Cour d'appel, 3 juillet 2017, s. PA. c/ d. AR.

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Abstract🔗

Abandon de famille - Éléments constitutifs - Versement de la pension alimentaire à l'enfant devenu majeur - Non-paiement entre les mains de la mère - Fait constitutif du délit (non) - Violation d'une décision de justice (non) - Relaxe 

Résumé🔗

L'article 296 du Code pénal punit le fait, pour toute personne qui, en méconnaissance d'une décision l'ayant condamnée à verser une contribution aux charges du ménage, ou une pension alimentaire à son conjoint, à ses ascendants, à ses descendants, sera volontairement demeurée plus de deux mois sans fournir la totalité des subsides déterminés par le juge ni acquitter le montant intégral de la pension et que le défaut de paiement sera présumé volontaire sauf preuve contraire. En l'espèce, le prévenu s'est acquitté directement entre les mains de sa fille du montant de la contribution pendant toute la période visée à la prévention dès que celle-ci est devenue majeure. Si en application des dispositions des articles 172 et 300 du Code civil, les parents ont l'obligation de contribuer à l'entretien et à l'éducation de leur enfant commun au-delà de sa majorité, le créancier d'aliments devient alors l'enfant commun en sorte que la mère ne disposait plus de cette qualité à compter de la majorité de sa fille. En outre, la pension alimentaire n'a jamais cessé d'être payée par son débiteur et le non-paiement entre les mains de la mère n'est pas intervenu en violation des dispositions d'une décision judiciaire dès lors que la convention homologuée par cette décision ne mentionne pas expressément que ce versement continuerait d'être effectué au bénéfice de la mère. Le prévenu est donc relaxé.


Motifs🔗

Cour d'appel correctionnelle Dossier PG n° 2015/000147

ARRÊT DU 3 JUILLET 2017

En la cause de :

  • s. PA., né le 22 mars 1965 à Nice (06), de nationalité française, de José et Mireille MU., demeurant X1 à l'Ile Maurice et/ou X2 à Nice (06300) ;

absent, représenté par Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

poursuivi de :

  • ABANDON DE FAMILLE

En présence du MINISTÈRE PUBLIC ;

APPELANTS,

Contre :

  • d. AR., née le 13 juin 1958 à Monaco, de nationalité française, demeurant X3 à Monaco ;

partie civile poursuivante, absente, représentée par Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Olivier Isaac BENAMOU, avocat au barreau de Nice ;

INTIMÉE,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO, jugeant correctionnellement, après débats à l'audience du 15 mai 2017 ;

Vu le jugement contradictoirement rendu conformément aux dispositions de l'article 377 du Code de procédure pénale par le Tribunal correctionnel le 28 juin 2016 ;

Vu les appels interjetés le 13 juillet 2016, par Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur pour s. PA., poursuivi, et par le Ministère public, à titre incident ;

Vu les ordonnances présidentielles en date des 19 juillet 2016 et 30 mars 2017 ;

Vu la citation et signification, suivant exploit, enregistré, de Maître Patricia GRIMAUD-PALMERO, huissier, en date du 5 août 2016 ;

Vu les pièces du dossier ;

Vu les conclusions de Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur pour d. AR., partie civile poursuivante, en date du 11 mai 2017 ;

Ouï Eric SENNA, Conseiller, en son rapport ;

Ouï Maître Olivier Isaac BENAMOU, avocat au barreau de Nice, régulièrement autorisé à plaider par le Président, pour d. AR., partie civile poursuivante, en sa plaidoirie ;

Ouï le Ministère public en ses réquisitions ;

Ouï Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur pour s. PA., poursuivi, en ses moyens d'appel et plaidoiries ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Par jugement contradictoire en date du 28 juin 2016, le Tribunal correctionnel, dans une procédure opposant d. AR., partie civile poursuivante à s. PA., poursuivi du chef d'abandon de famille, a :

  • - reçu s. PA. en son opposition, régulière en la forme ;

  • - mis à néant le jugement en date du 10 mars 2015 ;

Et jugeant à nouveau,

sur l'action publique :

  • - déclaré s. PA. coupable des faits d'abandon de famille commis du mois de novembre 2013 au mois de janvier 2015 ;

En répression, faisant application de l'article 296 du Code pénal, ainsi que de l'article 393 de ce même code,

  • - l'a condamné à la peine de CINQ CENTS EUROS D'AMENDE AVEC SURSIS, l'avertissement prescrit par l'article 395 du Code pénal n'ayant pu être adressé au condamné, absent ;

sur l'action civile :

  • - reçu d. AR. en sa constitution de partie civile ;

  • - la déclarant partiellement fondée en ses demandes, condamné s. PA. à lui payer la somme de 1.000 euros à titre de dommages-intérêts ;

  • - condamné, enfin, s. PA. aux frais qui comprendront les droits prévus par l'article 63 de l'Ordonnance Souveraine n° 15.173 du 8 janvier 2002, avec distraction au profit de Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur, dont la présence est reconnue effective et nécessaire aux débats.

Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur de s. PA., poursuivi, a interjeté appel de cette décision par acte de greffe en date du 13 juillet 2016.

Le Ministère public a interjeté appel incident de ladite décision le même jour.

Considérant les faits suivants :

s. PA. et d. AR. se sont mariés le 16 septembre 1994 devant l'Officier d'état civil de la Principauté de Monaco. De cette union, est issue lae., née le 1er août 1995 à Monaco.

Par jugement du 8 juillet 2010, le Tribunal de première instance a prononcé leur divorce. Par arrêt en date du 15 mars 2011, la Cour d'appel a prononcé leur divorce et homologué la convention établie entre eux le 20 décembre 2010 prévoyant, notamment, le versement par le père d'une somme mensuelle de 2.000 euros à titre de contribution à l'entretien et à l'éducation de celle-ci.

lae. PA. est devenue majeure le 1er août 2013.

À compter du mois de novembre 2013, s. PA. a libellé, au nom de l'enfant, les chèques établis pour le règlement de la part contributive et les a adressés à d. AR.. Puis, à compter du mois de février 2014, ce dernier a fait procéder à des virements mensuels sur un compte ouvert au nom de l'enfant.

Par acte extra judiciaire délivré le 8 janvier 2015, d. AR. faisait citer à comparaître directement s. PA., à l'adresse X2 à Nice, devant le Tribunal correctionnel en vue de le voir déclarer coupable du délit d'abandon de famille et condamner, en réparation du préjudice subi, à lui payer la somme de 20.000 euros à titre de dommages-intérêts, outre 3.000 euros pour les frais irrépétibles.

d. AR. reprochait à s. PA. de s'être abstenu volontairement, depuis le mois de novembre 2013, de lui régler le montant de la part contributive à l'entretien et à l'éducation de leur fille lae., en dépit des dispositions de l'arrêt rendu par la Cour d'appel précité homologuant la convention de divorce selon laquelle la part contributive était payable le 1er de chaque mois par chèque bancaire envoyé au domicile de la mère, et non directement à l'enfant.

Par jugement, rendu par défaut le 10 mars 2015, s. PA. était, sur l'action publique, déclaré coupable des faits d'abandon de famille commis du mois de novembre 2013 au mois de janvier 2015 puis condamné à la peine de 500 euros d'amende avec sursis, et, sur l'action civile, d. AR., reçue en sa constitution de partie civile, en était déboutée au fond.

Le 10 mars 2015, s. PA. formait opposition à cette décision par un courrier de son conseil.

À l'audience du 19 mai 2015, le conseil de s. PA. soulevait l'annulation des citations directes.

Par jugement contradictoire en date du 9 juin 2015, le Tribunal correctionnel se déclarait non régulièrement saisi et condamnait d. AR. aux frais.

d. AR. relevait appel de cette décision selon acte en date du 15 juin 2015.

Par arrêt du 23 novembre 2015, la Cour d'appel infirmait la décision et, statuant à nouveau, déclarait régulière la citation délivrée par le Procureur général à s. PA., renvoyait la cause et les parties devant le Tribunal correctionnel pour statuer au fond.

s. PA. formait un pourvoi contre cet arrêt qui était rejeté le 30 mars 2016 par la Cour de révision.

Par jugement rendu contradictoirement en application de l'article 377 du Code de procédure pénale le 28 juin 2016, le Tribunal correctionnel recevait s. PA. en son opposition, mettait à néant le jugement rendu le 10 mars 2015, et jugeant à nouveau, sur l'action publique, déclarait le prévenu coupable des faits d'abandon de famille commis du mois de novembre 2013 au mois de janvier 2015, en répression, le condamnait à la peine de 500 euros d'amende avec sursis, sur l'action civile, recevait d. AR. en sa constitution de partie civile, la déclarait partiellement fondée en ses demandes, condamnait le prévenu à lui payer la somme de 1.000 euros à titre de dommages-intérêts et condamnait enfin ce dernier aux frais.

Pour statuer ainsi, le Tribunal retenait que le prévenu avait « décidé de verser, à compter du mois de novembre 2013, la part contributive à l'entretien et à l'éducation de sa fille, devenue majeure depuis le 1er août 2013, directement à celle-ci et non plus à d. AR.. Par conséquent, le Tribunal ne peut que déclarer coupable des faits d'abandon de famille s. PA. qui manifestement ne respecte pas depuis plus de deux mois les dispositions prévues par l'arrêt de la Cour d'appel en date du 15 mars 2011».

Par acte d'appel en date du 13 juillet 2016, le conseil du prévenu relevait appel de ce jugement.

Le même jour, le Parquet général en relevait appel incident.

À l'audience fixée pour l'examen de l'affaire, le conseil de la partie civile a déposé des conclusions aux termes desquelles il sollicite la confirmation du jugement ainsi que la somme de 80.000 euros à titre de dommages-intérêts en faisant valoir essentiellement que le délit d'abandon de famille est constitué dès lors que s. PA. a cessé de lui verser la contribution en contravention avec la convention de divorce alors que leur fille est toujours domiciliée chez sa mère.

Le Ministère public a requis la réformation du jugement entrepris en faisant valoir que les faits reprochés n'étaient pas établis en l'absence de défaut de paiement avéré de la contribution mis à la charge de s. PA. en méconnaissance d'une décision de justice.

Le conseil de s. PA. a sollicité la réformation du jugement et le prononcé de sa relaxe en faisant valoir essentiellement que :

  • la Cour d'appel par un arrêt définitif du 21 mars 2017 rendu en matière civile a retenu que s. PA. n'avait manqué à ses obligations alimentaires en versant directement la contribution à sa fille après sa majorité,

  • l'infraction n'est pas établie à défaut de réunion des éléments légal, matériel et intentionnel de l'infraction,

  • lorsque l'enfant devient majeur, la jurisprudence lui reconnaît un droit d'action propre et il devient le seul créancier de la contribution.

SUR CE,

Attendu que les appels, relevés dans les formes et conditions prescrites par les articles 406 et 411 du Code de procédure pénale, sont réguliers et recevables ;

Attendu que la régularité de l'opposition au jugement rendu par le Tribunal correctionnel le 10 mars 2015 par s. PA. le même jour, formée dans les conditions édictées par les articles 379 et suivants du Code de procédure pénale, n'est pas contestée ;

Que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a reçu son opposition ;

Attendu que l'article 296 du Code pénal énonce que sera punie d'un emprisonnement de trois mois à un an et de l'amende prévue au chiffre 2 de l'article 26 ou de l'une de ces deux peines seulement, toute personne qui, en méconnaissance d'une décision l'ayant condamnée à verser une contribution aux charges du ménage, ou une pension alimentaire à son conjoint, à ses ascendants, à ses descendants, sera volontairement demeurée plus de deux mois sans fournir la totalité des subsides déterminés par le juge ni acquitter le montant intégral de la pension et que le défaut de paiement sera présumé volontaire sauf preuve contraire ;

Qu'il est constant que s. PA. s'est acquitté directement entre les mains de sa fille lae. du montant de la contribution pendant toute la période visée à la prévention dès que celle-ci est devenue majeure ;

Que si en application des dispositions des articles 172 et 300 du Code civil, les parents ont l'obligation de contribuer à l'entretien et à l'éducation de leur enfant commun au-delà de sa majorité, le créancier d'aliments devient alors l'enfant commun en sorte que d. AR. ne disposait plus de cette qualité à compter de la majorité de sa fille lae. PA. ;

Que par ailleurs, il convient de relever d'une part, que la pension alimentaire n'a jamais cessé d'être payée par son débiteur et d'autre part, que le non-paiement entre les mains de d. AR. n'est pas intervenu en violation des dispositions de l'arrêt en date du 15 mars 2011 dès lors que la convention du 20 décembre 2010 homologuée par cette décision qui a prévu en son article 2.2.4 le maintien de la contribution tant que l'enfant poursuivrait des études ne mentionne pas expressément que ce versement continuerait d'être effectué au bénéfice de d. AR. ;

Que dans ces conditions, il convient de relaxer s. PA. des fins de la poursuite et par suite, de débouter d. AR. de ses demandes formées au titre de l'action civile ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO, statuant en matière correctionnelle, publiquement et contradictoirement par application de l'article 377 du Code de procédure pénale,

Reçoit les appels ;

Infirme le jugement du Tribunal correctionnel du 28 juin 2016 sauf en ce qu'il a reçu s. PA. en son opposition ;

Statuant à nouveau ;

Relaxe s. PA. des fins de la poursuite ;

Déboute d. AR. de ses demandes ;

Condamne d. AR. aux frais du présent arrêt ;

Composition🔗

Après débats en audience publique de la Cour d'appel de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le quinze mai deux mille dix-sept, qui se sont tenus devant Monsieur Eric SENNA, Conseiller, faisant fonction de Président, Madame Virginie ZAND, Conseiller, Madame Françoise DORNIER, Premier Juge au Tribunal de première instance, complétant la Cour et remplissant les fonctions de Conseiller en vertu de l'article 22 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires, en présence de Monsieur Hervé POINOT, Procureur général adjoint, assistés de Madame Sandra MILLIEN, Greffier ;

Après qu'il en ait été délibéré et jugé, le présent arrêt a été signé par Monsieur Eric SENNA, Conseiller, faisant fonction de Président, Madame Virginie ZAND, Conseiller, Madame Françoise DORNIER, Premier Juge au Tribunal de première instance, complétant la Cour et remplissant les fonctions de Conseiller en vertu de l'article 22 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires, magistrats en ayant délibéré et ce en application des articles 58 à 62 de ladite loi ;

Lecture étant donnée à l'audience publique du trois juillet deux mille dix-sept par Monsieur Eric SENNA, Conseiller, faisant fonction de Président, assisté de Madame Sandra MILLIEN, Greffier, en présence de Monsieur Hervé POINOT, Procureur général adjoint, et ce en application des dispositions des articles 58 à 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013.

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