Cour d'appel, 29 septembre 2017, La Société A c/ Madame a. V

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Abstract🔗

Responsabilité contractuelle - Teinturier - Faute présumée - Preuve contraire (non) - Dégradation du vêtement - Dommages-intérêts (oui)

Résumé🔗

La faute du teinturier est dite présumée en raison de l'absence d'autres causes possibles de détérioration, étant alors admis qu'il s'induit de la dégradation du vêtement confié une expression de l'inexécution de l'obligation de nettoyage, qui conduit légitimement à renforcer l'obligation de moyen correspondant à la conservation de l'article. En l'espèce, il est établi que la cliente a remis une robe écrue au nettoyage et l'a récupérée grise. La société appelante ne rapporte pas la preuve d'une cause étrangère ou d'une absence de faute ; elle ne justifie pas avoir formulé une quelconque réserve ou prodigué quelques conseils que ce soit lors de la remise du vêtement, et ne démontre pas davantage avoir communiqué à sa cliente les conditions générales de vente avant la délivrance du ticket, la preuve de la présence de l'affichage de ces conditions générales dans la boutique avant la remise du vêtement n'étant pas rapportée. Une indemnisation forfaitaire de 3 000 euros est accordée pour la dégradation de la robe et la privation de jouissance.


Motifs🔗

COUR D'APPEL

ARRÊT DU 29 SEPTEMBRE 2017

En la cause de :

  • - La Société à Responsabilité Limitée dénommée A, immatriculée au Répertoire du Commerce et de l'Industrie de la Principauté de Monaco sous le n° X, exerçant notamment sous l'enseigne « B », dont le siège social est sis X2 à Monaco, agissant poursuites et diligences de son Associé gérant en exercice, Monsieur Grégory SA., domicilié en cette qualité audit siège ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Sophie LAVAGNA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

APPELANTE,

d'une part,

contre :

  • - Madame a. V, née le 1er novembre 1955 à ALGER (Algérie), de nationalité française, médecin, demeurant « X1 », X1 à Monaco ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

INTIMÉE,

d'autre part,

LA COUR,

Vu le jugement rendu par le Tribunal de première instance, le 1er décembre 2016 (R. 1333) ;

Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Patricia GRIMAUD-PALMERO, huissier, en date du 17 janvier 2017 (enrôlé sous le numéro 2017/000083) ;

Vu les conclusions déposées les 25 avril 2017 et 7 juillet 2017 par Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur, au nom d a. V ;

Vu les conclusions déposées le 13 juin 2017 par Maître Sophie LAVAGNA, avocat-défenseur, au nom de la SARL A ;

À l'audience du 11 juillet 2017, vu la production de leurs pièces par les conseils des parties ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel relevé par la SARL A à l'encontre d'un jugement du Tribunal de première instance du 1er décembre 2016.

Considérant les faits suivants :

a. V a acquis le 20 mars 2012 à « La Boutique C » une robe moyennant le prix de 1.410 euros qu'elle a confiée aux fins de nettoyage le 16 septembre 2014 à la société à responsabilité limitée dénommée A exerçant sous l'enseigne B.

Cette robe initialement blanche, lui ayant été restituée de couleur grise après l'intervention de la société, a. V a, par acte d'huissier en date du 17 juillet 2015, fait assigner la société à responsabilité limitée dénommée A exerçant sous l'enseigne B devant le Tribunal de première instance de Monaco aux fins de :

  • - la voir condamner au paiement de la somme de 6.000 euros à titre de dommages et intérêts,

  • - l'autoriser à faire procéder elle-même à la remise en état de la robe,

  • - la condamner à lui restituer la robe à première demande.

Par jugement en date du 1er décembre 2016, le Tribunal de première instance a :

- « condamné la société à responsabilité limitée dénommée A exerçant sous l'enseigne B à payer à a. V la somme de 3.000 euros à titre de dommages-intérêts,

- ordonné à la société à responsabilité limitée dénommée A exerçant sous l'enseigne B de restituer à a. V la robe, remise le 16 septembre 2014 aux fins de nettoyage, dans un délai de huit jours à compter de la signification du présent jugement,

- débouté la société à responsabilité limitée dénommée A exerçant sous l'enseigne B de sa demande de dommages et intérêts,

- condamné la société à responsabilité limitée dénommée A exerçant sous l'enseigne B aux dépens de l'instance ».

Au soutien de cette décision, le Tribunal fait valoir en substance que :

  • - les pièces produites aux débats et l'attestation versée à la procédure démontrent qu'une robe de couleur blanche a été donnée au pressing pour y être nettoyée alors qu'elle était grise au moment de sa restitution à la cliente,

  • - la SARL A ne justifie d'aucune cause étrangère ni même d'une absence de faute à l'origine de ce dommage, en sorte qu'elle apparaît avoir manqué à ses obligations et doit indemniser a. V pour le préjudice subi,

  • - ce préjudice résulte de la dégradation des tissus de la robe, de la privation de jouissance pendant de nombreux mois et des désagréments liés à la nécessité d'introduire une action en justice.

Suivant exploit en date du 17 janvier 2017, la SARL A a interjeté appel du jugement rendu le 1er décembre 2016 par le Tribunal de première instance, signifié le 9 janvier 2017, à l'effet de voir réformer en toutes ses dispositions cette décision et débouter a. V de l'ensemble de ses demandes.

La société appelante soutient qu a. V ne rapporte pas la preuve de l'inexécution par le pressing de ses obligations contractuelles.

Elle précise à cet égard que trois articles ont en réalité été confiés au nettoyage le 16 septembre 2014 ainsi que l'établit le ticket de règlement en date du 22 septembre mentionnant le dépôt d'une robe longue écrue en dentelle, d'une robe courte blanche avec strass et d'une robe courte écrue.

En réalité, a. V a simplement fait état d'une robe d'un blanc immaculé correspondant à une robe du soir sans évoquer la présence de dentelle alors que le ticket de règlement mentionne une robe de couleur écrue en dentelle.

L'appelante estime que la seule robe blanche remise au pressing était une robe courte et non la robe de soirée correspondant à la photographie produite aux débats par a. V.

Elle fait également grief aux premiers juges d'avoir tenu compte de courriers et d'attestations imprécis quant aux circonstances évoquées alors même que le témoignage dont s'agit émane du compagnon de la cliente ce qui permet selon elle de douter de la neutralité de son contenu.

S'agissant d'une prestation confiée au pressing, ce professionnel du nettoyage n'est pas tenu d'une obligation de résultat mais de moyens et ne doit répondre que de sa faute, laquelle n'est pas démontrée en l'espèce.

La SARL A s'estime enfin fondée à se prévaloir des conditions générales de vente affichées dans le pressing et figurant au verso du ticket remis à la cliente le 16 septembre 2014 aux termes desquelles il était prévu en cas de litige la possibilité d'expédier le vêtement au centre technique de la teinturerie et du nettoyage.

L'appelante observe enfin qu'elle a conservé la robe dans l'hypothèse d'une éventuelle expertise, à laquelle ne s'était pas opposée a. V en première instance.

a. V, intimée, entend voir confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 1er décembre 2016 par le Tribunal de première instance et, y ajoutant, entend voir condamner la SARL A exerçant sous l'enseigne « B » à lui payer la somme de 5.000 euros de dédommagement pour les frais de justice supplémentaires engagés suite à son appel manifestement abusif et aux entiers dépens de la cause.

Elle expose pour l'essentiel à l'appui de ses prétentions que :

  • - le ticket qui lui a été remis le 30 septembre 2014 spécifie expressément que la robe courte blanche avec strass et la robe courte écrue lui ont été rendues le 30 septembre,

  • - elle verse aux débats la facture d'achat de la robe détériorée qui est bien de couleur blanche,

  • - cette couleur est confirmée par son compagnon dans le cadre d'une attestation régulière en la forme,

  • - une photographie prise le 9 juillet 2012 au cours du dîner aux chandelles de la Mairie de Monaco démontre que la robe objet du litige était d'un blanc immaculé,

  • - lorsque le vêtement confié est détérioré au cours du nettoyage c'est l'obligation de conservation qui est en cause, la détérioration du bien confié laissant présumer la faute commise par le professionnel,

  • - cette présomption de faute ne peut être combattue que par la preuve d'une cause étrangère d'une absence de faute,

  • - le pressing lui a verbalement proposé, à l'occasion de la restitution des deux autres robes, la gratuité des prestations relativement à ces deux articles, ce qui prouve incontestablement la reconnaissance de responsabilité de la part de ce professionnel concernant la robe détériorée,

  • - l'obligation de conseil ou de mise en garde du professionnel constitue une obligation accessoire lui imposant d'avertir le client des risques inhérents au nettoyage au regard du tissu ou de l'état du vêtement,

  • - s'agissant des conditions générales de vente, la délivrance du ticket de caisse qui les reproduit n'intervient qu'après la concrétisation de l'accord relatif à la remise de la chose par le client, et la préexistence de leur affichage en magasin ne s'induit pas des circonstances de la cause en sorte que les conditions générales de vente ne sont pas opposables à la cliente,

  • - à supposer ces conditions générales opposables à la cliente, l'envoi de l'article détérioré pour expertise au centre technique de la teinturerie et du nettoyage n'est prévu que dans un cadre amiable et hors procédure judiciaire tandis que la prévision d'une indemnisation qui n'excéderait pas le barème en cours est inopérante dès lors qu'il n'a pas été porté à la connaissance du client au moment de la transaction,

  • - a. V a enjoint l'entreprise de nettoyage de lui restituer sa robe dans son état d'origine et ce afin d'aboutir à une proposition de règlement amiable du litige, et l'enseigne B n'a pourtant pas jugé utile d'envoyer l'article pour expertise au centre technique de la teinturerie et du nettoyage supprimant elle-même ainsi de la mise en oeuvre de ses propres conditions générales.

La SARL A réitérant le bénéfice de son acte d'appel insiste par conclusions en réponse sur l'absence de démonstration d'une faute lui incombant dans l'exécution de la prestation confiée.

Elle déplore également que l'expertise n'ait pas été ordonnée par les premiers juges, la privant ainsi de ses moyens de défense dans le cadre d'un procès équitable ; selon elle, seule cette mesure d'investigation ou un constat d'huissier aurait pu établir le manquement par l'entreprise prestataire à ses obligations contractuelles.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.

SUR CE,

Attendu que l'appel interjeté par la SARL A dans les conditions de forme et de délai prescrites par le Code de procédure civile apparaît régulier et doit être déclaré recevable ;

Attendu qu'il résulte des dispositions non équivoques de l'article 1162 du Code civil que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver et, réciproquement, que celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait ayant produit l'extinction de son obligation ;

Qu'il s'induit par ailleurs des dispositions de l'article 1627 du Code civil que dans l'hypothèse où l'ouvrier fournit seulement son travail ou son industrie, ce dernier n'est tenu que de sa faute si la chose vient à périr ;

Attendu que tel est notamment le cas d'une prestation de nettoyage confiée à une société exerçant l'activité de pressing, le prestataire ayant une double obligation au regard des vêtements confiés, une obligation de résultat quant à l'action de nettoyage et de restitution de l'article confié et une obligation de moyen renforcée en ce qui concerne la conservation dudit vêtement ;

Qu'à cet égard, la faute du teinturier est dite présumée en raison de l'absence d'autres causes possibles de détérioration, étant alors admis qu'il s'induit de la dégradation du vêtement confié une expression de l'inexécution de l'obligation de nettoyage, qui conduit légitimement à renforcer l'obligation de moyen correspondant à la conservation de l'article ;

Qu'en l'état des dispositions légales et principes susvisés, une présomption de faute apparaît ainsi applicable à l'ouvrier qui fournit son travail et restitue aux clients une chose détériorée, c'est-à-dire se trouvant en plus mauvais état qu'un vêtement qui n'aurait pas été nettoyé, laquelle ne peut être combattue que par la preuve d'une cause étrangère ou une absence de faute ;

Attendu qu'il résulte des faits constants de l'espèce que a. V a acheté le 20 mars 2012 une robe au magasin C moyennant un prix de 1.410 euros qu'elle a confiée le 16 septembre 2014 auprès de la société à responsabilité limitée dénommée A exerçant sous l'enseigne B située au X4 à Monaco pour un nettoyage ;

Que le ticket de règlement remis à cette cliente le 22 septembre 2014 révèle que trois articles ont été confiés au nettoyage : une robe longue écrue en dentelle, une robe courte blanche avec strass et une robe courte écrue, seuls les deux derniers articles ayant été rendu le 30 septembre 2014 à a. V ;

Que suivant courrier recommandé avec accusé de réception en date du 6 octobre 2014 adressé à ce prestataire de services, a. V rappelait avoir confié le 16 septembre à l'entreprise B une robe en dentelle de couleur blanche immaculée pour nettoyage à sec et avoir constaté que la robe était, après nettoyage, de couleur grise ;

Qu'elle expliquait aux termes de ce courrier que la vendeuse s'en était excusée et avait repris la robe dans le but de la faire revenir dans son état initial mais qu'aucune solution n'ayant pu être apportée, elle avait été contrainte de la mettre en demeure de trouver une solution raisonnable pour résoudre cette faute professionnelle sous huit jours ;

Qu'aux termes d'un second courrier en date du 18 novembre 2014, le conseil de a. V a réitéré cette mise en demeure ;

Attendu que l'attestation établie le 17 mai 2016 par Monsieur RA. respecte toutes les conditions de forme énoncées par l'article 324 du Code de procédure civile et apparaît suffisamment circonstanciée pour démontrer que la robe était initialement blanche avant de devenir « grise » au moment de la restitution par le pressing après nettoyage ;

Qu'il n'est pas davantage établi qu'un tel témoignage serait de complaisance et ce, alors même que la photographie versée aux débats et l'échantillon de tissu remis aux premiers juges corroborent de façon convergente la couleur du vêtement remis au nettoyage, le ticket de caisse évoquant également une robe écrue, c'est-à-dire d'une nuance blanche naturelle ;

Attendu que sa faute étant présumée il appartenait donc à la SARL A de démontrer l'existence d'une cause étrangère ou de rapporter la preuve d'une absence de faute à l'origine de la détérioration de la robe de a. V ;

Mais attendu que la société appelante ne procède nullement à une telle démonstration dès lors qu'elle ne justifie pas avoir formulé une quelconque réserve ou prodigué quelques conseils que ce soit lors de la remise du vêtement pour nettoyage, et ne démontre pas davantage avoir communiqué à sa cliente les conditions générales de vente avant la délivrance du ticket consacrant la souscription du contrat de fourniture de services, la preuve de la présence de l'affichage de ces conditions générales dans la boutique avant la remise du vêtement n'étant pas rapportée ;

Attendu que les premiers juges ont donc à bon droit retenu le principe de la responsabilité incombant à la SARL A exerçant sous l'enseigne B tout en réparant le préjudice résulté de la dégradation de la robe mais aussi de la privation de jouissance de ce vêtement et des désagréments liés à la nécessité d'introduire une action en justice en octroyant une indemnisation forfaitaire de 3.000 euros ;

Attendu que le jugement entrepris en date du 1er décembre 2016 sera donc confirmé en toutes ses dispositions ;

Attendu qu'il n'est pas établi qu'en relevant appel du jugement déféré, la SARL A ait fait preuve de résistance abusive ou ait été animée d'une intention malveillante à l'égard de son contradicteur ni n'ait commis de faute caractérisant un abus de droit, en sorte que la demande de dommages-intérêts pour appel abusif sera rejetée ;

Attendu que les dépens d'appel demeureront à la charge de la SARL A ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant publiquement et contradictoirement,

Reçoit l'appel de la SARL A,

Au fond l'en déboute et confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 1er décembre 2016 par le Tribunal de première instance,

Déboute a. V des fins de sa demande de dommages-intérêts pour appel abusif,

Condamne la SARL A aux dépens distraits au profit de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur sous sa due affirmation,

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable,

Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,

Composition🔗

Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Virginie ZAND, Conseiller, Monsieur Paul CHAUMONT, Conseiller, assistés de Madame Nadine VALLAURI, Greffier,

Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,

Lecture est donnée à l'audience publique du 29 SEPTEMBRE 2017, par Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Nadine VALLAURI, Greffier, en présence de Monsieur Jacques DORÉMIEUX, Procureur Général.

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