Cour d'appel, 29 septembre 2017, Monsieur f. SO. c/ La SARL A Monte-Carlo
Abstract🔗
Contrat de travail - Preuve du contrat de travail - Caractère fictif du contrat de travail – Incompétence du tribunal du travail
Résumé🔗
Dans la mesure où les premiers juges ont à bon droit estimé que la preuve d'un contrat de travail n'étant pas rapportée, le Tribunal du travail est incompétent pour connaître du présent litige. En effet, le prétendu salarié disposait de prérogatives similaires à celles du gérant avec lequel il entretenait des rapports d'associés tout en assumant seul tous les frais liés à l'activité de l'entreprise. Il se comportait dans les faits comme le seul décisionnaire de l'entreprise et en dépit des bulletins de paie qu'il faisait établir à son nom, il n'a perçu aucune rémunération en contrepartie. Le prétendu employeur établit donc à suffisance le caractère fictif du contrat de travail invoqué que n'apparaissent pas remettre en cause les particularités inhérentes à l'activité de chauffeur de grande remise, et ce, dès lors qu'aucun élément de la procédure ne démontre que l'appelant aurait reçu des directives du gérant de la société ou aurait subi un contrôle effectif dans l'exécution de ses tâches.
Motifs🔗
COUR D'APPEL
ARRÊT DU 29 SEPTEMBRE 2017
En la cause de :
- Monsieur f. SO., chauffeur de grande remise, domicilié X1 à Nice (06200) ;
Bénéficiaire de l'assistance judiciaire n° 165 BAJ 12, par décision du Bureau du 26 juillet 2012
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par Maître Charles LECUYER, avocat près la même Cour ;
APPELANT,
d'une part,
contre :
- la SARL A MONTE-CARLO, société à responsabilité limitée, dont le siège social est sis X2, à Monaco, enregistrée au répertoire du commerce et des sociétés de Monaco sous le n° 08S04810, prise en la personne de son gérant en exercice, domicilié en cette qualité audit siège ;
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, ayant pour avocat plaidant Maître Delphine FRAHI, avocat au Barreau de Nice ;
INTIMÉE,
d'autre part,
LA COUR,
Vu le jugement rendu par le Tribunal du Travail le 29 septembre 2016 ;
Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 13 janvier 2017 (enrôlé sous le numéro 2017/000080) ;
Vu les conclusions déposées les 4 avril 2017 et 27 juin 2017 par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de la Société à Responsabilité Limitée A MONTE-CARLO ;
Vu les conclusions déposées le 2 juin 2017 par Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de f. SO. ;
À l'audience du 11 juillet 2017, vu la production de leurs pièces par les conseils des parties ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
La Cour statue sur l'appel relevé par f. SO. à l'encontre d'un jugement du Tribunal du Travail du 29 septembre 2016 ;
Considérant les faits suivants :
f. SO., employé par la société à responsabilité limitée C MONTE-CARLO devenue A MONTE-CARLO, suivant contrat à durée indéterminée, à compter du 27 mai 2011, en qualité de chauffeur de grande remise, s'est vu notifier son licenciement par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 3 mai 2012.
Exposant que la rupture de son contrat de travail n'était pas fondée sur une faute grave ou un motif valable et revêtait un caractère abusif, f. SO. a, ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 7 avril 2014, attrait la SARL C MONTE-CARLO devant le bureau de jugement du Tribunal du Travail à l'effet d'obtenir sa condamnation au paiement des sommes suivantes :
- 14.259,58 euros au titre des salaires impayés de juillet 2011 à avril 2012,
- 7.790,09 euros au titre des heures supplémentaires impayées,
- 4.674,54 euros à titre d'indemnité de licenciement,
- 1.558,18 euros à titre d'indemnité de préavis,
- 10.000 euros à titre de dommages-intérêts,
avec intérêts au taux légal.
La SARL A MONTE-CARLO, tout en concluant à l'incompétence du Tribunal du Travail, a sollicité l'octroi de la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Par jugement en date du 29 septembre 2016, le Tribunal du Travail s'est déclaré incompétent pour statuer sur le litige et a débouté la SARL A MONTE-CARLO de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Au soutien de cette décision, les premiers juges ont pour l'essentiel observé que :
- f. SO. peut se prévaloir d'un contrat de travail apparent en l'état des formalités administratives conduites, d'un bulletin de salaire pour le mois de mai 2012 et d'une lettre de licenciement,
- deux éléments essentiels à l'existence d'un contrat de travail font néanmoins défaut puisqu'il n'a pas été rémunéré durant la période comprise de juillet 2011 à mars 2012 et qu'aucun lien de subordination n'existait avec la SARL C MONTE-CARLO, la preuve d'un contrôle effectif assuré sur sa prestation de travail n'apparaissant pas davantage rapportée.
Suivant exploit en date du 13 janvier 2017, f. SO. a interjeté appel du jugement susvisé du 29 septembre 2016 à l'effet de le voir réformer en toutes ses dispositions, voir déclarer le Tribunal du Travail compétent pour statuer sur ses demandes et voir la Cour dire et juger que :
- la SARL A MONACO, en réalité MONTE-CARLO et Monsieur SO. étaient liés par un contrat de travail,
- condamner la SARL A MONACO, en réalité MONTE-CARLO, au paiement de la somme de 14.259,58 euros au titre des salaires non versés pendant la relation de travail,
- condamner la SARL A MONACO, en réalité MONTE-CARLO, au paiement de la somme de 7.790,09 euros au titre des heures supplémentaires effectuées par Monsieur SO. et non réglées,
- dire et juger que le licenciement de Monsieur SO. est parfaitement injustifié, ne reposant sur aucun motif valable,
- dire et juger que le licenciement de Monsieur SO. est abusif et vexatoire,
- condamner la SARL A MONACO, en réalité MONTE-CARLO au versement de la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts,
- débouter la SARL A MONTE-CARLO de l'intégralité de ses demandes et la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.
À l'appui de cet appel, f. SO. expose en substance, dans son acte d'appel et ses conclusions postérieures, que :
- il n'est pas possible de déduire l'absence de lien salarial du non-paiement des salaires,
- les bulletins de salaire du mois de mai 2011 au mois d'avril 2012 sont produits au départ en cause d'appel,
- les protocoles d'accord signés entre les parties n'ont jamais exclu un quelconque lien de subordination entre elles,
- la société A MONTE-CARLO ne précise pas quelle juridiction serait compétente pour connaître de ce différend,
- Monsieur SO. était rémunéré pour ses fonctions de salarié uniquement et le lien de subordination existait avec la société qui lui donnait des directives tout en lui transférant les demandes des clients,
- en dépit de la bonne exécution de ses obligations dans le cadre de son contrat de travail, il n'a reçu la contrepartie de sa mission qu'au titre de certaines périodes et à l'exclusion des heures supplémentaires, en sorte que les sommes qui lui restent dues s'élèvent à 14.259,58 euros et 7.790,09 euros,
- alors qu'il a été licencié pour faute lourde dans le cadre de cette relation salariale, les motifs invoqués lui apparaissent fallacieux, son employeur lui faisant en réalité grief de ne pas avoir reçu les autorisations administratives nécessaires pour pouvoir effectuer au profit de Monsieur SO. et de son frère la cession des actions de la SARL A MONACO, en réalité MONTE-CARLO.
Le licenciement n'est pas intervenu pour un motif valable et encore moins pour une faute grave en sorte que la SARL A MONACO, en réalité MONTE-CARLO lui doit une équitable réparation tant au titre de l'indemnité de licenciement et de l'indemnité de préavis qu'au titre des dommages-intérêts résultant du caractère abusif et vexatoire de la rupture.
La SARL A MONTE-CARLO, intimée, entend aux termes de l'ensemble de ses écrits judiciaires voir confirmer le jugement entrepris en ce que le Tribunal du Travail s'est déclaré incompétent pour statuer sur le présent litige et, relevant appel incident, sollicite la réformation de cette décision en ce qu'elle a été déboutée des fins de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Elle demande à la Cour, statuant à nouveau, de condamner Monsieur SO. à lui verser la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive.
À titre subsidiaire, si la Cour devait se déclarer compétente, la SARL A MONTE-CARLO entend voir ordonner le renvoi sur le fond.
Au soutien de ses prétentions, la SARL A MONTE-CARLO expose en particulier qu'aux termes du protocole d'accord du 1er mars 2011 Monsieur f. SO. et son frère avaient pris de nombreux engagements et devaient avoir levé les conditions suspensives inhérentes à la cession de l'intégralité des parts sociales, f. SO. devant devenir gérant de la société aussitôt les parts acquises.
Elle précise que Monsieur SO. devait assurer l'activité de l'entreprise et en financer le fonctionnement au préalable dès le 1er mars 2011 sans être encore ni associé, ni gérant, et que dès lors qu'il était nécessaire de lui conférer un statut de salarié, il a été embauché en qualité de chauffeur en extra. Elle ajoute que le protocole du 18 juillet 2011 a porté novation du protocole précédent, f. SO. ayant alors été nommé directeur de la société avec les pouvoirs les plus étendus.
La société intimée précise que Monsieur SO. n'ayant pas effectué les formalités auprès des autorités monégasques et les délais ayant été prorogés à plusieurs reprises, les cessions de parts ont été considérées comme non avenues.
Elle estime que f. SO., apprenant la cession des parts sociales à un nouveau repreneur, a alors saisi le Tribunal du Travail en se déclarant lié par un contrat de travail au titre d'une période comprise entre le mois de juillet 2011 et le mois d'avril 2012 et ce, alors que deux éléments essentiels à l'existence d'une véritable relation salariale faisaient indiscutablement défaut.
La SARL A MONTE-CARLO fait valoir qu'indépendamment de la qualification donnée ou de l'émission de bulletins de paie, il n'est pas prouvé que Monsieur SO. ait exécuté un travail à son profit ou sous son autorité et son contrôle effectif, alors même que les fonctions de dirigeant avec les pouvoirs les plus étendus sont incompatibles avec la qualité de salarié.
Elle en déduit que le présent litige oppose en réalité une société à l'un de ses mandataires sociaux de fait et que le tribunal du travail a justement estimé ne pas être compétent pour connaître de ce différend.
Elle qualifie enfin la présente procédure de dilatoire et d'abusive, l'appelant ne produisant selon elle aucun élément nouveau ni des pièces différentes de celles produites en première instance au soutien de son recours, alors qu'elle a de son côté dû engager des frais pour assurer sa défense en première instance et en cause d'appel.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.
SUR CE,
Attendu que les appels principal et incident ont été régulièrement formés dans les conditions de forme et de délai prévues par le Code de procédure civile et doivent être déclarés recevables ;
Attendu qu'il résulte des dispositions de l'article 1er de la loi n° 446 du 16 mai 1946 que le Tribunal du Travail est compétent pour connaître des différends pouvant s'élever à l'occasion d'un contrat de travail entre les employeurs et les salariés ;
Que si l'article 1er de la loi n° 729 du 16 mars 1963 définit un tel contrat comme la convention aux termes de laquelle une personne s'engage temporairement à exécuter un travail sous l'autorité et au profit d'une autre personne, contre le paiement d'une rémunération déterminée, force est de rappeler que l'existence d'une relation de travail effective ne dépend pas de la qualification donnée par les parties à leur accord, ni même de l'expression apparente de leur volonté, mais exclusivement des conditions et des modalités d'exercice de l'activité considérée ;
Attendu que les premiers juges ont à bon droit relevé qu'en présence d'un contrat de travail apparent il incombe à celui qui se prévaut de fictivité d'en rapporter la preuve, tel étant le cas en l'espèce dès lors que f. SO. se prévaut d'une convention présentant l'apparence d'un contrat de travail en l'état de divers éléments objectifs que sont le permis de travail, l'autorisation d'embauchage, un bulletin de salaire et une lettre de licenciement ;
Attendu que la SARL A MONTE-CARLO a néanmoins versé aux débats les protocoles d'accord successivement signés entre les parties les 1er mars et 18 juillet 2011, aux termes desquels f. SO. a en définitive été désigné comme directeur de la société avec les pouvoirs les plus étendus, ce dernier devant assurer l'activité de l'entreprise, financer les frais de fonctionnement de la société, en ce compris le règlement des loyers, des charges locatives et des charges sociales, alimenter les comptes bancaires et assurer sa propre rémunération et sa couverture sociale tout en devant également pourvoir au salaire du gérant Monsieur LOISIF, lequel s'interdisait tout acte de disposition et ne pouvait faire fonctionner les comptes bancaires qu'avec la signature de f. SO., toutes les décisions engageant la société étant prises en commun ;
Attendu qu'il s'induit du contenu de ces accords que dans l'attente de la réalisation des conditions suspensives relatives aux cessions de parts et en particulier de la délivrance des autorisations administratives requises, Monsieur f. SO. disposait de prérogatives similaires à celles du gérant avec lequel il entretenait des rapports d'associés tout en assumant seul tous les frais liés à l'activité de l'entreprise ;
Qu'il résulte également des pièces produites que f. SO. se comportait dans les faits comme le seul décisionnaire de l'entreprise puisqu'il contrôlait les relations avec l'expert-comptable de la société dont il acquittait les honoraires (pièce 14) en agissant auprès des fournisseurs comme le gérant (pièce 15) ;
Qu'en dépit des bulletins de paie qu'il faisait établir à son nom, il est également constant qu'il n'a perçu aucune rémunération en contrepartie de son activité au cours de la période comprise entre le mois de juillet 2011 le mois d'avril 2012 et qu'il n'a jamais formulé aucune réserve ni une quelconque demande en ce sens ;
Attendu que la SARL A MONTE-CARLO établit donc à suffisance le caractère fictif du contrat de travail invoqué que n'apparaissent pas remettre en cause les particularités inhérentes à l'activité de chauffeur de grande remise, et ce, dès lors qu'aucun élément de la procédure ne démontre que f. SO. aurait reçu des directives du gérant de la société ou aurait subi un contrôle effectif dans l'exécution de ses tâches ;
Qu'à cet égard, les seuls plannings ou échanges de courriels produits aux débats attestent simplement de ce qu'il était informé des trajets et des coordonnées des clients et apparaissent radicalement insuffisants pour établir l'existence d'un lien de subordination entre f. SO. et l'entreprise ;
Attendu en définitive que les premiers juges ont à bon droit estimé que la preuve d'un contrat de travail n'étant pas rapportée, le Tribunal du Travail était incompétent pour connaître du présent litige, en sorte que le jugement du 29 septembre 2016 sera confirmé de ce chef ;
Attendu qu'il n'est pas démontré qu'en exerçant son droit d'action, ou en relevant appel, f. SO. ait fait preuve d'une intention malveillante ou ait commis une faute caractérisant un abus de droit ;
Que les premiers juges ont justement estimé qu'en l'état de l'apparence donnée par les parties au contrat de travail ce dernier avait pu se méprendre sur la portée de ses droits, en sorte que la demande en paiement de dommages-intérêts formée par la SARL A MONTE-CARLO a été légitimement rejetée ;
Attendu que le jugement déféré sera confirmé en toutes ses dispositions ;
Attendu que les dépens d'appel demeurant à la charge de f. SO. qui succombe ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,
statuant publiquement et contradictoirement,
Déclare recevables les appels principal et incident,
Au fond en déboute les parties et confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 29 septembre 2016 par le Tribunal du Travail,
Condamne f. SO. aux entiers dépens d'appel et dit qu'ils seront distraits au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,
Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable,
Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,
Composition🔗
Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Virginie ZAND, Conseiller, Monsieur Paul CHAUMONT, Conseiller, assistés de Madame Nadine VALLAURI, Greffier,
Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,
Lecture est donnée à l'audience publique du 29 SEPTEMBRE 2017, par Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Nadine VALLAURI, Greffier, en présence de Monsieur Jacques DORÉMIEUX, Procureur Général.