Cour d'appel, 7 novembre 2016, p. BA. épouse SE. c/ Le Ministère Public et SA A

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Abstract🔗

Escroquerie - Employé de banque - Manœuvres frauduleuses - Édition frauduleuse de cartes de retrait express - Retrait de fonds sur des comptes clients – Condamnation

Résumé🔗

Il est établi que la prévenue a édité frauduleusement des cartes de retrait express adossées à des comptes de clients dont elle avait la gestion puis effectué avec lesdites cartes des retraits d'espèces aux distributeurs de billets. En effet, l'émission des cartes de retrait express et les retraits correspondants n'ont pu être que le fait d'un membre du personnel de la banque. En outre, la procédure habituelle prévoit une pré-validation permettant de vérifier le crédit suffisant du compte à débiter et l'émission d'un bordereau sur lequel doivent être apposés la signature du client et le visa du représentant de la banque, l'utilisation des cartes émises devant intervenir dans les minutes suivant leur émission. Or, en l'espèce, la prévenue a admis qu'elle utilisait le poste informatique depuis lequel les cartes litigieuses ont été émises, cartes qui ont été utilisées sur le distributeur extérieur situé immédiatement à droite de l'agence. Par ailleurs, les comptes concernés par les opérations frauduleuses étaient gérés par la prévenue qui les a consultés quelques jours avant les retraits frauduleux. Enfin, non seulement le bordereau émis lors de l'émission de l'une des cartes porte son visa, mais aux jours et heures des faits, parmi le personnel présent dans l'agence, elle seule a pu effectuer les retraits frauduleux, les autres salariés étant occupés à d'autres tâches, ce qui est confirmé par la vidéosurveillance la montrant sortir de l'agence et se diriger vers le distributeur extérieur. Il convient donc de confirmer sa condamnation du chef d'escroquerie.


Motifs🔗

Cour d'appel correctionnelle

Dossier INF. JI BII/2013/000012

ARRÊT DU 7 NOVEMBRE 2016

En la cause de :

  • p. BA. épouse SE., née le 4 octobre 1971 à Monaco, de f. et de s. PE., de nationalité italienne, demeurant « X1 », X1 à Beausoleil (06240) ;

Prévenue de :

  • - ESCROQUERIES

présente, assistée de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

APPELANTE/INTIMÉE

Contre :

  • le MINISTÈRE PUBLIC ;

INTIMÉ/APPELANT

En présence de :

  • - La SA A, prise en la personne de son directeur en exercice M. j-f. BR., constitué partie civile, représentée par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, substituée par Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur en cette même Cour et plaidant par Maître Jean-Marie CANAC, avocat au barreau de Nice ;

INTIMÉE/APPELANTE

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO, jugeant correctionnellement, après débats à l'audience du 30 septembre 2016 ;

Vu le jugement contradictoirement rendu par le Tribunal correctionnel le 12 juillet 2016 ;

Vu les appels interjetés le 27 juillet 2016 par Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur pour p. BA. épouse SE., prévenue, et par le Ministère public à titre incident, et le 28 juillet 2016 par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur pour la SA A, partie civile ;

Vu l'ordonnance présidentielle en date du 28 juillet 2016 ;

Vu la citation et signification, suivant exploit, enregistré, de Maître p. GRIMAUD-PALMERO, huissier, en date du 12 août 2016 ;

Vu les pièces du dossier ;

Vu les conclusions de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur pour la SA A, partie civile, en date du 30 septembre 2016 ;

Ouï Virginie ZAND, Conseiller, en son rapport ;

Ouï p. BA. épouse SE., prévenue, en ses réponses ;

Ouï Maître Bernard BENSA, substituant Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur pour la SA A, partie civile, en ses demandes ;

Ouï le Ministère public en ses réquisitions ;

Ouï Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur pour p. BA. épouse SE., prévenue, en sa plaidoirie et moyens d'appel ;

Ouï la prévenue en dernier, en ses moyens de défense ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Par jugement contradictoire en date du 12 juillet 2016, le Tribunal correctionnel a, sous la prévention :

« D'avoir à Monaco, courant 2012 et en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, en faisant usage de faux nom ou de fausse qualité, par l'emploi de manœuvres frauduleuses pour persuader de l'existence de fausses entreprises, d'un pouvoir ou d'un crédit imaginaire, ou pour faire naître l'espérance ou la crainte d'un succès, d'un accident ou de tout autre évènement chimérique, fait remettre ou délivrer des fonds, meubles, effets, deniers, marchandises, billets, promesses, quittances ou tous autres écrits contenant obligation ou décharge et ainsi escroqué partie de la fortune de la SA A, a. CA. PU. et h. BEN NA., en l'espèce en éditant frauduleusement des cartes de retrait express adossées à des comptes de clients dont elle avait la gestion après avoir obtenu par ruse les signatures d'autres clients sur les bordereaux de création de cartes puis en effectuant avec lesdites cartes des retraits d'espèces aux distributeurs de billets. »

DÉLITS prévus et réprimés par les articles 26, 27 et 330 du Code pénal,

sur l'action publique,

  • - relaxé p. BA. épouse SE. des faits du 30 octobre 2012 et la déclare coupable de ceux qui ont été commis le 14 décembre 2012 ;

En répression, faisant application des articles visés par la prévention ainsi que de l'article 393 du Code pénal,

  • - condamné p. BA. épouse SE. à la peine de DEUX MOIS D'EMPRISONNEMENT AVEC SURSIS, l'avertissement prescrit par l'article 395 du Code pénal ayant été adressé à la condamnée ;

sur l'action civile,

  • - reçu la SA A en sa constitution de partie civile ;

  • - la déclarant partiellement fondée en ses demandes, condamné p. BA. épouse SE. à lui payer la somme de 6.000 euros à titre de dommages intérêts, toutes causes de préjudices confondues ;

  • - condamné, enfin, p. BA. épouse SE. aux frais qui comprendront les droits prévus par l'article 63 de l'Ordonnance Souveraine n° 15.173 du 8 janvier 2002, avec distraction au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, dont la présence est reconnue effective et nécessaire aux débats.

Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur pour p. BA. épouse SE., prévenue, a interjeté appel de cette décision par acte de greffe en date du 27 juillet 2016.

Le Ministère public a interjeté appel incident de ladite décision le même jour.

Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur pour la SA A, partie civile, a interjeté appel de cette décision par acte de greffe en date du 28 juillet 2016.

Considérant les faits suivants :

Le 8 mai 2013, la SA A déposait plainte avec constitution de partie civile des chefs de vol, escroquerie et faux en écriture.

Elle exposait que le 14 décembre 2012 à 14 heures 24 (horaire informatique interne de la banque), une carte de retrait express avait été créée au sein de l'agence de Fontvieille au nom d'un client dénommé h. BEN NA., mais il avait été établi par la suite que celui-ci n'avait jamais formulé de demande d'émission d'une telle carte.

Le même jour à 14 heures 23 (un décalage existant entre l'horloge interne de la banque et l'horaire du distributeur automatique de billets), la carte litigieuse était utilisée dans le distributeur situé en face de l'agence, lequel n'était pas couvert par un système de vidéosurveillance, et l'intégralité des fonds disponibles, soit la somme de 1.000 euros, était retirée, le compte de h. BEN NA. étant débité à due concurrence.

Après contestation par l'intéressé, l'établissement le remboursait du même montant.

j-f. BR., directeur général de la banque, était entendu et mentionnait que le compte de h. BEN NA. sur lequel avait été créée la carte de retrait express était géré par p. BA. épouse SE. et que ladite carte avait été créée sur le poste de travail 008 situé dans la zone de circulation à partir de l'identifiant de p. MA., chargée d'accueil.

II expliquait qu'à l'issue de la journée du 14 décembre 2012, p. MA. s'était aperçue de l'absence d'un bordereau de création de carte de retrait express au nom de M. BEN NA. figurant pourtant sur le listing de la sommation des cartes de retrait express du jour.

L'intéressée avait alors édité un bordereau de substitution qu'elle avait placé dans l'enveloppe correspondant à la journée du 14 décembre 2012.

Le 2 janvier 2013, M. BEN NA. contestait 1'operation et la procédure interne était alors lancée.

Le même jour p. MA. vérifiait une nouvelle fois la présence du bordereau qui était toujours manquant avant d'être retrouvé, plus tard dans la journée, mal classé, dans la pochette dédiée.

j-f. BR. évoquait également la découverte, par le service enquêteur de la société C, de faits similaires ayant eu lieu le 30 octobre 2012 de 9 heures 10 à 9 heures 11, sur le compte de M. a. CA. PU., également géré par p. BA. épouse SE. depuis le 24 octobre 2012.

Il précisait qu'aucun enregistrement de la vidéosurveillance du 30 octobre 2012 n'était en leur possession, de sorte qu'aucune enquête interne n'avait été diligentée.

II ressortait en revanche de 1'exploitation de la vidéosurveillance remise aux enquêteurs par le plaignant que la seule employée circulant dans l'agence et effectuant un aller-retour à l'extérieur pendant le créneau horaire de la commission des faits du 14 décembre 2012 était p. BA. épouse SE., conseiller-clientèle, laquelle traversait, à 14 heures 24 minutes 30 secondes 1'espace client en provenance du poste informatique 008 surnommé « Fil de l'eau » puis sortait à 14 heures 25 minutes 31 secondes, un téléphone portable en main, en se dirigeant vers la droite pour rentrer à nouveau à 14 heures 27 minutes 16 secondes.

Les autres employés présents au moment des faits, s'agissant de e. CA., a. SA. et p. MA. étaient respectivement occupés dans un bureau, au guichet et dans l'enceinte technique.

II était également établi que l'horaire automate présentait un retard d'au moins deux minutes par rapport aux horaires informatiques O et aux horaires de la vidéosurveillance, ce qui permettait de confirmer que la carte de retrait express avait été utilisée sur le distributeur extérieur dans le créneau 14h25 - 14h27 durant lequel p. BA. épouse SE. était sortie de l'agence.

Selon les vérifications effectuées, étaient présents le 30 octobre 2012 au sein de l'agence, l. CO., p. MA. et p. BA. épouse SE..

La SA A communiquait aux enquêteurs le rapport interne des faits des 30 octobre et 14 décembre 2012, lequel concluait à la responsabilité de p. BA. épouse SE. concernant les faits du 14 décembre 2012.

II ressortait des investigations complémentaires que p. BA. épouse SE. avait interrogé le solde des comptes de CA. PU. et BEN NA., dont elle était chargée, peu avant la commission des faits.

II était par ailleurs relevé que les signatures clients figurant sur les bordereaux de création des cartes de retrait express du 30 octobre et du 14 décembre 2012 étaient différentes de celles des clients.

En outre, les avis d'opération n'étaient pas revêtus de la signature d'un représentant de la société C.

l. CO., directeur de l'agence, remettait l'ensemble des pièces justificatives de création des 34 cartes de retrait express pour la journée du 30 octobre 2012, le seul bordereau ne comportant pas de visa de 1'employé ayant créé la carte de retrait étant celui de la carte créée sur le compte de M. CA. PU..

II déclarait par ailleurs que les investigations internes avaient permis d'établir que pendant le créneau horaire de commission des faits du 30 octobre, p. MA. se trouvait dans l'enceinte technique de sorte qu'elle n'avait pu procéder au retrait litigieux.

Placée en garde à vue et interrogée à trois reprises, p. BA. épouse SE. niait dans un premier temps toute implication dans les faits avant de reconnaître avoir créé et utilisé, le 14 décembre 2012, la carte de retrait express n° XX sur le compte de M. BEN NA., en affirmant que cet acte n'était pas prémédité.

Elle expliquait avoir conservé le bordereau sur son bureau avant de le faire signer par un client dont elle ne se souvenait plus l'identité en le glissant parmi d'autres papiers.

Elle 1'avait ensuite placé dans la pochette prévue à cet effet sans le classer à sa place.

p. BA. épouse SE. niait en revanche les faits du 30 octobre 2012, les expliquant par une probable erreur du chargé de clientèle ayant créé ladite carte sur le compte du client CA. PU..

Elle affirmait que le compte de ce dernier lui avait été attribué d'initiative, sans qu'elle le demande, ne connaissant pas ce client.

p. BA. épouse SE. était inculpée le 26 novembre 2013 d'escroqueries commises courant 2012.

II était par la suite relevé, par 1'exploitation de l'ensemble des bordereaux de création de cartes de retrait express de la journée du 30 octobre 2012, qu'un bordereau de carte d'un montant de 600 euros créé sur le compte de SA. a-m. présentait une signature client similaire à celle figurant sur le bordereau de la carte créée au nom de CA. PU..

Ce bordereau portait sur le tampon « Bon à exécuter Client identifié par l'agence » le visa de p. BA. épouse SE. et de l. CO..

Les investigations permettaient en outre d'établir que la signature figurant sur le bordereau de la carte de retrait du 14 décembre 2012 correspondait à celle du client a. BEN MB..

a-m. SA. affirmait que la signature figurant sur le bordereau de la carte de retrait à son nom, en date du 30 octobre 2012 n'était pas la sienne.

Elle était formelle quant au fait qu'elle n'avait aucunement retiré la somme de 600 euros le 30 octobre 2012.

Elle indiquait vérifier rarement l'état de son compte bancaire et précisait par ailleurs que p. BA. épouse SE. se montrait très entreprenante avec elle, refusant qu'elle s'adresse à d'autres conseillers et qu'à trois reprises, p. BA. épouse SE. avait signé des documents bancaires à sa place.

a. BEN MB. indiquait également ne pas vérifier les mouvements sur son compte bancaire et après consultation de ses comptes, il se montrait étonné par le nombre de retraits par carte retrait express ainsi que par les montants retirés, mais indiquait ne disposer d'aucun élément susceptible de contester ces opérations.

II confirmait que la signature figurant sur le bordereau litigieux du 14 décembre 2012 était bien la sienne, mais ne se souvenait pas avoir signé ce document.

Entendue au fond, p. BA. épouse SE. revenait sur ses déclarations, affirmant qu'elle ne s'estimait pas coupable.

Elle expliquait que son directeur d'agence lui remettait parfois une carte de retrait express afin qu'elle retire de 1'argent pour le compte de ce dernier.

Elle affirmait ainsi que le 14 décembre 2012, il était possible que celui-ci lui ait fait une telle demande et qu'elle se soit rendue sur le distributeur extérieur à cette fin, profitant de 1'occasion pour fumer et téléphoner.

Elle soutenait n'avoir jamais signé de document à la place de Madame SA..

Elle affirmait avoir reconnu les faits devant les enquêteurs par crainte que son fils ne puisse plus être scolarisé en Principauté.

Devant le magistrat instructeur, l. CO. réfutait les affirmations de l'inculpée, soutenant n'avoir jamais demandé à cette dernière de retirer de l'argent pour son compte personnel.

II expliquait qu'il lui arrivait très exceptionnellement d'établir des cartes de retrait express lorsqu'il était amené à remplacer une personne à l'accueil, précisant qu'il travaillait alors sous sa session, confirmant par ailleurs qu'un retrait avec une carte de retrait express sans la présence du client était contraire aux procédures en vigueur.

À l'issue de l'information judiciaire, p. BA. épouse SE. a été renvoyée devant la juridiction correctionnelle pour avoir commis les 30 octobre et 14 décembre 2012 des faits d'escroqueries qu'elle a niés dans leur intégralité lors de l'audience.

La SA A s'est constituée partie civile à 1'audience, et a fait déposer par son conseil des conclusions tendant à voir la prévenue déclarer coupable des délits qui lui étaient reprochés et condamner, à titre de dommages-intérêts, au paiement des sommes de :

  • - 2.000 euros en ce qu'elle a dû rembourser les deux victimes,

  • - 134.126,01 euros en réparation du préjudice financier,

  • - 10.000 euros en réparation de son préjudice moral.

Par jugement du 12 juillet 2016, le Tribunal correctionnel :

Sur l'action publique,

  • - a relaxé p. BA. épouse SE. des faits du 30 octobre 2012 et l'a déclarée coupable de ceux commis le 14 décembre 2012,

  • - l'a condamnée en répression à la peine de deux mois d'emprisonnement avec sursis,

Sur l'action civile,

  • - a reçu la SA A en sa constitution de partie civile,

  • - la déclarant partiellement fondée en ses demandes, a condamné p. BA. épouse SE. à lui payer la somme de 6.000 euros toutes causes de préjudices confondues.

Pour statuer ainsi le Tribunal a retenu que :

  • - p. BA. épouse SE. a admis que seul un employé a pu être l'auteur des opérations frauduleuses commises ;

  • - l'exploitation des images de surveillance de la société B de Fontvieille de la journée du 14 décembre 2012 établit qu'elle a été la seule personne à sortir de ladite agence à l'extérieur de laquelle se trouvait le distributeur depuis lequel le retrait frauduleux a été effectué, durant le créneau horaire lors duquel la carte de retrait express a été créée puis utilisée ;

  • - son implication est incontestable, même si elle l'a contestée à l'audience, alors qu'elle l'avait reconnue lors de sa garde à vue ;

  • - l'identité du mode opératoire des faits commis le 30 octobre 2012, le retrait effectué depuis un compte appartenant à un client dont p. BA. épouse SE. était la conseillère, qu'elle avait précédemment consulté, ne suffisent pas en l'absence de tout autre élément de considérer de manière certaine que p. BA. épouse SE. est bien celle qui a commis cette opération frauduleuse ;

  • - il y a lieu de prendre en considération le montant relativement peu élevé du retrait opéré frauduleusement par p. BA. épouse SE. qui par ailleurs n'a jamais été condamnée ;

  • - la somme de 1.000 euros doit être allouée à la banque en réparation de son préjudice matériel et celle de 5.000 euros en réparation de son préjudice d'image causé par les agissements frauduleux opérés par une de ses salariés.

Appel du jugement a été interjeté le 27 juillet 2016 par p. BA. épouse SE., et à titre incident par le ministère public, et le 28 juillet 2016 par la SA A.

Par conclusions déposées le 22 septembre 2016, la SA A demande à la Cour de :

  • - statuer ce que de droit sur l'action publique ;

  • - condamner Madame SE. à lui payer les sommes de :

    • 2.000 euros en ce qu'elle a dû rembourser les deux victimes ;

    • 146.832,96 euros au titre du préjudice financier lié au versement des salaires ;

    • 10.000 euros au titre de son préjudice moral ;

  • - ainsi qu'aux entiers dépens distraits au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur sous sa due affirmation.

Elle fait valoir pour l'essentiel l'extrême gravité du comportement de p. BA. épouse SE., qui a trompé la confiance des clients et de son employeur, et tenté de dissimuler ses forfaits, notamment en tentant de faire accuser une de ses collègues et de mettre en cause le directeur de l'agence, et qui pour tenter d'échapper à toute sanction est parvenue à se faire élire délégué du personnel suppléant, retardant ainsi son licenciement jusqu'à l'intervention du jugement de condamnation.

À l'audience du 30 septembre 2016, la partie civile représentée par son conseil a repris et développé ses écritures.

Le ministère public a fait valoir les éléments de la procédure permettant, selon lui, de retenir la culpabilité de p. BA. épouse SE., non seulement pour les faits du 14 décembre 2012 mais également pour les faits du 30 octobre 2012, tenant notamment à l'identité du mode opératoire, aux comptes concernés dont elle avait la gestion, à leur consultation par elle peu avant les faits, et à sa présence dans l'agence au moment des faits, demandant à la Cour d'infirmer le jugement en ce sens et de la condamner à une peine d'emprisonnement de 9 mois assortie du sursis.

Maître Frank MICHEL, avocat de p. BA. épouse SE. a souligné qu'il n'existait aucune preuve directe de la commission par elle des faits délictueux, que l'enregistrement vidéo n'était pas de nature à établir en raison du décalage horaire qui reste indéterminé entre les images enregistrées et le retrait intervenu ayant pu être le fait d'une tierce personne, demandant à la Cour de prononcer sa relaxe, p. BA. épouse SE. maintenant ne pas être l'auteur des retraits litigieux.

SUR CE,

Attendu que les appels, principaux et incident, relevés dans les conditions prescrites par les articles 406 et 411 du code de procédure pénale, sont réguliers et recevables ;

  • Sur l'action publique :

Attendu que le 14 décembre 2012 un retrait de la somme de 1.000 euros a été effectué dans le distributeur automatique de billets situé en face de la société B de Fonvieille par débit du compte ouvert dans la dite agence au nom de h. BEN NA. ;

Que ce retrait a été effectué au moyen d'une carte de retrait express créée à 14h24 au sein de la dite agence ;

Que h. BEN NA. a contesté avoir demandé l'émission d'une telle carte et avoir procédé au retrait de la dite somme ;

Attendu que les faits du 14 décembre 2012 ont fait suite à des faits identiques qui se sont produits le 30 octobre 2012, une somme de 1.000 euros ayant été retirée dans les mêmes circonstances, par débit du compte ouvert dans la dite agence au nom d a. CA. PU., lequel a justifié ne pas avoir été à l'origine de l'établissement de la carte ni du retrait ;

Attendu que l'information a permis d'établir que l'émission des cartes de retrait express concernées et les retraits correspondants n'ont pu être le fait que d'un membre du personnel de la banque, ce que p. BA. épouse SE. n'a d'ailleurs jamais contesté ;

Qu'en effet l'émission des cartes de retrait express s'est effectuée à partir du poste informatique n° 8 situé dans le couloir jouxtant la zone d'accueil de l'agence ;

Que la procédure habituelle prévoit une pré-validation permettant de vérifier le crédit suffisant du compte à débiter et l'émission d'un bordereau sur lequel doivent être apposés la signature du client et le visa du représentant de la banque ;

Que l'utilisation des cartes émises doit intervenir dans les minutes suivant leur émission, en tout état de cause dans un délai inférieur à 10 mn correspondant à leur durée de vie, et qu'en l'espèce elles ont été utilisées sur le distributeur extérieur situé immédiatement à droite de l'agence, qui dispose également d'un distributeur à l'intérieur de ses locaux ;

Attendu que le poste informatique n° 8 était, au moment des faits, attribué à p. MA., mais il est admis qu'elle n'en était pas l'utilisatrice exclusive ;

Qu'à l'audience de la Cour, p. BA. épouse SE. a déclaré qu'elle en avait été l'utilisatrice principale jusqu'au 30 septembre 2012, date à laquelle elle avait quitté son poste à l'accueil de la banque pour devenir conseiller clientèle ;

Attendu que par ailleurs, les comptes concernés par les opérations frauduleuses, étaient compris dans le portefeuille des comptes dont p. BA. épouse SE. avait la gestion, et leur consultation, pour les besoins de son activité, lui permettait d'apprécier leur situation ;

Qu'il est établi que la consultation par elle de ces deux comptes, quel qu'en ait été le motif, a été effectuée préalablement et quelques jours avant les retraits frauduleux ;

Attendu qu'il convient également de relever que le bordereau émis lors de l'émission de la carte, le 30 octobre 2012, comprend le visa de p. BA. épouse SE., qu'elle n'a pas contesté, et une signature client identique à celle figurant sur le bordereau de carte créée le même jour sur le compte de SA. a-m., lequel faisait également partie de son portefeuille ;

Qu'aucun visa du représentant de la banque ne figure sur le bordereau émis lors de l'émission de la carte le 14 décembre 2012, mais la signature client correspond à celle d a. BEN MB., dont le compte était géré par p. BA. épouse SE. ;

Attendu enfin qu'il est établi qu'aux jours et heures des faits, parmi le personnel présent dans l'agence, seule p. BA. épouse SE. a pu effectuer les retraits frauduleux, les autres salariés étant occupés à d'autres tâches ;

Que la vidéosurveillance du 14 décembre 2012 vient d'ailleurs confirmer qu'à l'heure des faits, p. BA. épouse SE. est sortie de l'agence, qu'elle s'est dirigée sur la droite où se situe le distributeur extérieur, alors que selon les déclarations des autres employés de la banque il était habituel qu'elle se place à gauche de l'agence pour fumer une cigarette, ce qu'elle indique avoir fait ce jour-là, puis est à nouveau entrée dans l'agence ;

Que le temps écoulé entre sa sortie et son retour a ainsi été fixé à deux minutes, suffisant pour procéder au retrait ;

Que le décalage horaire de l'automate n'est pas de nature à mettre en cause l'utilisation par p. BA. épouse SE. de la carte de retrait, puisque les investigations accomplies ont établi que la carte a été utilisée sur le distributeur extérieur dans le créneau pendant lequel elle est sortie de l'agence, et il n'est pas établi par la vidéosurveillance qu'un autre membre du personnel de la banque se soit absenté de l'agence dans les dix minutes qui ont suivies la création de la carte, au-delà desquelles elle se périmait ;

Qu'il est tout aussi indifférent qu'elle n'ait pas été présente au sein de l'établissement bancaire, le jour de la découverte tardive du bordereau d'émission de la carte ;

Qu'il convient également de tenir compte de ses propres aveux devant les services de police, de la précision de ses déclarations, recueillies au cours de deux auditions d'une durée limitée, permettant d'écarter tout risque de pression, et de ses déclarations ultérieures qui se contredisent, mettant en cause un tiers puis affirmant finalement tout ignorer des opérations intervenues ;

Attendu que s'agissant des faits commis le 30 octobre 2012, leur imputabilité à p. BA. épouse SE. est suffisamment établie par les éléments ci-dessus rapportés, tenant notamment à l'identité du mode opératoire, aux comptes concernés par l'opération frauduleuse, et à la présence de son visa sur le bordereau d'émission de la carte, aucun bénéfice ne pouvant être tiré de l'absence de vidéosurveillance ;

Attendu que dans ces conditions il y a lieu de déclarer p. BA. épouse SE. coupable des faits commis le 30 octobre 2012 et des faits commis le 14 décembre 2012 ;

Que le jugement sera réformé en ce sens ;

Attendu que le nombre limité des retraits opérés, leur montant peu élevé, ainsi que l'absence d'antécédent judiciaire de p. BA. épouse SE. justifient que la peine de deux mois d'emprisonnement avec sursis prononcée par le Tribunal soit confirmée ;

  • Sur l'action civile :

Attendu que la recevabilité de la constitution de partie civile est conditionnée par l'existence d'un préjudice en relation directe avec l'infraction poursuivie ;

Que les agissements frauduleux commis ont porté directement préjudice à la SA A en ce qu'elle a été dépossédée de sommes indument prélevées sur les comptes de ses clients qu'elle était tenue de représenter ;

Que le préjudice tenant au remboursement des sommes ainsi détournées, soit au total 2.000 euros, et celui résultant de l'atteinte à son image que le Tribunal a justement indemnisé par l'allocation d'une somme de 5.000 euros sont en lien direct avec l'infraction commise ;

Mais attendu qu'aucun préjudice direct ne résulte du paiement des salaires de p. BA. épouse SE. qui s'est poursuivi, malgré sa mise à pied, en raison de son statut de salarié protégé ne permettant pas son licenciement immédiat ;

Attendu qu'en définitive une somme de 7.000 euros sera allouée à la SA A en réparation de son préjudice ;

Que le jugement sera réformé en ce sens ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D' APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO, statuant en matière correctionnelle, publiquement, contradictoirement à l'égard de p. BA. épouse SE. et conformément aux dispositions de l'article 377 du Code de procédure pénale à l'égard de la partie civile,

Déclare recevables les parties en leur appel ;

Sur l'action publique,

Réforme le jugement qui a prononcé la relaxe de p. BA. épouse SE. des faits du 30 octobre 2012 ;

Statuant à nouveau du chef infirmé,

La déclare coupable des faits du 30 octobre 2012 ;

Confirme le jugement pour le surplus ;

Sur l'action civile,

Confirme le jugement qui a reçu la SA A en sa constitution de partie civile ;

L'infirme sur le montant des dommages et intérêts alloués ;

Statuant à nouveau du chef infirmé,

Condamne p. BA. épouse SE. à payer à la SA A la somme de 7.000 euros à titre de dommages et intérêts ;

La condamne aux frais qui comprendront les droits prévus par l'article 63 de l'ordonnance souveraine n° 15.173 du 8 janvier 2002, avec distraction au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, dont la présence est reconnue effective et nécessaire aux débats ;

Composition🔗

Ainsi jugé et prononcé en audience publique de la Cour d'appel de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le sept novembre deux mille seize, par Monsieur Eric SENNA, Conseiller faisant fonction de Président, Madame Virginie ZAND, Conseiller, Monsieur Paul CHAUMONT, Conseiller, en présence de Monsieur Hervé POINOT, Procureur général adjoint, assistés de Madame Nadine VALLAURI, Greffier.

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