Cour d'appel, 12 juin 2017, a. m. IA. c/ Le Ministère Public

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Abstract🔗

Coopération pénale internationale – Autorisation d'exécution de confiscation – Double incrimination

Résumé🔗

L'article 2 de l'Ordonnance souveraine n° 15.457 du 9 août 2002 relative à la coopération internationale en matière de saisie et de confiscation dans le cadre de la lutte contre le blanchiment, prévoit son application à toute demande de confiscation de choses, produits ou biens, constituant le produit d'une infraction, ou dont la valeur correspondrait au produit d'une infraction, sollicitée sur le fondement de la Convention du Conseil de l'Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime, adoptée à Strasbourg le 8 novembre 1990. L'article 3 de ladite Ordonnance énonce que la demande est rejetée si elle porte sur une infraction considérée comme fiscale au sens de la loi monégasque. La loi monégasque définit l'infraction fiscale comme celle commise en matière d'impôts, de taxes ou autres droits, de douane ou de change. En l'espèce, au regard de la définition précitée de l'infraction fiscale, et sans même qu'il soit besoin d'examiner le moyen tiré de l'absence de double incrimination, la demande d'autorisation d'exécution, sur le territoire monégasque, de la décision de confiscation n° 809 prononcée par le Tribunal de BUCAREST le 28 novembre 2011, confirmée par l'arrêt de la Cour d'appel de BUCAREST du 14 octobre 2014, ne saurait être accueillie pour l'infraction qualifiée, par les autorités judiciaires roumaines, d'évasion fiscale.

Par ailleurs, a. m. IA. a été condamné pour blanchiment, infraction au titre de laquelle la demande d'autorisation d'exécution de la décision de confiscation est également présentée. Il apparaît que l'infraction de blanchiment, délit autonome de l'infraction initiale, est réprimée en droit monégasque et que la demande d'autorisation d'exécution de la décision de confiscation doit être accueillie au regard de l'infraction de blanchiment.

Enfin, a. m. IA. a été condamné pour association de malfaiteurs en vue de commettre un blanchiment, infraction prévue et réprimée, en droit monégasque, par l'article 218 du Code pénal précité, en sorte que sur ce fondement, la demande des autorités judiciaires roumaines doit également être satisfaite.


Motifs🔗

Cour d'appel correctionnelle

ARRÊT DU 12 JUIN 2017

En la cause de :

  • a. m. IA., né le 10 juillet 1965 à Bucarest (Roumanie), de e. et de f., de nationalité roumaine, demeurant X1 à Bucarest (Roumanie) ;

absent, représenté par Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

Aux fins de :

  • - VOIR STATUER SUR LA DEMANDE D'AUTORISATION D'ÉXECUTION SUR LE TERRITOIRE MONÉGASQUE DE LA DÉCISION DE CONFISCATION N° 809 PRONONCÉE LE 28 NOVEMBRE 2011 PAR LE TRIBUNAL DE BUCAREST, SECTION II, DE LA SOMME DE 293.030,16 EUROS DÉPOSÉE SUR LE COMPTE PERSONNEL N° XX OUVERT PAR IA. a. m. DANS LES LIVRES DE LA SOCIÉTÉ G, DÉCISION DÉFINITIVE EN SUITE DE L'ARRÊT N° YY.10.2014 RENDU PAR LA COUR D'APPEL DE BUCAREST, SECTION PÉNALE II

APPELANT

Contre :

  • le MINISTÈRE PUBLIC ;

INTIMÉ

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO, jugeant correctionnellement, après débats à l'audience du 8 mai 2017 ;

Vu le jugement contradictoirement rendu conformément aux dispositions de l'article 377 du ode de procédure pénale par le Tribunal correctionnel le 14 mars 2017 ;

Vu les appels interjetés le 21 mars 2017 par Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur, pour a. m. IA., prévenu et le 22 mars 2017 par le ministère public, à titre incident ;

Vu l'ordonnance présidentielle en date du 29 mars 2017 ;

Vu la citation, suivant exploit, enregistré, de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 3 avril 2017 ;

Vu les pièces du dossier ;

Ouï Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, en son rapport ;

Ouï le Ministère public en ses réquisitions ;

Ouï Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur pour a. m. IA., prévenu, en ses moyens d'appel et plaidoiries ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Par jugement contradictoire en date du 14 mars 2017, le Tribunal correctionnel a, sur la poursuite :

« aux fins de voir statuer sur la demande d'autorisation d'exécution sur le territoire monégasque de la décision de confiscation n° 809 prononcée le 28 novembre 2011 par le tribunal de Bucarest, section II, de la somme de 293.030,16 euros déposée sur le compte personnel n° XX ouvert par IA. a. m. dans les livres de la société G, décision définitive en suite de l'arrêt n°YY.10.2014 rendu par la Cour d'appel de Bucarest, section pénale II » ;

  • - ordonné l'exécution sur le territoire monégasque de la décision de confiscation n° 809 prononcée le 28 novembre 2011 par le tribunal de Bucarest, section II, de la somme de 293.030,16 euros déposée sur le compte personnel n° XX ouvert par a. m. IA. dans les livres de la société G, décision définitive en suite de l'arrêt n° YY.10.2014 rendu par la Cour d'appel de Bucarest, section pénale II ;

  • - condamné, enfin, a. m. IA., aux frais.

Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur, pour a. m. IA., prévenu, a interjeté appel de cette décision par acte de greffe en date du 21 mars 2017.

Le Ministère public a interjeté appel incident de ladite décision le 22 mars 2017.

Considérant les faits suivants :

Le 28 novembre 2011, le Tribunal de Bucarest a ordonné la confiscation de la somme de 293.030,16 euros déposée sur le compte personnel n° XX ouvert à Monaco dans les livres de la société G au nom d a. m. IA..

Cette décision de confiscation, a été confirmée par un arrêt de la Cour d'appel de Bucarest, section pénale II, en date du 14 octobre 2014, qui a, en outre, condamné a. m. IA. à la peine de huit ans d'emprisonnement pour évasion fiscale « en forme continue », à la peine de cinq ans d'emprisonnement pour association afin de commettre des infractions et à la peine de dix ans d'emprisonnement pour blanchiment d'argent « en forme continue ».

Le 28 octobre 2014, le Juge délégué au Bureau des exécutions pénales a sollicité des autorités monégasques, l'exécution des décisions susvisées prononçant la confiscation sur le fondement de la Convention du 8 novembre 1990 relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie, et à la confiscation des produits du crime, rendue exécutoire en Principauté par l'Ordonnance souveraine n° 15.452 du 8 août 2002.

Le Procureur général a fait citer a. m. IA. devant le Tribunal correctionnel « pour voir statuer, dans le cadre d'une procédure suivie des chefs de blanchiment, fraude fiscale, association de malfaiteurs, sur la demande d'autorisation d'exécution, sur le territoire monégasque, de la décision de confiscation n° 809 prononcée le 28 novembre 2011 par le Tribunal de BUCAREST, section II, de la somme de 293.030,16 euros déposée sur le compte personnel n° XX ouvert par IA. a. m. dans les livres de la société G, décision définitive en suite de l'arrêt n° YY.10.2014, rendu par la Cour d'appel de BUCAREST, section pénale II. »

a. m. IA. n'a pas comparu à l'audience du Tribunal correctionnel. Il a été représenté par son conseil qui a conclu au rejet de la demande des autorités roumaines au motif, essentiellement, que la décision judiciaire roumaine de confiscation portait sur une infraction considérée comme fiscale au sens de la loi monégasque et qu'elle ne pouvait, de ce fait, être exécutée en Principauté.

Par jugement en date du 4 octobre 2016, contradictoire en application des dispositions de l'article 377 du Code de procédure pénale, le Tribunal correctionnel a sursis à statuer et invité le Ministère public à se rapprocher des autorités judiciaires roumaines requérantes pour solliciter la production de l'intégralité du jugement du Tribunal de Bucarest du 28 novembre 2011 ou, à tout le moins, de l'arrêt de la Cour d'appel n° YY.10.2014.

Par jugement en date du 14 mars 2017, contradictoire en application des dispositions de l'article 377 du Code de procédure pénale, le Tribunal correctionnel a ordonné l'exécution, sur le territoire monégasque, de la décision de confiscation n° 809 prononcée le 28 novembre 2011 par le Tribunal de Bucarest, section II, de la somme de 293.030,16 euros déposée sur le compte personnel n° XX ouvert à Monaco dans les livres de la société G au nom d a. m. IA., décision définitive en suite de l'arrêt n° YY.10.2014, rendu par la Cour d'appel de BUCAREST, section pénale II.

Pour statuer ainsi, le Tribunal a retenu que :

  • l'association en vue de commettre des crimes et le blanchiment sont des infractions prévues et réprimées par le Code pénal monégasque en ses articles 209 et 218,

  • le chef de condamnation pour « évasion fiscale » correspond, en réalité, à des faits pouvant être qualifiés d'escroqueries ou encore de fraude à l'impôt sur les bénéfices et à la taxe sur la valeur ajoutée, infractions prévues par la législation monégasque,

  • les avoirs visés auraient pu être confisqués dans des circonstances analogues selon la loi monégasque.

Par acte en date du 21 mars 2017, le conseil d a. m. IA. a relevé appel de ce jugement.

Le 22 mars 2017, le Procureur général en a relevé appel incident.

À l'audience fixée pour l'examen de l'affaire, le Procureur général a requis la confirmation du jugement.

Le conseil d a. m. IA. a demandé à la Cour d'infirmer le jugement sur le fondement des moyens déjà soutenus en première instance tenant à la nature fiscale des infractions poursuivies et à l'absence, pour certaines d'entre elles, de double incrimination.

SUR CE,

  • 1 - Attendu que les appels, relevés dans les formes et délais prescrits par les articles 406 et 411 du Code de procédure pénale, sont réguliers et recevables ;

  • 2 - Attendu que les seuls moyens soulevés devant la Cour par le conseil d a. m. IA. sont relatifs à la nature fiscale de l'infraction d'évasion fiscale poursuivie, à l'absence d'incrimination, en droit monégasque, de l'évasion fiscale, et au fait que le blanchiment d'évasion fiscale ne saurait, au regard de l'article 218-2 du Code pénal et de l'article 18 de la loi n° 1.262 du 3 août 2009, être reproché à a. m. IA., qui n'a pas la qualité de dirigeant d'un organisme financier ;

  • 3 - Attendu que l'article 2 de l'Ordonnance souveraine n° 15.457 du 9 août 2002 relative à la coopération internationale en matière de saisie et de confiscation dans le cadre de la lutte contre le blanchiment, prévoit son application à toute demande de confiscation de choses, produits ou biens, constituant le produit d'une infraction, ou dont la valeur correspondrait au produit d'une infraction, sollicitée sur le fondement de la Convention du Conseil de l'Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime, adoptée à Strasbourg le 8 novembre 1990 ;

Que l'article 3 de ladite Ordonnance énonce que la demande est rejetée si elle porte sur une infraction considérée comme fiscale au sens de la loi monégasque ;

Attendu que la loi monégasque définit l'infraction fiscale comme celle commise en matière d'impôts, de taxes ou autres droits, de douane ou de change ;

Attendu qu'au cas d'espèce, il apparaît que par décision de la Cour d'appel de BUCAREST en date du 14 octobre 2014, a. m. IA. a été condamné des chefs d'évasion fiscale « sous la forme continue », association de malfaiteurs et blanchiment, respectivement aux peines principales suivantes : 8 ans d'emprisonnement, 5 ans d'emprisonnement et 10 ans d'emprisonnement ;

Que cette décision a, au titre de ces trois infractions, prononcé également la confiscation de certains biens meubles et immeubles du condamné, notamment celle de la somme de 293.030,16 euros déposée sur son compte personnel n° XX ouvert à Monaco dans les livres de la société G ;

Attendu que l'exposé des faits contenu dans la demande d'entraide judiciaire internationale en matière pénale permet de comprendre que les faits à l'origine de la poursuite pour évasion fiscale sont relatifs à l'achat et à la vente supposés d'une « quantité impressionnante d'huiles minérales avec la conséquence de la déduction des frais réputés avoir été faits pour acquérir cette large quantité d'huiles minérales, des revenus obtenus par la SRL H, ce qui a déterminé une baisse des montants dus au budget public en tant que taxe sur valeur ajoutée et impôt sur les bénéfices. La saisie comptable des frais qui n'étaient pas fondés sur des opérations réelles, ce qui a engendré une baisse de la TVA et de l'impôt sur les bénéfices dus au budget de l'État, réunit les éléments constitutifs de l'infraction d'évasion fiscale » ;

Qu'au regard de la définition précitée de l'infraction fiscale, et sans même qu'il soit besoin d'examiner le moyen tiré de l'absence de double incrimination, la demande d'autorisation d'exécution, sur le territoire monégasque, de la décision de confiscation n° 809 prononcée par le Tribunal de BUCAREST le 28 novembre 2011, confirmée par l'arrêt de la Cour d'appel de BUCAREST du 14 octobre 2014, ne saurait être accueillie pour l'infraction qualifiée, par les autorités judiciaires roumaines, d'évasion fiscale ;

Attendu que, par ailleurs, a. m. IA. a été condamné pour blanchiment, infraction au titre de laquelle la demande d'autorisation d'exécution de la décision de confiscation est également présentée ;

Attendu que contrairement à ce que soutient le conseil d a. m. IA., l'infraction de blanchiment pour laquelle ce dernier a été condamné est prévue et réprimée par l'article 218 du Code pénal monégasque, et non par l'article 218-2 du même code, qui ne vise pas le cas d a. m. IA. et n'est applicable qu'à ceux qui, par méconnaissance de leurs obligations professionnelles, ont apporté leur concours à toute opération de transfert, de placement, de dissimulation ou de conversion de bien des capitaux d'origine illicite ;

Qu'ainsi, il apparaît que l'infraction de blanchiment, délit autonome de l'infraction initiale, est réprimée en droit monégasque et que la demande d'autorisation d'exécution de la décision de confiscation doit être accueillie au regard de l'infraction de blanchiment ;

Attendu qu'enfin, a. m. IA. a été condamné pour association de malfaiteurs en vue de commettre un blanchiment, infraction prévue et réprimée, en droit monégasque, par l'article 218 du Code pénal précité, en sorte que sur ce fondement, la demande des autorités judiciaires roumaines doit également être satisfaite ;

Attendu qu'en conséquence, le jugement entrepris sera confirmé, sauf à préciser que l'exécution sur le territoire monégasque, de la décision de confiscation n° 809 prononcée le 28 novembre 2011 par le Tribunal de Bucarest, section II, de la somme de 293.030,16 euros déposée sur le compte personnel n° XX ouvert à Monaco dans les livres de la société G au nom d a. m. IA., décision définitive en suite de l'arrêt n° YY. 10. 2014, rendu par la Cour d'appel de BUCAREST, section pénale II, n'est ordonnée que du chef des infractions de blanchiment et d'association de malfaiteurs ;

Attendu que l'appelant supportera les frais du présent arrêt ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO, statuant en matière correctionnelle, publiquement et contradictoirement en application de l'article 377 du Code de procédure pénale,

Reçoit les appels ;

Confirme le jugement rendu le 14 mars 2017 par le Tribunal correctionnel en ses dispositions appelées, sauf à préciser que l'exécution sur le territoire monégasque, de la décision de confiscation n° 809 prononcée le 28 novembre 2011 par le Tribunal de Bucarest, section II, de la somme de 293.030,16 euros déposée sur le compte personnel n° XX ouvert à Monaco dans les livres de la société G au nom d a. m. IA., décision définitive en suite de l'arrêt n° YY. 10. 2014, rendu par la Cour d'appel de BUCAREST, section pénale II, n'est ordonnée que du chef des infractions de blanchiment et d'association de malfaiteurs ;

Condamne a. m. IA. aux frais du présent arrêt ;

Composition🔗

Après débats en audience publique de la Cour d'appel de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le huit mai deux mille dix-sept, qui se sont tenus devant Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, faisant fonction de Président, Monsieur Eric SENNA, Conseiller, Madame Virginie ZAND, Conseiller, en présence de Monsieur Jacques DOREMIEUX, Procureur général, assistés de Madame Sandra MILLIEN, Greffier ;

Après qu'il en ait été délibéré et jugé, le présent arrêt a été signé par Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, faisant fonction de Président, Monsieur Eric SENNA, Conseiller, Madame Virginie ZAND, Conseiller, magistrats en ayant délibéré et ce en application des articles 58 à 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013, relative à l'administration et à l'organisation judiciaires ;

Lecture étant donnée à l'audience publique du douze juin deux mille dix-sept par Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, faisant fonction de Président, assistée de Madame Sandra MILLIEN, Greffier, en présence de Monsieur Jacques DOREMIEUX, Procureur général, et ce en application des dispositions des articles 58 à 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013.

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