Cour d'appel, 6 juin 2017, La SARL A c/ Monsieur m. MAS. et la SCI B
Abstract🔗
Responsabilité civile - Acquisition d'un bien immobilier - Création d'une SCI - Défendeur libéré de son offre d'achat - Achat du bien par la SCI - Perte de la commission due à l'agent immobilier - Faute (non)
Résumé🔗
L'acquéreur d'un bien immobilier, dont le comportement fautif a fait perdre sa commission à l'agent immobilier par l'entremise duquel il a visité le bien immobilier, doit, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, réparation à cet agent immobilier du préjudice qu'il a subi. Cependant, en l'espèce aucune faute ne peut être retenue à l'encontre de l'acquéreur. Lors de la création de la SCI acquéreur du bien litigieux par le défendeur, celui-ci était libéré de l'offre d'achat ainsi que de l'engagement contenu dans le bon de commission. La constitution d'une société civile immobilière est une pratique courante et la circonstance que le défendeur n'en soit pas le gérant mais l'actionnaire majoritaire, apparaissant comme tel dans les statuts, ne rend pas davantage l'opération frauduleuse. L'achat par la SCI du bien immobilier en cause, près de quatre mois après l'expiration de l'engagement du défendeur, ne saurait être considéré comme fautif.
Motifs🔗
COUR D'APPEL
ARRÊT DU 6 JUIN 2017
En la cause de :
- La société à responsabilité limitée dénommée A, immatriculée au Répertoire du Commerce et de l'Industrie de Monaco sous le n° XX, dont le siège social est X1 à Monaco, agissant poursuites et diligences de son gérant en exercice, Monsieur p. MA. ME., demeurant en cette qualité audit siège ;
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
APPELANTE,
d'une part,
contre :
1- Monsieur m. MAS., rentier, divorcé, de nationalité italienne, né à Nogarole Vicentino (Italie), le 26 octobre 1950, demeurant et domicilié « X2 », X2 à Monaco ;
2- La société civile immobilière dénommée « B », au capital de XXX d'euros, constituée aux termes de ses statuts suivant acte sous seing privé en date du 24 janvier 2014, enregistré à Monaco le 6 février 2014, immatriculée au Répertoire Spécial des Sociétés Civiles de Monaco sous le n° XX, dont le siège social est X3 à Monaco, prise en la personne de son gérant en exercice, Monsieur f. FE., né à Sorengo (Suisse) le 12 février 1965, de nationalité suisse, demeurant et domicilié X4,
Ayant tous deux élu domicile en l'Étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant Maître Donald MANASSE, avocat au Barreau de Nice ;
INTIMÉS,
d'autre part,
LA COUR,
Vu le jugement rendu par le Tribunal de première instance, le 20 septembre 2016 (R.7447) ;
Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Patricia GRIMAUD-PALMERO, huissier, en date du 27 octobre 2016 (enrôlé sous le numéro 2017/000042) ;
Vu les conclusions déposées le 17 janvier 2017 par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de m. MAS. et la SCI B ;
À l'audience du 9 mai 2017, vu la production de leurs pièces par les conseils des parties ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
La Cour statue sur l'appel relevé par la SARL A à l'encontre d'un jugement du Tribunal de Première Instance du 20 septembre 2016.
Considérant les faits suivants :
Par exploit d'huissier en date du 29 juillet 2014, l'agence immobilière SARL A a fait assigner m. MAS. et la société civile immobilière B devant le Tribunal de Première Instance, en paiement de la somme principale de 200.000 euros, à titre d'honoraires, sur le fondement de l'article 989 du Code civil et de l'article 12 de la loi n° 1.252 du 12 juillet 2002 relative aux agents immobiliers, ainsi que de la somme accessoire de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive.
La société demanderesse exposait qu'elle s'était vue confier la vente d'un appartement de type F3 avec cave et parkings, dépendant de l'immeuble W, X5 à Monaco, qu'elle avait fait visiter ce bien immobilier à m. MAS., que celui-ci avait fait une offre d'achat le 25 novembre 2013 au prix de 6 millions d'euros, qu'il avait, le même jour, signé un bon de commission au profit de l'agence immobilière pour un montant de 200.000 euros au titre des honoraires dus sur la vente à venir, que le propriétaire avait refusé cette offre, qu'il avait fait une contre-offre au prix de 6,5 millions d'euros et qu'elle avait appris, quelques mois plus tard, que la SCI B, représentée par m. MAS., avait signé un contrat de vente le 18 mars 2014 pour le bien immobilier litigieux au prix de 6.500.000 euros.
Par jugement avant-dire droit du 12 novembre 2015, le Tribunal de Première Instance a dit n'y avoir lieu d'écarter des débats les pièces numérotées 6, 7 et 8 produites par la SARL A, ordonné la réouverture des débats et invité les parties à s'expliquer sur la responsabilité contractuelle et/ou délictuelle des défendeurs.
Par jugement contradictoire du 20 septembre 2016, le Tribunal de Première Instance a statué ainsi qu'il suit :
« - déboute la SARL A de sa demande principale en paiement de la somme de 200.000 euros,
- déboute la SARL A de sa demande accessoire en paiement de la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive,
- déboute m. MAS. et la SCI B de leur demande reconventionnelle en paiement de la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,
- condamne la SARL A aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat défenseur, sous sa due affirmation,
- ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable ».
Pour statuer ainsi, le Tribunal a retenu :
- sur la responsabilité contractuelle, que la SCI B n'avait aucun lien contractuel avec la société demanderesse, en sorte que sa responsabilité ne pouvait pas être recherchée sur ce fondement,
- sur l'existence d'un mandat de recherches, que l'existence d'un tel mandat, même tacite, n'était pas avérée,
- sur la responsabilité délictuelle, que la preuve d'une faute susceptible d'ouvrir droit à réparation au bénéfice de la SARL A n'était pas rapportée.
Par exploit d'appel et assignation délivré le 27 octobre 2016, la SARL A a relevé appel de cette décision.
Au terme de cet exploit, la SARL A demande à la Cour de :
« - accueillir l'appelante en son exploit d'appel et assignation comme recevable en la forme,
au fond, et statuant à nouveau,
- voir infirmer le jugement entrepris,
- dire et juger que les manœuvres frauduleuses de Monsieur MAS. et de la SCI B afin de ne pas avoir à payer de commission à l'agent immobilier qui a permis la vente du bien immobilier de se concrétiser (SIC), sont de nature à engager leur responsabilité délictuelle à l'égard dudit agent immobilier,
- dire et juger que la faute ainsi commise conjointement par le sieur MAS. et la SCI B ont (SIC) causé un préjudice à la SARL A à hauteur de 200.000 euros,
- en conséquence, voir condamner conjointement et solidairement Monsieur MAS. et la SCI B à payer à la SARL A la somme de 200.000 euros à titre de dommages et intérêts,
- voir condamner in solidum Monsieur MAS. et la SCI B à payer à la SARL A la somme de 10.000 euros à titre de légitimes dommages et intérêts, compte tenu de la résistance abusive et de la parfaite mauvaise foi dont ont fait preuve les intimés,
- condamner enfin, sous la même solidarité, Monsieur m. MAS. et la SCI B aux entiers dépens de l'instance, distraits au profit de Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ».
La société appelante estime que la responsabilité délictuelle des intimés est engagée sur le fondement de l'article 1229 du Code civil et qu'elle en rapporte la preuve.
Elle fait valoir que la faute est constituée dès lors qu'après avoir visité le bien immobilier par l'intermédiaire de l'agence SARL A, m. MAS. a établi une offre d'achat le 25 novembre 2013 à hauteur de 6.000.000 d'euros et signé, le même jour, un bon de commission d'un montant de 200.000 euros au titre des honoraires dus à l'agence. Elle précise que cette offre a été transmise au propriétaire, qui a fait une contre-proposition à hauteur de 6.500.000 euros net vendeur.
Elle considère que le fait, pour Monsieur MAS., d'avoir, quelque temps après, constitué une société immobilière qui s'est portée acquéreur du bien immobilier au prix de 6.500.000 euros, a constitué une manœuvre destinée à éluder le paiement de la commission d'agence.
Sur le préjudice, elle rappelle que son évaluation relève du pouvoir souverain des juges du fond, et estime qu'il est équivalent à la commission qu'elle aurait dû percevoir.
Aux termes de conclusions déposées le 17 janvier 2017, m. MAS. et la société SCI B demandent à la Cour de :
« - écarter des débats les statuts de la SCI B (pièce adverse n° 7) ainsi que l'acte intégral d'acquisition (pièce adverse n° 8) et l'attestation notariée (pièce adverse n° 6), lesquels documents n'ont pu être obtenus par la SARL A qu'en trompant la religion des Juges quant au bien-fondé de ses arguments en prétextant un intérêt réel, et en violation de l'article 308 du Code pénal, sur le territoire monégasque dans une période non prescrite,
- débouter la SARL A de ses demandes, fins et conclusions, en ce qu'elles sont mal fondées,
- confirmer le jugement en date du 20 septembre 2016 entrepris en toutes ses dispositions,
- condamner la SARL A à verser à chacun des concluants la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour mauvaise foi et procédure abusive,
- condamner la SARL A aux entiers frais et dépens distraits au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ».
Les intimés font valoir, en substance, que l'appelante ne démontre ni faute, ni préjudice, précisant d'une part, que Marc MAS. était libéré de tout engagement depuis le 29 novembre 2013, son offre d'achat, expirant à cette date, n'ayant pas été acceptée par le vendeur, d'autre part, que la société civile particulière qu'il avait créée postérieurement ne constituait pas une manœuvre frauduleuse.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.
SUR CE,
1 - Attendu que l'appel, relevé dans les formes et délais prescrits par le Code de procédure civile, est régulier et recevable ;
2 - Attendu que la demande, formée par m. MAS. et la SCI B, tendant au rejet des pièces adverses n° 6, 7, et 8 a été rejetée par jugement du Tribunal de Première Instance du 12 novembre 2015, dont il n'a pas été relevé appel ;
Que, de ce fait, cette demande est sans objet ;
3 - Attendu qu'en cause d'appel, aucune demande n'est formée par la société appelante sur le fondement de la responsabilité contractuelle ;
4 - Attendu que l'acquéreur d'un bien immobilier, dont le comportement fautif a fait perdre sa commission à l'agent immobilier par l'entremise duquel il a visité le bien immobilier, doit, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, réparation à cet agent immobilier du préjudice qu'il a subi ;
Attendu que l'article 1229 du Code civil énonce que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à réparer ;
Qu'il appartient à celui qui agit sur le fondement de ce texte, de rapporter la triple démonstration d'une faute, d'un préjudice, et d'un lien de causalité direct et certain entre eux ;
Attendu qu'au cas d'espèce, il est fait reproche à m. MAS., signataire d'un bon de commission au profit de l'agence immobilière appelante, d'avoir constitué le 24 janvier 2014, soit deux mois après l'offre d'achat et la signature de ce bon, une société civile immobilière, la SCI B, dont il est l'actionnaire majoritaire pour détenir 199 parts sur 200, de s'être dissimulé derrière cette société pour se porter acquéreur le 18 mars 2014, du bien immobilier en cause, au prix de 6.500.000 euros, et d'avoir ainsi cherché à éluder le paiement de la commission d'agence d'un montant de 200.000 euros ;
Mais attendu qu'il apparaît que le bon de commission signé le 25 novembre 2013 par m. MAS. était rattaché à l'offre d'achat du même jour par laquelle il déclarait se porter acquéreur du bien immobilier en cause par lui-même, ou pour le compte de toute autre personne physique ou morale à laquelle il se substituerait, au prix de 6.000.000 d'euros ;
Que l'offre de m. MAS., valable jusqu'au 29 novembre 2013 à 17 heures, a été refusée par le propriétaire, ce dernier ayant rappelé que le prix était de 6.500.000 euros net vendeur ;
Qu'à la date du 29 novembre 2013 à 17 heures, m. MAS. se trouvait libéré de l'offre d'achat ainsi que de l'engagement contenu dans le bon de commission ;
Qu'il résulte de cette chronologie que la création par m. MAS., le 24 janvier 2014, d'une SCI en vue de l'acquisition du bien immobilier en cause, réalisée le 18 mars 2014, ne constitue pas une manœuvre frauduleuse ;
Qu'à cela s'ajoute le fait, relevé par les premiers juges, que la constitution d'une société civile immobilière est une pratique courante, inspirée de motifs divers, et que la circonstance que m. MAS. n'en soit pas le gérant mais l'actionnaire majoritaire, apparaissant comme tel dans les statuts, ne rend pas davantage l'opération frauduleuse ;
Qu'ainsi, l'achat par la société SCI B du bien immobilier en cause, près de quatre mois après l'expiration de l'engagement de m. MAS., ne saurait être considéré comme fautif ;
Qu'en conséquence, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'existence d'un préjudice et d'un lien de causalité, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la SARL A des demandes formées à l'encontre m. MAS. et de la société SCI B ;
5 - Attendu que Monsieur MAS. et la société SCI B ont conclu à la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions, et n'ont pas relevé appel incident du chef de cette décision les ayant déboutés de leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
Attendu que, par ailleurs, le recours contre une décision de justice représente l'exercice d'un droit. Que l'appréciation erronée qu'une partie fait de ses droits en cause d'appel n'est pas, en soi, constitutive d'un abus, sauf démonstration d'une faute, non rapportée au cas d'espèce ;
Qu'en conséquence, m. MAS. et la société SCI B seront déboutés de leur demande de dommages-intérêts pour appel abusif ;
6 - Attendu que succombant en son appel, la SARL A en supportera les entiers dépens, distraits au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,
statuant publiquement et contradictoirement,
Reçoit l'appel,
Dit sans objet la demande formée par m. MAS. et la SCI B tendant au rejet des pièces adverses n° 6, 7, et 8,
Confirme le jugement rendu le 20 septembre 2016 par le Tribunal de Première Instance en toutes ses dispositions appelées,
Déboute les intimés de leur demande de dommages-intérêts pour appel abusif,
Condamne la SARL A aux dépens d'appel, distraits au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,
Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable,
Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.
Composition🔗
Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, faisant fonction de Président, Monsieur Éric SENNA, Conseiller, Madame Virginie ZAND, Conseiller, assistés de Madame Nadine VALLAURI, Greffier,
Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,
Lecture est donnée à l'audience publique du 6 JUIN 2017, par Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, faisant fonction de Président, assistée de Madame Nadine VALLAURI, Greffier, en présence de Monsieur Jacques DORÉMIEUX, Procureur Général.