Cour d'appel, 3 juillet 2017, n. TO. c/ Le Ministère Public
Abstract🔗
Procédure pénale - Preuve - Licéité (oui) - Enregistrement d'une conversation à l'insu de l'interlocuteur par un policier - But légitime (oui) - Établissement de la preuve d'une infraction commise contre le policier - Violation du droit à l'intimité de la vie privée (non) - Stratagème ou provocation (non)
Résumé🔗
La prévenue est poursuivie pour outrages et menaces à agent de la force publique. En vertu de l'article 387 du Code de procédure pénale, la preuve des délits se fait par témoins, par procès-verbaux ou rapports et même par simples présomptions, lorsque les faits qui servent de base à celles-ci, ont été produits dans le débat oral et soumis à la libre discussion des parties. L'enregistrement de la conversation opéré par un policier à l'insu de son interlocuteur des propos qui lui sont tenus ne constitue pas un acte de procédure susceptible d'annulation lorsqu'il a été réalisé, non dans le cadre d'une enquête, mais en vue de procéder à la constatation des agissements délictueux dont ce policier est victime. Cet enregistrement ne constitue pas une interception téléphonique et n'est pas soumis à des modalités d'autorisation particulières. Il ne viole pas les dispositions de l'article 8 de la CESDH, ni les dispositions de l'article 22 du Code civil au titre du respect de la vie privée dès lors que cette ingérence poursuit un but légitime pour la victime visant à se constituer la preuve des faits commis à son encontre en dehors de tout stratagème ou de provocation qui aurait déterminé les agissements délictueux. En conséquence, cet élément constitue un moyen de preuve licite soumis à la libre discussion des parties devant la juridiction répressive.
Motifs🔗
Dossier PG n° 2016/001906
Cour d'appel correctionnelle
ARRÊT DU 3 JUILLET 2017
En la cause de :
n. TO., née le 28 février 1980 à Clermont-Ferrand (63), de Jilali et de Najet RM., de nationalité française, sans profession, demeurant X1 à Beausoleil (06240) ;
Prévenue de :
OUTRAGES ET MENACES À AGENT DE LA FORCE PUBLIQUE
absente, représentée par Maître Arnaud CHEYNUT, avocat près la Cour d'appel de Monaco, commis d'office et plaidant par ledit avocat,
APPELANTE/INTIMÉE
Contre :
le MINISTÈRE PUBLIC ;
INTIMÉ/APPELANT
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO, jugeant correctionnellement, après débats à l'audience du 29 mai 2017 ;
Vu le jugement contradictoirement rendu par le Tribunal correctionnel le 28 mars 2017 ;
Vu les appels interjetés le 7 avril 2017 par Maître Arnaud CHEYNUT, avocat, pour n. TO., prévenue et par le Ministère public à titre incident ;
Vu l'ordonnance présidentielle en date du 24 avril 2017 ;
Vu la citation, suivant exploit, enregistré, de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 27 avril 2017 ;
Vu les pièces du dossier ;
Vu les conclusions de Maître Arnaud CHEYNUT, avocat pour n. TO., prévenue, en date du 29 mai 2017 ;
Ouï Eric SENNA, Conseiller, en son rapport ;
Ouï le Ministère public en ses réquisitions ;
Ouï Maître Arnaud CHEYNUT, avocat pour n. TO., prévenue, en ses moyens d'appel et plaidoiries ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Par jugement contradictoire en date du 28 mars 2017, le Tribunal correctionnel a, sous la prévention :
« D'avoir à Monaco le 12 octobre 2016, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, outragé par écrit ou dessin non rendus publics, par paroles, gestes, menaces ou par l'envoi, dans la même intention, d'un objet quelconque, le capitaine de police d. GA., agent de la force publique dans l'exercice de ses fonctions, en l'espèce en prononçant notamment à son encontre les propos suivants : « vous êtes un menteur. Vous êtes un mécréant. Vous mentez.» ; « Vous allez payer très cher tout ce que vous me faites » ;
DÉLIT prévu et réprimé par les articles 26, 164 et 165 du Code pénal ;
- pris acte de l'acceptation de n. TO. de comparaître volontairement sur les faits qui auraient été commis le 14 octobre 2016,
- rejeté les exceptions de nullité soulevées par n. TO.,
- dit n'y avoir lieu à ordonner une expertise psychiatrique de n. TO.,
- déclaré n. TO. coupable du délit qui lui est reproché et commis le 14 octobre 2016,
en répression, faisant application des articles visés par la prévention,
- l'a condamnée à la peine de MILLE EUROS D'AMENDE,
- condamné, enfin, n. TO. aux frais.
Maître Arnaud CHEYNUT, avocat pour n. TO., prévenue, a interjeté appel de cette décision par acte de greffe en date du 7 avril 2017.
Le Ministère public a interjeté appel incident de ladite décision le même jour.
Considérant les faits suivants :
Le 12 octobre 2016, le capitaine de police d. GA. établissait un procès-verbal de renseignements aux termes duquel il rapportait qu'il avait contacté le jour même à 10h45 sur son téléphone cellulaire n. TO. pour la convoquer à la Sureté Publique afin de l'entendre sur la plainte déposée contre elle par d. LA. pour des faits d'injures. Il indiquait que cette dernière s'était rapidement énervée et avait tenu des propos virulents en lui tenant les propos suivants : « Vous êtes un menteur, vous êtes un mécréant. Vous mentez », « Vous allez payer très cher tout ce vous me faites. ».
Suivant procès-verbal du 14 octobre 2016, le commandant de police c. MA. procédait à la retranscription de l'enregistrement audio sur une durée d'une minute et cinq secondes de la fin de cette conversation téléphonique effectué par d. GA..
Entendue sous le régime de la garde à vue par les enquêteurs le 18 octobre 2016, n. TO. reconnaissait avoir tenu ces propos. Elle indiquait qu'elle se sentait persécutée comme étant de confession musulmane et qu'elle avait traité le policier de menteur car il l'avait accusée à tort. Elle confirmait avoir menacé les services de police et qu'Allah allait les punir. Elle précisait qu'elle était énervée et qu'elle avait été hospitalisée plusieurs mois à l'hôpital Sainte-Marie à Nice à cause de sa religion.
Les casiers judiciaires de n. TO. en Principauté et en France ne portent aucune mention.
Lors de l'audience devant le Tribunal, n. TO. confirmait ses déclarations faites au cours de l'enquête et précisait qu'à la suite d'une crise de délire en 2015, elle avait dû être hospitalisée sous contrainte au CHS Ste Marie à Nice.
Par jugement du 28 mars 2017 le Tribunal correctionnel rejetait les exceptions de nullité et la demande d'expertise psychiatrique de n. TO., la déclarait coupable des faits reprochés et la condamnait à une peine d'amende de 1.000 euros.
Pour statuer ainsi, le Tribunal a considéré que :
- l'enregistrement de la conversation opéré par les services de police était licite car il n'était pas une interception téléphonique au sens de la loi n° 1.430 du 13 juillet 2016 ou de l'article 106-1 du Code de procédure pénale, et n'était donc pas soumis à des modalités d'autorisation particulières et ne découlait d'aucune provocation ni d'aucun stratagème,
- il ne ressortait aucunement des éléments de la procédure ou de l'attitude de n. TO. qu'elle avait pu adopter lors des débats à l'audience que celle-ci pouvait se trouver dans un état de démence au sens de l'article 44 du Code pénal au moment des faits,
- n. TO. n'avait pas contesté avoir tenu les propos adressés au capitaine de police lesquels avaient un caractère outrageant.
À l'audience fixée pour l'examen de l'affaire, le Procureur général a requis la confirmation du jugement en faisant valoir que :
- l'enregistrement de la conversation opéré par les services de police est licite dans la mesure où il était destiné à faire établir la preuve des faits et qu'il n'y avait aucun stratagème mis en oeuvre par le policier,
- le caractère partiel de l'enregistrement ne peut être une cause de nullité, il n'est qu'un élément de preuve soumis à la discussion des parties et à l'appréciation de la juridiction,
- aucun élément permettant de laisser supposer que la prévenue pouvait être en état de démence au moment des faits n'est produit pour fonder la demande d'expertise psychiatrique,
- les faits sont reconnus et établis.
Le conseil de n. TO. a déposé des conclusions aux termes desquelles il sollicite la réformation de la décision en ces termes :
- à titre principal,
- constater l'illicéité de l'écoute, de l'enregistrement et de la transcription de la conversation téléphonique partielle entre Madame TO. et le Capitaine GA.,
- déclarer irréguliers et nuls ces deux actes de procédure,
- constater que le placement en garde à vue et la citation à comparaître de Madame TO. sont des actes subséquents, conséquences indissociables d'actes préalables irréguliers et nuls,
- déclarer irrégulière et nulle, la procédure de garde à vue de Madame TO., ainsi que tous les actes subséquents en étant la conséquence, en ce compris la citation à comparaître de cette dernière,
- à titre subsidiaire,
- constater que Madame TO. souffre d'une maladie psychiatrique lourde susceptible d'affecter son état de conscience et de lui faire échapper à toute responsabilité pénale en application de l'article 44 du Code pénal,
- ordonner avant tout débat au fond, une expertise psychiatrique de Madame TO..
À défaut, son conseil demande à titre très subsidiaire, que la peine d'amende soit assortie du sursis en indiquant qu'elle a présenté ensuite ses excuses au policier et qu'elle n'a aucun antécédent judiciaire.
SUR CE,
Sur l'exception de nullité :
Attendu qu'en application des dispositions de l'article 387 du Code de procédure pénale la preuve des délits se fait par témoins, par procès-verbaux ou rapports et même par simples présomptions, lorsque les faits qui servent de base à celles-ci, ont été produits dans le débat oral et soumis à la libre discussion des parties ;
Attendu que l'enregistrement de la conversation opéré par un policier à l'insu de son interlocuteur des propos qui lui sont tenus ne constitue pas un acte de procédure susceptible d'annulation lorsqu'il a été réalisé, non dans le cadre d'une enquête, mais en vue de procéder à la constatation des agissements délictueux dont ce policier est victime ;
Que cet enregistrement ne constituait pas une interception téléphonique au sens de la loi n° 1.430 du 13 juillet 2016 ou de l'article 106-1 du Code de procédure pénale, et n'était pas soumis à des modalités d'autorisation particulières ;
Qu'il ne viole pas les dispositions de l'article 8 de la CESDH, ni les dispositions de l'article 22 du Code civil au titre du respect de la vie privée dès lors que cette ingérence poursuivait un but légitime pour la victime visant à se constituer la preuve des faits commis à son encontre en dehors de tout stratagème ou de provocation qui aurait déterminé les agissements délictueux ;
Qu'en conséquence, cet élément constitue un moyen de preuve licite soumis à la libre discussion des parties devant la juridiction répressive ;
Que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité ;
Sur le fond :
Attendu que s'il est établi par les certificats médicaux versés aux débats que n. TO. souffre de troubles psychiques, il est aussi avéré qu'elle fait l'objet d'un suivi spécialisé régulier et qu'elle suit un traitement adapté à sa pathologie, qu'il ne résulte d'aucun élément au dossier de la procédure que la prévenue ait pu agir en état de démence au moment des faits ;
Que dans ces conditions, les premiers juges ont rejeté à juste titre la demande d'expertise psychiatrique ;
Attendu que les faits apparaissent établis tant par le procès-verbal de renseignements qui a été dressé le 14 octobre 2016 par le capitaine de police d. GA. que par la retranscription partielle de la conversation téléphonique entre ce policier et n. TO., laquelle a reconnu la teneur de ces propos outrageants au cours de l'enquête mais aussi devant le Tribunal ;
Que dans ces conditions, n. TO. a été retenue, à bon droit, dans les liens de la prévention par le Tribunal qui a fait une juste application de la loi pénale en prenant en considération sa personnalité et l'absence d'antécédents judiciaires en prononçant à son encontre une peine d'amende de mille euros ;
Qu'il convient de confirmer le jugement également de ces chefs ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO, statuant en matière correctionnelle, publiquement et contradictoirement en application de l'article 377 du Code de procédure pénale à l'égard de n. TO.,
Reçoit les appels ;
Confirme le jugement du Tribunal correctionnel du 28 mars 2017 en toutes ses dispositions ;
Condamne n. TO. aux frais du présent arrêt ;
Composition🔗
Ainsi jugé et prononcé en audience publique de la Cour d'appel de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le trois juillet deux mille dix-sept, par Monsieur Eric SENNA, Conseiller faisant fonction de Président, Madame Virginie ZAND, Conseiller, Monsieur Paul CHAUMONT, Conseiller, en présence de Monsieur Hervé POINOT, Procureur général adjoint, assistés de Madame Sandra MILLIEN, Greffier.