Cour d'appel, 11 juillet 2017, La Société coopérative A. c/ La Société B.
Abstract🔗
Banque – Responsabilité – Faute (non) – Preuve
Résumé🔗
Attendu que la présente action tendant à mettre en œuvre la responsabilité de la SAM B. suppose nécessairement que soit rapportée la preuve d'une faute commise par cet établissement bancaire mais aussi du préjudice qui en serait directement résulté pour la société A. demanderesse. En l'espèce, la preuve n'est donc pas rapportée par la société A. d'une faute commise par la SAM B. lors du rejet du chèque émis par son client, ni au demeurant du préjudice qui serait objectivement résulté pour elle de l'utilisation du code de rejet retenu par cet établissement bancaire, en sorte que les premiers juges l'ont à bon droit débouté de l'ensemble de ses demandes d'indemnisation.
Motifs🔗
COUR D'APPEL
ARRÊT DU 11 JUILLET 2017
En la cause de :
- La Société coopérative A., immatriculée au RCS de Draguignan sous le n° X, dont le siège social est X1 à DRAGUIGNAN (83300), agissant poursuites et diligences de son directeur de succursale, en exercice, et demeurant en cette qualité, 23 boulevard Princesse Charlotte à Monaco ;
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
APPELANTE,
d'une part,
contre :
- La Société Anonyme Monégasque B., immatriculée au R. C. I. de Monaco sous le n° X, dont le siège social est X2 à Monaco, prise en la personne de son Administrateur Délégué en exercice, demeurant et domicilié en cette qualité audit siège ;
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
INTIMÉE,
d'autre part,
LA COUR,
Vu le jugement rendu par le Tribunal de première instance, le 19 mai 2016 (R. 5311) ;
Vu l'exploit d'appel parte in qua et d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 13 juillet 2016 (enrôlé sous le numéro 2017/000005) ;
Vu les conclusions déposées les 29 novembre 2016 et 14 mars 2017 par Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur, au nom de la SAM B. ;
Vu les conclusions déposées les 17 janvier 2017 et 25 avril 2017 par Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur, au nom de la SOCIÉTÉ COOPÉRATIVE A. ;
À l'audience du 6 juin 2017, ouï les conseils des parties en leurs plaidoiries ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
La Cour statue sur l'appel relevé par la SOCIÉTÉ COOPÉRATIVE A. à l'encontre d'un jugement du Tribunal de première instance du 19 mai 2016.
Considérant les faits suivants :
Le 2 décembre 2014, la Société Coopérative A. a fait assigner la SAM B. en responsabilité et en paiement en faisant valoir pour l'essentiel que le 10 juillet 2012, Mme m. MA., titulaire d'un compte dans ses livres avait présenté à l'encaissement un chèque n° 1531219 d'un montant de 75.000 euros tiré par M. r. BE. sur la banque C. de Monaco et daté du ler février 2012 et que la SAM B. (venant aux droits de la banque C., suivant acte de cession du 30 novembre 2006) avait refusé irrégulièrement le paiement dudit chèque sous le motif « IC inexploitable » (code 55), ce document ne présentant aucune irrégularité formelle.
La SAM B. (ci-après B.) concluait à la responsabilité de la société A. et au rejet de ses demandes en exposant notamment que la société A. avait présenté huit fois de suite un chèque rejeté par la concluante pour le même motif IC55 et avait en réalité été avisé de ce que le chèque était tiré sur un compte déjà clôturé, estimant par ailleurs que la pratique bancaire aurait dû contraindre cet établissement à ne pas attendre six mois et huit rejets pour envisager de débiter le compte de sa cliente.
La SAM B. observait également que face aux rejets multiples, la société A. aurait dû adresser une demande de remboursement hors système de compensation, ce qui lui aurait permis d'obtenir une information complète dans un délai raisonnable, la période écoulée illustrant selon elle la désinvolture de cet établissement bancaire.
Suivant jugement en date du 19 mai 2016 le Tribunal de première instance a :
- « dit que la SAM B. n'a pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité à l'égard de la Société Coopérative A. ;
- débouté la Société Coopérative A. de ses demandes de dommages-intérêts,
- débouté la SAM B. de ses demandes de dommages-intérêts,
- mis les dépens à la charge de la Société Coopérative A. ».
Au soutien de cette décision le Tribunal a en substance relevé que :
- le 1er février 2012, M. r. BE. a émis un chèque d'un montant de 75.000 euros au bénéfice de Mme m. MA., tiré sur un compte de la banque C. à Monaco,
- ce chèque a été déposé par la bénéficiaire à sa banque la société A. Côte d'Azur, qui dit avoir crédité son compte,
- ce chèque a fait l'objet de plusieurs rejets successifs par la SAM B., venant aux droits de la banque C., six d'entre eux pour le même motif ainsi libellé : « présentation irrégulière, IC inexploitable (55) »,
- il n'est pas discuté par la défenderesse que le compte ouvert par M. BE. était clôturé et ce, bien avant l'émission du chèque et elle n'a cependant pas fait état de la clôture de compte qui relève de la catégorie « rejets bancaires »,
- la société A. fait état sans en justifier d'un usage bancaire de ne pas procéder au débit du compte pour un motif de rejet technique.
- la société A. ne démontre pas en quoi l'utilisation du code 52 « banque hors échange » (figurant dans les rejets techniques) comme motif de rejet du chèque, lui aurait permis d'agir et de sauvegarder ses droits à la différence du code 55,
- la société A. ne caractérise en définitive nullement à l'encontre de la SAM B. l'existence d'une faute l'ayant empêchée de contre-passer le chèque rejeté par la banque du tiré.
Suivant exploit en date du 13 juillet 2016, la société A. a interjeté appel du jugement susvisé, signifié le 14 juin 2016, à l'effet de le voir réformer en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté la SAM B. de ses demandes reconventionnelles radicalement infondées.
Il entend voir la Cour statuer à nouveau au visa des dispositions de l'article 1229 du Code civil et :
- dire et juger que la SAM B. a commis une faute engageant sa responsabilité,
- dire qu'elle en doit nécessairement réparation,
- par suite condamner la SAM B. à lui payer une somme de 75.000 euros à titre de dommages-intérêts, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 13 mai 2013,
- condamner la SAM B. à lui payer une somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Au soutien de son appel, la banque A. observe que le chèque litigieux relève de l'échange interbancaire des chèques régi par le règlement numéro 2000-04 du CRBF du 29 octobre 2000 et de la convention professionnelle sur l'échange d'images - chèque organisant la compensation des chèques présentés sous forme dématérialisée et fait valoir qu'il s'induit de ce règlement une liste des codes correspondant aux motifs de rejet et de retour.
Elle estime que la SAM B. devait viser le motif réel correspondant à la clôture du compte avant l'émission du chèque, c'est-à-dire un rejet bancaire et non un rejet technique. En effet le motif compte clôturé, correspondant au code 62, ne relève pas des rejets techniques mais bien des rejets pour motif bancaire et la SAM B. ne pouvait pas se méprendre sur ce point, sachant selon elle pertinemment que le chèque ne présentait aucune irrégularité formelle et que le rejet technique au motif « 55 IC inexploitable » ne pouvait pas être utilisé.
L'appelante fait dès lors grief aux premiers juges de ne pas avoir retenu l'existence d'une faute à l'encontre de la SAM B. ayant consisté à user d'un motif fallacieux empêchant la société A. de réserver ses droits dans la mesure où le chèque n'ayant pas été rejeté pour compte clôturé, cet établissement bancaire n'a pu imputer le rejet pour absence de provision sur le compte du bénéficiaire dans les délais interbancaires.
La faute commise par la SAM B. ne lui a pas permis d'apprécier la réelle situation ni d'en tirer les conséquences envers la cliente, son préjudice étant indiscutable puisque la SAM B. refuse de provisionner ce chèque.
La SAM B., intimée, entend pour sa part voir confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a dit qu'elle n'a pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité à l'égard de la Société A. et a débouté cette dernière de ses demandes en dommages et intérêts tout en mettant les dépens à sa charge.
Relevant appel partiel à titre incident, la SAM B. entend voir réformer le jugement déféré et demande à la Cour de condamner la société A. à lui payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par la procédure abusive mise en œuvre, outre une somme de 10.000 euros en compensation des frais d'instance engagés.
Elle expose aux termes de l'ensemble de ses écrits judiciaires que :
- l'argumentation de la société A. fondée sur une prétendue erreur du motif de rejet est inopérante, les pièces adverses ne faisant pas référence au code de rejet utilisé dans le cadre du système d'échange interbancaire et ne fournissant aucune explication sur le motif technique du rejet,
- elle n'était elle-même soumise à aucune obligation de contrôle physique du chèque litigieux, une telle vérification étant simplement possible dans le système d'images chèque,
- la SAM B. était fondée à utiliser le code de rejet technique IC 55 dès lors que le système avait détecté sur la ligne magnétique de la banque C. un compte dont le numéro était inexistant du fait de son absorption par la SAM B.,
- en effet, la reprise de la banque C. a conduit à une transformation de l'ensemble des comptes qui sont passés sous le libellé de la SAM B. en sorte que le code IC 55 était approprié,
- la société A. a délibérément choisi de ne pas contre-passer le chèque litigieux et s'est abstenu de contacter sa cliente pour lui demander d'obtenir des informations de la part du tireur du chèque,
- le document intitulé « communication adhérents » de la Fédération Bancaire Française du 30 juin 2005 ne pose aucune interdiction pour la banque, qui présente le chèque rejeté pour motif technique, d'imputer les sommes indûment perçues sur le compte des clients bénéficiaires,
- la société A. a fait preuve de légèreté et de négligence blâmable en représentant à l'encaissement le chèque à de multiples reprises malgré les rejets précédents,
- conformément à la pratique en la matière la société A. aurait dû adresser à la SAM B. un courrier de demande de remboursement hors système de compensation cette pratique consistant à demander le règlement du chèque en obtenant une information complète dans un délai raisonnable, et ce en dehors d'un système automatisé,
- le chèque litigieux étant d'un montant de 75.000 euros, une telle somme aurait dû contraindre la société A. à faire preuve de diligences,
- l'appelante a usé de manœuvres fautives et a adopté une attitude l'ayant contrainte à consacrer du temps pour organiser sa défense.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.
SUR CE,
Attendu que les appels principal et incident ont été régulièrement formés conformément aux règles de forme et de délais prescrites par le Code de procédure civile et doivent être déclarés recevables ;
Attendu que la présente action tendant à mettre en œuvre la responsabilité de la SAM B. suppose nécessairement que soit rapportée la preuve d'une faute commise par cet établissement bancaire mais aussi du préjudice qui en serait directement résulté pour la société A. demanderesse ;
Attendu qu'il est constant et non discuté que le 1er février 2012 Monsieur r. BE. a émis un chèque d'un montant de 75.000 euros tiré sur l'établissement bancaire C. banque à Monaco, au bénéfice de Madame m. MA., laquelle s'en est vu créditer le montant par sa propre banque, la société A. ;
Qu'il résulte des pièces produites que la SAM B., ci-après B., venant aux droits de la banque C. après son absorption, a rejeté à sept reprises, entre le 20 juillet et le 27 novembre 2012, ce chèque pour le même motif ainsi libellé : « présentation irrégulière, IC inexploitable (55) » ;
Qu'il s'induit en particulier du document intitulé « les règles de l'échange des images chèque » que l'IC inexploitable portant le code 55 correspond à un rejet technique ;
Attendu que la société A. soutient en substance que le chèque aurait dû en réalité être rejeté en raison de la clôture du compte du tireur r. BE., antérieure à son émission, et sous le code distinct de rejet « IC 62 » ;
Attendu cependant, qu'en l'état de l'absorption de la banque C. par la SAM B., l'utilisation du code de rejet pour erreur technique « IC 55 » n'apparaît pas objectivement fautive dès lors que le système informatique ayant généré une transformation des numéros de comptes de l'établissement absorbé en numéros de comptes de la SAM B., les identifiants numériques correspondant au compte du client émetteur étaient inexistants dans les livres de ce nouvel établissement bancaire ;
Attendu que les premiers juges ont par ailleurs à bon droit relevé que la société A., au lieu d'insister pour faire prendre en compte l'opération en dépit de plusieurs rejets successifs fondés sur le même motif, aurait dû prendre toutes dispositions utiles pour contacter sa cliente et l'informer du risque de non-paiement avant de créditer son compte et de tenter de procéder à la contre-passation du chèque ;
Attendu s'agissant en outre du préjudice invoqué, que la société A. invoque des règles bancaires interdisant selon lui de procéder à la contre-passation du chèque sur le compte de sa cliente en raison de l'utilisation d'un code de rejet technique par la SAM B. et ce, sur la base d'une circulaire du 30 juin 2005 relative aux relations interbancaires et aux règles de l'échange d'images chèque ;
Que force est néanmoins de constater que cette circulaire portant communication aux adhérents prévoit au contraire en page 31 que le motif IC 55 fait bien partie des rejets techniques et que de tels rejets « n'ont pas lieu a priori d'être imputés sur les comptes des clients bénéficiaires » ;
Qu'un tel document se contente ainsi simplement d'indiquer qu'au prime abord l'imputation n'est pas la règle, mais ne pose nullement le principe de l'interdiction faite à la banque présentant le chèque rejeté pour motif technique d'imputer les sommes indûment perçues sur le compte de clients bénéficiaires ;
Attendu qu'à défaut de toute prohibition réglementaire, il était dès lors loisible à la banque A. de débiter le compte de la bénéficiaire à la réception du premier rejet au motif IC inexploitable ;
Qu'enfin, la société A. qui ne plaide pas la perte d'une chance ne démontre nullement en quoi l'utilisation du code retenu au titre des rejets techniques lui a interdit d'agir et de sauvegarder ses droits, alors même qu'elle aurait elle-même dû, dès le premier rejet opposé, au mois de juillet 2012, se rapprocher des services de la SAM B. d'une part et de sa cliente d'autre part pour obtenir toute information utile au lieu de poursuivre ses présentations infructueuses ;
Attendu que la preuve n'est donc pas rapportée par la société A. d'une faute commise par la SAM B. lors du rejet du chèque émis par son client, ni au demeurant du préjudice qui serait objectivement résulté pour elle de l'utilisation du code de rejet retenu par cet établissement bancaire, en sorte que les premiers juges l'ont à bon droit débouté de l'ensemble de ses demandes d'indemnisation ;
Attendu que le jugement déféré sera donc confirmé en toutes ses dispositions et la société A. déboutée des fins de son appel ;
Attendu sur l'appel incident, que la SAM B. ne démontre pas que la société A. ait fait preuve d'intention malveillante à son encontre ni n'ait commis une faute caractérisant un abus de droit ; que les premiers juges ont par ailleurs à bon droit estimé que le droit du for ne prévoit pas l'indemnisation des frais engagés par une partie au titre de sa défense ;
Attendu en conséquence que la SAM B. sera déboutée des fins de son appel incident ;
Attendu que les dépens resteront à la charge de la banque A. qui succombe dans l'instance d'appel initiée par ses soins.
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,
statuant publiquement et contradictoirement,
Reçoit les appels principal et incident,
Au fond, confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 19 mai 2016 par le Tribunal de première instance et déboute les parties de l'ensemble de leurs prétentions,
Condamne la société A. aux entiers dépens et dit qu'ils seront distraits au profit de Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,
Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable,
Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,
Composition🔗
Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, Monsieur Éric SENNA, Conseiller, assistés de Madame Nadine VALLAURI, Greffier,
Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,
Lecture est donnée à l'audience publique du 11 JUILLET 2017, par Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Nadine VALLAURI, Greffier, en présence de Monsieur Olivier ZAMPHIROFF, Premier Substitut du Procureur Général.