Cour d'appel, 26 septembre 2016, Madame i. LO. c/ Monsieur l. AY. et Maître h. RE.

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Abstract🔗

Régimes matrimoniaux - Droit applicable - Conjoints soumis au régime matrimonial légal russe - Communauté réduite aux acquêts - Biens immobiliers situés à Monaco - Application du droit monégasque - Clauses d'emploi et de remploi

Résumé🔗

En l'espèce, les conjoints sont soumis au régime matrimonial légal russe de la communauté réduite aux acquêts, pour être tous deux de nationalité russe et s'être mariés à Moscou, sans faire précéder leur union d'un contrat préalable. L'épouse estime que les biens acquis par son mari à Monaco pour un montant de 14 800 000 euros sont communs. S'agissant d'immeubles, la loi monégasque est seule applicable.

Le droit monégasque reconnaît la validité des clauses d'emploi et de remploi. L'emploi est unilatéral comme relevant de la seule déclaration du mari. Le conjoint peut en contester les termes et rapporter la preuve contraire, sans qu'il soit nécessaire de recourir à la procédure d'inscription de faux. Le mari rapporte suffisamment la preuve qu'il a réalisé cet achat avec des deniers propres. Si l'épouse demande le rejet d'une pièce produite par son mari, elle ne démontre ni un manquement à l'obligation de loyauté, ni une atteinte au principe du contradictoire. Elle ne conteste pas avoir obtenu, en temps utile, une communication régulière de cette pièce dont elle a pu, à loisir, discuter de la pertinence. Par ailleurs, le mari produit ses relevés bancaires et établit que les fonds destinés à cet achat ont fait l'objet de virements sur un compte commun depuis l'un de ses comptes personnels, approvisionné par des fonds qui lui sont propres. À l'inverse, l'épouse ne prouve pas que l'acte de vente litigieux dissimulerait une opération frauduleuse. Elle ne démontre pas davantage l'utilisation de deniers communs pour l'achat des biens litigieux. En conséquence, la cour ordonne la radiation de la transcription de l'assignation faite au Bureau des Hypothèques de Monaco et rejette les prétentions indemnitaires de l'épouse qui n'établit pas que la présente procédure aurait aggravé son état de santé, ou qu'elle lui aurait causé un préjudice moral ou matériel. Elle rejette également sa demande indemnitaire relative à l'abus de droit dans l'exercice d'une voie de recours, non établi au cas d'espèce.


Motifs🔗

COUR D'APPEL

ARRÊT DU 26 SEPTEMBRE 2016

En la cause de :

  • - Madame i. LO. (selon sa carte de résident Monégasque) ou LO. (selon la traduction de son acte de mariage), divorcée AY., née le 21 janvier 1978 à Taganrog (Russie), de nationalité russe, demeurant à Monaco, « X1 », X1 ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

APPELANTE,

d'une part,

contre :

  • - Monsieur l. AY., né le 12 mars 1949 à Vank (Azerbaïdjan), de nationalité russe, demeurant rue X2, à Moscou (Russie) ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

INTIMÉ,

- Maître h. RE., Notaire, demeurant à Monaco, 2 rue Colonel Bellando de Castro ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

INTIMÉ,

d'autre part,

LA COUR,

Vu le jugement rendu par le Tribunal de première instance, le 15 octobre 2015 (R.281) ;

Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 4 décembre 2015 (enrôlé sous le numéro 2016/000106) ;

Vu les conclusions déposées le 2 février 2016 par Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur, au nom de Maître h. RE. - Notaire ;

Vu les conclusions déposées les 2 mars, 17 mai et 5 juillet 2016 par Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de l. AY. ;

Vu les conclusions déposées les 12 avril et 14 juin 2016 par Maître Yann LAJOUX, avocat-défenseur, au nom de i. LO. ou LO. divorcée AY. ;

À l'audience du 12 juillet 2016, vu la production de leurs pièces par les conseils des parties ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel relevé par i. LO. ou LO. divorcée AY. à l'encontre d'un jugement du Tribunal de Première Instance du 15 octobre 2015.

Considérant les faits suivants :

l. AY., né le 12 mars 1949, et i. LO. (ou LO.), née le 21 janvier 1978, se sont mariés le 21 décembre 2010 par-devant l'Officier d'état civil de MOSCOU sous le régime légal russe de la communauté réduite aux acquêts.

Selon acte notarié en date du 7 juin 2011, l. AY. a fait l'acquisition, à PARIS, d'un appartement au prix de 5.700.000 euros, entré dans la communauté.

Selon acte notarié reçu le 29 juin 2012 en l'étude de Maître h. RE., notaire à Monaco, l. AY. a fait l'acquisition, dans l'ensemble immobilier « X1 », situé X1 à MONACO, de deux appartements au 10ème étage du bloc D, de trois caves et de deux emplacements de parking, le tout au prix de 14.800.000 euros.

Cet acte notarié, contient la mention suivante :

« DÉCLARATION DE REMPLOI :

L'acquéreur déclare :

- s'être acquitté du prix ci-dessus et des frais d'achat, au moyen de fonds lui appartenant en propre et effectuer la présente acquisition pour lui tenir lieu d'emploi de deniers propres, afin que les parts et portions d'immeuble présentement acquises, objet des présentes, lui demeurent propres par l'effet de la subrogation réelle ».

i. LO. est intervenue à l'acte authentique et la mention se rapportant à cette intervention est la suivante :

« INTERVENTION de Madame i. AY. née LO. aux présentes et à l'instant est intervenue :

Madame i. v. LO., sans profession, épouse de Monsieur l. AY., susnommé, domicilié et demeurant avec lui,

De nationalité russe, née le 21 janvier 1978 à Tarangok (Russie),

Laquelle, après avoir pris connaissance des présentes, déclare :

- reconnaître le caractère propre des fonds au moyen desquels son mari s'est acquitté du prix de vente et des frais de la présente acquisition,

- prendre acte de la volonté de celui-ci de procéder à l'emploi de ses deniers afin que lesdites parts et portions dudit immeuble lui appartiennent en propre,

- que les fonds utilisés par son époux ne proviennent en aucune manière de la communauté de biens existants entre eux,

- et s'interdire en conséquence, à l'avenir, de contester de quelque manière que ce soit le caractère propre de ces dites portions d'immeuble ».

Par exploit d'huissier en date du 8 mars 2013, i. LO. a fait assigner l. AY. devant le Tribunal de Première Instance afin que de voir déclarer communs les biens dépendant de l'ensemble immobilier « X1 ».

Maître h. RE. est intervenu volontairement à la procédure.

Par jugement contradictoire en date du 15 octobre 2015, le Tribunal de Première Instance a statué ainsi qu'il suit :

« - Déboute Mme i. LO. de sa demande de rejet de la pièce n°42 produite par M. l. AY.,

- dit que la clause d'emploi contenu dans l'acte notarié du 29 juin 2012 est opposable à Mme i. LO.,

- dit valable, par application du droit monégasque, ladite clause d'emploi et dit que le bien acquis le 29 juin 2012 est un bien propre à M. l. AY.,

- déboute Mme i. LO. de l'ensemble de ses demandes,

- déboute M. l. AY. de ses demandes de dommages-intérêts,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du présent jugement,

- ordonne la radiation de la transcription de l'assignation du 8 mars 2013 faite au bureau des hypothèques de Monaco le 22 mars 2013 -Volume 1420 n° 13,

- met les dépens à la charge de Mme i. LO. dont distraction au profit de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation, à l'exception des dépens afférents à l'intervention volontaire de Maître h. RE., notaire, qui demeureront à sa charge,

- ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable ».

Pour statuer ainsi, le Tribunal a retenu :

  • - sur la demande de rejet de la pièce n°42, qu'aucun texte n'imposait une traduction par un traducteur assermenté et que ni la désignation de paiements faite en plusieurs langues, ni la différence de police de caractères, ni l'erreur de date ne constituaient des causes de rejet,

  • - sur la demande en inopposabilité de la clause d'emploi contenue dans l'acte notarié faute de traduction, qu i. LO. avait paraphé les pages 1 à 23 de l'acte et signé la dernière page, qu'elle avait été présente tout au long de la réception de l'acte par l'officier ministériel, qu'elle avait donc bénéficié de la traduction en langue russe, et qu'elle n'expliquait pas la raison pour laquelle elle aurait paraphé et signé un acte solennel sans en comprendre le sens,

  • - sur la notion d'emploi et la loi applicable, que la loi monégasque, reconnaissant la validité des notions d'emploi et de remploi, devait être appliquée au cas d'espèce conformément à l'article 161 du Code de la famille russe, et qu i. LO., qui ne prétendait pas que son consentement aurait été vicié, avait reconnu l'emploi par son mari de fonds propres et que d'ailleurs les relevés bancaires de l. AY. démontraient l'utilisation d'un compte personnel,

  • - que la radiation de l'inscription prise au service des hypothèques devait être ordonnée,

  • - que les demandes reconventionnelles en dommages et intérêts formées par l. AY. n'étaient pas fondées, faute de démonstration d'un préjudice moral et d'un préjudice financier.

Par exploit d'appel et assignation délivré le 4 décembre 2015, i. LO. a relevé appel de cette décision à l'encontre de l'ensemble des parties.

Aux termes de cet exploit et des conclusions qu'elle a déposées les 12 avril 2016 et 14 juin 2016, i. LO. demande à la Cour de :

« DÉCLARER recevable la demande de Madame i. LO., divorcée AY.,

Et la déclarant bien fondée,

INFIRMER le Jugement rendu par le Tribunal de Première Instance le 15 octobre 2015,

Et statuant à nouveau,

REJETER la pièce adverse n° 42 non accompagnée d'une traduction certifiée,

À DEFAUT,

ORDONNER la communication de la pièce adverse n° 42, en original, avec cachet ou identification de la banque prétendument émettrice, signature légalisée, et revêtue de l'Apostille de La Haye, ou À DEFAUT, SURSEOIR À STATUER jusqu'à la production de la pièce adverse n°42,

DIRE ET JUGER que les déclarations des parties dans l'acte notarié ne peuvent faire l'objet de la preuve contraire, que lorsqu'elles ne portent pas sur des faits personnellement constatés par le Notaire,

DIRE ET JUGER que la mention de l'acte notarié indiquant qu'il a été traduit seulement à Monsieur l. AY. a été personnellement constatée par le Notaire,

DIRE ET JUGER que la mention de l'acte notarié indiquant qu'il a été traduit seulement à Monsieur l. AY. a force probante,

DIRE ET JUGER que l'acte de vente du 29 juin 2012, n'a pas été traduit à Madame i. AY., et ne lui est, partant, pas opposable,

SUBSIDIAREMENT,

DIRE ET JUGER que dans l'acte de vente du 29 juin 2012, Monsieur l. AY. a fait le choix de soumettre les époux au régime légal russe de communauté de biens,

DIRE ET JUGER que la loi applicable est la loi de « l'autonomie », à savoir la loi russe,

DIRE ET JUGER que les époux AY. n'avaient pas de domicile commun en Principauté de Monaco,

DIRE ET JUGER qu'à la date de l'acte notarié du 29 juin 2012, les époux AY. étaient soumis au régime légal de la communauté de biens de droit russe,

DIRE ET JUGER que les notions d'emploi et de remploi ne sont pas prévues en droit russe,

DIRE ET JUGER que la (sic) clause d'emploi ou de remploi contenue dans l'acte notarié du 29 juin 2012, est nulle, ou à défaut sans portée juridique, du fait de l'inexistence des notions d'emploi et de remploi en droit russe,

DIRE que tous les biens acquis à titre onéreux par les époux AY. pendant leur mariage, sont des biens communs,

PLUS SUBSIDIAIREMENT,

DIRE ET JUGER que l'article 161 du Code de la Famille de la Fédération de Russie n'est pas applicable aux époux AY., tous les deux de nationalité russe,

EN CONSÉQUENCE,

DIRE ET JUGER que sont communs à Madame i. LO., divorcée AY., et à Monsieur l. AY., les biens dépendant de l'ensemble immobilier dénommé X1, sis à Monaco, X1, cadastrés sous les numéros 156 p., 157, 158, 159, 160 p., 166, 167, 168, 169 et 170 de la section D, ci-après décrits :

  • - Un appartement au 10ème étage du Bâtiment D, formant le lot 1833, comportant les 4.705 tantièmes de copropriété de parties communes (4.705/1 001 282èmes),

  • - Un appartement au 10ème étage du Bâtiment D, formant le lot 1834, comportant les 4.754 tantièmes de copropriété de parties communes (4.754/1 001 282èmes),

  • - Une cave au rez-de-jardin du Bâtiment G, formant le lot 921, comportant les 23 tantièmes de copropriété de parties communes (23/1 001 282èmes),

  • - Une cave au rez-de-jardin étage du Bâtiment G, formant le lot 923, comportant les 23 tantièmes de copropriété de parties communes (23/1 001 282èmes),

  • - Une cave au rez-de-jardin étage du Bâtiment G, formant le lot 927, comportant les 31 tantièmes de copropriété de parties communes (31/1 001 282èmes),

  • - Un emplacement pour voiture automobile au deuxième sous-sol du Bâtiment G, formant le lot 482, comportant les 73 tantièmes de copropriété de parties communes (73/1 001 282èmes),

  • - Un emplacement pour voiture automobile au deuxième sous-sol du Bâtiment G, formant le lot 483, comportant les 73 tantièmes de copropriété de parties communes (73/1 001 282èmes).

DIRE ET JUGER que l'arrêt à intervenir sera publié près la Conservation des Hypothèques, ou qu'à défaut Madame Le Conservateur des Hypothèques devra mentionner sur le fichier foncier de Monsieur l. AY., que les biens par lui acquis suivant acte reçu en l'Étude de Maître h. RE., le 29 juin 2012, sont sa propriété commune avec son épouse,

DIRE en tant que de besoin que ledit arrêt à intervenir sera signifié à Madame Le Conservateur des Hypothèques,

DIRE que ledit arrêt à intervenir sera opposable à Maître h. RE., Notaire,

DÉBOUTER Monsieur l. AY. de l'intégralité de ses demandes,

DÉBOUTER Monsieur l. AY. de sa demande de dommages et intérêts de 100.000 € pour préjudices moral et financier,

DÉBOUTER Monsieur l. AY. de sa demande de dommages et intérêts de 60.000 € pour frais et honoraires de Conseil en première instance et en appel,

CONDAMNER Monsieur l. AY. aux entiers dépens de première instance et d'appel, distraits au profit de Maître Yann LAJOUX, Avocat-Défenseur, sous sa due affirmation ».

Après avoir rappelé :

  • - le jugement rendu, à la requête de l. AY., le 24 juin 2013 par le Tribunal du district Tverskoï de MOSCOU en annulation du mariage des époux AY. LO.,

  • - la rétractation de ce jugement par un arrêt du 30 mai 2014 rendu par le Tribunal municipal de MOSCOU,

  • - le jugement, en date du 6 mars 2015 rendu par le Tribunal du district de Tverskoï de Moscou déboutant l. AY. de sa demande d'annulation du mariage,

  • - le jugement, en date du 13 mars 2015, rendu par le Tribunal de Moscou prononçant le divorce des époux AY. LO.,

  • - le dépôt, le 18 septembre 2013, d'une requête en séparation de corps devant le Président du Tribunal de Première Instance de Monaco,

  • - l'ordonnance de non-conciliation en date du 6 décembre 2013 lui attribuant la jouissance gratuite de l'un des deux appartements dépendant de l'ensemble immobilier « X1 »,

  • - le jugement rendu le 11 juin 2015 par le Tribunal de Première Instance se déclarant incompétent pour statuer sur la séparation de corps,

  • - l'ordonnance de référé rendue le 2 mars 2016 par le Président du Tribunal de Première Instance ayant débouté l. AY. de sa demande tendant à voir ordonner l'expulsion d i. LO. de l'appartement dont la jouissance lui avait été attribuée.

i. LO. fait essentiellement valoir, au soutien de son appel :

  • - s'agissant de la pièce adverse n°42, qu'elle doit être rejetée des débats - ou, à tout le moins déclarée inexploitable -, sur le fondement de l'article 475 du Code de procédure civile, comme étant rédigée en plusieurs langues, n'étant pas accompagnée d'une traduction certifiée en français, étant produite en photocopie et contenant des anomalies, et que la production de l'original doit être ordonnée,

  • - sur l'inopposabilité de la clause d'emploi ou de remploi contenue dans l'acte notarié du 29 juin 2012 : que la preuve contraire contre les énonciations de l'acte notarié est recevable lorsque celles-ci ne portent pas sur des faits personnellement constatés par le notaire ; que dès lors, la mention indiquant que l'acte a été traduit au seul l. AY. a été personnellement constatée par le notaire et ne peut donc faire l'objet d'une preuve contraire ; qu'il en résulte que l'acte de vente du 29 juin 2012, qui n'a pas été traduit à l'appelante, rend inopposable à son égard la clause de remploi ; qu'à l'inverse aux termes de cette clause, l. AY. affirme être le seul acquéreur des immeubles et déclare que la somme payée provient de ses deniers personnels et que, la provenance des fonds n'ayant pas été personnellement constatée par le notaire, la preuve contraire à la clause de remploi peut être rapportée sans pour autant recourir à la procédure d'inscription de faux,

  • - sur la loi applicable : que, si la Cour devait considérer que la clause d'emploi ou de remploi a bien été traduite à l'appelante, elle lui serait tout de même inopposable dès lors que l'acte de vente du 29 juin 2012 est soumis à la loi russe, laquelle ne reconnaît pas les notions d'emploi et de remploi ; que l'acte se trouve ainsi soumis au régime légal russe de la communauté réduite aux acquêts ; que les dispositions du droit russe relatives aux régimes matrimoniaux sont d'ordre public et qu'il n'est pas possible d'y déroger ; que l'article 161 du Code de la famille de la Fédération de Russie, retenu par les premiers juges, n'a pas vocation à s'appliquer à deux époux de nationalité russe ainsi que cela résulte du certificat de coutume établi par Maître Vladimir POZNYAK ; que d'ailleurs, le couple n'avait pas de domicile commun en Principauté ; qu'il n'y a pas lieu, non plus, de faire application de l'article 3 du Code civil monégasque dans la détermination de la loi applicable, s'agissant, non pas de la revendication d'un droit de propriété, mais de la détermination des droits patrimoniaux des époux sur un bien immobilier ; qu'en toute hypothèse, l. AY. ne rapporte pas la preuve que les fonds utilisés pour l'achat des biens immobiliers situés à Monaco lui appartenaient avant le mariage,

  • - sur les demandes en réparation des prétendus préjudices moral et financier de l'intimé, qu'elles doivent être rejetées.

Aux termes de conclusions déposées le 2 mars 2016, et de conclusions dites récapitulatives déposées les 17 mai 2016 et 5 juillet 2016, l. AY. demande à la Cour de :

« À titre principal,

- dire et juger que l'acte authentique du 29 juin 2012 est opposable à Madame LO.,

- dire et juger qu'aux termes de l'acte authentique du 29 juin 2012, Madame LO. a renoncé à contester, de quelque manière que ce soit, le caractère propre des portions d'immeuble sises en Principauté acquis par Monsieur AY. à l'aide de ses fonds propres,

- dire et juger que cette renonciation est non équivoque pour être rédigée de manière claire, précise et non ambiguë,

En conséquence,

- déclarer les demandes de Madame LO. irrecevables avec toutes conséquences de droit,

A titre subsidiaire : dans le cas où la Cour estimerait que les demandes de Madame LO. seraient recevables,

- dire et juger que la loi applicable au présent litige est la loi monégasque,

En conséquence,

- confirmer le jugement du Tribunal de Première Instance du 15 octobre 2015 sauf en ce qu'il a débouté Monsieur AY. de ses demandes de dommages et intérêts,

En tout état de cause,

- débouter Madame LO. de l'intégralité de ses demandes,

- condamner Madame LO. à payer à Monsieur AY. la somme de 100.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

- condamner Madame LO. à payer à Monsieur AY. la somme de 60.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice financier,

- ordonner la radiation de la transcription en date du 22 mars 2013 sous le volume 1420 n° 13 de l'exploit d'assignation du 8 mars 2013 auprès de la Conservation des hypothèques de Monaco,

- condamner Madame LO. aux entiers dépens de première instance et d'appel distraits au profit de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ».

l. AY. soulève, à titre principal, l'irrecevabilité des demandes d i. LO. aux motifs que celle-ci est intervenue à l'acte notarié, qu'elle était présente lors de la traduction en langue russe qu'a faite la traductrice, Madame SARTORI, qu'elle parle et écrit le français, qu'elle a parfaitement compris les termes contenus dans l'acte authentique, que cet acte lui est donc opposable sauf inscription de faux, et qu'elle a, aux termes d'une clause figurant à l'acte, renoncé à son droit d'agir en s'interdisant « à l'avenir, de contester de quelque manière que ce soit le caractère propre des dites portions d'immeuble ».

À titre subsidiaire, il conclut au débouté des demandes formées à son encontre, faisant valoir :

  • - d'abord, que la loi applicable est la loi monégasque dès lors en premier lieu, que l'action d i. LO. est une action en revendication, et donc une action réelle relevant, comme telle, de l'article 3 du Code civil monégasque dont les dispositions sont d'ordre public, quand bien même l'immeuble appartiendrait-il à un étranger ; dès lors, en second lieu et surabondamment, que même le Code civil russe prévoit, en son article 1205, l'application de la loi monégasque au présent litige. Il rappelle que les premiers juges ont retenu l'application de la loi monégasque sur le fondement de l'article 161 du Code civil russe, les époux LO. AY. ayant fixé, depuis un contrat du bail du 11 juillet 2011, leur résidence en Principauté de Monaco, et précise que l'appelante ne justifie pas que ce texte ne leur serait pas applicable étant tous deux de nationalité russe,

  • - ensuite, que l'appelante ne dispose d'aucun droit réel sur les immeubles situés en Principauté qu'il a acquis en propre dès lors, en premier lieu, que le droit monégasque reconnaît la validité des clauses d'emploi ou de remploi, qu'une telle clause est un acte unilatéral, dont la validité n'est pas subordonnée au consentement du conjoint, que la validité de la clause et son opposabilité à l'appelante ne sont pas contestables, que l'acquisition des biens immobiliers litigieux a été exclusivement réalisée à l'aide de fonds propres, ce qui n'est pas contesté, qu'il démontre avoir versé un acompte d'un montant d'1.480.000 euros depuis un compte bancaire ouvert à son nom en Arménie, que le solde du prix de vente et les frais y relatifs ont été payés le jour de la signature de l'acte au moyen de ses fonds propres depuis un compte ouvert dans les livres de la banque B à Monaco, le fait que certains deniers aient transité par un compte commun n'ayant pas pour effet de rendre ces deniers communs au couple,

  • - encore, si la Cour estime que la loi monégasque n'est pas applicable au présent litige, que la clause d'emploi de fonds propres est reconnue par le droit russe ainsi qu'en attestent les deux certificats de coutume versés aux débats, non utilement combattus par les pièces de l'appelante,

  • - enfin, qu'il est bien fondé en ses demandes reconventionnelles en dommages-intérêts destinés à réparer ses préjudices moral et financier compte tenu de son état de santé, du fait qu'il souhaitait mettre en vente les biens objet du litige, et qu'il se voit désormais contraint de supporter l'ensemble des charges liées à la détention de ces biens ainsi que des frais et honoraires pour sa défense en justice.

Aux termes de conclusions déposées le 2 février 2016, Maître h. RE. demande à la Cour de :

« voir donner acte à Maître h. RE. - Notaire - des précisions fournies concernant l'acte dressé en son Etude le 29 juin 2012 et en tirer telles conséquences de droit,

- voir statuer ce qu'il appartiendra sur les demandes de Madame i. LO. telles que résultant de son appel suivant assignation du 4 décembre 2015, Maître h. RE. s'en remettant à la sagesse de la Cour,

- vu l'appel suivant assignation du 4 décembre 2015 de Madame i. LO. dirigé tant à l'encontre de Monsieur l. AY. qu'envers Maître h. RE. - Notaire,

- voir condamner le défaillant à la cause aux entiers frais et dépens de l'instance d'appel dont distraction au profit de Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur, sous sa due affirmation de droit ».

Après avoir rappelé qu'il est intervenu en qualité de notaire rédacteur de l'acte du 29 juin 2012, Maître h. RE. précise que la traduction de cet acte, de la langue française à la langue russe, a été effectuée dans son intégralité par Madame Kira SARTORI, traductrice assermentée, et que, s'agissant d'un acte notarié, les mentions qui y sont indiquées ne peuvent être contestées, sauf inscription de faux.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.

SUR CE,

  • 1- Attendu que les appels, principal et incident, relevés dans les conditions de fond et de forme prescrites par le Code de procédure civile, sont réguliers et recevables ;

  • 2- Attendu qu'en l'état des contestations émises par i. LO. sur le contenu de l'acte notarié du 29 juin 2012 en raison du fait qu'il ne lui aurait pas été traduit en langue russe, et notamment sur la déclaration selon laquelle elle s'interdisait « en conséquence, à l'avenir, de contester de quelque manière que ce soit le caractère propre de ces dites portions d'immeuble », il y a lieu de la déclarer recevable en ses demandes ;

  • 3- Attendu, sur la loi applicable, que l. AY. et i. LO., tous deux de nationalité russe, se sont mariés à MOSCOU en RUSSIE le 21 décembre 2010, sans faire précéder leur union d'un contrat préalable et se trouvent, dès lors, soumis au régime matrimonial légal russe de la communauté réduite aux acquêts prévus par les articles 33 et suivants du Code de la famille russe, ce dont les parties conviennent ;

Attendu que les premiers juges se sont fondés sur l'article 161 du Code de la famille russe aux termes duquel « les droits et obligations patrimoniaux des époux sont définis par le droit du pays où les époux possèdent leur domicile commun ou, à défaut de domicile commun, par le droit du pays où les époux avaient leur dernier domicile commun » pour en déduire, après avoir constaté que depuis le 11 juillet 2011, et donc à la date de l'acquisition litigieuse, l. AY. et i. LO. étaient domiciliés en Principauté, que la loi monégasque était applicable au cas d'espèce ;

Attendu que les parties sont contraires sur ce point, l'appelante concluant à l'application de la loi russe qui ne reconnaîtrait pas, selon elle, les notions d'emploi et de remploi, l'intimé concluant, inversement, à l'application du droit monégasque essentiellement sur le fondement de l'article 3 du Code civil monégasque mais aussi sur celui de l'article 1205 du Code civil russe ;

Mais attendu que la loi monégasque est seule applicable aux immeubles situés en Principauté et que, dès lors, l'action engagée par i. LO. tendant à faire reconnaître la nature commune des biens immobiliers, objet de l'acte de vente du 29 juin 2012, est soumise à cette loi, ce que ne dément pas l'article 1205 du Code civil russe qui énonce, notamment, que les droits de propriété du bien sont définis selon le droit du pays dans lequel se trouve le bien ;

Qu'il s'ensuit que l'application au cas d'espèce de la loi monégasque est justifiée, le jugement entrepris étant confirmé de ce chef ;

  • 4- Attendu que le droit monégasque reconnaît la validité des clauses d'emploi et de remploi ;

Attendu que l'emploi est un acte unilatéral qui n'est pas subordonné au consentement du conjoint dès lors qu'il contient à la fois une déclaration d'origine des deniers, et une déclaration d'intention aux termes de laquelle l'époux indique son intention d'effectuer un emploi, cette double déclaration devant intervenir au moment de l'acquisition, être antérieure à la dissolution de la communauté et figurer dans l'acte lui-même ;

Attendu, au cas d'espèce, que l'acte de vente reçu en l'étude de Maître h. RE. le 29 juin 2012 répond à ces exigences, l. AY. y ayant déclaré « s'être acquitté du prix ci-dessus et des frais d'achat, au moyen de fonds lui appartenant en propre et effectuer la présente acquisition pour lui tenir lieu d'emploi de deniers propres, afin que les parts et portions d'immeuble présentement acquises, objet des présentes, lui demeurent propres par l'effet de la subrogation réelle » ;

Attendu que cette déclaration émanant de l. AY. n'est pas contestée dans sa forme et que s'agissant, en outre, d'un acte unilatéral, l'intervention du conjoint, qui constate et approuve l'opération, n'est pas nécessaire ;

Que, dès lors, le moyen invoqué par l'appelante tiré d'une absence de traduction de l'acte authentique à son profit qui rendrait nulle l'approbation de la clause d'emploi, ou ladite clause inopposable à son égard, est, à le supposer pertinent, sans conséquence aucune sur la validité de la déclaration d'emploi faite par l. AY. ;

Qu'il y a simplement lieu de considérer que l'emploi est unilatéral comme relevant de la seule déclaration de l. AY., et que, dès lors, le conjoint peut en contester les termes et rapporter la preuve contraire, sans qu'il soit nécessaire de recourir à la procédure d'inscription de faux ;

  • 5- Attendu que l. AY. rapporte suffisamment la preuve qu'il a réalisé cet achat avec des deniers propres ;

Que, sur ce point, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté i. LO. de sa demande de rejet des débats de la pièce 42 produite par l. AY., constituée d'un relevé bancaire de la société A;

Qu'en effet, aucun texte n'impose la traduction d'une pièce par un traducteur assermenté, la Cour relevant en outre, que s'agissant d'un relevé bancaire, le document en cause contient essentiellement des données chiffrées ; que l'article 475 du Code de procédure civile, invoqué par l'appelante, n'a pas vocation à s'appliquer au cas d'espèce comme régissant les conditions d'exécution des jugements étrangers ; que, par ailleurs, le fait qu'entre la ligne d'écritures du 07/05/12 et celle du 18/05/12, figure la date du 07/05/13, relève d'une erreur matérielle, la continuité de l'ensemble des autres écritures étant établie et non contestée ; que le fait, enfin, que la désignation des paiements soit faite en plusieurs langues et encore qu'une différence ait pu être relevée dans la police de caractères utilisée, ne constituent pas une cause de rejet, pas plus qu'il n'est nécessaire d'ordonner la production de l'original de cette pièce aux débats ou de surseoir à statuer, les éléments-ci-dessus relevés ne permettant pas de remettre en cause son authenticité ;

Qu'en toute hypothèse, il n'est démontré ni un manquement à l'obligation de loyauté ni une atteinte au principe du contradictoire, i. LO. ne contestant pas avoir obtenu, en temps utile, une communication régulière de cette pièce dont elle a pu, à loisir, discuter de la pertinence ;

Que l'intimé verse la preuve, par la production aux débats de ses relevés bancaires (ses pièces 12, 37 et 42), que les fonds destinés à cet achat ont fait l'objet de virements sur un compte commun depuis un compte personnel de l'intimé, approvisionné par des fonds qui lui sont propres ;

Attendu, à l'inverse, qu'il ne résulte pas des conclusions émises par i. LO., ni des pièces qu'elle verse aux débats, la preuve que l'acte de vente du 29 juin 2012 dissimulerait une opération frauduleuse, ni la démonstration de l'utilisation de deniers communs pour l'achat des biens immobiliers dépendant du « Park Palace » ;

Attendu, en conséquence, que le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté i. LO. de sa demande tendant à voir déclarer communs les biens immobiliers dépendant du « Park Palace », objet de l'acte de vente du 29 juin 2012, et ordonné la radiation de la transcription de l'assignation du 8 mars 2013 faite au Bureau des Hypothèques de Monaco le 22 mars 2013, Volume 1420 n° 13 ;

  • 6- Attendu que pour débouter l. AY. de sa demande en dommages-intérêts pour préjudices moral et financier, les premiers juges ont retenu, à juste titre, que celui-ci ne démontrait pas que la présente procédure aurait aggravé son état de santé, ni qu'elle lui aurait causé un préjudice moral ou matériel ;

Que la Cour relève, en outre, que l'action en justice représente l'exercice d'un droit et que l'appréciation erronée qu'une partie fait de ses droits n'est pas, en soi, constitutive d'une abus, sauf démonstration, non rapportée au cas d'espèce, d'un comportement fautif de la partie qui est à l'origine de l'action ;

Que, pour les mêmes motifs, l. AY. sera débouté de sa demande de dommages-intérêts complémentaires à hauteur de 60.000 euros en cause d'appel, l'abus de droit dans l'exercice d'une voie de recours n'étant pas établi au cas d'espèce ;

  • 7- Attendu qu i. LO. supportera les entiers dépens d'appel, distraits au profit de Maître Thomas GIACCARDI et de Maître Didier ESCAUT, avocats-défenseurs, sous leur due affirmation ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant publiquement et contradictoirement,

Reçoit les appels principal et incident,

Déclare recevable l'action engagée par i. LO. ou LO., divorcée AY.,

Déboute i. LO. ou LO., divorcée AY. de sa demande tendant à voir ordonner la production, en original, de la pièce 42 adverse et de sa demande de sursis à statuer ;

Confirme le jugement rendu le 15 octobre 2015 par le Tribunal de Première Instance en ses dispositions appelées,

Déboute l. AY. de sa demande de dommages-intérêts complémentaires en cause d'appel,

Condamne i. LO. ou LO. divorcée AY. aux entiers dépens d'appel, distraits au profit de Maître Thomas GIACCARDI et de Maître Didier ESCAUT, avocats-défenseurs, sous leur due affirmation, chacun en ce qui le concerne,

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable,

Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,

Composition🔗

Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, Monsieur Paul CHAUMONT, Conseiller, assistés de Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en chef adjoint, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles,

Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,

Lecture est donnée à l'audience publique du 26 SEPTEMBRE 2016, par Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en chef adjoint, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, en présence de Mademoiselle Cyrielle COLLE, substitut du Procureur Général.

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