Cour d'appel, 19 décembre 2017, Madame r. SC., épouse PI. c/ Monsieur r. PI.

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Abstract🔗

Divorce - Pension alimentaire - Calcul en fonction des besoins de l'épouse et du train de vie des époux - Épouse se trouvant dans une situation de besoin (oui)

Résumé🔗

S'agissant de la pension alimentaire, Il résulte des articles 177, 181 et 202-1 du Code civil que des aliments peuvent être accordés, à titre de mesure provisoire, à l'un des époux pendant la durée de la procédure de divorce en fonction de ses besoins et des moyens de l'autre époux. Ces besoins sont évalués en tenant compte des nécessités de la vie courante et, dans une certaine mesure, du train de vie des époux pendant la vie commune.

En l'espèce, il ressort des explications des parties et des pièces produites qu'il est constant que les époux PI. ont apporté leurs biens à une fondation dénommée BJMD. Celle-ci assure, par l'intermédiaire de plusieurs structures, le financement du train de vie des époux. Il convient d'ajouter que le contrôle de la fondation est assuré par l'intimé M. PI. qui décide quelles dépenses doivent être, ou non, réglées, comme l'illustrent ses courriels du 14 juillet 2016, du 23 décembre 2016 et du 1er mars 2017.

Il en ressort des différents documents apportés, que l'appelante Mme PI. se trouve dans une situation de besoin, en rupture avec le train de vie très élevé qui était le sien auparavant. En revanche, l'intimé M. PI. apparaît être un homme d'affaires dont la situation de fortune est importante.

Au regard de ces éléments, des besoins de la vie courante de l'appelante, des facultés contributives de l'intimé, de leur train de vie pendant la vie commune, il y a lieu de faire droit à la demande de l'appelante Mme PI. en paiement de pension alimentaire à hauteur de 25.000 euros par mois dont l'intimé M. PI. devra s'acquitter.


Motifs🔗

COUR D'APPEL

R.

ARRÊT DU 19 DÉCEMBRE 2017

En la cause de :

- Madame r. SC., épouse PI., née le 14 décembre 1957 à HAUSEN IM KILLERTAL (ALLEMAGNE), de nationalité allemande, sans profession, domiciliée et demeurant à MONACO, X1 ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

APPELANTE,

d'une part,

contre :

- Monsieur r. PI., né le 13 avril 1956 à VLAARDINGEN (PAYS-BAS), de nationalité hollandaise, chef d'entreprise, demeurant à KIEV (UKRAINE) c/o o. NI., X2 ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

INTIMÉ,

d'autre part,

LA COUR,

Vu l'ordonnance de non-conciliation rendue par le Juge conciliateur, le 29 mai 2017 ;

Vu l'exploit d'appel parte in qua et d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 9 juin 2017 (enrôlé sous le numéro 2017/000161) ;

Vu les conclusions déposées le 11 août 2017 par Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, au nom de Monsieur r. PI. ;

Vu les conclusions déposées le 29 septembre 2017 par Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur, au nom de Madame r. SC. épouse PI. ;

À l'audience du 7 novembre 2017, vu la production de ses pièces par le conseil de Monsieur r. PI. et ouï le conseil de Madame r. SC. épouse PI., en sa plaidoirie ;

La cause ayant été débattue hors la présence du public ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel relevé par Madame r. SC. épouse PI. à l'encontre d'une ordonnance de non-conciliation du 29 mai 2017.

Considérant les faits suivants :

Mme r. SC. épouse PI. (Mme PI.), de nationalité allemande, et M. r. PI., de nationalité hollandaise, se sont mariés le 26 août 1989 en Allemagne.

Par acte notarié du 6 juillet 2000, ils ont choisi de se soumettre au régime légal allemand du « zugewinngemeinschaft », traduit comme la communauté différée des augments. Trois enfants sont nés de leur union :

  • j PI., né le 10 décembre 1987,

  • m. PI., né le 31 août 1990,

  • d. PI., né le 15 avril 1996.

Par requête du 15 février 2017, Mme PI., domiciliée à MONACO, a saisi le Président du Tribunal de première instance d'une requête en divorce sur le fondement de l'article 197 du Code civil en exposant, notamment, que son époux, résident monégasque, avait quitté le domicile conjugal, situé à MONACO, et qu'il habitait le plus souvent à KIEV (UKRAINE).

Par ordonnance du même jour ce magistrat a ordonné la comparution des époux devant lui aux fins de conciliation à l'audience du 29 mars 2017, autorisé Mme PI. à résider seule au domicile conjugal situé X1 à MONACO, et dit que la citation devait être délivrée, à peine de nullité, dans les formes et conditions prévues à l'article 200-4 du code civil.

Le 24 février 2017, Mme PI. a fait citer M. PI. au domicile conjugal situé X1 à MONACO, ainsi qu'au X5 à ROQUEBRUNE-CAP-MARTIN et « chez NI. », X4, à KIEV (UKRAINE).

La première et la deuxième citations ont été délivrées à mairie et les lettres recommandées prévues par l'article 148 du Code de procédure civile n'ont pas été réclamées.

La troisième citation a été délivrée à une adresse erronée.

Par courrier officiel du 9 mars 2017, Maître PASQUIER-CIULLA a écrit à Maître MULLOT, pour l'informer qu'elle intervenait désormais aux intérêts de M. PI.

Par courrier du 28 mars 2017, Maître PASQUIER-CIULLA a informé le juge conciliateur de ce qu'elle intervenait aux intérêts de M. PI. et sollicité le renvoi de l'affaire à une date ultérieure.

Le 29 mars 2017, Mme PI. a comparu, assisté par Maître MULLOT, et M. PI. a été représenté par Maître PASQUIER-CIULLA.

Par ordonnance du 31 mars 2017, le juge conciliateur a fixé un calendrier de procédure en présence des avocats des parties.

L'affaire a été plaidée à l'audience du 17 mai 2017 après que chacun des avocats a conclu à deux reprises. Mme PI. et M. PI. ont comparu, assistés par leurs avocats.

Par ordonnance du 29 mai 2017, le juge conciliateur a :

  • rejeté l'exception de nullité de la citation en conciliation soulevée par M. PI.,

  • constaté le maintien de la demande en divorce,

  • autorisé Mme PI. à assigner M. PI. en divorce,

  • écarté des débats les pièces n° 13, 14, 15, 20, 21, 22 et 23 communiquées par M. PI.,

  • écarté des débats les pièces n° 7 bis, 13 bis, 19 bis, 20 bis, 22 bis, 23 bis, 24 bis, 25 bis, 27 bis, 28 bis, 31 bis, 34 bis, 37 bis, 38 bis, 39 bis, 52 bis, 53 bis, 54 bis, 70 bis, 71 bis, 73 bis, 74 bis, 75 bis, 76 bis, 78 bis, 80 bis, 83 et 84 communiquées hors délai par Mme PI.,

  • écarté des débats les pièces n° 7, 13, 19, 20, 22, 23, 24, 25, 27, 28, 31, 34, 37, 38, 39, 52, 53, 54, 70, 71, 73, 74, 75, 76, 77 et 80 communiquées par Mme PI. sans traduction en langue française,

  • attribué à Mme PI., pendant la durée de la procédure, la jouissance exclusive du logement situé résidence « X1 », X1 à Monaco,

  • interdit aux époux de se troubler mutuellement à leur domicile et résidence respectifs, à défaut de quoi les autorisons à faire cesser ce trouble par toute voie de droit appropriée et si besoin avec le concours de la force publique,

  • débouté Mme PI. de ses demandes de :

  • pension alimentaire au titre du devoir de secours,

  • désignation d'un expert judiciaire en matière financière pour dresser un inventaire estimatif du patrimoine des époux,

  • provision ad litem.

  • rejeté les surplus des demandes,

  • réservé les dépens en fin de cause.

Mme PI. et M. PI. ont relevé respectivement appels partiel et incident.

Aux termes de son exploit d'appel et assignation du 9 juin 2017 ainsi que de ses conclusions du 29 septembre 2017, Mme PI. demande à la Cour de :

  • déclarer irrecevable l'appel incident de M. PI. formé par conclusions en réponse du 11 août 2017 hors délai,

  • prononcer la validité de l'exploit de citation en conciliation du 24 février 2017,

  • infirmer partiellement l'ordonnance de non-conciliation en ce qu'elle n'a pas prononcé la nullité des pièces n°13, 14, 15, 20, 21, 22, et 23 communiquées par Roel PI. et en ce qu'elle l'a déboutée de ses demandes de pension alimentaire, d'expertise financière et comptable, et de provision ad litem,

  • annuler les pièces adverses 13, 14, 15, 20, 21, 22, 23 pour défaut de respect du formalisme prévu par l'article 324 du code de procédure civile,

  • fixer la pension alimentaire que M. PI. acquittera provisoirement à la concluante à la somme de 60.000 euros par mois, indexée chaque 1er janvier selon l'indice INSEE du coût à la consommation des ménages urbains et condamner le mari à la payer à l'épouse chaque 1er du mois et d'avance à son domicile,

  • ordonner une expertise comptable, confiée à tel expert judiciaire qu'il plaira, aux fins de déterminer l'étendue des ressources réelles de M. PI. et du patrimoine mobilier et immobilier dont ce dernier dispose et de procéder à une estimation du patrimoine total acquis par le couple PI., dont le coût sera supporté par le seul mari,

  • condamner M. PI. au paiement d'une provision ad litem de 100.000 euros,

  • confirmer l'ordonnance du 29 mai 2017 pour le surplus,

  • condamner M. PI. aux entiers frais et dépens dans l'instance, lesquels comprendront notamment les frais d'huissiers, d'expertises, traductions éventuelles dont distraction au profit de Monsieur le Bâtonnier Richard MULLOT, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

Elle soutient en substance que :

Sur la procédure

Sur la recevabilité de l'appel incident de M. PI.

  • l'ordonnance de non-conciliation ayant été signifiée le 2 juin 2017 à l'initiative de M. PI., elle a formé appel par assignation du 9 juin 2017, alors que les conclusions d'appel incident ont été déposées le 11 août 2017, soit en dehors du délai prévu par l'article 200-6 alinéa 3 du Code civil, et de surcroît non motivées,

Sur la validité de la citation en conciliation

  • le délai de distance prévu par l'article 158 du Code de procédure civile concernant les personnes qui habitent hors de la Principauté a été respecté tant en ce qui concerne l'assignation délivrée en FRANCE qu'en UKRAINE,

  • surabondamment, M. PI. n'a subi aucun grief puisqu'il a disposé d'un temps suffisant pour préparer sa défense.

Sur la nullité des pièces n° 13, 14, 15, 20, 21, 22 et 23 communiquées par M. PI., celles-ci ne répondent pas aux conditions de forme prescrites à peine de nullité par l'article 324 du code de procédure civile.

Elles doivent donc être annulées, et pas seulement écartées des débats comme l'a décidé le premier juge.

Sur les mesures provisoires

Sur la pension alimentaire

  • la quasi-totalité des actifs du couple sont détenus par l'intermédiaire d'une fondation familiale dénommée BJMD consistuée à SAINT-MARTIN (Antilles néerlandaises) en 2010 qui détient deux fondations « Dajamaba » et « Bamajada » situées à CURACAO (Antilles néerlandaises) elles-mêmes détentrices de plusieurs sociétés d'investissement et de gestion d'actifs aux ÎLES VIERGES BRITANNIQUES et à ANGUILA, dont les société RiRo Ventures Ltd et BJMD Ventures Ltd, propriétaires à leur tour d'actions dans de nombreuses sociétés et biens à travers le monde,

  • si les deux époux sont instaurés protecteurs et bénéficiaires de la BJMD à parts égales, en réalité M. PI. contrôle exclusivement ces structures, et toutes les demandes et explications envoyées par la concluante s'opposent à des refus ou à des demandes de confirmation vainement attendues,

  • les cartes de crédits de la concluante ont été résiliées, et les versements sur son compte bancaire ont été suspendus de sorte qu'elle ne dispose plus de ressource,

  • le paiement du loyer, qui était pris en charge jusqu'à présent par la fondation familiale, a été suspendu et les versements aux organismes de prestations sociales ont été interrompus ce qui a pour conséquence de priver la concluante de couverture sociale,

  • les mensualités d'assurance-vie ont été également interrompues,

  • or la concluante est sans revenus professionnels, après s'être consacrée, pendant les 26 années de mariage, à sa famille et à son mari, et ses charges mensuelles s'élèvent à 52.000 euros incluant :

  • le loyer mensuel de son appartement : 9.240 euros, charges comprises,

  • frais liés à l'habitation (assurance habitation, SMEG, internet, téléphone, ménage et entretiens divers, etc. : 2.000 euros,

  • crédits bancaires des deux Villas du CAP D'ANTIBES : 13.334,79 euros (emprunts dont elle est solidaire),

  • frais de nourriture : 1.500 euros,

  • frais d'habillement, de maroquinerie et d'accessoires : 2.060 euros,

  • les frais de cosmétiques et parfumerie : 500 euros,

  • frais de bien-être (coiffeur, esthéticienne, centre sportif, etc. ): 2.000 euros,

  • frais de santé, de couverture sociale, de cotisation retraite : 2.500 euros,

  • frais liés aux véhicules automobiles de luxe du couple (amortissement, carburant, entretien) : 7.000 euros,

  • cotisations et participations aux clubs sociaux (Monaco Yachts Club, etc.) : 1.000 euros,

  • dépenses d'agrément (restaurant, événement sociaux, cadeaux pour ses enfants et petits-enfants) :

  1. 000 euros,

  • dépenses de voyages pour rendre visite à ses enfants et ses petits-enfants : 4.000 euros,

  • autres frais (remplacement d'électroménager, matériel électronique, articles de sports, etc.) : 2.000 euros.

  • jusqu'en 2016, M. PI. donnait des ordres de virements ponctuels sur les comptes des sociétés RiRo Ventures et BJMD Ventures desquelles la concluante tirait l'ensemble de ses revenus alors que désormais tous ces virements sont réalisés sur les comptes bancaires d'autres sociétés inaccessibles à la concluante,

  • M. PI. perçoit des revenus mensuels supérieurs à 125.000 USD de ses activités d'affaires,

  • ses dépenses se sont élevées à plus d'un million d'euros pour 2015, sachant que les actifs de la fondation familiale, qu'il gère seul, sont évalués à plus de 500 millions d'euros,

  • le couple possède par ailleurs, soit en nom propre, soit aux travers de structures contrôlées par le mari de nombreux biens immobiliers, de voitures de luxe, de dépôts bancaires nantis de deux millions d'euros, outre un voilier, un jet privé et une collection d'œuvres d'art, de bijoux et de montres,

  • le versement d'une pension alimentaire mensuelle de 60.000 euros est donc justifié.

Sur la demande d'expertise financière et comptable

  • la concluante se heurte à des difficultés pour connaître les états financiers et comptables de la fondation et l'étendue exacte du patrimoine contrôlé par M. PI. ainsi que les ressources du couple lui sont dissimulées,

  • un inventaire de la fondation familiale et des actifs détenus en propre par les époux s'avère indispensable.

Sur la provision ad litem

  • - la demande d'une provision ad litem de 100.000 euros est fondée eu égard aux frais de l'instance et les honoraires qui y sont liés, qui sont particulièrement importants en raison de la complexité du patrimoine sur lequel M. PI. exerce son contrôle.

Aux termes de ses conclusions du 11 août 2017, M. PI. demande à la Cour de :

  • le recevoir en son appel incident,

  • réformer partiellement l'ordonnance de non-conciliation en ce qu'elle l'a débouté de sa demande en nullité de la citation en conciliation délivrée à la requête de Madame SC.,

  • annuler la citation en conciliation pour non-respect des dispositions des articles 136, 148 et 158 du Code de procédure civile et 78 du Code civil et en tirer toutes conséquences légales,

  • à titre subsidiaire,

  • confirmer l'ordonnance attaquée,

  • débouter Madame r. SC. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

  • condamner Madame r. SC. aux dépens distraits au profit de Maître PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

Il fait valoir essentiellement que :

Sur la procédure

Sur la validité de la citation en conciliation

  • Mme PI. l'a fait délibérément citer en conciliation à l'adresse de l'ancien domicile conjugal monégasque et à celle de sa résidence secondaire en France et non à celle de sa résidence en UKRAINE dont elle avait pourtant parfaitement connaissance,

  • le concluant, qui a été informé de la procédure par leur fils, n'a donc été touché par aucune des trois citations,

  • la nullité des citations doit être prononcée d'autant que le délai de distance de 30 jours n'a pas été respecté,

  • le concluant a subi un grief car il n'a pas disposé du temps nécessaire à assurer sa défense en violation de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le principe de l'égalité des armes a été rompu dès lors qu'il a disposé d'un mois de moins que son épouse pour organiser sa défense.

Sur les mesures provisoires

Sur la pension alimentaire

  • à la suite de leur mariage, les époux PI. ont choisi de se déposséder intégralement de leurs biens respectifs au profit de la fondation familiale BJMD FOUNDATION constituée le 9 décembre 2010 et immatriculée au registre du commerce de SAINT-MARTIN dans les Antilles néerlandaises,

  • le conseil des protecteurs est exclusivement composé des deux époux qui doivent voter ensemble pour prendre toute décision ou décide de tout changement,

  • la BJMD donne ensuite instruction aux sociétés RiRo Ventures et BJMD Ventures de procéder aux divers paiements mensuels prévus par les époux pour couvrir leur train de vie respectif,

  • le concluant ne dispose d'aucun bien et d'aucune ressource de revenus car c'est la fondation qui répond à tous ses besoins et à ceux de son épouse,

  • les dépenses du concluant s'élèvent à 25.000 euros par mois,

  • la situation de Mme PI. est la même que celle du concluant et elle ne se trouve pas sans ressource puisque tous ses besoins sont pris en charge par la fondation qu'elle dirige avec son époux,

  • les dépenses habituelles mensuelles de Mme PI. s'élèvent à 7.650 euros en moyenne et non à la somme augmentée artificiellement par cette dernière,

  • de plus, Mme PI. retient des biens appartenant à la structure familiale ou à son mari ; il en est ainsi d'un véhicule Rolls Royce appartenant au concluant que Mme PI. a retiré du parking sur lequel il se trouvait au X1 et qu'elle stocke désormais à un endroit qu'elle refuse de révéler alors même que ce véhicule est celui de son époux et ce, bien qu'il soit immatriculé à son nom, comme l'ensemble des véhicules du couple.

Sur la provision ad litem

  • il est démontré que l'intégralité des dépenses de Mme PI. sont prises en charge par la structure familiale outre ses dépenses personnelles,

  • Mme PI. dispose de véhicules de grand luxe qu'elle s'est accaparés dès lors qu'ils sont immatriculés à son nom et qu'ils représentent une valeur supérieure à celle qu'elle réclame au titre de la provision ad litem,

elle dispose également de comptes bancaires dont elle se garde de produire les relevés pour justifier son prétendu état de besoin,

  • elle ne peut donc sérieusement soutenir qu'elle ne serait pas en mesure de faire face aux frais de justice qu'elle exposera à l'occasion de la présente procédure.

Sur la demande d'expertise financière et comptable

  • Mme PI. est à l'origine de la structure familiale qu'elle contrôle totalement avec son époux, leur accord étant nécessaire pour en modifier le fonctionnement,

  • son train de vie est assuré par elle,

  • il n'y a donc pas lieu d'ordonner la mesure d'investigation financière sollicitée.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures précitées auxquelles il est expressément renvoyé.

SUR CE,

Attendu que l'appel principal partiel de Mme PI., régulièrement formé dans les conditions de fond et de forme prévues par le code de procédure civile, doit être déclaré recevable ;

Sur la procédure

Sur la recevabilité de l'appel incident de M. PI.

Attendu que, selon l'article 200-6, alinéa 3, du Code civil, l'ordonnance par laquelle le président du tribunal de première instance qui constate le maintien de la demande en divorce, autorise le demandeur à assigner devant le tribunal et statue sur les mesures provisoires, peut être frappée d'appel dans les quinze jours de sa signification ;

Qu'aux termes de l'article 428 du Code de procédure civile, l'appel incident peut être interjeté par de simples conclusions écrites prises à l'audience ;

Que l'appel incident peut être formé en tout état de cause, alors même que celui qui l'interjette serait forclos pour agir au principal ; que, cependant, dans un tel cas, la recevabilité de l'appel incident est subordonnée à celle de l'appel principal ;

Attendu qu'en l'espèce, l'ordonnance de non-conciliation du 29 mai 2017, signifiée par M. PI. à Mme PI. le 2 juin 2017, a été frappée d'appel principal par cette dernière le 9 juin 2017 dans le délai prescrit par l'article 200-6 précité ;

Que, contrairement à ce que soutient Mme PI., il importe peu, dès lors, que l'appel incident ait été formé, en dehors de ce délai, par conclusions, motivées, du 11 août 2017 ;

Qu'en conséquence, l'exception d'irrecevabilité de l'appel incident soulevée par Mme PI. sera rejetée ; 1 - 2 Sur la validité de la citation en conciliation

Attendu qu'aux termes de l'article 148 du Code de procédure civile, tous exploits seront faits à personne ou à domicile et, à défaut de domicile connu, à la résidence ;

Que l'article 78 du Code civil dispose que le domicile d'une personne, au point de vue de l'exercice de ses droits civils, est au lieu où elle a son principal établissement ;

Qu'aux termes de l'article 264, alinéa 2, du Code de procédure civile, issus de la loi n° 1.423 du 2 décembre 2015, aucune nullité pour vice de forme d'exploit introductif d'instance ou d'autres actes de procédure ne pourra être prononcée que s'il est justifié que l'inobservation de la formalité à l'origine du vice a causé un grief à la partie l'ayant invoquée ;

Attendu qu'au cas présent, Mme PI. n'a pu faire citer valablement M. PI., le 24 février 2017, au domicile conjugal puisqu'à cette date, ainsi qu'elle l'a indiqué elle-même à Maître NOTARI, huissier, le 6 décembre 2016, son époux n'était plus installé avec elle ;

Que la citation n'a pas non plus été délivrée valablement à l'adresse située à Roquebrune-Cap-Martin, qui ne correspond qu'à la résidence secondaire de M. PI. ;

Qu'enfin, alors même que Mme PI., connaissait, à la suite d'un échange de courriels du 16 février 2017 avec son mari, le domicile de celui-ci situé X3 à Kiev, l'huissier a cité ce dernier à une adresse erronée, « chez NI. », X4, à KIEV ;

Attendu que, cependant, par courrier officiel du 9 mars 2017, Maître PASQUIER-CIULLA a écrit à Maître MULLOT, en ces termes :

« - je suis le Conseil de Monsieur r. PI. Mon client m'a informé de la requête en divorce déposée par son épouse le 15 février dernier et de l'audience de tentative de conciliation fixée au 29 mars prochain.

  • Je vous confirme que j'interviendrai donc aux intérêts de Monsieur PI. dans le cadre de cette procédure de divorce ».

Que, par courrier du 28 mars 2017, Maître PASQUIER-CIULLA a informé le juge conciliateur de ce qu'elle intervenait aux intérêts de M. PI. et sollicité le renvoi de l'affaire à une date ultérieure ;

Que, le 29 mars 2017, Mme PI. a comparu, assistée par Maître MULLOT, et M. PI. a été représenté par Maître PASQUIER-CIULLA ;

Que par ordonnance du 31 mars 2017, le juge conciliateur, faisant droit à la demande de renvoi de M. PI., a :

  • constaté que :

« Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, au nom de r. PI. sollicite le renvoi de l'affaire dans la mesure où elle n'a pas reçu les conclusions et pièces de son adversaire ainsi l'établissement d'un calendrier procédural ; que Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur, au nom de r. SC., ne s'oppose à cette demande à la condition toutefois que r. PI. s'acquittent du loyer mensuel de son épouse,

Que bien que Maître PASQUIER-CIULLA conteste l'abandon soulevé par son contradicteur, elle s'engage au nom de son client au paiement du loyer par ce dernier de r. SC. » ;

  • décidé que :

« en l'état de l'accord des parties sur le principe et la date du renvoi, il y a lieu de renvoyer les époux à l'effet de procéder à une nouvelle tentative de conciliation à l'audience du MERCREDI 17 MAI 2017 à 9 heures, sans nouvelle citation en l'état du caractère contradictoire du renvoi »,

  • fixé le calendrier procédural suivant par remise de conclusions au greffe :

« - conclusions et pièces de Maître MULLOT, avocat-défenseur au nom de r. SC. pour le 5 avril 2017,

  • conclusions en réponse de Maître PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur au nom de r. PI., pour le 26 avril 2017,

  • conclusions éventuelles en réponse de Maître MULLOT, sans communication de nouvelles pièces, pour le 3 mai 2017,

  • conclusions éventuelles de Maître PASQUIER-CIULLA, sans communication de nouvelles pièces, pour le 10 mai 2017,

  • plaidoiries le 17 mai 2017 ».

Que le 17 mai 2017, Mme PI. et M. PI. ont comparu, assistés par leurs avocats, et l'affaire a été plaidée après que Maître MULLOT a déposé des conclusions du 5 avril 2017 et du 3 mai 2017 et Maître PASQUIER-CIULLA a déposé des conclusions du 27 avril 2017 et du 10 mai 2017 ;

Attendu qu'il en résulte que, contrairement à ce que M. PI. affirme, l'irrégularité de forme affectant les citations du 24 février 2017 ne lui ont nullement causé un grief dès lors qu'il a été fait droit à la demande de renvoi de son avocat, qu'un large délai a été accordé à celui-ci pour faire valoir ses moyens de défense devant le juge conciliateur, ce qu'il a fait à deux reprises, et qu'il a pu comparaître à l'audience du 17 mai 2017 ;

Qu'en conséquence, l'ordonnance sera confirmée en ce qu'elle a rejeté l'exception de nullité de la citation en conciliation soulevée par M. PI. ;

Sur la nullité des pièces n° 13, 14, 15, 20, 21, 22, et 23 communiquées par M. PI.

Attendu que, comme l'a retenu le juge conciliateur, aucune de ces pièces ne respecte les prescriptions formelles de l'article 324 du code de procédure civile, prévues à peine de nullité ;

Qu'elles seront donc annulées ;

Qu'il sera ajouté sur ce point à l'ordonnance ;

Attendu que, par ailleurs, il n'y a pas lieu d'écarter des débats, en appel, les pièces produites par Mme PI. n° 7, 7 bis, 13, 13 bis, 19, 19 bis, 20, 20 bis, 22, 22 bis, 23, 23 bis, 24, 24 bis, 25, 25 bis, 27, 27 bis, 28, 28 bis, 31, 31 bis, 34, 34 bis, 37, 37 bis, 38, 38 bis, 39, 39 bis, 52, 52 bis, 53, 53 bis, 54, 54 bis, 70, 70 bis, 71, 71 bis, 73, 73 bis, 74, 74 bis, 75, 75 bis, 76, 76 bis, 77, 78 bis, 80, 80 bis, 83 et 84, qui ont été communiquées en temps utile et traduites en langue française ;

Sur les mesures provisoires

Sur la pension alimentaire

Attendu qu'il résulte des articles 177, 181 et 202-1 du Code civil que des aliments peuvent être accordés, à titre de mesure provisoire, à l'un des époux pendant la durée de la procédure de divorce en fonction de ses besoins et des moyens de l'autre époux ;

Que ces besoins sont évalués en tenant compte des nécessités de la vie courante et, dans une certaine mesure, du train de vie des époux pendant la vie commune ;

Attendu qu'au cas particulier, il ressort des explications des parties et des pièces produites qu'il est constant que les époux PI. ont apporté leurs biens à une fondation dénommée BJMD immatriculée au registre du commerce de SAINT-MARTIN (Antilles Néerlandaises), laquelle contrôle la société d'investissements RiRo Ventures Ltd immatriculée au Iles-Vierges-Britanniques dont les parts sont détenus par deux trusts familiaux intitulés BaMaJaDa et DaJaMaBa immatriculés dans l'État de CURACAO, qui reçoivent eux-mêmes des liquidités issues des rendements sur investissements de la société RiRo Ventures qui, le 16 septembre 2014, possédait un portefeuille de 91 millions d'euros selon le courrier adressé au CFM MONACO par M. HE., conseiller fiscal ;

Que la fondation BJMD, assure, par l'intermédiaire de ces structures, le financement du train de vie des époux ;

Que le « conseil des protecteurs » de BJMD est composé de Mme PI. et de M. PI., qui, selon les statuts, prennent les décisions de cette structure familiale à l'unanimité ;

Attendu que, cependant, en réalité, il apparaît, ainsi que le fait valoir Mme PI., que le contrôle de la BJMD est assuré par M. PI. qui décide quelles dépenses doivent être, ou non, réglées, comme l'illustrent ses courriels du 14 juillet 2016, du 23 décembre 2016 et du 1er mars 2017 ;

Qu'ainsi, dans un courriel du 2 avril 2017 adressé à son épouse, M. PI. écrit « compte tenu de ta déclaration de divorce hostile et le refus continue de coopérer à quoi que ce soit, il n'y a pas de logique ou d'incitation à alimenter KBL (Monaco Private Bankers). La structure familiale ne financera plus rien à cause de ta déclaration de divorce et attitude hostile » ;

Qu'il apparaît également que Mme PI. est placée sous la surveillance financière de son mari, voire sous sa dépendance, par l'intermédiaire de Mme SCHO., assistante personnelle de M. PI., comme en témoignent les courriels que lui a envoyés cette dernière le 6 juin 2017 par lesquels elle lui demande d'envoyer toutes les factures adressées à sa compagnie d'assurance maladie en ajoutant que seules les dépenses assorties des justificatifs seront payées, ainsi que le courriel du 25 septembre 2017 aux termes duquel elle lui indique que « mon bouton est mis sur stop à nouveau pour les paiements » ;

Qu'ainsi, si les loyers des deux premiers trimestres de l'année 2017 de l'appartement que Mme PI. occupe au 7e étage du X1 à Monaco ont été réglés par Mme SCHO., celui du 3e trimestre ne l'a pas été, ce qui a conduit à la délivrance à l'appelante d'un commandement de payer du 9 août 2017 ;

Que Mme PI. a fait également l'objet d'un avis à tiers détenteur du 11 avril 2017 sur son compte ouvert à la BARCLAYS pour paiement de la taxe foncière impayée en raison d'un solde débiteur ;

Qu'il résulte des documents de la KBL (Monaco Private Bankers), que les échéances trimestrielles du 9 mars et du 9 juin 2017 de l'emprunt contracté par les époux auprès de cet établissement n'ont pas été payées ;

Que les cartes bancaires de la société RiRo Ventures et BJMD délivrées par la Société Générale et par la banque BARCLAYS, dont Mme PI. avait l'usage jusqu'à présent, ont été bloquées le 1er mars 2017 ;

Que les cotisations pour la période du 1er décembre 2016 au 1er mai 2017 destinées à financer la couverture sociale de Mme PI. ont cessé d'être réglées à la société APRIL International à partir du premier semestre 2017 ;

Qu'il en ressort que Mme PI. se trouve désormais dans une situation de besoin, en rupture avec le train de vie très élevé qui était le sien auparavant ;

Attendu que M. PI. apparaît être, en revanche, un homme d'affaires dont la situation de fortune est importante ;

Que celui-ci ne peut utilement se prévaloir, pour se soustraire à son obligation d'aliment, de la possession, par son épouse, de voitures de luxe puisque ces dernières n'appartiennent pas à Mme PI. ;

Attendu qu'au regard de ces éléments, des besoins de la vie courante de Mme PI., des facultés contributives de

M. PI., de leur train de vie pendant la vie commune, il y a lieu de faire droit à la demande de Mme PI. en paiement de pension alimentaire à hauteur de 25.000 euros par mois dont M. PI. devra s'acquitter ;

Sur la demande d'expertise financière et comptable

Attendu que si l'article 202-1 du code civil permet au juge conciliateur de nommer tout professionnel qualifié en vue de dresser un inventaire estimatif du patrimoine des époux, il ne prévoit pas la désignation d'un expert chargé d'une expertise comptable telle qu'elle est sollicitée par Mme PI. ; qu'il appartiendra à cette dernière de saisir, le cas échéant, le juge du divorce d'une telle demande ;

Que l'ordonnance sera donc confirmée en ce qu'elle a rejeté la demande d'expertise présentée par Mme PI. ; Sur la provision ad litem

Attendu que l'impécuniosité actuelle de Mme PI., qui fait obstacle au paiement des frais qu'elle doit exposer à l'occasion de la procédure, justifie la condamnation de M. PI. à lui verser une somme de 50.000 euros à titre de provision ad litem ;

Attendu que le surplus des dispositions de l'ordonnance n'étant pas critiqué, sera confirmé ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant publiquement et contradictoirement,

Reçoit l'appel principal partiel de Mme PI.,

Rejette l'exception d'irrecevabilité de l'appel incident soulevée par Mme PI.,

Déclare recevable l'appel incident de M. PI.,

Confirme l'ordonnance en ce qu'elle a rejeté l'exception de nullité de la citation en conciliation soulevée par M. PI.,

Y ajoutant,

Annule les pièces n° 13, 14, 15, 20, 21, 22, et 23 communiquées par M. PI.,

Dit n'y avoir lieu d'écarter des débats, en appel, les pièces produites par Mme PI. n° 7, 7 bis, 13, 13 bis, 19, 19 bis, 20, 20 bis, 22, 22 bis, 23, 23 bis, 24, 24 bis, 25, 25 bis, 27, 27 bis, 28, 28 bis, 31, 31 bis, 34, 34 bis, 37, 37 bis, 38, 38 bis, 39, 39 bis, 52, 52 bis, 53, 53 bis, 54, 54 bis, 70, 70 bis, 71, 71 bis, 73, 73 bis, 74, 74 bis, 75, 75 bis, 76, 76 bis, 77, 78 bis, 80, 80 bis, 83 et 84,

Infirme l'ordonnance en ce qu'elle débouté Mme PI. de ses demandes de pension alimentaire et de provision ad litem,

Statuant à nouveau de ces chefs,

Condamne M. PI. à verser à Mme PI. la somme mensuelle de 25.000 euros à titre de pension alimentaire payable d'avance le 1er de chaque mois au domicile de son épouse, qui sera indexée sur l'indice INSEE des prix à la consommation de l'ensemble des ménages hors tabac France entière et qui sera révisée chaque année à la date anniversaire de l'arrêt, et pour la première fois le 19 décembre 2018,

Condamne M. PI. à payer à Mme PI. la somme de 50.000 euros à titre de provision ad litem, Confirme l'ordonnance pour le surplus,

Condamne Monsieur r. PI. aux dépens avec distraction au profit de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur sous sa due affirmation,

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable.

Composition🔗

Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, faisant fonction de Président, Monsieur Éric SENNA, Conseiller, Monsieur Paul CHAUMONT, Conseiller, assistés de Madame Nadine VALLAURI, Greffier,

Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,

Lecture est donnée à l'audience publique du 19 DÉCEMBRE 2017, par Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, faisant fonction de Président, assistée de Madame Nadine VALLAURI, Greffier, en présence de Monsieur Hervé POINOT, Procureur Général adjoint.

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