Cour d'appel, 8 mai 2017, La SARL A c/ a-m. LE. épouse FI.

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Abstract🔗

Abus de confiance - Salariée d'une agence immobilière - Vente d'un appartement - Détournement d'honoraires - Vente conclue en qualité de courtier indépendant (non) - Conscience du caractère irrégulier du procédé - Restitution d'une partie des fonds détournés - Absence d'incidence

Résumé🔗

Il est établi que la prévenue a volontairement encaissé sur son compte personnel un chèque d'un montant de 156.676 € établi à son ordre à sa demande qui correspondait au montant des honoraires qui étaient destinés à l'agence immobilière l'employant dans le cadre de la vente d'un appartement. Il convient de préciser que ce chèque a été remis par l'acquéreur du bien à la prévenue en sa qualité de directrice salariée et non, comme elle le prétend, en qualité de courtier indépendant. En effet, il est démontré qu'elle bénéficiait d'un contrat de travail au sein de cette agence, étant précisé que cette activité ne peut être exercée en Principauté que sous une forme salariée. Par ailleurs, non seulement aucun courtier travaillant au sein de l'agence ne s'est fait régler sa commission directement par un client, mais elle a admis avoir eu conscience du caractère irrégulier de ce procédé en l'expliquant essentiellement par ses inquiétudes sur le versement de la commission devant lui revenir. Ainsi, ayant connaissance de la précarité de sa possession, elle a agi de mauvaise foi afin de faire prévaloir ses propres intérêts en dépossédant son employeur des honoraires devant lui revenir. Peu importe qu'elle ait restitué spontanément une partie de la somme détournée après avoir déduit le montant de la commission qu'elle considérait devoir lui revenir, cette restitution étant sans effet sur la consommation de l'infraction. Enfin, l'existence d'un préjudice, qui peut n'être qu'éventuel au regard des risques encourus par la dépossession, s'entend tout autant d'un préjudice matériel que moral qui, en l'espèce, est caractérisé par la perte totale de confiance de l'employeur induite par ce comportement frauduleux. Il convient donc de confirmer la culpabilité de la prévenue du chef d'abus de confiance.


Motifs🔗

COUR D'APPEL CORRECTIONNELLE

ARRÊT DU 8 MAI 2017

En la cause de :

  • La Société à Responsabilité Limitée dénommée A, dont le siège social est « X1 », X1 à Monaco, agissant poursuites et diligences de sa gérante en exercice, j. NO-ME., demeurant en cette qualité audit siège ;

Constituée partie civile, présente, assistée de Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

APPELANTE, INTIMÉE

Contre :

  • a-m. LE. épouse FI., née le 31 octobre 1963 à Montbeliard (25), de j. et de m-r. KE., de nationalité monégasque, demeurant « X2 », X2 à Monaco ;

Prévenue de :

  • ABUS DE CONFIANCE

Présente, assistée de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître François SAINT-PIERRE, avocat au barreau de Paris ;

INTIMÉE, APPELANTE

Et du :

  • MINISTÈRE PUBLIC ;

INTIMÉ, APPELANT

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

jugeant correctionnellement, après débats à l'audience du 3 avril 2017 ;

Vu le jugement contradictoirement rendu par le Tribunal correctionnel le 29 novembre 2016 ;

Vu les appels interjetés le 7 décembre 2016, par Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur pour la SARL A, partie civile, et le 13 décembre 2016 par Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur pour a-m. LE. épouse FI., prévenue et par le Ministère public, à titre incident ;

Vu l'ordonnance présidentielle en date du 4 janvier 2017 ;

Vu la citation et signification, suivant exploit, enregistré, de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 9 février 2017 ;

Vu les pièces du dossier ;

Vu les conclusions de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur pour a-m. LE. épouse FI., prévenue, en date du 28 mars 2017 ;

Vu les conclusions de Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur pour la SARL A, partie civile, en date du 31 mars 2017 ;

Ouï Eric SENNA, Conseiller, en son rapport ;

Ouï a-m. LE. épouse FI., prévenue, en ses réponses ;

Ouï j. NO-ME., gérante de la SARL A, partie civile, en ses déclarations ;

Ouï Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur pour j. NO-ME., partie civile, en ses moyens d'appel ;

Ouï le Ministère public en ses réquisitions ;

Ouï Maître François SAINT-PIERRE, avocat au barreau de Paris pour a-m. LE. épouse FI., prévenue, régulièrement autorisé à plaider par le Président, et Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur, en leurs moyens d'appel et plaidoiries ;

Ouï la prévenue en dernier, en ses moyens de défense ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Par jugement contradictoire en date du 29 novembre 2016, le Tribunal correctionnel a, sous la prévention :

  • « D'avoir à Monaco, courant 2013, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, détourné ou dissipé, au préjudice de la SARL A, agence immobilière, propriétaire, possesseur ou détenteur, des fonds, meubles, effets, deniers, marchandises, billets, promesses, quittances ou tous autres écrits, en l'espèce tout ou partie de la somme de 156.676 euros, qui ne lui avait été remise qu'à titre de louage, dépôt, mandat, nantissement, prêt à usage ou pour un travail, salarié ou non, à charge de la rendre ou de la représenter, ou d'en faire un usage ou un emploi déterminé »,

DÉLIT prévu et réprimé par les articles 26 et 337 du Code pénal ;

  • Sur l'action publique

    • - déclaré a-m. LE. épouse FI. coupable du délit qui lui est reproché ;

    En répression, faisant application des articles visés par la prévention ainsi que de l'article 393 du Code pénal,

    • - l'a condamnée à la peine de HUIT MOIS D'EMPRISONNEMENT AVEC SURSIS, l'avertissement prescrit par l'article 395 du Code pénal n'ayant pu être adressé à la condamnée, absente lors du prononcé de la décision ;

  • Sur l'action civile

    • - reçu la SARL A en sa constitution de partie civile ;

    • - la déclarant partiellement fondée en sa demande, condamné a-m. LE. épouse FI. à lui payer la somme de 15.000 euros à titre de dommages-intérêts ;

    • - condamné, en outre, a-m. LE. épouse FI. aux frais qui comprendront les droits prévus par l'article 63 de l'ordonnance souveraine n° 15.173 du 8 janvier 2002, avec distraction au profit de Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur, dont la présence est reconnue effective et nécessaire aux débats.

Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur de la SARL A, partie civile, a interjeté appel de cette décision par acte de greffe en date du 7 décembre 2016.

Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur d a-m. LE. épouse FI., prévenue, a interjeté appel de ladite décision par acte de greffe en date du 13 décembre 2016.

Le Ministère Public a interjeté appel incident de ladite décision le 13 décembre 2016.

Considérant les faits suivants :

Le 6 novembre 2014, la SARL A, agissant poursuites et diligences de sa gérante en exercice, j. NO-ME., déposait, devant le Juge d'instruction, une plainte avec constitution de partie civile du chef d'abus de confiance contre a-m. FI. et toutes autres personnes que l'information révélerait.

La société plaignante exposait qu'a-m. FI. avait été embauchée le 1er novembre 2006 en qualité de courtier par c. NO-ME., mère de l'actuelle gérante, laquelle exploitait en nom personnel une SARL A.

Puis, le 7 mars 2013, c. NO-ME. et sa fille j. constituaient la SARL A, avec laquelle les contrats de travail en cours, et notamment celui d a-m. FI., se poursuivaient.

c. NO-ME. décédait le 14 juin 2013, laissant pour lui succéder, sa fille j. NO-ME..

Au printemps 2013, un penthouse de quatre pièces situé dans l'immeuble « Y » était proposé à la vente par la société B.

La cousine par alliance d a-m. FI., j. FI. divorcée BI., souhaitant se porter acquéreur de ce bien immobilier, mandatait la SARL A pour l'accompagner dans ses démarches en vue de cette acquisition.

Après avoir présenté le 27 mars 2013 une première offre d'achat et versé un acompte représentant 10 % du prix de vente, elle formulait, le 2 avril 2013, une offre d'achat à 6.550.000 euros et réglait un complément de 35.000 euros à titre d'acompte.

L'offre était acceptée le 2 avril 2013 au prix de 6.350.000 euros net vendeur, avec une commission d'agence de 156.676 euros au profit de la société plaignante.

Le 18 juin 2013, j. FI. remettait à a-m. FI., à la demande de celle-ci, un chèque de banque d'un montant de 156.676 euros libellé à l'ordre de cette dernière, qu'elle encaissait sur son compte ouvert à la société C.

a-m. FI. remettait ensuite à p. BR., qui avait été, durant neuf ans, la secrétaire de c. NO., un chèque d'un montant de 35.130 euros.

Le 24 octobre 2013, la SARL A mettait en demeure a-m. FI. de lui verser le solde restant dû au titre de la commission qu'elle avait perçue en lieu et place de l'agence, soit la somme de 94.005,60 euros, faisant valoir qu'en réalité la commission lui revenant n'était que de 20 %.

a-m. FI. s'y refusait, prétendant que sa commission se montait à 80 % des honoraires de l'agence.

Estimant qu'en se faisant remettre l'intégralité de la commission revenant à l'agence, a-m. FI. avait commis un abus de confiance, la SARL A avait déposé plainte de ce chef contre celle-ci.

Des réquisitions aux fins d'informer étaient prises par le Parquet général contre X... du chef d'abus de confiance le 26 novembre 2014.

Une commission rogatoire était confiée le 27 novembre 2014 à la Sûreté publique.

De l'enquête diligentée par les services de police, il ressortait que du temps de c. NO-ME., aucune comptabilité rigoureuse n'était tenue et que tous les employés avaient, pour leur rémunération, des accords verbaux avec celle-ci.

Placée en garde à vue, a-m. FI. expliquait les conditions dans lesquelles elle avait travaillé avec c. NO-ME., assurant que sa commission représentait bien 80% des honoraires hors taxes de l'agence.

Elle reconnaissait avoir directement encaissé l'intégralité de la commission d'agence et précisait avoir ensuite restitué à l'agence les 20% lui revenant. Elle exposait aussi qu'à la suite du décès de c. NO-ME., les comptes de la société avaient été bloqués et pensait qu'elle ne percevrait aucune rémunération pour la vente du penthouse.

Les investigations entreprises par les enquêteurs permettaient de valider le pourcentage des commissions perçues par a-m. FI..

Par réquisitions en date du 1er juillet 2015, le Procureur général estimait que le délit d'abus de confiance n'était pas constitué.

Dans un mémoire déposé le 21 juillet 2015, le conseil de la partie civile considérait, à l'inverse, qu'a-m. FI. devait être inculpée du délit d'abus de confiance et renvoyée devant le Tribunal correctionnel.

Il exposait qu'a-m. FI. avait le statut de salariée, que le fait qu'elle ait toujours été rémunérée à hauteur de 80% de la commission d'agence ne résultait que de ses propres déclarations, qu'incontestablement la commission d'un montant total de 156.676 euros était due à l'agence, ce dont a-m. FI. avait par ailleurs convenu dans ses déclarations, que la désorganisation alléguée de l'agence suite au décès de c. NO-ME. ne pouvait pas autoriser la salariée à demander que le chèque représentant le montant de la commission soit libellé à son ordre ni à l'encaisser et qu a-m. FI. avait bien conscience que cette pratique était irrégulière, que la somme de 156.676 euros était bien due à l'agence et qu'elle n'avait, auparavant, jamais encaissé directement des honoraires dus à l'agence.

Le 21 septembre 2015, il était procédé à l'inculpation d a-m. FI..

Dans un mémoire du 25 novembre 2015, le conseil d a-m. FI. exposait, qu'elle avait déposé le chèque d'un montant de 156.676 euros sur son compte personnel le 25 juin 2013, qu'elle en informait j. NO-ME. par courriel dès le lendemain, que la somme de 156.676 euros était créditée sur le compte de l'inculpée le 26 juin 2013, que cette date correspondait, en réalité, à une date de valeur, que ce même 26 juin 2013, a-m. FI. plaçait la somme de 118.000 euros sur un compte à

terme, que le 1er juillet 2013, la somme de 156.676 euros était effectivement encaissée et que le jour même, elle émettait un chèque de 35.130 euros au bénéfice de la SARL A correspondant aux 20% dus à l'agence et qu'ainsi aucun détournement ne pouvait être reproché à a-m. FI., que celle-ci, de bonne foi, n'avait pas été animée d'une quelconque intention frauduleuse et que la société n'avait subi aucun préjudice.

Le 30 décembre 2015, le Procureur général prenait des réquisitions aux fins de non-lieu.

Par ordonnance en date du 13 janvier 2016, le juge d'instruction rendait une ordonnance de non-lieu, disant n'y avoir lieu à suivre contre a-m. FI. ni contre quiconque du chef d'abus de confiance.

Sur appel de cette décision par la SARL A, la Chambre du conseil de la Cour d'appel par arrêt en date du 19 avril 2016, statuait comme suit :

  • - infirme l'ordonnance de non-lieu rendue le 13 janvier 2016 par le juge d'instruction ;

  • - renvoie devant le Tribunal correctionnel a-m. FI. contre laquelle il résulte de l'information charges suffisantes d'avoir, à Monaco, courant 2013, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, détourné ou dissipé, au préjudice de la SARL A, agence immobilière, propriétaire, possesseur ou détenteur, des fonds, meubles, effets, deniers, marchandises, billets, promesses, quittances ou tous autres écrits, en l'espèce tout ou partie de la somme de 156.676 euros, qui ne lui avait été remise qu'à titre de louage, dépôt, mandat, nantissement, prêt à usage ou pour un travail, salarié ou non, à charge de la rendre ou de la représenter, ou d'en faire un usage ou un emploi déterminé, délit prévu et réprimé par les articles 26 et 337 du Code pénal ;

  • - déclare a-m. FI. prévenue des faits qui lui sont reprochés et la renvoie devant le Tribunal correctionnel du chef précité pour y être jugée conformément à la loi.

Aucune mention ne figure au casier judiciaire d a-m. LE. épouse FI..

Lors de l'audience devant le Tribunal correctionnel a-m. FI. a confirmé ses précédentes déclarations en précisant qu'elle avait bien demandé que le chèque litigieux soit libellé à son nom, qu'elle avait agi de la sorte pour préserver ses droits et être certaine de percevoir sa commission comme courtier de l'agence.

Par jugement du 29 novembre 2016, le Tribunal correctionnel a statué comme suit :

  • - déclare a-m. LE. épouse FI. coupable du délit d'abus de confiance,

  • - la condamne à la peine de huit mois d'emprisonnement avec sursis,

  • - reçoit la SARL A en sa constitution de partie civile,

  • - la déclarant partiellement fondée en sa demande, condamne a-m. LE. épouse FI. à lui payer la somme de 15.000 euros à titre de dommages-intérêts,

  • - condamne a-m. LE. épouse FI. aux frais ;

aux motifs essentiellement que :

  • - il était établi qu'a-m. LE. épouse FI. a, en sa qualité de courtier et d'employée de la SARL A, volontairement encaissé, sur son compte personnel, un chèque d'un montant de 156.676 euros établi, puis remis par j. FI. et correspondant au montant des honoraires qui étaient destinés, dans le cadre de la vente de l'appartement Y de quatre pièces, à la SARL A ainsi que cela ressort de la note d'honoraires établie le 24 juin 2013 à l'attention de j. FI. qui a admis avoir signé ce document,

  • - celle-ci a admis que l'acte reproché et qu'elle admettait n'avoir jamais commis auparavant était « irrégulier » et n'avait eu pour autre but, compte tenu du contexte dans lequel l'opération immobilière litigieuse avait été opérée, que de lui garantir le paiement de sa commission qu'elle aurait en définitive dû réclamer à son employeur après que celui-ci ait été le bénéficiaire de la totalité des honoraires dus et sa bonne foi ne pouvait qu'être écartée,

  • - la restitution opérée spontanément et postérieurement par la prévenue à la société plaignante de la somme qui semblait effectivement devoir lui revenir ne peut être un obstacle à la constitution du délit d'abus de confiance qui impose en outre une intention frauduleuse de la part de son auteur présumé.

À l'audience fixée pour l'examen de l'affaire, la SARL A, appelante, représentée par sa gérante en exercice et assistée de son conseil, a déposé des conclusions aux termes desquelles, elle a sollicité la réformation du jugement et la condamnation d a-m. LE. épouse FI. à lui payer la somme de 110.000 euros à titre de dommages-intérêts et aux frais de l'instance ;

En soutenant essentiellement que :

  • - le contrat préalable qui a été violé par la prévenue est son contrat de travail,

  • - elle n'a jamais été courtier indépendant et au moment des faits, celle-ci occupait les fonctions de Directrice au sein de l'agence immobilière,

  • - tous les éléments objectifs et documentaires sont produits pour établir la réalité de la relation salariée,

  • - son droit à commission était fixé au cas par cas et ne pouvait excéder 20 % des honoraires de l'agence,

  • - aucun élément ne permet d'établir le contraire et un taux de commissionnement à hauteur de 80 % est exorbitant,

  • - le climat de tension décrit par la prévenue n'est pas la cause mais la conséquence du délit,

  • - l'élément matériel du détournement est constitué par la remise d'un chèque libellé à son nom personnel par l'acquéreur du bien en paiement des honoraires de l'agence,

  • - l'élément intentionnel est caractérisé dans la mesure où la prévenue avait conscience du caractère irrégulier de cet encaissement.

Le Ministère Public a requis la réformation du jugement entrepris et le prononcé d'une relaxe en faisant valoir que :

  • - il existe un doute qui doit bénéficier à la prévenue tant sur la réalité du contrat de travail qui l'unissait à la partie civile que sur le montant de la commission devant lui revenir,

  • - l'absence de tenue de comptabilité au sein de l'agence a empêché de pouvoir effectuer des vérifications plus approfondies sur ces points,

  • - l'intention frauduleuse n'est pas suffisamment établie,

  • - la relaxe doit être prononcée dès lors que tous les éléments du délit d'abus de confiance ne sont pas réunis.

a-m. LE. épouse FI., appelante, assistée de ses conseils, a déposé des conclusions aux termes desquelles elle sollicite la réformation du jugement entrepris et sa relaxe des fins de la poursuite en soutenant essentiellement que :

  • - l'information judiciaire a établi, sans contestation possible, que le montant de la commission de Madame FI. était bien de 80 % de cette somme, seuls 20 % devant revenir à la SARL A,

  • - le contrat conclu entre Madame FI. et la SARL A était en réalité un contrat de courtage et non pas un contrat de travail,

  • - ce contrat n'est pas au nombre des contrats visés par l'article 337 du Code pénal comme condition préalable du délit d'abus de confiance,

  • - s'il est constant que Madame BI. ne s'est pas acquittée de son obligation de paiement conformément à sa reconnaissance d'honoraires envers la SARL A, mais envers Madame FI., à la demande de cette dernière, qui lui a exposé se charger du paiement de la quote-part de 20 % revenant à l'agence, déduction faite de ses honoraires, à hauteur de 80 %, ce problème de paiement d'une créance par un débiteur envers deux créanciers, est en soi de nature civile et ne peut revêtir de qualification pénale qu'en cas de fraude,

  • - la qualification de délit d'abus de confiance n'est pas possible en l'absence de préjudice pour la partie civile,

  • - l'information judiciaire a établi que la SARL A n'avait pu souffrir d'aucun préjudice, ni économique ni moral, de son fait,

  • - elle n'a pas agi de manière intentionnelle pour « détourner ou dissiper », une somme quelconque et a agi de bonne foi en considération du partage d'honoraires conclu avec la SARL A, tel qu'elle le pratiquait de manière effective depuis 1991,

  • - elle n'a jamais conçu de garder par devers elle, la somme dont elle n'était pas la créancière légitime et a réglé à l'agence immobilière la quote-part lui revenant, que celle-ci a encaissé sans émettre aucune réserve.

SUR CE,

  • Sur l'action publique

Attendu que l'abus de confiance est défini par l'article 337 du Code pénal qui réprime « Quiconque aura détourné ou dissipé, au préjudice des propriétaires, possesseurs ou détenteurs, des fonds, meubles, effets, deniers, marchandises, billets, promesses, quittances ou tous autres écrits contenant ou opérant obligation ou décharge, qui ne lui auraient été remis qu'à titre de louage, de dépôt, de mandat, de nantissement, de prêt à usage ou pour un travail, salarié ou non, à charge de les rendre ou représenter, ou d'en faire un usage ou un emploi déterminé » ;

Attendu, en l'espèce, qu'il apparaît établi qu'a-m. LE. épouse FI. a, en sa qualité de courtier, salariée de la SARL A, volontairement encaissé, sur son compte personnel, un chèque de banque d'un montant de 156.676 euros établi à son ordre et à sa demande, puis remis par j. FI. BI. qui correspondait au montant des honoraires qui étaient destinés, dans le cadre de la vente de l'appartement Y de quatre pièces, à la SARL A comme cela ressort de la note d'honoraires établie le 24 juin 2013 à l'attention de j. FI. BI., laquelle a approuvé ce document ;

Que précédemment le 4 avril 2013, j. FI. BI. avait signé un document intitulé « Reconnaissance d'honoraires » aux termes duquel, ayant admis avoir signé une offre d'achat par l'intermédiaire de la SARL A, elle reconnaissait, en cas de réalisation de la transaction et de la vente du bien concerné, « le bien-fondé de la commission de 2 % + TVA » due à l'agence, et dont le règlement, demeurant à la charge de l'acquéreur, interviendrait le jour de la signature de l'acte définitif ;

Que ce document, sur lequel figure la mention manuscrite par l'acquéreur « Pour Madame A. M. FI., de la part de Mme J. BI. FI. », précisait en ces termes l'engagement de j. FI. BI. : « Au cas où cette affaire serait réalisée, dont la désignation est indiquée ci-dessus, je m'engage à payer à la SARL A, une commission acquéreur forfaitaire correspondant à 2 % + TVA du prix de vente soit en l'occurrence la somme de 156.676 TTC.... » ;

Que cette remise a été réalisée par l'acquéreur du bien auprès d a-m. LE. épouse FI. en sa qualité de salariée de la SARL A au sein de laquelle elle occupait les fonctions de Directrice depuis septembre 2010 et dont elle a démissionné le 15 octobre 2013 et non comme elle le soutient, comme courtier indépendant ;

Qu'en effet, il résulte de l'ensemble des documents produits par la partie civile au soutien de sa plainte initiale que la prévenue bénéficiait d'un contrat de travail au sein de cette agence, ce que d'ailleurs cette dernière revendiquait, après sa démission dans un courrier adressé le 30 octobre 2013 à la SARL A alors qu'en outre, cette activité ne peut être exercée en Principauté que sous une forme salariée ;

Attendu que la détermination du montant de son taux de commissionnement dans le cadre de cette vente apparaît indifférente dès lors qu'a-m. LE. épouse FI. a demandé expressément à l'acquéreur de lui payer la totalité des honoraires de l'agence immobilière et a encaissé sur son compte bancaire le montant de ce chèque alors d'une part, que ces honoraires ne lui étaient pas destinés et d'autre part, que seul son employeur était tenu à son égard au versement de la commission lui revenant après paiement des honoraires facturés au client de l'agence ;

Attendu que dans ces conditions, le Tribunal a justement retenu que le détournement avait été réalisé par cette remise effectuée à titre précaire entre les mains de la personne poursuivie par un tiers au contrat, peu important le profit obtenu dès lors que son propriétaire n'était plus en mesure d'exercer ses droits sur les fonds détournés ;

Attendu qu'il résulte des déclarations de la prévenue que les fonds ainsi détournés l'ont été pour lui garantir le paiement de sa commission dont elle craignait de ne pas être réglée par j. NO-ME. qui avait repris la gérance de l'agence immobilière à la suite du décès de la mère de cette dernière ;

Qu'elle a précisé à l'audience que cette situation l'avait placée face à une urgence impérieuse et qu'elle avait agi dans la précipitation ;

Qu'il résulte des éléments de l'information que nonobstant l'absence de tenue de comptabilité au sein de l'agence à l'époque des faits, qu'aucun courtier y travaillant ne s'est fait régler sa commission directement par un client de l'agence avant les faits dénoncés et encore moins a-m. LE. épouse FI., laquelle a admis avoir eu conscience du caractère irrégulier de ce procédé en l'expliquant essentiellement par ses inquiétudes sur le versement de la commission devant lui revenir ;

Qu'elle avait connaissance de la précarité de sa possession et a agi de manière occulte sans en avoir informé à aucun moment son employeur ;

Que ce faisant, elle a agi de mauvaise foi afin de faire prévaloir ses propres intérêts en dépossédant ce dernier des honoraires devant lui revenir alors qu'elle pouvait disposer d'autres moyens pour faire reconnaître ses droits à rémunération, le cas échéant, si ceux-ci lui étaient contestés ;

Que la circonstance que celle-ci ait restitué ensuite spontanément une partie de cette somme quelques jours après, ceci en déduisant le montant de la commission qu'elle considérait devoir lui revenir est sans effet sur la consommation du détournement ;

Que par ailleurs, l'existence d'un préjudice qui peut n'être qu'éventuel au regard des risques encourus par la dépossession, s'entend tout autant d'un préjudice matériel que moral qui en l'espèce est caractérisé par la perte totale de confiance de l'employeur induite par ce comportement frauduleux ;

Que dans ces conditions, a-m. LE. épouse FI. a justement été retenue dans les liens de la prévention et le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a déclarée coupable d'abus de confiance ;

Attendu que sur la répression, eu égard à sa personnalité et aux circonstances particulières de commission de l'infraction, il convient de prononcer à son encontre une peine d'amende de 15.000 euros qui apparait être une sanction suffisante et proportionnée aux agissements en cause ;

Qu'en conséquence, le jugement sera réformé en ce sens ;

  • Sur l'action civile

Attendu que les éléments recueillis au cours de l'information ne permettent pas d'établir avec certitude quel était le taux de commissionnement d a-m. LE. épouse FI. lequel ne figure dans aucun document et il apparaît que celui-ci pouvait être défini et varier au cas par cas pour chaque opération immobilière ;

Que les rapprochements effectués par les enquêteurs entre les sommes reçues par la prévenue et les sommes versées par son employeur à ce titre ne viennent pas infirmer un taux de commissionnement de 80 % revendiqué par a-m. LE. épouse FI. ;

Que dans ces conditions, en prenant en compte la restitution de la somme de 35.130 euros qu'elle a opérée à la partie civile, seul le préjudice moral résultant des agissements frauduleux est susceptible d'être indemnisé ;

Qu'à cet égard, la Cour dispose des éléments d'appréciation pour fixer à la somme de 5.000 euros le montant de cette indemnisation à titre de dommages-intérêts ;

Qu'en conséquence, le jugement sera réformé en ce sens ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant en matière correctionnelle, publiquement et contradictoirement,

Reçoit les appels ;

  • Sur l'action publique

Confirme le jugement en ce qu'il a déclaré a-m. LE. épouse FI. coupable d'abus de confiance ;

Le réforme sur la peine ;

Statuant à nouveau de ce chef,

Condamne a-m. LE. épouse FI. à la peine de 15.000 euros d'amende ;

  • Sur l'action civile

Confirme le jugement en ce qu'il a reçu la SARL A en sa constitution de partie civile ;

Le réforme sur le montant indemnitaire alloué ;

Statuant à nouveau de ce chef,

Condamne a-m. LE. épouse FI. à payer à la SARL A la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts ;

Condamne a-m. LE. épouse FI. aux frais qui comprendront les droits prévus par l'article 63 de l'ordonnance souveraine n° 15.173 du 8 janvier 2002 avec distraction au profit de Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur, dont la présence est reconnue effective et nécessaire aux débats ;

Composition🔗

Après débats en audience publique de la Cour d'appel de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le trois avril deux mille dix-sept, qui se sont tenus devant Monsieur Eric SENNA, Conseiller, faisant fonction de Président, Monsieur Paul CHAUMONT, Conseiller, Monsieur Florestan BELLINZONA, Premier Juge au Tribunal de première instance, complétant la Cour et remplissant les fonctions de Conseiller en vertu de l'article 22 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires, en présence de Monsieur Jacques DOREMIEUX, Procureur général, assistés de Madame Nadine VALLAURI, Greffier ;

Après qu'il en ait été délibéré et jugé, le présent arrêt a été signé par Monsieur Eric SENNA, Conseiller, faisant fonction de Président, Monsieur Paul CHAUMONT, Conseiller, Monsieur Florestan BELLINZONA, Premier Juge au Tribunal de première instance, complétant la Cour et remplissant les fonctions de Conseiller en vertu de l'article 22 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires, magistrats en ayant délibéré et ce en application des articles 58 à 62 de ladite loi ;

Lecture étant donnée à l'audience publique du huit mai deux mille dix-sept par Monsieur Eric SENNA, Conseiller, faisant fonction de Président, assisté de Madame Nadine VALLAURI, Greffier, en présence de Monsieur Jacques DOREMIEUX, Procureur général, et ce en application des dispositions des articles 58 à 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013.

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