Cour d'appel, 31 octobre 2017, La Société A c/ Madame p. BU.
Abstract🔗
Licenciement – Inaptitude – Motif valable (oui) – Caractère abusif (oui)
Résumé🔗
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 26 janvier 2012, la société A notifiait à Madame BU. son licenciement, invoquant la déclaration d'inaptitude définitive à son poste établie par le médecin du travail le 17 novembre 2011. En l'espèce, une déclaration d'inaptitude définitive avec demande de reclassement a effectivement été établie par le médecin du travail. Le motif qui fonde la rupture du contrat de travail, tenant à la déclaration d'inaptitude définitive, est donc valable. Madame BU. ne dénonce aucun comportement fautif de l'employeur à l'origine de la déclaration d'inaptitude définitive à son poste. Par ailleurs, les griefs qu'elle forme à l'encontre de son employeur se rapportant à la méconnaissance par lui des dispositions de la Loi n° 1.348 du 25 juin 2008 relative au reclassement des salariés déclarés inaptes par le médecin du travail, ne sont pas de nature à mettre en cause la validité du motif du licenciement, mais peuvent le cas échéant conférer au licenciement un caractère abusif.
Constitue un licenciement abusif, le licenciement intervenu pour faux motif, impliquant une intention malveillante, ou dans des circonstances brutales et vexatoires. Il résulte des pièces produites que l'employeur n'a apporté aucune réponse ni éléments d'information sur le poste proposé, ni sur ses conditions d'exécution, malgré les demandes répétées de la salariée. En s'abstenant de proposer, sans plus de justification, des postes pour lesquels Madame BU. avait été déclarée apte par la médecine du travail et par la commission, et en refusant de communiquer toutes informations sur le poste proposé, nécessaires à la salariée pour qu'elle se prononce, l'employeur n'établit pas qu'il a procédé à une recherche sérieuse et loyale d'une solution de reclassement. En outre, le licenciement brutal prononcé dans ces circonstances, en dépit de l'avis préalable contraire de la commission, est d'autant plus vexatoire, que la salariée s'est vue reprocher un défaut de réponse à l'origine de la rupture du contrat. Dans ces conditions, c'est par une juste appréciation que le Tribunal a retenu le caractère abusif du licenciement.
Motifs🔗
COUR D'APPEL
ARRÊT DU 31 OCTOBRE 2017
En la cause de :
- La Société Anonyme Monégasque « A », anciennement dénommée SAM « B », dont le siège social se trouve à Monaco, 6 avenue Albert II, immatriculée au Répertoire du Commerce et de l'Industrie de la Principauté de Monaco sous le n° 56 S 00223, agissant poursuites et diligences de son Président Administrateur délégué en exercice, demeurant et domicilié en cette qualité audit siège ;
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Patricia REY, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
APPELANTE,
d'une part,
contre :
- Madame p. BU., demeurant et domiciliée X à VALLECROSIA (18019), Italie ;
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, ayant pour avocat plaidant Maître Aurélie SOUSTELLE, avocat au Barreau de Nice ;
INTIMÉE,
d'autre part,
LA COUR,
Vu le jugement rendu par le Tribunal du Travail le 5 janvier 2017 ;
Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 17 février 2017 (enrôlé sous le numéro 2017/000105) ;
Vu les conclusions déposées les 25 avril 2017 et 2 octobre 2017 par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de Madame p. BU. née AM. ;
Vu les conclusions déposées le 31 juillet 2017 par Maître Patricia REY, avocat-défenseur, au nom de la SAM A ;
À l'audience du 3 octobre 2017, vu la production de leurs pièces par les conseils des parties ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
La Cour statue sur l'appel relevé par la SAM A à l'encontre d'un jugement du Tribunal du Travail du 5 janvier 2017.
Considérant les faits suivants :
Suivant contrat à durée indéterminée, p. BU. a été embauchée par la SAM A à compter du 1er octobre 1997, en qualité de conditionneuse machiniste.
Ce contrat a fait suite à des missions d'intérim accomplies par p. BU. au sein de la société, du 6 au 17 mars 1995, du 17 avril au 9 juin 1995, du 19 juin au 22 septembre 1995, du 6 novembre 2015 au 19 juillet 1996, du 29 juillet au 18 octobre 1996 et du 28 octobre 1996 au 3 octobre 1997.
Par avenant du 12 février 2008, p. BU. s'est vue confier les fonctions d'opérateur technique, à compter du 1er février 2008.
Le 17 novembre 2011, elle a été déclarée inapte avec demande de reclassement par la médecine du travail.
Le 25 novembre 2011, l'employeur, invoquant une impossibilité de procéder au reclassement de la salariée, a sollicité la convocation de la commission destinée à émettre un avis sur le licenciement envisagé.
Faisant suite à la saisine de ladite commission prévue à l'article 6 de la loi n° 1.348, laquelle s'opposait au licenciement de p. BU., l'employeur était convoqué par l'inspection du travail, par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 2 décembre 2011.
Le reclassement dans un poste de contrôle et veille préventive des produits en ligne était finalement proposé à la salariée, par courrier de l'employeur remis en main propre le 15 décembre 2011.
Des échanges de correspondances sont ensuite intervenus entre les parties, p. BU. ayant sollicité des précisions sur le poste proposé.
Le 6 janvier 2012, un avenant confirmant l'offre de reclassement de l'employeur était envoyé à la salariée, auquel elle répondait par courrier en date du 24 janvier 2012.
Considérant qu'elle n'avait pas accepté la proposition de reclassement dans le délai qui lui était imparti, l'employeur a notifié à p. BU. son licenciement pour inaptitude.
C'est dans ces conditions que Madame BU. a saisi le Tribunal du travail.
À défaut de conciliation, l'affaire a fait l'objet d'un renvoi devant le bureau de jugement.
Par jugement du 5 janvier 2017, le Tribunal du travail a :
- débouté p. BU. de sa demande relative à la reprise d'ancienneté et aux prétentions financières subséquentes,
- dit le licenciement fondé sur un motif valable, mais abusif,
- condamné la société A à payer à p. BU. la somme de 40.000 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du jugement.
Pour statuer ainsi, le Tribunal a retenu que :
- Madame BU. ne demande pas que les contrats de travail temporaires soient requalifiés en contrat à durée indéterminée,
- le recours à une agence d'intérim est une prestation de service, et l'agence d'intérim est le seul employeur de l'intérimaire,
- la rupture du contrat de travail est fondée sur un motif valable dès lors qu'elle est la conséquence de la déclaration définitive d'inaptitude,
- le licenciement litigieux ne pouvait intervenir sans que l'employeur saisisse la Commission prévue par l'article 6 de la loi n° 1.348 du 25 juin 2008,
- la SAM A n'a pas fait preuve de loyauté puisqu'elle n'a jamais répondu aux interrogations légitimes de la salariée sur le poste proposé pas plus qu'à l'office de la médecine du travail,
- l'employeur ne justifie pas avoir envisagé toutes les mesures permettant le reclassement,
- il n'a donné aucune précision sur la structure de ses effectifs, la nature des différents postes existants et les contraintes qu'ils imposaient, permettant une comparaison utile et réelle avec le travail susceptible d'être fourni par la salariée,
- en notifiant le licenciement en méconnaissance des dispositions légales relatives au reclassement, l'employeur a agi avec une légèreté blâmable, conférant à la rupture un caractère abusif,
- Madame BU. n'établit pas que le comportement de l'employeur serait à l'origine de son inaptitude,
- elle ne donne aucun élément relatif à ses ressources actuelles et aux conséquences pécuniaires consécutives au licenciement,
- l'indemnisation doit tenir compte du préjudice moral et du préjudice résultant de la perte de chance de conserver un emploi dans l'entreprise.
La SAM A a interjeté appel du jugement.
Dans l'acte d'appel et d'assignation qu'elle a fait délivrer le 17 février 2017, elle demande à la Cour de :
- la déclarer recevable en son appel et de le déclarer fondé,
- réformer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 5 janvier 2017, rectifié par jugement du 19 janvier 2017, signifié le 9 février 2017,
Statuant à nouveau,
- dire et juger que le licenciement de Madame BU. ne revêt pas un caractère abusif,
- débouter Madame BU. de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
- la condamner aux entiers dépens, tant de première instance que d'appel, distraits au profit de Maître Patricia REY, avocat-défenseur sous sa due affirmation.
Par conclusions en date du 31 juillet 2017, la société A demande à la Cour de :
- la déclarer recevable et fondée en son appel,
- confirmer le jugement rendu le 5 janvier 2017, rectifié par jugement du 19 janvier 2017, signifié le 9 février 2017 en ce qu'il a :
débouté Madame BU. en sa demande relative à la reprise d'ancienneté et aux prétentions financières subséquentes,
dit que le licenciement est fondé sur un motif valable,
- réformer le jugement rendu le 5 janvier 2017, rectifié par jugement du 19 janvier 2017, signifié le 9 février 2017 en ce qu'il a :
dit que le licenciement de Madame BU. revêt un caractère abusif,
condamné l'appelante au paiement de la somme de 40.000 euros à titre de dommages et intérêts.
Statuant à nouveau,
- dire et juger que le licenciement de Madame BU. ne revêt pas un caractère abusif,
- dire et juger que Madame BU. ne peut prétendre à l'allocation de dommages et intérêts,
- débouter Madame BU. de l'intégralité de ses demandes résultant de son appel incident,
- la condamner aux entiers dépens, tant de première instance que d'appel, distraits au profit de Maître Patricia REY, avocat-défenseur sous sa due affirmation.
À l'appui de ses demandes, la société A fait valoir que :
- à la suite du rapport du médecin du travail en date du 17 novembre 2011, mentionnant une inaptitude définitive de la salariée à son poste avec demande de reclassement, elle a informé l'Inspection du Travail par courrier recommandé RAR du 25 novembre 2011, que malgré les recherches, elle n'était pas en mesure de fournir à la salariée un autre poste lui permettant d'exercer des fonctions compatibles avec les restrictions émises, sollicitant la tenue de la commission compétente dont l'avis préalable à un licenciement est indispensable,
- la commission réunie le 2 décembre 2011 s'est opposée au licenciement de Madame BU., de sorte que par courrier remis en main propre le 12 décembre 2011, elle lui a proposé un poste de Contrôle et Veille Préventive des produits sur ligne, précisant les missions principales et les conditions relatives à cet emploi à mi-temps, dont le principe a été accepté par la salariée,
- celle-ci a toutefois sollicité des précisions complémentaires par courrier du 15 décembre 2011, qui ont été apportées le 21 décembre suivant,
- Madame BU. n'a pas fait retour dans le délai de 8 jours de l'avenant au contrat confirmant l'offre de reclassement, qui lui a été adressé le 6 janvier 2012,
- elle a respecté les dispositions de l'article 3 de la loi n° 1.348 en ce que la recherche d'un reclassement a été sérieuse et loyale,
- elle a régulièrement saisi la commission de reclassement par lettre RAR du 25 novembre 2011,
- un poste au Contrôle qualité et OTC ne pouvait pas convenir à Madame BU.,
- le poste à mi-temps au service Contrôle et veille des produits en ligne pouvait convenir et l'offre ainsi faite au salarié d'un emploi approprié à ses capacités constitue la preuve que l'employeur a été loyal et sérieux dans la recherche d'un reclassement et actif dans l'exécution de cette obligation,
- les informations relatives au poste figuraient dans la lettre du 12 décembre 2011,
- le courrier en réponse de la salariée en date du 15 décembre 2011 démontre qu'elle contestait le poste et les conditions et modalités offertes,
- Madame BU. n'a pas renvoyé l'avenant et a informé l'employeur qu'elle saisissait l'inspection du travail,
- elle a ainsi clairement manifesté son refus, ce dont la SAM A a pris acte par lettre du 26 janvier 2012,
- le Tribunal a dénaturé le contenu des correspondances en considérant que les interrogations de Madame BU. n'ont pas été levées par l'employeur,
- l'article 3 de la loi précitée ne prévoit pas que le salarié qui bénéficie d'une offre de reclassement puisse en discuter les conditions et les modalités,
- Madame BU. n'ayant pas accepté le poste dans le délai légal, l'employeur était en droit de mettre fin au contrat,
- le Tribunal a ajouté à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas, à savoir le caractère « suffisant » de la proposition de reclassement,
- l'obligation de moyen pesant sur l'employeur est de rechercher activement un emploi en vue du reclassement et non de reclasser le salarié,
- le licenciement est légalement fondé dès lors qu'il intervient postérieurement à l'avis de la commission,
- aucune faute ne peut être sérieusement reprochée à la société A,
- il serait inéquitable de sanctionner l'employeur en le condamnant au paiement de dommages et intérêts dès lors que la salariée n'a pas accepté le poste proposé et que la loi met à sa charge des « sanctions » pécuniaires prévues aux articles 5 et 8, alors qu'il n'est pas à l'initiative de la rupture et qu'il ne dispose d'aucune liberté d'appréciation,
- la jurisprudence actuelle qui sanctionne lourdement l'employeur qui n'a pas reclassé le salarié est critiquable en ce qu'elle ignore la fonction réparatrice de l'indemnité de congédiement et en ce qu'elle condamne l'employeur à remédier aux insuffisances de la prévoyance collective,
- la date d'entrée de Madame BU. au sein de la SAM A est le 1er octobre 1997,
- durant les périodes où elle a exercé ses fonctions en qualité d'intérimaire, aucun contrat de travail ne la liait avec la SAM A,
- aux termes de la loi la déclaration définitive d'inaptitude doit porter sur l'emploi occupé par le salarié, et non sur l'ensemble des emplois existant au sein de l'entreprise,
- en l'espèce, le licenciement fait suite à la déclaration d'inaptitude définitive de la salariée à son poste,
- Madame BU. a perçu une indemnité conventionnelle dont le montant est supérieur à celui de l'indemnité prévu par l'article 2 de la loi n° 845,
- aucune précipitation dans la rupture du contrat de travail par l'employeur ne peut lui être reprochée,
- la structure monégasque de la société est considérée comme une PME, comptant 226 salariés dont 114 postes affectés à la production qui ne sont pas en adéquation avec les restrictions médicales très contraignantes de Madame BU..
Par conclusions des 25 avril et 2 octobre 2017, p. BU. demande à la Cour de :
- confirmer le jugement du Tribunal du travail en date du 5 janvier 2017 en ce qu'il a jugé le licenciement comme revêtant un caractère abusif,
- infirmer le jugement en ce qu'il a :
rejeté la demande de reprise d'ancienneté,
dit que le licenciement serait fondé sur un motif valable,
condamné la SAM A à régler la somme de 40.000 euros au titre des dommages et intérêts,
mis à la charge de chaque partie ses propres dépens.
Statuant à nouveau,
- faire droit à la demande de Madame BU. concernant la reprise d'ancienneté au 28 octobre 1996,
- condamner la SAM A à régler :
un complément de prime d'ancienneté sur salaires reçus de 2.268,80 euros outre 226,88 euros pour les congés payés y afférents,
un complément d'indemnité de congédiement de 3.872,50 euros,
- dire que le licenciement ne repose sur aucun motif valable,
- constater qu'aucune indemnité de licenciement n'est due considérant l'ancienneté de Madame BU.,
- condamner la SAM A au paiement de la somme de 120.000 euros au titre des dommages et intérêts,
- condamner la SAM B en tous les dépens distraits au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.
Elle fait valoir pour l'essentiel que :
- elle a été placée au service de la SAM B à compter du 6 mars 1995, par l'intermédiaire de la société d'intérim C, et y a travaillé pendant deux ans et douze jours sur une période de deux ans et demi,
- l'équité commande que l'ancienneté soit déterminée par rapport au temps réel passé par un salarié dans une entreprise,
- la société B est coutumière de cette pratique consistant à user et abuser du recours aux sociétés d'intérim en engageant du personnel sur de longues périodes pour un seul et même poste,
- compte-tenu des durées particulièrement longues au cours desquelles Madame BU. a été placée auprès de la société B, il ne fait aucun doute qu'elle a eu recours à une entreprise de travail temporaire non pour faire exécuter à la salariée une mission précise, mais pour pourvoir un poste permanent,
- il convient de considérer que lorsqu'un intérimaire effectue une mission sur plusieurs années, il ne s'agit plus d'un travail de nature temporaire,
- Madame BU. en sollicitant que soit retenu que son contrat avait débuté le 28 octobre 1996, a formé une demande de requalification en contrat de travail à durée indéterminée,
- l'article 10 de l'avenant n° 1 à la convention collective prévoit une prime d'ancienneté de 12% après 12 ans d'ancienneté dans l'entreprise, et de 15% après 15 ans,
- elle est créancière à ce titre des sommes de 2.098,40 euros et de 170,40 euros, outre 226,88 euros pour les congés payés y afférents,
- l'indemnité de congédiement doit tenir compte de l'ancienneté remontant au 28 octobre 1996 justifiant l'allocation d'une somme complémentaire de 3.872,50 euros,
- Madame BU. a été déclarée inapte à son seul poste, mais apte à d'autres postes au sein de l'entreprise,
- ce n'est que suite à l'avis de la commission que la société B a finalement trouvé un poste susceptible de convenir, mais la proposition qu'elle a fait parvenir omettait de préciser les horaires attachés à ce poste,
- Madame BU. n'a jamais refusé ce poste, mais s'est interrogée sur les horaires de travail, préjudiciables à sa santé et à sa vie de famille, sur la baisse conséquente du coefficient pour un poste requérant une connaissance technique solide, et sur l'opposition de la société pour son reclassement à un poste au contrôle qualité OTC,
- la société B s'est refusée à apporter toutes réponses à ses légitimes interrogations,
- elle a répondu à son employeur le 26 décembre 2011, dans le délai imparti,
- ce n'est que par l'avenant au contrat qui lui a été adressé le 6 janvier 2012 qu'elle a été informée des horaires du poste proposé,
- en s'abstenant de communiquer les horaires du poste dès le 12 décembre 2011, et de répondre par la suite aux interrogations de la salariée, la société B a démontré son absence de bonne foi,
- son seul objectif était de parvenir à licencier sa salariée,
- le délai de 8 jours ne peut partir qu'à compter du jour où la proposition est effective et concrète, l'avenant du 6 janvier 2012 ne répondant pas aux questions de la salariée,
- alors qu'elle n'a jamais refusé le poste qui lui était proposé, elle a été licenciée,
- la société A ne pouvait pas prendre cette décision sans l'avis de la commission,
- ensuite de la première saisine de la commission, de son refus et de la proposition faite par l'employeur, il lui appartenait de saisir à nouveau la commission,
- la seule proposition d'un poste ne suffit pas pour permettre à l'employeur de prétendre que son obligation légale a été remplie,
- la proposition de poste ne doit pas être purement fallacieuse,
- il ne peut être retenu qu'une proposition de reclassement dispense l'employeur de justifier de la réalité des recherches,
- les pièces que l'employeur communique démontrent qu'il n'a procédé à aucune recherche et sont contredites par le médecin du travail,
- elles n'établissent pas davantage l'impossibilité pour Madame BU. d'occuper un poste dit OTC, ni que les tâches de contrôle et veille préventive ne peuvent être réalisées que de 17 à 21 heures,
- le but de l'employeur était de faire en sorte que Madame BU. n'accepte pas ce qui lui était proposé,
- le motif du licenciement n'étant pas valable, il ouvre droit à l'indemnité de licenciement, qui cependant ne peut être accordée dès lors que l'indemnité de congédiement a été versée,
- le comportement de la SAM B marque un manque de considération et de respect envers la loi et sa salariée qui a toujours donné satisfaction jusqu'à ce qu'elle développe une incapacité de travail,
- au regard de son âge et de son incapacité physique, les chances de Madame BU. de retrouver un emploi sont minces,
- elle a perçu de pôle emploi une indemnité journalière de 39,83 euros à compter du 5 août 2012, et occupe depuis le 27 novembre 2014 un poste d'aide comptable,
- elle a été profondément affectée par l'attitude de son employeur après 17 années de dévouement, et a été affectée par un état dépressif anxieux avec déchéance physique et mentale.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.
SUR CE,
1°- Sur la recevabilité des appels
Attendu que les appels, principal et incident, interjetés dans les formes et délais prescrits sont recevables, ce qui n'est pas contesté ;
2°- Sur la reprise de l'ancienneté
Attendu que Madame BU. a été embauchée par la société A, suivant contrat à durée indéterminée à compter du 1er octobre 1997 ;
Que préalablement, elle a été mise à la disposition de cette société, suivant des contrats de mission successifs, conclus entre elle et une entreprise de travail temporaire ;
Qu'à ces occasions, les contrats de travail ont été établis entre elle et l'entreprise de travail temporaire ;
Que la mise à disposition de Madame BU. auprès de la société A n'a pas créé de rapports contractuels entre elles ;
Attendu qu'il n'est pas établi ni même prétendu que ces contrats de missions successifs sont intervenus en méconnaissance de dispositions légales permettant la re-qualification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée ;
Que dans ces conditions, Madame BU. ne peut prétendre au bénéfice des droits attachés au contrat à durée indéterminée pour la période antérieure au 1er octobre 1997 ;
Que le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de Madame BU. se rapportant à la reprise d'ancienneté et à ses prétentions financières subséquentes ;
3°- Sur le motif du licenciement
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 26 janvier 2012, la société A notifiait à Madame BU. son licenciement, invoquant la déclaration d'inaptitude définitive à son poste établie par le médecin du travail le 17 novembre 2011 ;
Qu'en l'espèce, une déclaration d'inaptitude définitive avec demande de reclassement a effectivement été établie par le médecin du travail ;
Que le motif qui fonde la rupture du contrat de travail, tenant à la déclaration d'inaptitude définitive, est donc valable ;
Attendu que Madame BU. ne dénonce aucun comportement fautif de l'employeur à l'origine de la déclaration d'inaptitude définitive à son poste ;
Que par ailleurs, les griefs qu'elle forme à l'encontre de son employeur se rapportant à la méconnaissance par lui des dispositions de la Loi n° 1.348 du 25 juin 2008 relative au reclassement des salariés déclarés inaptes par le médecin du travail, ne sont pas de nature à mettre en cause la validité du motif du licenciement, mais peuvent le cas échéant conférer au licenciement un caractère abusif ;
Attendu que le jugement sera en conséquence confirmé de ce chef ;
4°- Sur le caractère abusif du licenciement
Attendu que constitue un licenciement abusif, le licenciement intervenu pour faux motif, impliquant une intention malveillante, ou dans des circonstances brutales et vexatoires ;
Qu'il appartient à celui qui réclame des dommages et intérêts, de prouver outre le préjudice subi, l'existence d'une faute commise par l'employeur dans l'exercice de son droit de mettre fin unilatéralement au contrat de travail ;
Attendu que la loi n° 1.348 du 25 juin 2008 prévoit le reclassement du salarié déclaré définitivement inapte à occuper son emploi par le médecin du travail ;
Qu'aux termes de l'article 3 de ladite loi, il appartient à l'employeur, au vu du rapport établi par le médecin du travail, de proposer au salarié « un autre emploi approprié à ses capacités et aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé. Pour ce faire, il peut mettre en œuvre des mesures telles que des mutations, des transformations de postes, des formations adaptées à l'emploi proposé et internes à l'entreprise ou des aménagements du temps de travail ;
Le salarié est informé de la proposition de reclassement par lettre recommandée avec demande d'avis de réception postale et dispose d'un délai de dix jours à compter de la présentation de celle-ci pour apporter selon les mêmes formes, une réponse écrite » ;
Que l'article 4 impose à l'employeur qui ne peut proposer un autre emploi, conformément aux dispositions du premier alinéa de l'article 3 d'en informer le salarié, le médecin du travail et l'inspecteur du travail, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception postal, en indiquant les motifs qui s'opposent au reclassement ;
Que dans cette hypothèse, ou dans celle où le salarié refuse le reclassement proposé, l'article 6 de la loi prévoit que le licenciement ne peut intervenir qu'après avis motivé d'une commission qui doit être rendu dans les vingt jours suivant sa saisine par l'employeur, lequel est communiqué à l'employeur ainsi qu'au salarié ;
Attendu qu'en l'espèce, la déclaration d'inaptitude de la médecine du travail du 17 novembre 2011 et le rapport qui y était joint mentionnaient une inaptitude définitive de Madame BU. au poste d'opératrice technique et aux postes de conditionnement en général, et une aptitude à un poste ne comportant pas de manutention de plus de 5 kilos, de gestes répétitifs des membres supérieurs ni de travail de bras en hauteur, à un poste administratif, de vente d'accueil de surveillance etc.. ;
Que le 25 novembre 2011, l'employeur indiquait que les recherches entreprises ne lui avaient pas permis de trouver un poste à sa salariée lui permettant d'exercer des fonctions compatibles avec les restrictions émises, sollicitant la tenue de la commission prévue par les dispositions légales, pour un avis préalable à un licenciement ;
Que la commission s'est tenue le 2 décembre 2011, à l'issue de laquelle un avis d'opposition au licenciement a été émis, la commission retenant que l'employeur ne démontrait pas une véritable recherche de poste adapté, et que Madame BU. était apte à occuper un poste au contrôle qualité ou aux OTC, à temps plein et à défaut à mi-temps ;
Que par courrier du 12 décembre 2011, la SAM A indiquait à Madame BU. qu'elle ne disposait pas de poste administratif, de vente, ou d'accueil pouvant lui être proposé, que les postes au contrôle qualité ou OTC n'étaient pas en adéquation avec les restrictions médicales, et lui proposait un poste à mi-temps, au sein de l'usine de Monaco, de contrôle et veille préventive des produits sur ligne, l'invitant à lui confirmer son acceptation dans un délai de 7 jours ;
Qu'en réponse, par courrier du 15 décembre 2011, Madame BU. déclarait être favorable à la proposition de poste mais souhaitait avant de l'accepter, disposer d'informations complémentaires concernant les horaires de travail, non précisés, s'interrogeant par ailleurs sur le coefficient mentionné ne correspondant pas, selon elle, aux qualifications techniques du poste proposé, s'étonnant enfin de la position de son employeur concernant son inaptitude à un poste contrôle qualité ou OTC, contraire à l'avis de la commission ;
Qu'aucune réponse aux interrogations de Madame BU. n'a été apportée par l'employeur dans la lettre qu'il lui a adressée le 21 décembre 2011, se contentant de reproduire pour l'essentiel, les mentions de son précédent courrier du 12 décembre 2011, justifiant une nouvelle demande de Madame BU., par lettre du 26 décembre 2011 ;
Que c'est dans ce contexte, que Madame BU. recevait de son employeur, par courrier du 6 janvier 2012, l'avenant au contrat de travail, et qu'elle prenait connaissance, pour la première fois, de ses horaires de travail fixés de 17 heures à 21 heures ;
Que par courrier du 24 janvier 2012, elle faisait part à son employeur de son étonnement et rappelait ses demandes antérieures restées sans reponse, et se voyait notifier son licenciement par courrier du 26 janvier suivant, l'employeur se prévalant de son défaut de réponse dans le délai qui lui était imparti ;
Attendu que s'il résulte des dispositions légales, que l'obligation de reclassement qui pèse sur l'employeur est une obligation de moyen, il lui appartient de démontrer qu'il a satisfait à cette obligation en recherchant activement une solution de reclassement ;
Attendu qu'en l'espèce, la SAM A a affirmé, sans le justifier, qu'elle ne disposait pas de poste administratif, de vente, ou d'accueil, pouvant être proposé à sa salariée ;
Qu'elle a affirmé sans plus d'explication et contrairement à l'avis de la commission, qu'un poste au contrôle qualité et OTC ne pouvait convenir à Madame BU., qui l'a pourtant interrogée à ce sujet, de manière répétée ;
Que devant la Cour, pas plus que devant le Tribunal, la SAM A ne donne de justification sur la structure de ses effectifs, la nature des différents postes existants dans l'entreprise et les contraintes qu'ils imposent, afin d'apprécier s'ils sont en adéquation avec les restrictions médicales concernant Madame BU. ;
Que ni l'affirmation selon laquelle la structure monégasque de la société ne compterait que 226 salariés dont 114 postes affectés à la production lesquels ne seraient pas en adéquation avec les restrictions médicales très contraignantes de Madame BU., ni la pièce qu'elle communique sous l'intitulé « registre d'entrée et de sortie du personnel », et qui n'est en réalité qu'une seule page de ce registre, non visée par l'inspecteur du travail, mentionnant les embauches pour la période de novembre 2011 à janvier 2013, sur laquelle ne figure pas le personnel intérimaire, ne mettent en mesure la Cour de vérifier qu'aucun poste n'était susceptible de convenir à la salariée ;
Attendu que la société SAM A considère qu'elle a satisfait à son obligation, en proposant à sa salariée, par courrier du 12 décembre 2011, un poste à mi-temps, au sein de l'usine de Monaco, de contrôle et veille préventive des produits sur ligne, et se prévaut d'un défaut de réponse de la salariée dans le délai imparti, sur le poste proposé ;
Mais attendu qu'il résulte des pièces produites que l'employeur n'a apporté aucune réponse ni éléments d'information sur le poste proposé, ni sur ses conditions d'exécution, malgré les demandes répétées de la salariée ;
Qu'en s'abstenant de proposer, sans plus de justification, des postes pour lesquels Madame BU. avait été déclarée apte par la médecine du travail et par la commission, et en refusant de communiquer toutes informations sur le poste proposé, nécessaires à la salariée pour qu'elle se prononce, l'employeur n'établit pas qu'il a procédé à une recherche sérieuse et loyale d'une solution de reclassement ;
Qu'en outre, le licenciement brutal prononcé dans ces circonstances, en dépit de l'avis préalable contraire de la commission, est d'autant plus vexatoire, que la salariée s'est vue reprocher un défaut de réponse à l'origine de la rupture du contrat ;
Que dans ces conditions, c'est par une juste appréciation que le Tribunal a retenu le caractère abusif du licenciement ;
Que le jugement sera confirmé de ce chef ;
5°- Sur la demande de dommages et intérêts
Attendu que la faute commise par l'employeur, qui ne justifie pas avoir tout mis en œuvre pour respecter ses obligations, est à l'origine d'un préjudice moral, dont la réparation, à l'exclusion de tout autre, doit être ordonnée, indépendamment de l'indemnisation prévue aux articles 5 et 8 de la loi n° 1.348 du 25 juin 2008 ;
Que pour l'appréciation de ce préjudice, il convient de tenir compte des circonstances du licenciement, soudain et inattendu, et de ses répercussions psychologiques, dans un contexte d'inaptitude médicale avérée, alors que p. BU. a donné satisfaction à son employeur durant 15 années, et que face à la dégradation progressive de son état de santé, l'employeur n'a jamais tenté de lui faire des propositions pour la conserver dans l'entreprise ;
Que les premiers juges ont justement fixé la réparation de ce préjudice à la somme de 40.000 euros et le jugement sera confirmé de ce chef ;
6°- Sur les dépens
Attendu que le Tribunal du travail, dans son jugement du 5 janvier 2017, rectifié par jugement du 19 janvier 2017, pour décider que chacune des parties conserverait la charge de ses propres dépens, a retenu que chacune d'elle avait succombait dans ses prétentions ;
Mais attendu qu'il n'y a pas lieu de faire supporter à Madame BU. la charge de ses propres dépens, alors qu'elle n'a succombé que partiellement en ses prétentions ;
Que le jugement sera en conséquence réformé de ce chef et que la SAM A qui succombe en son appel principal, sera condamnée tant aux dépens de première instance que d'appel, dont distraction au profit de Maître PASTOR-BENSA, avocat défenseur sous sa due affirmation.
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,
statuant publiquement et contradictoirement,
Reçoit les appels principal et incident,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions, sauf en celle concernant les dépens,
Statuant à nouveau du chef réformé et y ajoutant,
Condamne la SAM A aux dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Maître PASTOR-BENSA, avocat-défenseur sous sa due affirmation,
Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable,
Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,
Composition🔗
Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Virginie ZAND, Conseiller, assistés de Madame Nadine VALLAURI, Greffier,
Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,
Lecture est donnée à l'audience publique du 31 OCTOBRE 2017, par Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Nadine VALLAURI, Greffier, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Premier Substitut du Procureur Général.