Cour d'appel, 7 décembre 2016, Le Ministère Public c/ r. CO. et o. CO.
Abstract🔗
Procédure pénale - Instruction - Mandat d'arrêt - Nullité - Recevabilité de la demande (oui) - Nullité couverte par l'ordonnance de renvoi définitive (non) - Prévenus non informés de l'existence de la procédure d'instruction - Atteinte aux droits de la défense et au droit à un procès équitable - Qualité d'inculpé (oui) - Nullité du mandat d'arrêt (oui) - Non-respect du droit international - Atteinte aux droits de la défense - Absence de diffusion internationale du mandat - Défaut d'envoi du mandat à l'adresse connue du prévenu
Résumé🔗
Alors que les prévenus, poursuivis pour banqueroute frauduleuse, invoquent la nullité des mandats d'arrêt décernés à leur encontre, et des actes subséquents, la partie civile fait valoir que l'exception de nullité soulevée n'est pas redevable au regard de l'article 218 alinéa 2 du Code de procédure pénale selon lequel toutes les nullités sont couvertes par l'ordonnance de renvoi lorsqu'elle est devenue définitive. Cependant, priver les prévenus du droit de soulever une quelconque nullité de la procédure d'instruction, alors même que l'information, dont il n'est pas établi qu'ils en avaient alors connaissance, s'est déroulée hors leur présence, porterait gravement atteinte à leur droit de se défendre et donc, à leur droit à un procès équitable, et serait, en outre, contraire au principe d'égalité devant les règles de procédure pénale garantissant l'équilibre des droits des parties. En conséquence, le droit de soulever une exception de nullité afférente à la procédure d'instruction doit leur être reconnu.
S'agissant de la qualité des prévenus, en l'état du mandat d'arrêt décerné et des dispositions des articles 162 et suivants du Code de procédure pénale qualifiant la personne en faisant l'objet d'inculpée, c'est vainement que les prévenus contestent avoir cette qualité. En effet, la jurisprudence française fondant cette prétention selon laquelle la délivrance d'un mandat d'arrêt par le juge d'instruction, au cours de l'information et avant tout interrogatoire, ne confère pas à celui qui en est l'objet la qualité de personne mise en examen ne peut être valablement transposée en droit monégasque, eu égard, notamment, à la rédaction différente des textes. Quant à leur régularité, si les mandats d'arrêt litigieux respectent les conditions de fond posées par l'article 162 précité, il reste que le Pacte international de New York et l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme énoncent que toute personne accusée d'une infraction pénale a droit à être informée, dans le plus court délai, dans une langue qu'elle comprend et de façon détaillée, de la nature et des motifs de l'accusation portée contre elle. Or, en l'espèce, les mandats d'arrêt n'ont fait l'objet ni d'une diffusion internationale, ni d'une notification à la dernière adresse connue des prévenus alors que ceux-ci étaient domiciliés en Israël dès le dépôt de la plainte avec constitution de partie civile. Ainsi, la diffusion de ces mandats, limitée au seul territoire de la Principauté où il était acquis, dès le début de la procédure, que les inculpés ne résidaient pas, les a privés du droit d'être informés de l'existence d'une procédure à leur encontre, du fait qu'ils étaient recherchés et de la possibilité de faire valoir, avant la fin de l'information, leurs droits de se défendre. En outre, il ne résulte ni du dossier d'information, ni des débats devant la Cour, que les inculpés aient été informés postérieurement à la délivrance des mandats et avant l'ordonnance de renvoi de l'existence de la procédure précitée, ni du fait qu'ils étaient recherchés, et pas d'avantage qu'ils auraient été en fuite. Il s'ensuit qu'ils n'ont pas été en mesure de présenter des observations avant la clôture de l'information et n'ont pas bénéficié des délais que la loi leur accorde à cet effet. En conséquence, ils sont fondés en leur demande de nullité des mandats d'arrêt et des actes subséquents.
Motifs🔗
Cour d'appel correctionnelle
Dossier JI n° CABII-2013/000004
ARRÊT DU 7 DÉCEMBRE 2016
En la cause du :
MINISTÈRE PUBLIC ;
APPELANT,
Contre :
1) r. CO., né le 9 juillet 1970 à Tunis (Tunisie), de nationalité israélienne, demeurant X1 - 9382543 JERUSALEM (ISRAEL) et/ou X2 - Guilo à Jérusalem ;
2) o. CO., née le 1er décembre 1971 à Jérusalem (Israël), de nationalité israélienne, demeurant X1 - 9382543 JERUSALEM (ISRAEL) et/ou X2 - Guilo à Jérusalem ;
Prévenus de :
- BANQUEROUTE FRAUDULEUSE
absents, représentés par Maître Frank m., avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Thierry HERZOG, avocat au barreau de Paris et Maître Bernard GINEZ, avocat au barreau de Nice ;
INTIMÉS,
En présence de :
- La Société A, société anonyme coopérative de banque populaire à capital variable, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Nice sous le n° XX, ayant son siège social X3, 06200 Nice, agissant poursuites et diligences de son Directeur général en exercice M. j-f. CO., domicilié en cette qualité audit siège, constituée partie civile, comparaissant par Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Gilbert MANCEAU, avocat au barreau de Paris ;
- La SAM B, représentée par M. j-p. SA., né le 27 mai 1946 à Monaco, de nationalité monégasque, demeurant X4 à Monaco, agissant ès-qualités de syndic à la cessation des paiements, désigné à cette fonction par jugement du Tribunal de première instance de Monaco en date du 22 novembre 2012, constituée partie civile, comparaissant en personne ;
INTIMÉES,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO, jugeant correctionnellement, après débats à l'audience du 10 octobre 2016 ;
Vu le jugement contradictoirement rendu conformément aux dispositions de l'article 377 du Code de procédure pénale par le Tribunal correctionnel le 15 mars 2016 ;
Vu l'appel interjeté le 24 mars 2016 par le Ministère public, à titre principal ;
Vu l'ordonnance présidentielle en date du 5 avril 2016 ;
Vu les citations et significations, suivant exploits, enregistrés, de Maître Patricia GRIMAUD-PALMERO, huissier, en date du 13 mai 2016 ;
Vu les pièces du dossier ;
Vu les conclusions de Maître Frank m., avocat-défenseur, pour r. CO. et o. CO., prévenus, en date du 6 octobre 2016 ;
Vu les conclusions de Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur, pour la SA A, partie civile, en date du 6 octobre 2016 ;
Vu les conclusions de M. j-p. SA., ès-qualités de syndic à la cessation des paiements de la SAM B, partie civile, en date du 10 octobre 2016 ;
Ouï Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, en son rapport ;
Ouï Maître Gilbert MANCEAU, avocat au barreau de Paris, régulièrement autorisé à plaider par le Président, pour la SA A, partie civile, en ses observations ;
Ouï M. j-p. SA., ès-qualités de syndic de la SAM B, partie civile, comparaissant en personne, en ses déclarations ;
Ouï le Ministère public en ses réquisitions ;
Ouï Maître Frank m., avocat-défenseur et Maître Bernard GINEZ, avocat au barreau de Nice, régulièrement autorisé à plaider par le Président, pour r. CO. et o. CO., en leurs plaidoiries ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Par jugement contradictoire en date du 15 mars 2016, le Tribunal correctionnel a, sous les préventions :
1 - r. CO.
« D'avoir à Monaco, courant 2011 et 2012, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, étant dirigeant d'une personne morale exerçant, même en fait, une activité commerciale et se trouvant en état de cessation des paiements, en l'espèce étant Président administrateur délégué de la SAM « B » en état de cessation des paiements depuis le 3 mai 2012 selon jugement du Tribunal de première instance du 22 novembre 2012, de mauvaise foi, détourné ou dissipé une partie de son actif, en l'espèce pour avoir perçu, après avoir voté son allocation en conseil d'administration, des indemnités d'administrateur à son profit et à celui de son épouse, o. CO., d'un montant de 3.807.000 euros, soit respectivement une somme de 1.903.500 euros chacun, au préjudice de la SAM « B » et de la SA A » ;
DÉLIT prévu et réprimé par les articles 327, 328-1 et 328-2 du Code Pénal ;
2 - o. CO.
« D'avoir à Monaco, courant 2011 et 2012, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, étant dirigeant d'une personne morale exerçant, même en fait, une activité commerciale et se trouvant en état de cessation des paiements, en l'espèce étant Président administrateur délégué de la SAM « B » en état de cessation des paiements depuis le 3 mai 2012 selon jugement du Tribunal de première instance du 22 novembre 2012, de mauvaise foi, détourné ou dissipé une partie de son actif, en l'espèce pour avoir perçu, après avoir voté son allocation en conseil d'administration, des indemnités d'administrateur à son profit et à celui de son époux, r. CO., d'un montant de 3.807.000 euros, soit respectivement une somme de 1.903.500 euros chacun, au préjudice de la SAM « B » et de la SA A » ;
DÉLIT prévu et réprimé par les articles 327, 328-1 et 328-2 du Code Pénal ;
- prononcé l'annulation de la cote D40 et de toute la procédure ultérieure ;
- renvoyé le ministère public à se pourvoir ;
- laissé les frais à la charge du Trésor.
Le Ministère public a interjeté appel principal de ladite décision le 24 mars 2016.
Considérant les faits suivants :
Le 5 février 2013, la SA A déposait plainte avec constitution de partie civile contre o. CO., r. CO. et m. SE. du chef d'abus de confiance commis dans le cadre de la gestion de la SAM B.
La SA A exposait qu'elle avait accordé, les 4 et 9 août 1993 à la SAM B un prêt sur 15 ans, d'un montant de 4.700.000 francs en principal « destiné à financer la restructuration de la trésorerie de l'entreprise à l'effet notamment et en priorité de supprimer les concours à durée indéterminée existants (facilité de caisse de 750.000 francs et crédit spot de 3.500.000 francs) ».
La SAM B ne procédait qu'à un remboursement partiel du principal de ce prêt.
Selon exploits d'huissier en date des 7 décembre 2000 et 22 février 2002, la SAM B introduisait une instance à l'encontre de la SA A devant le Tribunal de première instance aux fins de la voir condamnée à lui payer une indemnité provisionnelle de 10.000.000 francs, ainsi qu'une autre indemnité de 500.000 francs pour faire face aux frais de justice, exposant que la banque avait pratiqué des taux usuraires, avait manqué à son obligation de conseil et que le prêt consenti les 4 et 9 août 1993 était nul pour absence de cause.
Par jugement rendu le 9 janvier 2003, le Tribunal de première instance, considérant que la banque avait gravement manqué à ses obligations de conseil et de prudence, condamnait la SA A à réparer le préjudice subi par la société à hauteur de 1.900.000 euros, et, jugeant que la banque était créancière de la société à hauteur de 1.357.794,58 euros, ordonnait la compensation des créances.
La SA A relevait appel de cette décision et, par arrêt en date du 5 avril 2011, la Cour d'appel infirmait le jugement en ce qu'il avait évalué à 1.900.000 euros le préjudice et, statuant à nouveau, évaluait ce préjudice à la somme de 6.000.000 euros. Elle confirmait le surplus du jugement entrepris, notamment en ce qu'il avait condamné la société à payer à la banque la somme de 1.357.794,58 euros au titre du solde débiteur du prêt de 1993, et ordonnait la compensation entre les deux créances.
En exécution du jugement rendu le 9 janvier 2003, la SA A réglait la somme de 463.316,98 euros à la SAM B, et la somme de 68.949,95 euros, correspondant aux frais et dépens, à Maître PASTOR-BENSA.
En exécution de l'arrêt rendu le 5 avril 2011 par la Cour d'Appel, la SA A réglait à la SAM B la somme de 4.125.994,63 euros par chèque du 6 mai 2011.
Par arrêt en date du 23 mars 2012, la Cour de révision, saisie par un pourvoi formé par la SA A le 12 mai 2011, cassait l'arrêt de la Cour d'appel du 5 avril 2011, mais seulement en ce qu'il avait condamné la banque au paiement de la somme de 6.000.000 euros à la SAM B, et renvoyait la cause et les parties à la prochaine session de la Cour de révision autrement composée.
Le 3 mai 2012, la SA A faisait signifier l'arrêt de la Cour de révision à la SAM B et lui faisait commandement de payer entre ses mains la somme de 4.125.994,63 euros, en restitution de la somme réglée en exécution de l'arrêt de la Cour d'appel du 5 avril 2011.
Ce commandement demeurait sans effet.
Par arrêt du 9 octobre 2012, la Cour de révision, statuant au fond après cassation, réformait le jugement du Tribunal de première instance du 9 janvier 2003 et ordonnait la restitution par la SAM B de la somme de 1.900.000 euros perçue à titre de dommages-intérêts.
Par jugement rendu le 22 novembre 2012, le Tribunal de Première Instance déclarait la SAM B en état de cessation des paiements, à une date fixée provisoirement au 3 mai 2012.
Le 14 septembre 2011, soit après l'arrêt de la Cour d'Appel du 5 avril 2011 et le pourvoi formé contre celui-ci, lors du conseil d'administration de la SAM B constitué de r. CO., o. CO. et de m. SE., r. CO. était nommé président administrateur délégué tandis qu'était voté le versement d'indemnités à deux administrateurs délégués, o. et r. CO., à hauteur de 1.903.500 euros chacun, soit au total 3.807.000 euros.
Le paiement de ces sommes intervenait le 6 octobre 2011 et était comptabilisé dans les comptes de l'exercice 2011 sous l'intitulé « frais d'administration » dans les charges à déduire.
Dans sa plainte, la SA A relevait que la somme de 3.807.000 euros représentait, sous couvert d'indemnités, vingt fois le chiffre d'affaires de la société pour l'année 2010.
Elle estimait que ce prélèvement était d'autant plus anormal que la SAM B avait, depuis de très nombreuses années, perdu plus des trois quarts de son capital social et que son activité était devenue marginale.
Elle considérait que ce montage avait été imaginé pour rendre impossible, en cas de cassation de l'arrêt du 5 avril 2011, la restitution à la banque des sommes que celle-ci avait versées en exécution de cette décision.
Elle estimait encore que le détournement de la somme de 3.807.000 euros n'était pas la seule opération frauduleuse opérée par les dirigeants de la SAM B et faisait état de l'examen des comptes de 2011 qui révélaient un montant de charges d'administration à hauteur de 4.594.119 euros, alors que l'activité de la société était, en réalité, insignifiante.
Elle estimait enfin que l'intention délictueuse constitutive de la fraude était établie par le fait que les dirigeants de la SAM B savaient que la banque avait frappé de pourvoi en révision, dès le 12 mai 2011, l'arrêt de la Cour d'appel du 5 avril 2011 et que, le pourvoi n'étant pas suspensif d'exécution, toute exécution par la banque de la condamnation prononcée par la Cour d'appel ne pouvait constituer qu'un versement effectué à titre précaire, aux risques du créancier, dans l'attente d'une solution définitive du contentieux en cours.
Le 21 février 2013, le Procureur général prenait des réquisitions aux fins d'informer contre X du chef de banqueroute frauduleuse.
Une commission rogatoire était confiée par le magistrat instructeur à la Direction de la Sûreté Publique.
En exécution de celle-ci, les services de police procédaient à l'audition du comptable et du commissaire aux comptes de la société, de m. SE. ainsi que de j-p. SA., en sa qualité de mandataire de justice pour la SAM B, dont les rapports établis en application de l'article 411 du Code de commerce étaient annexés à la procédure.
Le 3 février 2015, le Juge instruction transmettait la procédure au Procureur général et sollicitait son avis sur l'opportunité de délivrer un mandat d'arrêt valant inculpation du chef de banqueroute frauduleuse à l'encontre de r. et d o. CO..
Le 4 février 2015, le Procureur général requérait que soit délivré un mandat d'arrêt valant inculpation à l'encontre des susnommés.
Le 9 février 2015, le Juge instruction délivrait un mandat d'arrêt valant inculpation du chef de banqueroute frauduleuse et ordre d'arrestation à l'encontre de r. et d o. CO..
Le 18 mai 2015, le Procureur général rédigeait un réquisitoire définitif aux fins de renvoi devant le Tribunal correctionnel de r. et d o. CO..
Par ordonnance en date du 3 juin 2015, le Juge d'instruction, estimant qu'il résultait de l'information charges suffisantes contre r. CO. et o. CO. d'avoir commis le délit de banqueroute frauduleuse, ordonnait leur renvoi devant le Tribunal correctionnel.
Ces derniers étaient cités à l'audience correctionnelle du 23 février 2016 à laquelle ils ne comparaissaient pas, se faisant représenter par leurs conseils.
À l'audience fixée pour l'examen de l'affaire, les conseils des prévenus soulevaient une exception de nullité et sollicitaient, sur le fondement de l'article 162 du Code de procédure pénale, de l'article 14 du Pacte International de New-York du 16 décembre 1966 et de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde et des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'annulation de l'ensemble des actes de la procédure pénale dont était saisi le Tribunal correctionnel, « faute pour le Ministère public et le Magistrat instructeur d'avoir respecté les droits de la défense en convoquant régulièrement les prévenus à une adresse qui leur était connue et qui figurait avant l'ouverture de l'information dans la plainte du 4 février 2013 de la SA A ».
La SA A, qui déposait des conclusions de partie civile, concluait, en réponse à l'exception de nullité, au rejet de celle-ci sur le fondement de l'article 218 du Code de procédure pénale, au motif que l'ordonnance de renvoi du 3 juin 2015, non frappée d'appel, et régulièrement notifiée aux prévenus, couvrait toutes les nullités de procédure pour les actes accomplis par la juridiction d'instruction.
j-p. SA., ès-qualités de syndic de la cessation des paiements de la SAM B, déposait des conclusions de partie civile, sollicitant la condamnation solidaire des prévenus à lui payer les sommes de 3.807.000 euros et de 100.000 euros chacun à titre de dommages et intérêts.
Par jugement du 15 mars 2016, rendu contradictoirement en application de l'article 377 du code de procédure pénale, le Tribunal correctionnel prononçait l'annulation de la cote D40 et de toute la procédure ultérieure, renvoyait le Ministère public à se pourvoir et laissait les frais à la charge du Trésor.
Pour statuer ainsi, le Tribunal retenait :
- que les prévenus n'avaient fait l'objet, avant leur renvoi devant la juridiction de jugement, d'aucune convocation par le magistrat instructeur qui disposait pourtant de leur adresse en Israël,
- que si la décision d'inculpation et le moyen d'y procéder relevaient de l'appréciation du Juge d'instruction en fonction des indices recueillis et que si ce magistrat avait respecté les dispositions de l'article 162 du Code de procédure pénale quant à la délivrance de mandats d'arrêt à l'encontre de r. et d o. CO., il lui appartenait, au regard du principe de l'égalité des armes et du respect du contradictoire garantissant un procès équitable, de convoquer préalablement r. et o. CO. à l'adresse indiquée pour leur permettre de s'expliquer sur les faits de la cause et d'en discuter le bien-fondé.
Par acte en date du 24 mars 2016, le Procureur général relevait appel principal de cette décision.
Par conclusions déposées le 6 octobre 2016, la SA A demande à la Cour de :
recevoir la constitution de partie civile de la SA A et la déclarer bien fondée,
prendre acte de ce que la SA A s'en rapporte à justice sur le bien-fondé de l'appel de Monsieur le Procureur général,
condamner les prévenus aux entiers dépens, en ce compris tous frais et accessoires, tant de première instance que de cause d'appel, dont distraction au profit de Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.
La SA A fait valoir qu'un mandat d'arrêt vaut inculpation et ordre d'arrestation aux termes des articles 150 et 162 du Code de procédure pénale, que l'inculpé est partie à la procédure, que selon l'article 218 du Code de procédure pénale, l'ordonnance de renvoi purge les nullités de procédure pour tous les actes accomplis par la juridiction d'instruction, que la personne en fuite n'est pas recevable à invoquer la nullité de la procédure antérieure à cette ordonnance et que les prévenus n'établissent pas que l'adresse qu'ils ont déclarée est bien réelle.
Par conclusions déposées le 7 octobre 2016, r. CO. et o. CO. demande à la Cour de confirmer, en toutes ses dispositions, le jugement rendu par le Tribunal correctionnel 15 mars 2016, de laisser les dépens à la charge du Trésor et de condamner la partie civile aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Frank m., avocat-défenseur, dont la présence aura été reconnue utile et nécessaire aux débats.
Les prévenus font valoir que le Tribunal correctionnel a, à juste titre, annulé le mandat d'arrêt valant inculpation qui a été décerné contre eux par le magistrat instructeur et rappellent que bien que leur adresse à l'étranger ait été communiquée dès l'origine par la partie civile dans sa plainte, ils n'ont jamais été convoqués pour être entendus. Ils considèrent, au visa des articles 162 du Code de procédure pénale, 14 du Pacte international de New York du 16 décembre 1966 et 6 de la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qu'il y a lieu d'annuler « l'ensemble des actes de la procédure pénale dont le tribunal correctionnel est saisi et en particulier le mandat d'arrêt valant inculpation qui a été décerné dans des conditions qui violent manifestement les droits de la défense ».
En réponse au moyen tiré de l'article 218 du Code de procédure pénale invoqué par la partie civile, ils estiment qu'il ne peut leur être fait grief de ne pas avoir soulevé l'exception de nullité avant l'ordonnance de règlement alors même qu'ils n'étaient pas informés de la procédure diligentée à leur encontre. Admettre le contraire constituerait, selon eux, une grave violation des droits de la défense. Ils considèrent « qu'une partie à l'encontre de laquelle il existe un mandat d'arrêt ne peut être considérée comme partie à la procédure et que dès lors l'ordonnance de renvoi ne peut purger les nullités à son endroit ».
À l'audience fixée pour l'examen de l'affaire, j-p. SA. a déposé des conclusions aux termes desquelles il demande à la Cour de recevoir sa constitution de partie civile, ès-qualités de syndic à la liquidation des biens de la SAM B, de la déclarer bien fondée, de lui donner acte de ce qu'il s'en rapporte à justice sur l'appel du Procureur général et de condamner les prévenus aux dépens.
Les parties civiles ont soutenu oralement leurs conclusions écrites.
Le Procureur général a requis l'infirmation du jugement, sollicitant de la Cour qu'elle ne fasse pas droit à l'exception de nullité et renvoie le dossier au magistrat instructeur.
Les avocats des prévenus ont développé oralement leurs conclusions écrites.
SUR CE,
1 - Attendu que l'appel, relevé dans les formes et délais prescrits par les articles 406 et 411 du Code de procédure pénale est régulier et recevable ;
2 - Attendu que l'article 162 du Code de procédure pénale définit le mandat d'arrêt comme l'ordre en vertu duquel le juge d'instruction, la juridiction compétente ou le Procureur général, celui-ci dans le cas de crime ou de délit flagrant, fait saisir l'inculpé par la force publique pour être conduit dans la maison d'arrêt. Il ne peut être décerné qu'après interrogatoire de l'inculpé, à moins que celui-ci ne soit en fuite ou ne réside à l'étranger, et seulement lorsqu'il existe contre lui des indices ;
Attendu qu'au cas d'espèce, le juge d'instruction a, sur réquisitions conformes du Procureur général, décerné le 9 février 2015, contre o. CO. et contre r. CO., tous deux domiciliés X2 Guilo - à JERUSALEM, en ISRAEL, un mandat d'arrêt « valant inculpation et ordre d'arrestation », du chef de banqueroute frauduleuse ;
Attendu que les articles 162 et suivants du Code de procédure pénale qualifient la personne faisant l'objet d'un mandat d'arrêt d'inculpée ;
Que prétendant que leurs clients n'auraient pas eu la qualité d'inculpés, les conseils des prévenus s'inspirent d'une jurisprudence française selon laquelle la délivrance d'un mandat d'arrêt par le juge d'instruction, au cours de l'information et avant tout interrogatoire, ne confère pas à celui qui en est l'objet la qualité de personne mise en examen ;
Mais attendu qu'il n'est pas établi que cette jurisprudence puisse être valablement transposée en droit monégasque, eu égard, notamment, à la rédaction différente des textes, les articles du code de procédure pénale français désignant la personne qui fait l'objet d'un mandat d'arrêt comme « la personne », ou « la personne saisie », à l'inverse des textes monégasques ;
Attendu que doit être, en conséquence, reconnue à o. CO. et r. CO. la qualité d'inculpés ;
Attendu que la question se pose alors de savoir si, comme le soutient la SA A, o. et r. CO. sont recevables à soulever une exception de nullité au regard de l'article 218 alinéa 2 du code de procédure pénale selon lequel toutes les nullités sont couvertes par l'ordonnance de renvoi lorsqu'elle est devenue définitive ;
Qu'il n'est pas contesté que par ordonnance du 3 juin 2015, le juge d'instruction a ordonné le renvoi d o. CO. et de r. CO. devant la juridiction de jugement ;
Que cette ordonnance est nécessairement devenue définitive dès lors que ni les parties civiles, ni le Procureur général n'en ont relevé appel, et que l'inculpé ne peut, en application de l'article 229 du code de procédure pénale, interjeter appel d'une telle ordonnance ;
Mais attendu que priver o. CO. et r. CO. du droit de soulever une quelconque nullité de la procédure d'instruction, alors même que l'information, dont il n'est pas établi qu'ils en avaient alors connaissance, s'est déroulée hors leur présence, porterait gravement atteinte à leur droit de se défendre et donc, à leur droit à un procès équitable, et serait, en outre, contraire au principe d'égalité devant les règles de procédure pénale garantissant l'équilibre des droits des parties ;
Que dès lors, le droit de soulever une exception de nullité afférente à la procédure d'instruction doit leur être reconnu ;
Attendu que la nullité des mandats d'arrêt décernés contre o. et r. CO., ainsi que celle des actes qui leur sont subséquents, a été sollicitée sur le fondement des articles 162 du code de procédure pénale, 14 du Pacte International de New York du 16 décembre 1966 et 6 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;
Attendu que les deux mandats d'arrêt délivrés remplissent les conditions de fond posées par l'article 162 précité tenant à la peine encourue, à la situation de la personne recherchée et à l'existence d'indices graves, dès lors que :
- r. et o. CO. n'ont pas été interrogés préalablement à la délivrance du mandat d'arrêt car ils résident à l'étranger, en ISRAEL,
- les faits de banqueroute frauduleuse sont réprimés, en vertu des articles 327 et 328-1 du Code pénal, d'une peine privative de liberté, en l'espèce une peine d'emprisonnement de cinq à dix ans,
- des indices graves ont été réunis contre o. et r. CO., résultant, en particulier, du rapport rédigé par j-p. SA. le 21 décembre 2012, du vote, en conseil d'administration, de l'allocation à leur profit d'importantes indemnités d'administrateur, sans rapport aucun avec le chiffre d'affaires de la société et alors que la trésorerie de celle-ci ne le permettait pas, ainsi que des auditions du comptable et du commissaire aux comptes de la société ;
Attendu qu'il ne résulte pas de l'article 162 du code de procédure pénale l'obligation, pour le juge d'instruction, de convoquer, préalablement à sa délivrance, les personnes contre lesquelles il décerne un mandat d'arrêt ;
Attendu qu'au regard des dispositions édictées par l'article 162 du Code de procédure pénale les mandats d'arrêt délivrés contre o. CO. et r. CO. sont réguliers, et qu'il n'est pas démontré que les conditions de leur délivrance méconnaissent les règles du procès équitable ;
Mais attendu que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, dit Pacte international de New York, applicable en Principauté en vertu de l'Ordonnance souveraine n° 13330 du 12 février 1998, ainsi que l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme énoncent que toute personne accusée d'une infraction pénale a droit, en pleine égalité, au moins, à être informée, dans le plus court délai, dans une langue qu'elle comprend et de façon détaillée, de la nature et des motifs de l'accusation portée contre elle ;
Qu'au cas particulier, les mandats d'arrêt litigieux ont été notifiés selon la procédure prévue à l'article 156 du code de procédure pénale, c'est-à-dire par une remise d'une copie des mandats au maire de Monaco, puis par un renvoi, accompagné de deux procès-verbaux de recherches, au juge d'instruction qui les a délivrés, et ce, en application de l'article 165 du même code ;
Que les mandats d'arrêt litigieux n'ont fait l'objet ni d'une diffusion internationale, ni d'une notification à la dernière adresse connue de r. CO. et o. CO., alors que ceux-ci étaient déjà domiciliés en ISRAËL lors du dépôt de la plainte avec constitution de partie civile de la SA A, à une adresse connue, communiquée par la banque dans cette plainte ;
Qu'ainsi, la diffusion de ces mandats, limitée au seul territoire de la Principauté où il était acquis, dès le début de la procédure, que les inculpés ne résidaient pas, les a privés du droit d'être informés de l'existence d'une procédure à leur encontre, du fait qu'ils étaient recherchés, et de la possibilité de faire valoir, avant la fin de l'information, leurs droits de se défendre ;
Qu'il ne résulte, par ailleurs, ni du dossier d'information, ni des débats devant la Cour, que les inculpés aient été informés postérieurement à la délivrance des mandats et avant l'ordonnance de renvoi, de l'existence de la procédure précitée, ni du fait qu'ils étaient recherchés ;
Qu'il n'en résulte pas davantage que ceux-ci auraient été en fuite, le seul fait qu'ils soient domiciliés à l'étranger ne suffisant pas à démontrer qu'ils avaient connaissance des poursuites et aient cherché à y échapper ;
Qu'ainsi, les modalités de diffusion des mandats d'arrêt n'ont pas permis aux prévenus d'être informés, dans le plus court délai, de la nature et des motifs de l'accusation portée contre eux, contrairement aux textes susvisés ;
Qu'il s'ensuit, que les inculpés, qui n'ont pas été en mesure de présenter des observations avant la clôture de l'information, et n'ont pas bénéficié des délais que la loi leur accorde à cet effet, sont fondés à demander la nullité de l'acte portant dépôt du dossier au greffe du 10 mars 2015, de l'ordonnance de soit-communiqué du 26 mars 2015, du réquisitoire définitif du 18 mai 2015 et de l'ordonnance de renvoi devant le Tribunal correctionnel en date du 3 juin 2015, actes subséquents aux mandats d'arrêt ;
Qu'ainsi, le jugement entrepris doit être infirmé mais seulement en ce qu'il a prononcé la nullité des cotes Y à Z du dossier d'information ;
Attendu que le Trésor supportera les frais du présent arrêt ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO, statuant en matière correctionnelle, publiquement et contradictoirement à l'égard de j-p. SA., ès qualités de syndic de la cessation des paiements de la SAM B, et contradictoirement par application de l'article 377 du Code de procédure pénale, à l'égard des prévenus et de la SA A,
Reçoit l'appel ;
Confirme le jugement rendu le 15 mars 2016 par le Tribunal correctionnel sauf en ce qu'il a prononcé la nullité des cotes Y à Z du dossier d'information ;
Statuant à nouveau des chefs réformés,
Déboute o. et r. CO. de leur demande de nullité des cotes Y à Z du dossier d'information ;
Dit que les frais du présent arrêt seront à la charge du Trésor ;
Composition🔗
Après débats en audience publique de la Cour d'appel de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le dix octobre deux mille seize, qui se sont tenus devant Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller faisant fonction de Président, Madame Virginie ZAND, Conseiller, Monsieur Paul CHAUMONT, Conseiller, en présence de Monsieur Jacques DOREMIEUX, Procureur général, assistés de Madame Nadine VALLAURI, Greffier ;
Après qu'il en ait été délibéré et jugé, le présent arrêt a été signé par Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller faisant fonction de Président, Madame Virginie ZAND, Conseiller, Monsieur Paul CHAUMONT, Conseiller, magistrats en ayant délibéré et ce en application des articles 58 à 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013, relative à l'administration et à l'organisation judiciaires ;
Lecture étant donnée à l'audience publique du sept décembre deux mille seize par Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller faisant fonction de Président, assistée de Madame Nadine VALLAURI, Greffier, en présence de Monsieur Jacques DOREMIEUX, Procureur général, et ce en application des dispositions des articles 58 à 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013.