasques, et de la nature de l'infraction poursuivie, s'agissant d'un outrage visé à l'article 164 du Code pénal qui ne rentre pas dans les prévisions des articles 5 à 10 du Code de procédure pénale relatifs à « l'exercice de l'action publique à raison des crimes ou délits commis hors de la principauté », les juridictions monégasques n'ont pas compétence pour connaître des faits reprochés sur le fondement de ces textes ;

Attendu qu'en conséquence, le jugement doit être confirmé en ce que le Tribunal s'est déclaré territorialement incompétent pour connaître de l'action pénale initiée par le Ministère public ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO, statuant en matière correctionnelle, publiquement, contradictoirement à l'égard de d. AN., et contradictoirement conformément aux dispositions de l'article 377 du Code de procédure pénale à l'égard de d. LI.,

Reçoit les appels du Ministère public et de la partie civile,

Confirme le jugement du Tribunal correctionnel en date du 9 octobre 2017 qui s'est déclaré territorialement incompétent pour connaître de l'action pénale initiée par le Ministère public,

Laisse les frais du présent appel à la charge du Trésor ;

Composition🔗

Après débats en audience publique de la Cour d'appel de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le vingt-neuf janvier deux mille dix-huit, qui se sont tenus devant Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, faisant fonction de Président, Monsieur Eric SENNA, Conseiller, Madame Virginie ZAND, Conseiller, en présence de Monsieur Jacques DOREMIEUX, Procureur général, assistés de Madame Sandra MILLIEN, Greffier ;

Après qu'il en ait été délibéré et jugé, le présent arrêt a été signé par Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, faisant fonction de Président, Monsieur Eric SENNA, Conseiller, Madame Virginie ZAND, Conseiller, Magistrats en ayant délibéré et ce en application des articles 58 à 62 de la Loi n° 1.398 du 24 juin 2013, relative à l'administration et à l'organisation judiciaires ;

Lecture étant donnée à l'audience publique du douze mars deux mille dix-huit par Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, faisant fonction de Président, assistée de Madame Sandra MILLIEN, Greffier, en présence de Monsieur Hervé POINOT, Procureur général adjoint, et ce en application des dispositions des articles 58 à 62 de la Loi n° 1.398 du 24 juin 2013.

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