Cour d'appel, 26 septembre 2016, Monsieur c. NO. c/ La Société Anonyme Monégasque A
Abstract🔗
Procédure prud'homale - Sursis à statuer (non) - Effet dévolutif de l'appel - Caractère très tardif de l'instance en référé - Bonne administration de la justice
Résumé🔗
L'appelant doit être débouté de sa demande de sursis à statuer dans la mesure où, eu égard, d'une part, à l'effet dévolutif de l'appel et, d'autre part, au caractère très tardif de l'instance en référé, initiée six ans après l'introduction de la procédure devant le Tribunal du travail, il n'apparaît pas conforme à une bonne administration de la justice de faire droit à une demande de sursis à statuer dilatoire puisque liée à une demande d'expertise dont la Cour se trouve également saisie et formée après de premiers échanges de conclusions au fond.
Motifs🔗
COUR D'APPEL
ARRÊT DU 26 SEPTEMBRE 2016
En la cause de :
- Monsieur c. NO., né le 4 juin 1952 à Monaco, de nationalité française, retraité, demeurant X1 à Monaco ;
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
APPELANT,
d'une part,
contre :
- La SOCIÉTÉ ANONYME MONÉGASQUE A, dont le siège social se trouve X à Monaco, prise en la personne de son Président Délégué en exercice, demeurant et domicilié en cette qualité audit siège ;
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
INTIMÉE,
d'autre part,
LA COUR,
Vu le jugement rendu par le Tribunal du Travail, le 11 juin 2015 ;
Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 14 octobre 2015 (enrôlé sous le numéro 2016/000035) ;
Vu les conclusions déposées les 23 février 2016 et 11 mai 2016 par Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur, au nom de la SOCIÉTÉ ANONYME A ;
Vu les conclusions déposées les 12 avril 2016 et 10 juin 2016 par Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, au nom de c. NO. ;
À l'audience du 12 juillet 2016, vu la production de leurs pièces par les conseils des parties ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
La Cour statue sur l'appel relevé par c. NO. à l'encontre d'un jugement du Tribunal du Travail du 11 juin 2015.
Considérant les faits suivants :
c. NO., employé par la société anonyme monégasque dénommée SOCIÉTÉ A en qualité de « Floorman » (statut cadre) et affecté à la salle des jeux américains dénommée « société C» a, ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 10 mai 2010, attrait la SAM A devant le bureau de jugement du Tribunal du Travail à l'effet d'obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 135.500 euros, provisoirement arrêtée à la date de la requête initiale, correspondant au différentiel entre sa rémunération et celle perçue par un salarié occupant un poste équivalent au sein de la société B, sur les cinq années qui précèdent.
Il a également sollicité les intérêts au taux légal à compter de la demande ainsi que le prononcé de l'exécution provisoire de la décision à intervenir.
Aux termes de l'ensemble de ses écritures judiciaires soumises aux premiers juges, c. NO. a fait valoir que :
Sur l'incompétence,
- l'action qu'il a engagée n'est pas assimilable à un conflit collectif et ne tend pas à la dénonciation d'un accord collectif, laquelle ne pourrait intervenir qu'à l'initiative d'un syndicat et non d'un salarié,
- toutefois, les stipulations d'une convention collective ne peuvent lui être opposées si elles contreviennent à une disposition d'ordre public consacré par un traité et la loi,
- son action individuelle relève de la compétence du Tribunal du Travail, dans la mesure où il cherche à obtenir, à titre personnel, un complément de salaire légalement justifié tant pour le passé que pour l'avenir,
- en vertu du principe de l'effet relatif des décisions de justice, le jugement qui lui reconnaîtra un droit lui bénéficiera de plein droit mais pas à une catégorie d'employés,
Sur le fond,
- l'activité qu'il exerce est en tous points similaires à celle accomplie par d'autres cadres affectés à la même fonction dans une autre salle des jeux américains de la société A, laquelle se trouve sein de la société B,
- les deux salles relèvent de la même direction, emportent les mêmes contraintes professionnelles et nécessitent le même niveau de formation,
- les jeux pratiqués, qu'il doit contrôler et superviser, sont identiques à l'exception près que le nombre de jeux est plus important au sein de la salle de la société C (neuf contre trois sein de la société B),
- l'employeur se contente d'une dénégation générale sans même indiquer quelles seraient les différences entre les fonctions qui ne les rendraient pas de valeur équivalente,
- le seul argument invoqué est celui de la rémunération qui constitue le c¿ur du présent litige,
- au-delà de la définition des postes résultant de la convention collective, une correspondance du 30 juillet 2003, émanant de responsables de la société A, mentionne de manière tout à fait explicite que le fait de passer des jeux américains de la société C aux jeux américains de la société B ne constitue ni une promotion, ni un changement d'emploi,
- la société A a souhaité harmoniser les différents statuts des employés des jeux à son service, même si le processus est toujours en cours (notamment projet du 6 décembre 2010, note de février 2012 sur les discussions en cours),
- du fait de modalités de rétribution différentes, il a systématiquement obtenu une rémunération inférieure à celle qu'il aurait perçue s'il avait exercé ses fonctions au sein de la société B,
- les cadres de la salle des jeux américains de la société B, répartis en deux échelons, sont en effet rémunérés par rapport à la masse unique (définie en septièmes), calculée sur le chiffre d'affaires d'un troisième établissement, la société O, tout en bénéficiant d'un salaire minimum garanti dans l'hypothèse où la répartition de la masse lui serait inférieure,
- au contraire, les cadres de la salle des jeux américains de la société C, perçoivent une rémunération qui est pour l'essentiel constituée d'un salaire fixe auquel s'ajoute un intéressement théorique réglé de façon très exceptionnelle,
- la participation à la masse (société B) ayant abouti à une somme très supérieure au salaire fixe sus-évoqué (société C), il a indéniablement été victime d'une discrimination sur la base du principe : « à travail égal, salaire égal », la différence en cause (20.000 à 30.000 euros par an) ne se justifiant pas par des considérations individuelles liées à l'ancienneté, la qualité professionnelle ou la formation,
- la société A ne conteste pas que sur la période en cause, il n'y ait pas eu d'égalité de traitement et il ne peut être contesté que cette inégalité de traitement s'est réalisée à son préjudice ou à celui de ses collègues cadres affectés à la salle de la société C,
- l'avenant n° 17 du 14 août 2009 concernant les appareils automatiques démontre que la société A avait déjà constaté la difficulté en cause dans une situation identique (même paradoxe),
- l'existence d'un différentiel de traitement au niveau des rémunérations perçues par les cadres des salles de la société C et de la société B n'a pas à être établie dès lors qu'elle est reconnue par la partie adverse,
- il est matériellement impossible que deux modes de calcul différents aboutissent à un salaire identique et ce d'autant que la rémunération des cadres de la salle de la société B comporte une partie variable contrairement à celle des cadres de la société C,
- le projet de statut unique qui permet d'espérer que la situation soit régularisée pour l'avenir, ne fera pas disparaître le préjudice subi pour le passé du fait de cette discrimination,
- l'argument selon lequel il ne pourrait être rémunéré dans les mêmes conditions que ses homologues de la société B puisqu'il ne participe pas aux résultats de ce service est inopérant, et il n'est pas nécessaire que des employés participent directement à une masse pour percevoir un intéressement (pourboires des Jeux Européens qui permettent de calculer l'intéressement des salariés de la société B),
- pour des raisons non juridiques et de façon parfaitement paradoxale, la société A s'est à tort refusé à appliquer l'harmonisation aux cadres de la société C.
La SAM A a quant à elle fait en substance valoir en réponse à une telle argumentation que :
Sur l'incompétence,
- 32 des 56 cadres des jeux américains du « société C », représentés par le même conseil, ont saisi le Tribunal le même jour, pour les mêmes demandes, en présentant 32 jeux de conclusions strictement identiques et ont de la sorte utilisé un artifice pour maquiller le caractère collectif de leurs prétentions,
- en réalité, le litige oppose une collectivité composée des cadres des jeux américains du « société C » à leur employeur,
- sous couvert d'une multitude de demandes individuelles, c. NO. et ses collègues remettent en cause les termes de l'accord du 7 janvier 2003 fixant les modalités des rémunérations des cadres des jeux américains de la société C,
- l'objet réel des prétentions, indépendamment de leur formulation, est par nature collectif au sens de l'article 8 de loi n° 473 du 4 mars 1948,
- le syndicat des cadres et des employés de la salle de la société C avait pris la décision de maintenir en 2003 la rémunération des cadres, non pas en pourcentage de la masse mais en fonction d'une grille tenant compte de l'ancienneté, de coefficients et des résultats des évaluations des salariés,
- sous le couvert d'un rappel de salaire, ce salarié et l'ensemble de ses collègues contestent désormais ce mode de rémunération, allant même jusqu'à admettre que leur action vise à étendre aux cadres l'accord anti-discrimination de l'avenant n° 17 portant rapprochement salarial entre appareils automatiques société C et la société O / société B,
- l'action intentée est incontestablement susceptible d'avoir des répercussions sur les autres salariés et présente un caractère d'intérêt général qui est nécessairement collectif,
- la solution réclamée ne saurait être mise en œuvre car elle conduirait à faire bénéficier aux cadres de la société C des résultats d'une masse qui n'est pas la leur et de faire varier les rémunérations chaque mois en fonction de celles versées aux cadres de la société O / société B,
- en tout état de cause, les salaires dépendront, y compris pour les mêmes fonctions, à qualification et diplômes identiques, des résultats de chacune des salles de jeux, seul un minimum garanti pouvant le cas échéant être fixé à un même montant,
- la société A ne peut modifier unilatéralement les modalités de rémunération fixées par des accords collectifs, cette question relevant de la négociation collective et des syndicats, et la présente action vise la consécration de droits devant bénéficier non au seul demandeur, mais à la collectivité des cadres des jeux américains de la société C,
Sur le fond,
- l'article 2.1 de la loi n° 739 posant le principe de non-discrimination entre les hommes et les femmes n'est donc pas applicable au cas d'espèce,
- le salarié demandeur ne rapporte pas la preuve de la différence de traitement alléguée et ne procède à aucun examen individualisé de chaque situation, se contentant de procéder à une affirmation sans apporter le moindre élément permettant d'établir qu'un salarié, dont il ne fournit pas l'identité, ni même le poste, percevrait une rémunération supérieure et exercerait des fonctions identiques,
- il s'agit de comparer deux modes de rémunération répondant à des logiques différentes, d'une part le versement d'un salaire fixe assorti d'un intéressement et, d'autre part, une rémunération à la masse assortie d'un minimum garanti,
- les modalités de calcul de la rémunération peuvent conduire les cadres des jeux américains de la société C à percevoir un salaire identique, voire supérieur à celui de leurs collègues de la société O/ société B,
- l'accord du 14 août 2009 n'est pas transposable, les fonctions étant totalement différentes,
- à supposer même que les cadres des jeux américains de la société C et société O / société B effectuent un travail égal, ce qu'elle conteste, la société A, pas plus que le Tribunal, ne peuvent apprécier si le salarié avec lequel c. NO. se compare a un profil identique au sien, notamment en termes d'expérience et de formation,
- il n'appartient pas au Tribunal, tout comme à elle, de palier la carence du demandeur dans l'administration de la preuve,
- contrairement à ce qu'affirme le salarié, les cadres des jeux américains de la société C ne sont pas défavorisés par rapport à leurs collègues de la société O / société B, le minimum garanti aux cadres de la société O / société B apparaissant même inférieur, à situation similaire, au salaire fixe perçu par un cadre de la société C,
- les cadres de jeux américains de la société C et de la société O/ société B appartiennent à des établissements distincts, l'administration ayant même reconnu qu'ils constituaient des « entités autonomes », chacun de ces établissements étant assimilé à une entreprise pour la représentation syndicale et l'établissement de la société C ayant été reconnu par le Tribunal de première instance aux termes d'un jugement du 24 janvier 2008.
Par jugement en date du 11 juin 2015, le Tribunal du travail a :
- débouté la société A des fins de son exception d'incompétence,
- débouté c. NO. de l'intégralité de ses demandes,
- condamné ce dernier aux dépens du jugement.
Les premiers juges ont en premier lieu rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société A en substance en considérant que l'instance dont ils étaient saisis n'a pas été engagée par une collectivité des salariés agissant au nom de l'intérêt commun mais par différents salariés agissant chacun en son nom personnel dont la revendication ne tend pas à l'application à l'ensemble des cadres des jeux américains de la seule société O de l'avenant n° 1 du 18 décembre 1978 à la Convention Collective Générale pour le personnel du service des jeux américains société A O, mais à la demande de paiement de certaines sommes qu'ils estiment leur être dues sur le fondement du principe général de non-discrimination.
À défaut de toute manifestation d'intention de chaque salarié de voir trancher le différend l'opposant à la société A sur un plan collectif dans l'intérêt commun, le Tribunal du travail a dès lors considéré qu'il était saisi d'une juxtaposition de litiges individuels tendant à voir consacrer la défense d'intérêts catégoriels relevant de sa compétence d'attribution.
Tout en estimant applicable le principe de non-discrimination en matière de salaires en droit social monégasque, les premiers juges en ont déduit l'obligation pour la société A d'assurer l'égalité de rémunération entre tous les employés de son entreprise, lesquels, lorsqu'ils sont placés dans des conditions identiques, accomplissent un même travail ou un travail de valeur égale.
Au cas d'espèce et au regard d'un examen individualisé de chaque situation, les premiers juges ont estimé que :
- les assistants du directeur, les pit boss et les superviseurs floormen encore appelés inspecteurs dans le règlement intérieur de la seule société O, exercent strictement les mêmes attributions au sein de chaque salle de jeux américains,
- si le mode de rémunération des cadres de la salle de la société B, de la société O et de la société C est différent, cela ne permet pas d'en déduire que le niveau global de rémunération des cadres de la société C serait de façon systématique inférieure à celui des cadres de la société B, le demandeur n'ayant pas lui-même comparé de façon matérielle sa situation à celle d'un plusieurs cadres déjà américains exerçant un travail de valeur égale au sien de la société B ou de la société O.
La demande tendant à obtenir communication par la société A des justificatifs de rémunération des cadres de la société B vise à pallier la carence dans l'administration de la preuve et n'est pas suffisamment précise en sorte qu'aucune vérification comparative ne peut être effectuée de façon concrète.
Suivant exploit du 14 octobre 2015, c. NO. a régulièrement interjeté appel du jugement précité signifié le 15 septembre 2015, à l'effet de voir réformer en partie la décision entreprise en ce qu'elle a refusé de faire droit à ses demandes au motif qu'il n'a pas été en mesure de verser aux débats les bulletins de paie permettant la comparaison entre sa rémunération sur la période concernée et celle d'un ou plusieurs salariés exerçant des fonctions au sein de la société B.
Il entend à titre principal voir la Cour :
constater que l'employeur s'est toujours refusé à verser ces pièces de comparaison,
dire et juger qu'en conséquence ce dernier n'a fourni aucun élément à l'appui de sa contestation du montant invoqué par le requérant qui constitue le différentiel réclamé,
dire et juger qu'il y a lieu de lui allouer purement et simplement l'entier bénéfice de ses demandes sauf à voir ordonner par l'employeur la production des pièces correspondantes,
condamner dès lors la société A à verser, pour le passé au requérant, dans la limite de la prescription légale et ne valant pas pour l'avenir, la somme de 135.500 euros, hors charges sociales et congés payés, provisoirement arrêtée à la date de l'ordonnance de non-conciliation qui correspond au différentiel entre la rémunération globale annuelle perçue par le demandeur et celle d'un salarié occupant un poste équivalent sein de la société B, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du Tribunal du travail valant mise en demeure (23 mars 2010),
et, à titre subsidiaire :
s'entendre ordonner une expertise judiciaire dans les termes du jugement du Tribunal du travail du 10 juillet 2008 pour le cas où une telle expertise sollicitée en référé ne serait pas accordée,
condamner la société A aux entiers dépens de première instance et d'appel avec distraction au profit de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur sous sa due affirmation.
Au soutien de son appel, c. NO. adhère à la décision entreprise en ce que la société A a été déboutée des fins de son exception d'incompétence ratione materiae et a retenu qu'il existait une identité de fonctions entre celles qu'il exerce au sein de la société C et celles d'un salarié occupant un poste équivalent au sein de la société B.
Il fait en revanche grief aux premiers juges de l'avoir débouté au motif qu'il n'avait pas produit les pièces pouvant permettre de contrôler le montant de sa demande et ce, alors même que ces pièces sont en la possession de son adversaire qui se refusait à les communiquer.
Il estime que le Tribunal du travail aurait dû ordonner à la société A de produire les bulletins de paie d'autres salariés ou ordonner une expertise judiciaire dans le cadre de laquelle l'expert aurait pu obtenir communication de tous les documents utiles à l'accomplissement de sa mission et à la manifestation de la vérité. Il entend dès lors obtenir la production de ces documents en référé à l'effet d'éclairer la Cour sur le bien-fondé de ses demandes.
Il entend par ailleurs voir constater qu'en tout état de cause la société A n'a fourni aucun élément au soutien de sa contestation du montant correspondant au différentiel réclamé.
La société A, intimée, entend pour sa part voir la Cour :
À titre principal :
constater que le présent litige revêt un caractère collectif et relève de la Commission arbitrale instituée par la loi n° 473 du 4 mars 1948 relative à la conciliation et l'arbitrage des conflits collectifs du travail,
infirmer le jugement du 11 juin 2015 en ce qu'il s'est déclaré compétent pour trancher le présent litige et renvoyer le requérant à mieux se pourvoir tout en le déboutant de l'ensemble de ses demandes.
À titre subsidiaire :
constater que les demandes formulées par les salariés sont infondées,
constater que le salarié ne rapporte pas la preuve de la différence de traitement alléguée,
en conséquence confirmer le jugement du 11 juin 2015 en ce qu'il déboute le salarié de l'ensemble de ses demandes,
Quoiqu'il en soit :
dire qu'il n'appartient pas la Cour de pallier la carence du défendeur dans l'administration de la preuve,
en conséquence, le débouter de ses demandes tendant à obtenir une expertise judiciaire,
à tout le moins, dans l'hypothèse où cette expertise serait ordonnée, en imposer la réalisation aux frais avancés du salarié,
constater que le requérant ne justifie en rien du montant de ses demandes,
confirmer le jugement du 11 juin 2015 en ce qu'il a débouté le salarié de l'ensemble de ses prétentions.
La société société A, appelante incidente, excipe en premier lieu de l'incompétence du Tribunal du travail à raison de la matière.
Elle soutient cet égard que :
l'article premier de la loi n° 473 du 4 mars 1948 serait applicable au présent litige qui présente le caractère d'un conflit collectif au regard tant du nombre des parties à l'instance, soit une trentaine de cadres sur les 56 des jeux Américains de la société C, que de l'objet du litige portant sur la contestation d'un mode de rémunération et présentant donc un caractère d'intérêt général, que sur le but de la présente action tendant à la reconnaissance de droit au profit de la collectivité des cadres de la salle des jeux américains de la société C.
La société A estime par ailleurs que le Tribunal du travail a justement débouté le requérant de l'ensemble de ses prétentions après lui avoir, à bon droit, reproché de ne pas avoir matériellement comparé en termes de rémunération sa propre situation avec celle d'un ou plusieurs cadres des jeux américains affectés au sein de la société B / la société O nommément désignés exerçant un travail de valeur égale au sien.
La société A estime inopérante toute référence faite à d'autres jugements rendus par le Tribunal du travail en 2008 dès lors que le litige soumis ce jour ne tend pas à comparer deux minima garantis mais deux modes de rémunération répondant à des logiques radicalement différentes : soit le versement d'un salaire fixe assorti d'un intéressement d'une part, soit une rémunération à la masse assortie d'un minimum garanti d'autre part.
La société A estime que, même dans l'hypothèse d'un travail égal qui serait effectué par les cadres des jeux américains de la société C et ceux de la société O / société B, il n'est pas possible d'apprécier si le salarié avec lequel l'appelant prétend se comparer a un profil identique au sien, notamment en termes d'expérience de formation.
Il est en effet admis, selon l'intimée, que la différence d'expérience professionnelle, ou de niveaux d'enseignement de formation est susceptible de justifier une différence de rémunération.
Elle ajoute qu'il n'appartient ni aux juridictions ni à l'employeur de pallier la carence du salarié dans l'administration de cette preuve, une expertise ne pouvant se justifier de ce seul chef.
S'agissant de la disparité alléguée, la société A soutient encore que :
les rémunérations des cadres de la société O / société B ne sont pas nécessairement plus élevées que celles des salariés de la société C à situation égale,
leurs collègues de la société O/ société B sont rémunérés à la masse, c'est-à-dire en fonction des recettes réalisées au sein des salles de jeux tous secteurs confondus, étant précisé qu'ils perçoivent une rémunération basée sur un minimum garanti leur permettant d'obtenir une somme minimale quand aucun excédent de masse n'est distribué,
un tel minimum garanti est inférieur, à situation similaire, au salaire fixe perçu par les cadres de la société C,
Le requérant ne produit aucune pièce pouvant laisser supposer que les salariés de la société O/ société B seraient mieux rémunérés que leurs collègues de la société C alors que les pièces produites aux débats démontrent précisément le contraire,
quoiqu'il en soit, le principe d'égalité de traitement ne trouve pas s'appliquer entre les cadres des jeux Américains de la société C et leurs collègues de la société O/ société B car ils appartiennent à des établissements différents de la société A constituant des entités autonomes. Chacun de ces établissements assimilés par les juridictions monégasques à des entreprises peut ainsi disposer de ses propres représentants syndicaux, tandis que les accords fixant la rémunération des cadres de chacun de ces établissements ont été négociés par un syndicat propre à son personnel et n'a vocation à s'appliquer que dans l'établissement où il a été conclu,
en l'espèce le syndicat des cadres et employés de la salle de la société C aurait dû, si les accords antérieurs ne répondaient plus aux attentes de ses salariés, engager de nouvelles négociations avec la direction, ce qui a notamment été fait par la conclusion de l'accord du 1er avril 2015 uniformisant pour l'avenir les conditions de rémunération des cadres de Jeux Américains de la société C et société O / société B,
l'existence de statuts différents créés par voie d'accord justifie en réalité une différence de rémunération entre les salariés relevant de ses statuts distincts, le principe « à travail égal, salaire égal » ne devant s'appliquer qu'entre salariés de la société C et nullement entre ces derniers et ceux de la société O / société B.
Aux termes de nouveaux écrits judiciaires, c. NO., se référant à ses précédentes demandes, entend voir dire et juger que dans un souci de bonne administration de la justice, il convient d'attendre l'issue de la demande d'expertise présentée dans son exploit d'assignation en référé du 8 avril 2016 et donc l'ordonnance à intervenir, les éléments qui devront être fournis par l'employeur et l'analyse qui en sera faite par l'expert désigné, toutes informations ayant une influence directe sur la solution du litige et l'arrêt que doit rendre la Cour d'appel ; il sollicite donc le sursis à statuer et, à défaut, entend se voir donner acte de ce qu'il se réserve de conclure au fond.
Au soutien de telles conclusions, c. NO. rappelle que le Tribunal du travail a reproché au requérant de ne pas avoir prouvé l'importance de la discrimination salariale invoquée, et donc du différentiel de rémunération pouvant être réclamé par la production de pièces de comparaison. Il a même estimé que le fait de réclamer la production par l'employeur desdites pièces revenait à lui demander de suppléer à sa carence probatoire.
L'appelant explique que c'est la raison pour laquelle il avait déjà indiqué, dans son acte d'appel, que cette expertise judiciaire était également requise devant la Cour dans l'hypothèse où celle réclamée en référé ne serait pas accordée.
Il expose avoir saisi le juge des référés par exploit du 8 avril 2016 afin que soit ordonnée une expertise judiciaire devant permettre d'établir l'étendue du préjudice du salarié.
Il a ainsi sollicité la désignation d'un expert judiciaire avec mission de :
- se faire communiquer par les parties, tous les documents et pièces qu'il estimera nécessaires et utiles et notamment tous les bulletins de paie délivrés par la société A au concluant au cours de la période couverte par ses réclamations ainsi que tous les bulletins de paie délivrés par la société A aux cadres des jeux américains exerçant leurs fonctions dans les salles de jeux américains de la société B ou de la société O, appartenant au même grade que le concluant ;
- de déterminer le montant de la rémunération et des accessoires de celle-ci (salaire - indemnités de congés payés - indemnités journalières maladie - heures supplémentaires) que le concluant a effectivement perçus de son employeur durant la période non prescrite du 22 mars 2005 jusqu'au 31 mars 2015, correspondant au jour de la mise en place de la nouvelle convention collective des jeux harmonisant les salaires annuels des jeux américains ;
- de déterminer le montant de la rémunération et des accessoires de celle-ci, auxquels le concluant serait en droit de prétendre, au cours de la même période, sur la base de la rémunération versée par la société A aux cadres des jeux américains, appartenant au même grade que le concluant, exerçant leurs fonctions dans les salles de jeux de la société B et de la société O ;
- de fixer, compte tenu des rémunérations et accessoires ci-dessus énumérés effectivement versés au concluant par la société A, le montant des sommes dues à ce dernier par son employeur en l'état de ce différentiel ;
- de manière générale de faire toutes observations utiles à la solution du présent litige.
Il estime dès lors indispensable de surseoir à statuer dans l'attente de l'ordonnance en référé, sauf à lui donner acte de ce qu'il se réserve de conclure ultérieurement sur le fond si sa demande de sursis n'était pas admise.
Suivant conclusions en réponse, la société A entend pour sa part voir la Cour constater que rien ne justifie qu'il soit sursis à sa décision dans l'attente de la décision du président du Tribunal de première instance statuant en référé et voir en conséquence débouter le requérant des fins de sa demande de sursis à statuer.
La société A observe pour l'essentiel que six ans après l'introduction de leurs demandes initiales, la trentaine de salariés concernée par cette procédure a récemment saisi le Président du Tribunal de première instance afin d'obtenir en référé la réalisation de l'expertise précédemment refusée par le Tribunal du travail.
Elle rappelle que l'appelant devait conclure au fond à la dernière audience et a alors demandé aux juges du second degré de surseoir à leur propre décision alors même que la Cour d'appel est saisie de l'intégralité du litige et donc, à titre subsidiaire, d'une demande d'expertise. Une telle demande lui apparaît donc purement dilatoire et nullement justifiée.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.
SUR CE,
Attendu que les appels tant principal qu'incident ont été formés conformément aux règles de fond et de forme du Code de procédure civile et doivent être déclarés recevables ;
Attendu qu'avant tout débat au fond, le sursis à statuer a été demandé par c. NO. au motif de l'introduction d'une instance devant le juge des référés par exploit du 8 avril 2016 destinée à voir ordonner une expertise judiciaire devant permettre d'établir l'étendue de son préjudice ;
Que l'appelant expose au soutien de cette demande que les éléments probants attendus de l'employeur et leur examen par l'expert seront de nature à avoir une incidence directe sur la solution du litige et l'arrêt à intervenir ;
Attendu que force est cependant de rappeler qu'aux termes du jugement entrepris, le Tribunal du travail a débouté tous les salariés de l'ensemble de leurs prétentions, rejetant également leur demande d'expertise au motif qu'ils n'avaient pas étayé leur demande du moindre élément de preuve de nature à laisser présumer la disparité de rémunération globale existante avec un seul de leurs homologues de la société B / la société O sur la période concernée ;
Qu'outre le fait qu'à l'occasion de l'appel interjeté à l'encontre de ce jugement le 14 octobre 2015, aucun élément nouveau n'a été produit au soutien des prétentions de l'ensemble des salariés, la demande d'expertise se trouve de surcroît réitérée à titre subsidiaire devant la Cour ;
Attendu que, par application des dispositions de l'article 429 du Code de procédure civile, l'appel défère à la juridiction du second degré la connaissance des chefs de jugement critiqué et ceux qui en sont la conséquence nécessaire ;
Que l'analyse de l'acte d'appel permet de constater que la dévolution s'est opérée, fut-ce à titre subsidiaire, sur la question de l'instauration d'une mesure d'expertise, les premiers juges se voyant précisément reprocher de n'avoir pas constaté l'impossibilité matérielle dans laquelle se trouvait les salariés concernés de produire les bulletins de paie d'autres salariés travaillant dans une salle de jeux différente ;
Qu'eu égard d'une part à l'effet dévolutif de l'appel et, d'autre part, au caractère très tardif de l'instance en référé, initiée six ans après l'introduction de la procédure devant le Tribunal du travail, il n'apparaît pas conforme à une bonne administration de la justice de faire droit à une demande de sursis à statuer dilatoire puisque liée à une demande d'expertise dont la Cour se trouve également saisie et formée après de premiers échanges de conclusions au fond ;
Attendu qu'il y a dès lors lieu de débouter c. NO. des fins de sa demande de sursis à statuer et de renvoyer les parties à conclure dans les conditions prévues au dispositif ci-après, étant rappelé que la société A a déjà déposé des conclusions au fond d'appel incident le 23 février 2016 ;
Attendu que les dépens seront réservés en fin de cause ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,
statuant publiquement et contradictoirement,
avant-dire droit au fond,
Déboute c. NO. des fins de sa demande de sursis à statuer,
Dit que les parties concluront selon le calendrier suivant :
- Le MARDI 8 NOVEMBRE 2016 Maître Frank MICHEL, pour le compte de c. NO.,
- Le MARDI 6 DÉCEMBRE 2016 Maître Didier ESCAUT, pour le compte de la société A, sans pièce nouvelle sauf en réponse aux derniers éléments communiqués par l'appelant,
- Le MARDI 13 DÉCEMBRE 2016 pour plaidoiries,
Réserve les dépens en fin de cause,
Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,
Composition🔗
Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, Monsieur Paul CHAUMONT, Conseiller, assistés de Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en chef adjoint, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles,
Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,
Lecture est donnée à l'audience publique du 26 SEPTEMBRE 2016, par Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en chef adjoint, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, en présence de Mademoiselle Cyrielle COLLE, substitut du Procureur Général.