Cour d'appel, 29 septembre 2017, La Société Anonyme B c/ Monsieur g. IO.

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Abstract🔗

Contrat de travail - Maladie professionnelle - Loi n° 444 du 16 mai 1946 - Tableau n° 57 - Homologation du rapport d'expertise - Désignation d'un nouvel expert (non)

Résumé🔗

En l'espèce, le salarié exerce la profession de peintre en bâtiment, activité impliquant la répétition quotidienne de mouvements consistant notamment en une élévation du bras accompagnée d'efforts effectués de bas en haut. Ces mouvements correspondent à la liste des travaux susceptibles de provoquer la maladie professionnelle n° 57 de l'épaule. Si l'assureur estime que sa pathologie correspondrait à l'évolution naturelle d'un état antérieur rhumatismal et qu'il présentait une tendinopathie calcifiante de la coiffe des rotateurs en relation avec le seul état rhumatismal, la Cour estime que ces critiques ne sont pas pertinentes dès lors que la prise en charge de cette maladie professionnelle n'est pas liée au caractère non calcifiant de cette pathologie et que l'existence d'un état antérieur rhumatismal ne s'oppose pas à la qualification de maladie professionnelle. Par ailleurs, le taux proposé par le médecin de la compagnie d'assurances ne correspond pas au barème fixé par l'arrêté ministériel du 14 janvier 1947. Il en résulte que l'avis du médecin de la compagnie d'assurances ne suffit pas à invalider les conclusions de l'expert judiciaire qui estime qu'il persiste une IPP rattachable à la maladie professionnelle évaluée à 15 % et que la Cour homologue, avec toutes les conséquences de droit.


Motifs🔗

COUR D'APPEL

ARRÊT DU 29 SEPTEMBRE 2017

En la cause de :

  • - La société anonyme B, immatriculée au RCS de Nanterre sous le n° X, dont le siège social est à Paris La Défense Cedex, X2, agissant poursuites et diligences de son Président du conseil d'administration et Directeur général en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

APPELANTE,

d'une part,

contre :

  • - Monsieur g. IO., né le 5 novembre 1959 à Macari (Italie), de nationalité italienne, demeurant à Camporosso, 18033 (Italie), Via X1 ;

Bénéficiaire de plein droit de l'assistance judiciaire au titre de la législation sur les accidents du travail.

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Patricia REY, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

INTIMÉ,

d'autre part,

LA COUR,

Vu le jugement rendu par le Tribunal de première instance, le 12 janvier 2017 (R.2161) ;

Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 10 février 2017 (enrôlé sous le numéro 2017/000097) ;

Vu les conclusions déposées les 4 avril 2017 et 20 juin 2017 par Maître Patricia REY, avocat-défenseur, au nom de g. IO. ;

Vu les conclusions déposées le 16 mai 2017 par Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur, au nom de la société anonyme B ;

À l'audience du 27 juin 2017, vu la production de leurs pièces par les conseils des parties ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel relevé par la société anonyme B à l'encontre d'un jugement du Tribunal de Première Instance du 12 janvier 2017.

Considérant les faits suivants :

g. IO. est employé par la société A en qualité de peintre en bâtiment.

En raison de douleurs apparues à l'épaule droite à la fin de l'année 2012, le médecin du travail lui a prescrit un bilan échographique.

Cet examen, pratiqué le 26 décembre 2012, a révélé « la présence de micro calcifications se projetant au niveau du sous-scapulaire et du sus-épineux rentrant dans le cadre de remaniements de périarthrite scapulo-humérale. Pas de signes de rupture ou d'amincissement des tendons de la coiffe. Le tendon du long biceps est en place dans sa gouttière. Pas de signe de bursite sous-acromiale. Quelques remaniements dégénératifs au niveau de l'articulation acromio-claviculaire ».

Des séances de rééducation de l'épaule droite, des traitements antalgiques et anti-inflammatoires ainsi qu'une infiltration locale de corticoïdes ont été prescrits à g. IO..

Une I. R. M. a été pratiquée le 18 février 2014, révélant une « arthropathie dégénérative acromio-claviculaire avec hypertrophie capsulaire oedémateuse et minime inflammatoire mécanique du tiers distal de la clavicule et de la surface antérieure acromiale. Minime bursite réactionnelle sous-acromiale ».

Le 28 avril 2014, le Docteur LASCAR a délivré à g. IO. un certificat médical précisant qu'il présentait « une pathologie pouvant entrer dans le cadre d'une maladie professionnelle au titre du tableau 57 du Code de la santé et du travail : rupture coiffe (sus-épineux) épaule droite ».

Le médecin du travail a considéré que g. IO. était « atteint d'une pathologie professionnelle réparable au titre du tableau 57 du régime général car il présente une pathologie articulaire à type de tendinopathie de la coiffe des rotateurs de l'épaule droite avec fissure musculaire et œdème réactionnel documenté le 26 décembre 2012, date de la constatation de sa pathologie médicale. Cette pathologie entraîne des douleurs et une gêne fonctionnelle des membres supérieurs et nécessite une prise en charge thérapeutique au titre de la réparation des maladies professionnelles ».

Le 15 septembre 2014, g. IO. a subi une intervention chirurgicale consistant en une suture du sus-épineux, avec ténotomie proximale du biceps, section du ligament acromio-coracoïdien et acromioplastie.

Le compte-rendu opératoire du 19 septembre 2014 précise : « Patient présentant une rupture de la coiffe des rotateurs de l'épaule droite au niveau du supra spinatus ».

g. IO. est resté en arrêt de travail du 14 septembre 2014 au 18 mars 2015, date de la reprise de son travail à la société A, au même poste.

Les soins ont été prolongés jusqu'au 16 juin 2015, date à laquelle un certificat de consolidation a été délivré, avec IPP.

Par ordonnance en date du 25 juin 2015, le Juge chargé des accidents du travail a désigné comme expert le Docteur GHURGHEGUIAN.

Ce dernier a établi son rapport le 20 juillet 2015 et a conclu en ces termes :

  • « - maladie professionnelle du 26 décembre 2012,

  • - durée des soins : du 26 décembre 2012 au 16 juin 2015,

  • - ITT : du 14 septembre 2014 au 17 mars 2015,

  • - reprise du travail le 18 mars 2015,

  • - consolidation : 16 juin 2015,

  • - il persiste une IPP rattachable à la maladie professionnelle évaluée à 15 %,

  • - la victime a conservé son emploi, sans diminution de salaire, au sein de la même entreprise,

  • - il ne convient pas de faire apprécier la capacité résiduelle de gain de la victime par la commission spéciale ».

Par courrier en date du 27 juillet 2015, la compagnie B, assureur-loi de la société A, a informé le Juge chargé des accidents du travail qu'elle n'entendait pas se concilier sur les conclusions de l'expert judiciaire.

Une ordonnance de non-conciliation a été rendue le 30 juillet 2015.

Par exploit d'huissier en date du 3 mars 2016, g. IO. a fait assigner la compagnie B devant le Tribunal de Première Instance aux fins d'homologation du rapport d'expertise du Docteur GHURGHEGUIAN.

Par jugement contradictoire en date du 12 janvier 2017, le Tribunal de Première Instance a statué ainsi qu'il suit :

  • « - homologue le rapport d'expertise du Docteur GHURGHEGUIAN avec toutes conséquences de droit,

  • - condamne la SA B aux dépens, distraits au profit de Maître Patricia REY, avocat-défenseur, sous son affirmation de droit,

  • - met les dépens de la présente instance à la charge de la SA B, dont distraction au profit de l'administration qui en poursuivra le recouvrement comme en matière d'enregistrement conformément aux dispositions de l'article 19 de la loi n° 1.378 du 18 mai 2011 ».

Pour décider que la pathologie de g. IO. satisfaisait aux conditions posées par la loi n° 444 du 16 mai 1946 tableau n° 57, le Tribunal de Première Instance a retenu que :

  • - la pathologie de l'épaule présentée par g. IO., correspondant à une rupture de la coiffe des rotateurs, relève de la troisième forme décrite dans le tableau de la maladie professionnelle n° 57, dont la prise en charge n'est pas subordonnée au caractère non calcifiant de cette pathologie,

  • - la société B ne soutient pas que l'état antérieur serait la cause d'une réduction de la capacité de travail de l'intéressé,

  • - l'existence d'un état antérieur rhumatismal ne s'oppose pas à la qualification de maladie professionnelle de la pathologie présentée par g. IO.,

  • - l'activité de peintre en bâtiment entre dans le cadre des travaux décrits par le tableau n° 57.

Par exploit d'appel et assignation délivré le 10 février 2017, la société anonyme B a relevé appel de cette décision.

Aux termes de cet exploit et des conclusions qu'elle a déposées le 16 mai 2017, la société appelante demande à la Cour de :

  • « - voir recevoir la compagnie B en son appel, et le dire fondé,

  • - voir réformer le jugement du Tribunal de Première Instance du 12 janvier 2017 en ce qu'il a homologué le rapport d'expertise judiciaire du Docteur GHURGHEGUIAN du 20 juillet 2015,

et statuant à nouveau,

  • - voir désigner tel nouvel expert qu'il plaira avec même mission que celle précédemment confiée au Docteur GHURGHEGUIAN,

  • - voir condamner Monsieur IO. aux entiers dépens, en ce compris tous frais et accessoires, tant de première instance que de cause d'appel, dont distraction au profit de Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ».

Au soutien de son appel, la société B fait valoir, essentiellement, que le rapport du Docteur GHURGHEGUIAN est particulièrement succinct, qu'il a été soumis à l'analyse du médecin-conseil de la compagnie d'assurances, le Docteur BORGIA, et que ce dernier a pu conclure, au vu notamment du certificat médical du Docteur FAL, de l'échographie réalisée le 26 décembre 2012, de l'ordonnance du Docteur BROCQ, que g. IO. présentait une pathologie rhumatismale, reconnue par les examens médicaux pratiqués, ne relevant pas de la qualification de maladie professionnelle, mais d'un état antérieur, dont l'expert judiciaire n'a pas tenu compte.

La société appelante fait, par ailleurs, valoir que le taux d'IPP de 15 % retenu par l'expert doit être reconsidéré, ne pouvant excéder 4 % pour une simple dolorisation.

Aux termes des conclusions déposées le 4 avril 2017 et le 20 juin 2017, g. IO. demande à la Cour de :

  • « Débouter la SA B de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

  • - confirmer en toutes ses dispositions le jugement querellé du Tribunal de Première Instance en date du 12 janvier 2017,

  • - condamner la SA B aux entiers dépens, tant de première instance que d'appel, dont distraction au profit de Maître Patricia REY, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ».

g. IO. soutient que le rapport d'expertise du Docteur GHURGHEGUIAN doit être homologué et relève que l'appelante ne rapporte pas la preuve que ce rapport comporterait des lacunes, des erreurs ou des omissions.

Il se réfère au tableau n° 57 de la loi n° 444 du 16 mai 1946 répertoriant les maladies relatives à l'épaule pour en conclure que la pathologie qu'il présente correspond, en tous points, à la troisième forme de la maladie professionnelle relative à l'épaule, l'emploi de peintre en bâtiment qu'il occupe concordant à la liste limitative des travaux susceptibles de provoquer ladite pathologie.

Enfin, il fait valoir que le taux d'IPP de 15 % retenu par l'expert correspond au pourcentage d'invalidité proposé, pour ce type de pathologie, par l'arrêté ministériel du 14 janvier 1947.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.

SUR CE,

  • 1- Attendu que l'appel, relevé dans les conditions et délai fixés par le Code de procédure civile, est régulier et recevable ;

  • 2- Attendu qu'il résulte des dispositions d'ordre public de la loi n° 444 du 16 mai 1946 étendant aux maladies professionnelles la législation sur les accidents du travail que sont considérées comme des maladies professionnelles les affections aiguës ou chroniques se trouvant mentionnées dans des tableaux annexés à la loi, lorsque celles-ci atteignent des employés habituellement occupés aux travaux correspondants ;

Attendu que le tableau de la maladie professionnelle n° 57 relatif aux maladies de l'épaule décrit les trois formes suivantes :

  • - tendinopathie aiguë non rompue non calcifiante avec ou sans enthésopathie de la coiffe des rotateurs,

  • - tendinopathie chronique non rompue non calcifiante avec ou sans enthésopathie de la coiffe des rotateurs objectivée par IRM,

  • - rupture partielle ou transfixiante de la coiffe des rotateurs objectivée par IRM.

Que la liste limitative des travaux susceptibles de provoquer la maladie professionnelle n° 57 relative à l'épaule sont les suivants :

  • - travaux comportant des mouvements ou le maintien de l'épaule sans soutien en abduction avec un angle supérieur ou égal à 60° pendant au moins 3h30 par jour en cumulé,

  • - travaux comportant des mouvements ou le maintien de l'épaule sans soutien en abduction avec un angle supérieur ou égal à 60° pendant au moins deux heures par jour en cumulé avec un angle supérieur ou égal à 90° pendant au moins une heure par jour en cumulé ;

Attendu qu'au cas d'espèce, g. IO. exerce le métier de peintre en bâtiment, activité professionnelle qu'il indique pratiquer depuis l'année 1978 -le rapport du Docteur GHURGHEGUIAN page 2 - ;

Qu'une telle activité implique la répétition au quotidien de mouvements consistant notamment en une élévation du bras, - le droit en l'occurrence, g. IO. étant droitier -, accompagnée d'efforts effectués de bas en haut, bras tendu, lors des travaux de peinture au rouleau, d'application d'enduit et de ponçage, manuel ou par machine, effectués sur les murs ;

Que le peintre en bâtiment répète ces gestes durant la majeure partie de son temps de travail ;

Que ces mouvements correspondent à la liste des travaux susceptibles de provoquer la maladie professionnelle n° 57 de l'épaule, ce qui n'est pas contesté ;

Que les critiques émises par la société appelante à l'encontre du rapport du Docteur GHURGHEGUIAN sur le fondement du rapport du Docteur BORGIA, tenant d'une part, au fait que la pathologie du salarié correspondrait à l'évolution naturelle d'un état antérieur rhumatismal sans lien direct et certain avec une quelconque activité professionnelle, d'autre part, que g. IO. présentait une tendinopathie calcifiante de la coiffe des rotateurs en relation avec le seul état rhumatismal, ne sont pas pertinentes dès lors que :

  • - la pathologie présentée par g. IO., soit « une rupture de la coiffe des rotateurs de l'épaule droite au niveau du supra spinatus » -compte rendu opératoire du 15 septembre 2014-, relève de la troisième forme de la maladie professionnelle, qui ne subordonne pas, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, sa prise en charge au caractère non calcifiant de cette pathologie,

  • - aux termes de l'arrêté du 14 janvier 1947, il n'y a pas lieu de tenir compte d'une maladie qui existait déjà réellement si cette maladie n'était, à ce moment, la cause d'aucune réduction de la capacité de travail, en sorte qu'au cas d'espèce, l'existence d'un état antérieur rhumatismal ne s'oppose pas à la qualification de maladie professionnelle ;

Attendu que, par ailleurs, la SA B fait grief au rapport d'expertise judiciaire d'avoir fixé le taux d'IPP à 15 % alors que, selon le Docteur BORGIA, un taux de 4 % correspondrait davantage à « une dolorisation simple » ;

Mais attendu que l'arrêté ministériel du 14 janvier 1947 fixant le taux d'incapacité des victimes d'accidents du travail énonce, pour les raideurs articulaires de l'épaule droite portant principalement sur la propulsion, l'abduction et la rotation, un pourcentage d'invalidité de 5 à 30 ;

Qu'ainsi, le taux proposé par le médecin de la compagnie d'assurances ne correspond pas à ce barème ;

Qu'en définitive, l'avis du Docteur BORGIA ne suffit pas à invalider les conclusions de l'expert judiciaire ;

Qu'au regard de l'ensemble de ces éléments, le jugement entrepris sera confirmé ;

  • 3- Attendu que succombant en son appel, la société B en supportera les entiers dépens ;

Qu'imputables à l'adversaire d'une partie bénéficiant de l'assistance judiciaire, ils seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 19 de la loi n° 1.378 du 18 mai 2011.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant publiquement et contradictoirement,

Reçoit l'appel,

Confirme le jugement rendu le 12 janvier 2017 par le Tribunal de Première Instance en toutes ses dispositions,

Condamne la société anonyme B aux entiers dépens d'appel distraits au profit de l'Administration qui en poursuivra le recouvrement comme en matière d'enregistrement, conformément aux dispositions de l'article 19 de la loi n° 1.378 du 18 mai 2011.

Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.

Composition🔗

Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, Monsieur Éric SENNA, Conseiller, assistés de Madame Nadine VALLAURI, Greffier,

Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,

Lecture est donnée à l'audience publique du 29 SEPTEMBRE 2017, par Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Nadine VALLAURI, Greffier, en présence de Monsieur Jacques DOREMIEUX, Procureur Général.

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