Cour d'appel, 3 juillet 2017, La société A. c/ Le Ministère Public

  • Consulter le PDF

Abstract🔗

Procédure pénale - Citation - Formalisme - Personne morale - Absence de visa des textes du Code pénal relatifs aux conditions de la responsabilité des personnes morales - Nullité (non) - Abus de confiance - Responsabilité pénale - Personnes morales - Remise à titre précaire d'une somme d'argent - Détournement et dissipation (oui) - Intention coupable (oui) - Infraction commise pour le compte de la personne morale par un représentant (oui) - Délit commis après l'entrée en vigueur de la loi instituant la responsabilité pénale des personnes morales - Condamnation 

Résumé🔗

Une société, poursuivie du chef d'abus de confiance, invoque la nullité de la citation devant la juridiction de jugement en ce qu'elle ne précise pas l'organe ou le représentant par lequel le délit a été commis, ni que le délit a été commis pour le compte de la société. Ce moyen doit être écarté. En effet, le défaut de référence expresse aux articles 29-1 à 29-6 du Code pénal relatifs à la répression des personnes morales, n'est pas de nature à faire grief, dès lors que l'article 4-4 du Code pénal mentionné dans la décision de renvoi les vise, permettant ainsi à la société prévenue de préparer utilement sa défense. Il ne saurait être tiré argument de la jurisprudence française se prononçant sur les conditions de mise en œuvre de la responsabilité des personnes morales, qui n'impose nullement que la prévention soit tenue de viser l'organe ou le représentant de la société pour le compte de laquelle il a agi, ce qu'au demeurant la loi ne prévoit pas.

L'abus de confiance suppose une remise réelle, faite à titre précaire, d'un des objets que le texte légal énumère, en exécution d'un des contrats qu'il désigne expressément, ayant fait l'objet d'un détournement ou d'une dissipation. En l'espèce, en exécution d'une lettre d'intention de conclure un contrat de construction de yacht, entre une société intervenant en qualité d'entrepreneur général, et une société désignée comme étant l'acheteur, une somme a été versée par celle-ci à l'entreprise générale. La nature de cette remise est discutée, le contrat rédigé en anglais mentionnant qu'elle est intervenue à titre de « deposit ». Pour déterminer la nature du contrat en vertu duquel la chose a été remise, il convient de se reporter aux clauses du contrat, permettant de rechercher la commune intention des parties. Il est établi qu'à l'époque de la remise, la somme devait être déposée sur un compte productif d'intérêts. Elle devait pour partie venir compenser le préjudice subi par le constructeur résultant de la non-conclusion du contrat, le surplus devant être restitué à l'acheteur. Si cette somme avait vocation à venir en déduction du versement du prix d'achat, et à constituer un acompte sur ce prix, rien de tel n'est intervenu, le contrat n'ayant pas été conclu. Ainsi, jusqu'à la date de conclusion du contrat, la somme a été remise à titre de dépôt, à charge pour la société de la représenter à hauteur de la moitié, outre les intérêts courus, à défaut de conclusion du contrat. La restitution des sommes dues n'est pas intervenue, en dépit d'une mise en demeure. Le détournement et la dissipation des fonds sont établis par le dossier d'instruction qui a mis en évidence qu'ils n'ont pas été conservés sur un compte portant intérêts et qu'ils ont été pour l'essentiel utilisés pour combler le solde débiteur du compte bancaire de la société et pour financer des opérations sans lien avec le projet de construction du yacht. L'utilisation des fonds à des fins étrangères à celles stipulées dans la lettre d'intention caractérise à la fois le détournement et l'intention frauduleuse. Le détournement et la dissipation ont bien été commis pour le compte de la société, qui en a tiré un bénéfice direct, par un représentant de celle-ci. Le détournement et la dissipation existent dès lors que le propriétaire de la chose confiée ne peut plus exercer ses droits sur elle, par suite des agissements frauduleux de celui qui ne la détenait qu'en vertu d'un des contrats limitativement énumérés par la loi. Lorsque le détournement et la dissipation portent sur une chose fongible, dont le propre est de pouvoir être remplacée à tout moment par une chose équivalente, la dissipation de ces fonds ne réalise l'abus de confiance que lorsque le dépositaire s'est mis dans l'impossibilité de restituer ses fonds. Il ne peut donc être retenu que le délit d'abus de confiance, délit instantané, aurait été consommé dès la date de la remise de la somme, et qu'en conséquence ce délit ne pourrait être reproché à la société, en l'absence, à cette date, de dispositions légales, la loi instituant la responsabilité pénale des personnes morales n'ayant été promulguée que le 4 juillet 2008. En effet d'une part, le détournement et la dissipation des fonds se sont poursuivis au-delà du 5 juillet 2008 et, d'autre part, l'abus de confiance ne s'est réalisé que par l'impossibilité de restituer les fonds à l'échéance convenue entre les parties, le 31 janvier 2009.


Motifs🔗

Dossier PG n° 2011/002638

Cour d'appel correctionnelle

Dossier INF JI CAB1/11/34

ARRÊT DU 3 JUILLET 2017

En la cause de :

  • La société anonyme monégasque A., exerçant le commerce sous l'enseigne B., dont le siège social est X1 à Monaco, prise en la personne de son Président administrateur délégué f. MU. ;

Prévenue de :

  • - ABUS DE CONFIANCE

présente, assistée de Maître Gaston CARRASCO, avocat au barreau de Nice et plaidant par ledit avocat ;

APPELANTE/INTIMÉE

Contre :

  • le MINISTÈRE PUBLIC ;

INTIMÉ/APPELANT

En présence de :

  • - La société de droit mannois C., dont le siège social est sis X2, Ile de Man, IM1 3 DE, représentée par le Président de son conseil d'administration en exercice, domicilié en cette qualité audit siège, constituée partie civile, absente, représentée par Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur, substitué par Maître Arnaud CHEYNUT, avocat en cette même Cour ;

INTIMÉE

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO, jugeant correctionnellement, après débats à l'audience du 15 mai 2017 ;

Vu le jugement contradictoirement rendu par le Tribunal correctionnel le 13 décembre 2016 ;

Vu les appels interjetés le 21 décembre 2016 par f. MU., Président administrateur délégué de la SAM A., prévenue, en personne, et par le Ministère public à titre incident ;

Vu l'ordonnance présidentielle en date du 4 janvier 2017 ;

Vu la citation et signification, suivant exploit, enregistré, de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 25 janvier 2017 ;

Vu les pièces du dossier ;

Vu les conclusions de Maître Gaston CARRASCO, avocat pour la SAM A., prévenue, en date du 15 mai 2017 ;

Ouï Virginie ZAND, Conseiller, en son rapport ;

Ouï f. MU., Président administrateur délégué de la SAM A., prévenue, en ses réponses, et ce avec l'assistance d'Helena WEBER, demeurant 15 rue Saint-François de Paule, 06300 Nice, faisant fonction d'interprète en langue allemande, serment préalablement prêté ;

Ouï Maître Arnaud CHEYNUT, avocat, substituant Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur pour la société C., partie civile, en ses plaidoiries ;

Ouï le Ministère public en ses réquisitions ;

Ouï Maître Gaston CARRASCO, avocat au barreau de Nice, régulièrement autorisé à plaider par le Président pour f. MU., Président administrateur délégué de la SAM A., prévenue en ses moyens d'appel et plaidoiries ;

Ouï f. MU., Président administrateur délégué de la SAM A., prévenue, en dernier, en ses moyens de défense ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Par jugement contradictoire en date du 13 décembre 2016, le Tribunal correctionnel a, sous la prévention :

« D'avoir à Monaco, dans le courant des années 2008 à 2011 et depuis temps non couvert par la prescription, détourné ou dissipé au préjudice de la société C. la somme de 5,3 millions d'euros qui ne lui avait été remise par virement du 30 mai 2008 qu'à titre de dépôt, à charge de la rendre ou représenter ou d'en faire un usage ou un emploi contractuellement déterminé » ;

DÉLIT prévu et réprimé par les articles 4-4, 26, et 337 du Code pénal ;

sur l'action publique :

  • - débouté la SAM A. de son exception de nullité ;

  • - l'a déclarée coupable des faits qui lui sont reprochés ;

En répression, faisant application des articles visés par la prévention,

  • - l'a condamnée à la peine de QUATRE-VINGT-DIX MILLE EUROS D'AMENDE ;

sur l'action civile :

  • - déclaré la société C. recevable en sa constitution de partie civile ;

  • - la déclarant partiellement fondée en sa demande, a condamné la SAM A. à lui payer la somme de 20.000 euros à titre de dommages-intérêts, toutes causes de préjudices confondues ;

  • - condamné, en outre, la SAM A. aux frais qui comprendront les droits prévus par l'article 63 de l'Ordonnance souveraine n° 15.173 du 8 janvier 2002 avec distraction au profit de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur, dont la présence est reconnue effective et nécessaire aux débats.

f. MU., Président administrateur délégué de la SAM A., prévenue, a interjeté appel de cette décision par acte de greffe en date du 21 décembre 2016.

Le Ministère public a interjeté appel incident de ladite décision le même jour.

Considérant les faits suivants :

Après un classement sans suite de sa plainte, la société de droit mannois C. déposait plainte avec constitution de partie civile le 21décembre 2011 à l'encontre de la société A. (A.), à l'encontre de p. LA., administrateur délégué de la société A. et à l'encontre de g. PU., avocat au barreau de Naples, salarié de la société A., du chef d'abus de confiance.

Elle exposait qu'elle avait conclu avec la SAM A., le 29 mai 2008, une lettre d'intention par laquelle les parties avaient formalisé leur intention de conclure un contrat portant sur la conception, la construction, l'armement, le lancement, la vente et la livraison d'un yacht à moteur d'une longueur hors tout de 75 mètres, d'une valeur de 53 millions d'euros, ce prix pouvant faire l'objet de réajustements, le contrat de construction devant être par ailleurs régularisé le 31 juillet 2008.

Selon la société plaignante, la lettre d'intention prévoyait que la société A. s'engageait à fournir, dès avant la conclusion du contrat, un cahier des charges, un rapport architectural naval préliminaire sur la conception de la coque et sur d'autres domaines permettant d'évaluer les performances prévues du Yacht, la phase 1 de la ligne extérieure et le plan d'ensemble.

La société C. devait, quant à elle, verser à titre de « deposit » une somme de 5,3 millions d'euros sur le compte bancaire ouvert au nom de la société A., à la société D. à Monaco, ledit dépôt devant être conservé sur un compte portant intérêts et utilisé en déduction du premier versement du prix, à la survenance de chacun des événements prévus au contrat.

Il était convenu entre les parties que le prix d'achat serait financé au moyen d'un prêt bancaire, la lettre d'intention précisant par ailleurs que ses dispositions devaient être interprétées selon le droit italien et que tout litige pouvant survenir au sujet du dépôt de la somme de 5.300.000 euros serait soumis à une procédure d'arbitrage à Milan.

La date de conclusion du contrat, initialement prévue au 31 juillet 2008, a été successivement reportée et finalement fixée au 31 janvier 2009.

Par courrier en date du 19 janvier 2009 adressé à la société C., la société A. estimait qu'en l'état des diligences qu'elle avait effectuées depuis la signature de la lettre d'intention du 29 mai 2008, et si le contrat projeté n'intervenait pas, les préjudices qu'elle subirait seraient supérieurs à la somme de 2,65 millions d'euros qu'elle était fondée à conserver.

La société C. répliquait le 29 janvier 2009 que la totalité de la somme devait lui être restituée dès lors que le financement du projet n'avait pas été obtenu, que le contrat de construction n'avait pas été signé et que la SAM A. n'avait finalisé ni le cahier des charges, ni le plan d'ensemble du navire.

C'est dans ces conditions que le 3 février 2009 la SAM A. dénonçait à la société C. la lettre d'intention et sollicitait la conservation à son profit de la somme de 5.300.000 euros sur laquelle il convenait de comptabiliser toutes dépenses et intérêts avant restitution du solde.

Par requête en date du 6 février 2009, la société C. sollicitait la mise sous séquestre judiciaire de toutes sommes, deniers ou valeurs détenus par la société D. pour le compte de la société A. jusqu'à concurrence de 5.300.000 euros, et y était autorisée selon ordonnance en date du 10 février 2009.

Par courrier du 11 février 2009, la société D. informait l'huissier instrumentaire de la répartition des avoirs de la société A. se décomposant ainsi :

  • - compte ordinaire 2402 250068 X, débiteur de 721.905,31 €,

  • - compte ordinaire 2402 250821 F collectif, créditeur de 246.060,92 €,

  • - compte à terme 2402 250999 F collectif, créditeur de 1.162.643 €.

La partie civile estimait que le délit d'abus de confiance était constitué par le fait d'avoir détourné la somme de 5,3 millions d'euros de son objet contractuel, à savoir un dépôt de garantie, et de l'avoir dissipée.

La société plaignante ajoutait que par sentence du 15 juillet 2011, le Tribunal arbitral de Milan, saisi par la société A., avait condamné celle-ci au paiement immédiat de la somme de 2.650.000 euros ainsi qu'au paiement des intérêts produits par la somme de 5.300.000 euros, mais qu'en dépit d'une mise en demeure du 29 août 2011, ces sommes ne lui avaient jamais été versées.

Une information judiciaire était ouverte le 15 mars 2012, du chef d'abus de confiance.

Les investigations diligentées sur commission rogatoire permettaient d'établir la destination des fonds versés.

Le virement de la somme de 5,3 millions d'euros a crédité le compte de la société A. le 30 mai 2008, et a comblé le découvert affiché par ce compte à hauteur de 758.631,24 euros.

À la fin du mois de juin 2008, le compte n'était plus créditeur que de la somme de 1,2 million d'euros. Parmi les différents débits enregistrés sur ce compte, un seul paraissait en lien avec le contrat : le virement, intervenu le 5 juin 2008, d'un montant de 325.000 euros au bénéfice du chantier naval italien CSM.

À compter de juillet 2008, le compte redevenait débiteur.

Par ailleurs, aucun intérêt n'était versé sur la période du 5 mai 2008 au 2 avril 2012.

L'audition du comptable de la société, M. BRYCH, permettait de confirmer que les frais d'études relatifs au projet MYSTERY n'avaient pas été isolés et étaient demeurés dans les charges communes de la société. II précisait en outre que, contrairement aux affirmations de M. LA., la société n'était pas en mesure de restituer la somme de 2.650.000 euros, en l'absence d'apport personnel.

Les enquêteurs s'intéressaient ensuite à l'intention commune des parties et aux usages en matière de construction navale.

Un responsable de la société E., ayant un domaine d'activité identique à celui de la société A., indiquait qu'un « deposit » devait être exclusivement affecté à la construction du navire objet de l'entente entre les parties, et déduit du prix final à la livraison.

M. PU., salarié de la société A. en tant qu'avocat lors de la conclusion de la lettre d'intention, considérait que le virement de la somme de 5.300.000 euros ne correspondait pas à un dépôt mais à un acompte sur la construction.

Le directeur de la société F., dont une salariée avait rédigé la lettre d'intention litigieuse, estimait que le terme « deposit » devait s'interpréter comme un acompte, venant en déduction du premier versement. Il précisait qu'il était en outre prévu que, dans l'hypothèse où la société C. se révèlerait dans l'incapacité de trouver un financement, 50% du montant serait conservé par la société A.. II soumettait cependant cette disposition au respect, par la société A., de ses propres obligations contractuelles, et expliquait que comme cette dernière ne s'était pas exécutée, un courrier avait été rédigé par sa collaboratrice selon lequel la société C. était en droit de réclamer la restitution de l'intégralité de la somme.

Selon procès-verbal de première comparution en date du 11 février 2014, la société A. était inculpée d'abus de confiance.

Lors de l'interrogatoire au fond, M. LA., représentant légal de la société A., déclarait que la somme de 5.300.000 euros avait été versée sur un compte productif d'intérêts et qu'en toute hypothèse, la lettre d'intention n'avait pas prévu de dépôt sur un compte séquestre. II estimait que les fonds devaient être utilisés pour mener à bien le projet.

II considérait avoir la libre disposition de la somme de 2.650.000 euros, soulignant que le Tribunal arbitral de Milan avait donné raison à la société A. sur ce point. II rappelait que la somme était un acompte et qu'il n'y avait donc aucune restriction quant à l'utilisation des fonds, qui pouvaient ainsi être utilisés pour la gestion de la société, et même pour combler un découvert bancaire.

Par ordonnance de non-lieu partiel et de renvoi devant le Tribunal correctionnel en date du 16 mars 2015, confirmée par arrêt de la Chambre du Conseil de la Cour d'appel, le juge d'instruction disait n'y avoir lieu à suivre du chef d'abus de confiance contre p. LA. et renvoyait la SAM A. du chef d'abus de confiance devant le Tribunal correctionnel.

Citée à comparaître devant le Tribunal correctionnel, la société A. déposait des conclusions aux fins de nullité de la prévention, d'irrecevabilité de la constitution de partie civile et de relaxe.

La société C. formait des demandes de condamnation à hauteur de 71.440,87 euros en réparation de son préjudice matériel et 15.000 euros en réparation de son préjudice moral.

Par jugement du 13 décembre 2016, le Tribunal correctionnel a :

  • - sur l'action publique :

    • débouté la SAM A. de son exception de nullité,

    • l'a déclarée coupable des faits qui lui sont reprochés,

    • l'a condamnée à la peine de 90.000 euros d'amende,

  • - sur l'action civile :

    • déclaré la société C. recevable en sa constitution de partie civile,

    • condamné la SAM A. à lui payer la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts, toutes cause confondues.

Pour statuer ainsi le Tribunal a retenu que :

  • - il a été saisi par l'ordonnance de renvoi et non par la citation délivrée à la demande du Ministère public, de sorte que l'article 369 du Code de procédure pénale ne trouve pas à s'appliquer ;

  • - il n'est pas soutenu que l'ordonnance de renvoi ne respecte pas les dispositions de l'article 224 du Code de procédure pénale ;

  • - il n'est pas indispensable de viser l'ensemble des textes vers lesquels des renvois sont effectués, lorsque la lecture des textes visés permet au prévenu de savoir quelles dispositions légales sont applicables aux faits qui lui sont reprochés ;

  • - il appartient au juge saisi de qualifier juridiquement la convention conclue par les parties et de rétablir au-delà de la terminologie utilisée dans l'acte, leur véritable intention par l'examen de ses clauses et dispositions ;

  • - en l'espèce, les fonds versés ne peuvent recevoir la qualification juridique d'un acompte, et n'ont pu être remis qu'à titre de dépôt ;

  • - la SAM A. ne pouvait utiliser les fonds que dans les strictes conditions fixées par la lettre d'intention signée entre les parties ;

  • - il est établi que l'intégralité des fonds acquittés par la société C. à titre de dépôt a été dissipée dans les trois mois qui ont suivi leur versement, en contradiction flagrante avec les dispositions contractuelles contraignantes de la lettre d'intention ;

  • - malgré le prononcé de la sentence arbitrale la condamnant au paiement de la somme de 2.650.000 euros, outre intérêts, et excluant le principe de toute demande indemnitaire, la SAM A. n'a pas procédé à la restitution de ladite somme, sa situation financière ne lui permettant pas, au demeurant, de le faire ;

  • - lorsque l'objet ou les fonds remis, sont fongibles, tel que des sommes d'argent, l'acte de dissipation ne suffit, mais doit s'ajouter l'impossibilité ou le refus de restituer l'équivalent à l'échéance du contrat ;

  • - en l'espèce, le refus de restituer n'est intervenu qu'en janvier 2009, et perdure ;

  • - la loi n° 1.349 du 25 juin 2008 introduisant l'article 4-4 du Code pénal, prévoyant la responsabilité pénale des personnes morales a été promulguée le 4 juillet 2008 et trouve à s'appliquer en l'espèce ;

  • - l'avocat-défenseur intervenant à l'audience pour le compte d'une personne morale, partie-civile, est présumé avoir été régulièrement désigné ;

  • - le préjudice indemnisable doit résulter exclusivement du comportement fautif du prévenu.

La SAM A. a interjeté appel du jugement en toutes ses dispositions le 21 décembre 2016 et le Ministère public a interjeté appel incident le même jour.

Dans la perspective de l'audience du 15 mai 2017, à laquelle l'affaire est venue, la SAM A. a déposé le 12 mai 2017 des conclusions aux fins d'irrecevabilité de la constitution de partie civile, des conclusions aux fins de nullité de la prévention, et des conclusions aux fins de relaxe, faisant valoir que :

  • - le pouvoir spécial daté du 25 juin 2009 remis par Monsieur MU. lors du dépôt de la plainte le 26 juin 2009 est dénué de valeur probante, mais établit que celui-ci n'avait plus qualité pour représenter et agir au nom de la société C. à compter du 1er décembre 2009,

  • - la plainte avec constitution de partie civile déposée par le Président du Conseil d'administration ne mentionne ni l'identité du Président, ni l'étendue et la nature de ses pouvoirs,

  • - pour les mêmes motifs, la représentation en justice de la société C. n'est pas davantage recevable, alors de surcroît qu'elle ne peut se constituer partie civile pour la première fois devant la Cour d'appel,

  • - la prévention retenue dans l'ordonnance de renvoi est entachée de nullité, en ce qu'elle ne vise pas le ou les textes de loi qui répriment les faits poursuivis, et ne précise ni par quel organe ou représentant le délit reproché à la société A. a été commis, ni qu'il a été commis pour le compte de la société,

  • - ces omissions sont de nature à porter atteinte à ses intérêts, qui doivent être sanctionnées par la nullité de la prévention au visa de l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme,

  • - au sens de la lettre d'intention, le terme anglais « deposit » doit être traduit par le terme d'acompte ou d'arrhes, mais non par le terme de dépôt,

  • - le représentant de la société A. a bénéficié d'un non-lieu du fait de sa bonne foi, de sorte que la faute reprochée à la personne morale, résultant de l'acte matériel commis pour son compte par l'un de ses organes ou son représentant, n'est pas caractérisée,

  • - à supposer établi le délit d'abus de confiance, il a été consommé dès le 30 mai 2008, la loi prévoyant la responsabilité pénale des personnes morales ayant été publiée au Journal de Monaco le 4 juillet 2008.

À l'audience du 15 mai 2017, la partie civile s'est opposée à l'exception de nullité et aux moyens d'irrecevabilité et de relaxe soulevés par la prévenue.

Le Ministère public a requis la confirmation du jugement.

Le conseil de la SAM A. a repris et développé les moyens contenus dans ses écritures.

La prévenue, représentée par son Président Administrateur délégué, a eu la parole en dernier.

SUR CE,

  • 1°- Sur la recevabilité des appels

Attendu que l'appel principal de la SAM A. et l'appel incident du Ministère public, interjetés dans les formes et délais prescrits, sont recevables ;

  • 2°- Sur l'exception de nullité de la prévention

Attendu que selon la société appelante, la prévention suivant laquelle elle a été renvoyée devant le Tribunal correctionnel serait nulle, en ce qu'elle ne vise pas le ou les textes de loi qui répriment le fait poursuivi, et en ce qu'elle ne précise pas l'organe ou le représentant par lequel le délit d'abus de confiance reproché à la société a été commis, ni que le délit a été commis pour le compte de la société ;

Attendu que lorsque le Tribunal correctionnel est saisi par une décision de renvoi des juridictions d'instruction, comme c'est le cas en l'espèce, c'est cette décision qui détermine les faits déférés à la juridiction répressive et fixe l'étendue et la date de la saisine ;

Que la citation délivrée au prévenu n'ayant dans ce cas pour objet essentiel que de permettre à ce dernier de se présenter aux jours et heures fixés devant la juridiction de jugement, elle n'est pas soumise aux prescriptions de l'article 369 du Code de procédure pénale ;

Que l'article 224 du Code de procédure pénale relatif aux ordonnances du juge d'instruction indique les mentions qu'elles doivent contenir se rapportant aux « nom, prénoms, date et lieu de naissance de l'inculpé, la qualification du fait qui lui est imputé et la déclaration qu'il existe ou n'existe pas de charges suffisantes » ;

Attendu qu'en l'espèce, l'ordonnance de non-lieu partiel et de renvoi devant le Tribunal correctionnel du juge d'instruction en date du 16 mars 2015, confirmée par un arrêt de la Chambre du Conseil de la Cour d'appel du 26 juin 2015, a renvoyé la SAM A. devant le Tribunal correctionnel, pour avoir « à Monaco, dans le courant des années 2008 à 2011 et depuis temps non couvert par la prescription, détourné ou dissipé au préjudice de la société C., la somme de 5,3 millions d'euros qui ne lui avait été remise par virement du 30 mai 2008 qu'à titre de dépôt, à charge de la rendre ou représenter ou d'en faire un usage ou un emploi contractuellement déterminé ; Délit prévu et réprimé par les articles 4-4, 26 et 337 du Code Pénal » ;

Que cette décision, conforme aux dispositions de l'article 224 du Code de procédure pénale, ce qui n'est pas contesté, est aujourd'hui définitive ;

Qu'en tout état de cause, elle comporte le détail des faits reprochés et la référence aux articles du code dont la violation constitue l'infraction visée dans la poursuite, et à celui prévoyant la responsabilité des personnes morales ;

Que le défaut de référence expresse aux articles 29-1 à 29-6 relatifs à la répression des personnes morales, n'est pas de nature à faire grief, dès lors que l'article 4-4 du Code pénal mentionné dans la décision de renvoi les vise, permettant ainsi à la société prévenue de préparer utilement sa défense ;

Attendu qu'enfin il ne saurait être tiré argument de la jurisprudence française visée, se prononçant sur les conditions de mise en œuvre de la responsabilité des personnes morales, mais qui n'impose nullement que la prévention soit tenue de viser l'organe ou le représentant de la société pour le compte de laquelle il a agi, ce qu'au demeurant la loi ne prévoit pas ;

Que dans ces conditions, l'exception de nullité doit être rejetée ;

Que le jugement sera confirmé de ce chef ;

  • 3°- Sur le moyen tiré de l'irrecevabilité de la constitution de partie civile

Attendu qu'il résulte des dispositions légales (articles 73 et 74 du Code de procédure pénale) que la personne lésée par un délit peut saisir de sa constitution de partie civile un juge d'instruction, ou se porter partie civile devant le Tribunal compétent, l'article 2 du Code de procédure pénale prévoyant un droit à réparation du préjudice directement causé par l'infraction à tous ceux qui en ont personnellement souffert ;

Que le droit de se constituer partie civile et le droit à réparation pour la victime d'une infraction est général et appartient aux personnes physiques comme aux personnes morales ;

Que la société C., personne morale, est habilitée à se constituer partie civile et à demander réparation dans les conditions prévues par les dispositions légales rappelées ;

Qu'elle agit par son représentant légal, sans aucune autre formalité ni exigence légale lui imposant de mentionner l'identité de son représentant, et l'étendue de ses pouvoirs ;

Que dans ces conditions, c'est à bon droit que le Tribunal a rejeté le moyen tiré de l'irrecevabilité de la constitution de partie civile ;

Qu'il y a lieu de confirmer le jugement de ce chef ;

  • 4°- Sur la responsabilité pénale de la SAM A.

Attendu que la SAM A. fait valoir que le délit d'abus de confiance, qui lui est reproché, n'est pas constitué, l'élément matériel et l'élément intentionnel faisant défaut ;

Qu'à titre subsidiaire, elle considère qu'à la date des faits et en l'absence de texte prévoyant la responsabilité pénale des personnes morales, l'élément légal fait également défaut ;

  • L'élément matériel

Attendu qu'aux termes de l'article 337 du Code pénal, se rend coupable d'abus de confiance « quiconque aura détourné ou dissipé, au préjudice des propriétaires, possesseurs ou détenteurs, des fonds, meubles, effets, deniers, marchandises, billets, promesses, quittances ou tous autres écrits contenant ou opérant obligation ou décharge, qui ne lui auraient été remis qu'à titre de louage, de dépôt, de mandat, de nantissement, de prêt à usage ou pour un travail, salarié ou non, à charge de les rendre ou représenter, ou d'en faire un usage ou un emploi déterminé. » ;

Qu'ainsi l'abus de confiance suppose une remise réelle, faite à titre précaire, d'un des objets que le texte légal énumère, en exécution d'un des contrats qu'il désigne expressément, ayant fait l'objet d'un détournement ou d'une dissipation ;

Attendu qu'en l'espèce, en exécution d'une lettre d'intention du 29 mai 2008, de conclure un contrat de construction de yacht entre la SAM A., intervenant en qualité d'entrepreneur général, et la société C. désignée comme étant l'acheteur, une somme de 5.300.000 euros a été versée par celle-ci à l'entreprise générale ;

Que la nature de cette remise est discutée, le contrat rédigé en anglais mentionnant qu'elle est intervenue à titre de « deposit » ;

Que le recours à un traducteur, même assermenté, n'a pas d'autre intérêt que celui de mettre en évidence que le mot « deposit » peut tout à la fois être traduit en français par le terme « dépôt », que par celui d' « acompte », ou « arrhes » ;

Attendu que pour déterminer la nature du contrat en vertu duquel la chose a été remise, il convient de se reporter aux clauses du contrat, permettant de rechercher la commune intention des parties ;

Que ladite lettre, en exécution de laquelle la somme litigieuse a été remise, ne constitue pas le contrat de construction, mais énonce l'intention des parties de parvenir à sa conclusion ;

Que cette lettre d'intention contient l'engagement des parties de conclure un contrat de construction, celui de la SAM A. de fournir les éléments qu'elle énumère dès avant la conclusion du contrat, fixe le prix d'achat du yacht à 53.000.000 euros et sa date de livraison, ainsi que la date du contrat de construction à intervenir, sous condition suspensive de l'obtention d'un prêt bancaire par l'acheteur ;

Qu'elle précise également que la somme de 5.300.000 euros remise à cette occasion sera conservée sur un compte portant intérêt, qu'en cas de non obtention du prêt la moitié de cette somme outre les intérêts seront restitués à l'acheteur, les 50% restants étant conservés par l'entrepreneur général, à titre d'indemnisation, et qu'en cas de conclusion du contrat la somme et les intérêts courus viendront en déduction du versement du prix d'achat ;

Attendu que le contrat de construction n'est pas intervenu ;

Que c'est dans ces circonstances, que par sentence du 15 juillet 2011, le Tribunal arbitral de Milan, se référant à la clause de la lettre d'intention prévoyant, dans cette situation, la restitution à l'acheteur de 50% de la somme de 5.300.000 euros, a condamné la société A. au paiement immédiat de la somme de 2.650.000 euros ainsi qu'au paiement des intérêts produits par la somme de 5.300.000 euros ;

Attendu qu'il résulte de ces éléments qu'à l'époque de la remise, la somme de 5.300.000 euros devait être déposée sur un compte productif d'intérêts ;

Qu'elle devait pour partie venir compenser le préjudice subi par le constructeur résultant de la non-conclusion du contrat, le surplus devant être restitué à l'acheteur ;

Que si cette somme avait vocation à venir en déduction du versement du prix d'achat, et à constituer un acompte sur ce prix, rien de tel n'est intervenu, le contrat n'ayant pas été conclu ;

Qu'ainsi jusqu'à la date de conclusion du contrat, la somme a été remise à titre de dépôt, à charge pour la société A. de la représenter à hauteur de la moitié, outre les intérêts courus, à défaut de conclusion du contrat ;

Attendu que la restitution des sommes dues n'est pas intervenue, en dépit d'une mise en demeure du 29 août 2011 ;

Que le détournement et la dissipation des fonds sont établis par le dossier d'instruction qui a mis en évidence qu'ils n'ont pas été conservés sur un compte portant intérêts et qu'ils ont été pour l'essentiel utilisés pour combler le solde débiteur du compte bancaire de la société A. et pour financer des opérations sans lien avec le projet de construction du yacht ;

Qu'en outre, il résulte des déclarations de l'expert-comptable de la société A., qu'à défaut d'un apport en compte courant, la situation financière de la société ne lui permettait pas de restituer la somme due ;

  • L'élément intentionnel

Attendu que l'utilisation des fonds à des fins étrangères à celles stipulées dans la lettre d'intention, qui a été mise en évidence, caractérise à la fois le détournement et l'intention frauduleuse ;

Qu'en effet, les fonds remis qui devaient être déposés sur un compte productif d'intérêts et représentés pour partie, ont servi pour les besoins de la trésorerie de la société A. permettant ainsi de combler les débits de ses comptes bancaires, pour financer d'autres opérations et régler les honoraires d'administrateur ou des salaires ;

Attendu que le détournement et la dissipation ont bien été commis pour le compte de la société A., qui en a tiré un bénéfice direct, ce que n'a pas contesté p. LA., représentant de la société, lorsqu'il a été entendu par les services de police, admettant qu'elle avait disposé de la somme à discrétion, en fonctions de ses besoins, dans le cadre de ses activités ;

Qu'il n'a pas non plus contesté avoir, en sa qualité de représentant de la société, utilisé sans restriction les fonds pour la gestion de la société ;

Attendu qu'aucune exception de bonne foi, tenant à des usages de la profession qui ne sont pas établis et qui contreviendraient en tout état de cause à la commune intention des parties, ne peut être retenue ;

Que par ailleurs, le non-lieu dont a bénéficié Monsieur LA., l'information n'ayant établi ni qu'il avait agi à des fins personnelles, ni qu'il avait accompli des actes de coaction ou de complicité, ne fait pas obstacle à la mise en cause de la responsabilité pénale de la société A., dès lors qu'il est démontré que l'infraction a été commise par lui en sa qualité de représentant de la société, et pour son compte ;

  • L'élément légal

Attendu que le détournement et la dissipation, visés à l'article 337 du Code pénal, existent dès lors que le propriétaire de la chose confiée ne peut plus exercer ses droits sur elle, par suite des agissements frauduleux de celui qui ne la détenait qu'en vertu d'un des contrats limitativement énumérés par la loi ;

Que par ailleurs, lorsque le détournement et la dissipation porte sur une chose fongible, dont le propre est de pouvoir être remplacée à tout moment par une chose équivalente, la dissipation de ces fonds ne réalise l'abus de confiance que lorsque le dépositaire s'est mis dans l'impossibilité de restituer ses fonds ;

Attendu qu'il en résulte qu'il ne peut être retenu, comme l'affirme la société A., que le délit d'abus de confiance, délit instantané, aurait été consommé dès le 30 mai 2008, date de la remise de la somme, et qu'en conséquence ce délit ne peut lui être reproché, en l'absence, à cette date, de dispositions légales, la loi instituant la responsabilité pénale des personnes morales n'ayant été promulguée que le 4 juillet 2008 ;

Attendu qu'en effet d'une part, il est établi que le détournement et la dissipation des fonds se sont poursuivis au-delà du 5 juillet 2008 et que d'autre part, l'abus de confiance ne s'est réalisé que par l'impossibilité de restituer les fonds à l'échéance convenue entre les parties, le 31 janvier 2009 ;

Que dans ces conditions, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a déclaré coupable la société A. des faits poursuivis, commis au préjudice de la société C., et qui l'a condamnée en répression à la peine de 90.000 euros d'amende.

  • 5° - Sur la réparation du préjudice

Attendu que la société A., appelante, ne conteste pas les dispositions civiles du jugement allouant à la société C. la somme de 20.000 euros, qui seront en conséquence confirmées ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D' APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO, statuant en matière correctionnelle, publiquement, contradictoirement à l'égard de la prévenue et par application de l'article 377 du Code de procédure pénale à l'égard de la partie civile,

Reçoit la SAM A. en son appel principal et le Ministère public en son appel incident ;

Confirme le jugement du Tribunal correctionnel du 13 décembre 2016 en toutes ses dispositions ;

Condamne la SAM A. aux frais du présent arrêt ;

Composition🔗

Ainsi jugé et prononcé en audience publique de la Cour d'appel de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le trois juillet deux mille dix-sept, par Monsieur Eric SENNA, Conseiller faisant fonction de Président, Madame Virginie ZAND, Conseiller, Monsieur Paul CHAUMONT, Conseiller, en présence de Monsieur Hervé POINOT, Procureur général adjoint, assistés de Madame Sandra MILLIEN, Greffier.

  • Consulter le PDF