Cour d'appel, 26 septembre 2016, Madame n. AN. c/ La Société A

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Abstract🔗

Licenciement – Motif valable (oui) – Licenciement abusif (non)

Résumé🔗

n. AN. ayant été licenciée pour faute grave selon les termes de la lettre recommandée avec accusé de réception du 10 février 2011 précédemment rappelés, il appartient à la SAM A de justifier des faits imputables à cette salariée qui constituent selon elle une violation des obligations résultant du contrat de travail, d'une nature ou d'une importance telle qu'elle aurait rendu impossible la poursuite de la relation de travail et induit son départ immédiat de l'entreprise. Même si les agissements ont été perpétrés pendant une période où la salariée était en arrêt de travail, il n'en demeure pas moins que le Tribunal du travail a admis leur véracité pour en déduire la validité du motif de rupture en sorte qu'il est raisonnable de considérer que la gravité de la défiance publiquement manifestée par n. AN. envers son employeur, mais aussi des critiques diffamantes colportées, rendaient impossible la poursuite de la relation de travail et le maintien de cette salariée dans l'entreprise à l'issue de son arrêt maladie. Aucune des pièces produites ne permet de présumer une quelconque volonté de l'employeur de renoncer à sanctionner un tel comportement, le droit monégasque n'imposant en outre le respect d'aucun délai pour tirer toutes conséquences utiles de l'agissement fautif d'un salarié. Le licenciement de n. AN. apparaît fondé sur un motif valable et une faute grave en sorte que la décision entreprise devra être partiellement réformée et cette salariée déboutée de l'ensemble de ses prétentions indemnitaires de ce chef.

Attendu que n. AN., à laquelle incombe la charge de la preuve de l'abus commis par l'employeur dans l'exercice de son droit unilatéral de licenciement, ne démontre pas l'existence d'un motif fallacieux de rupture, ni d'une intention de nuire de l'employeur, alors même que celui-ci n'apparaît avoir fait preuve d'aucune précipitation et apparaît au contraire avoir tenté, face à la gravité des agissements reprochés, d'obtenir des explications à l'occasion d'un entretien (convocation du 1er février 2011). n. AN. sera dès lors déboutée des fins de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour licenciement abusif et la décision entreprise confirmée de ce chef. 


Motifs🔗

COUR D'APPEL

ARRÊT DU 26 SEPTEMBRE 2016

En la cause de :

  • - Madame n. AN., née le 28 juin 1964 à Casablanca (Maroc), de nationalité française, domiciliée « X1 », X1 à Nice (06300) ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Sophie LAVAGNA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, ayant pour avocat plaidant Maître Daniel TARASCONI, avocat au Barreau de Marseille ;

APPELANTE,

d'une part,

contre :

  • - La Société Anonyme de droit Monégasque A exploitant sous l'enseigne « B », dont le siège social est sis X1 à Monaco (98000) prise en la personne de son représentant légal en exercice, y domicilié ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

INTIMÉE,

d'autre part,

LA COUR,

Vu le jugement rendu par le Tribunal du Travail, le 29 octobre 2015 ;

Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Patricia GRIMAUD-PALMERO, huissier, en date du 21 décembre 2015 (enrôlé sous le numéro 2016/000109) ;

Vu les conclusions déposées les 9 février 2016, 29 avril 2016 et 21 juin 2016 par Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur, au nom de la SAM A exerçant sous l'enseigne « B » ;

Vu les conclusions déposées les 15 mars 2016 et 24 mai 2016 par Maître Sophie LAVAGNA, avocat-défenseur, au nom de n. AN. ;

À l'audience du 28 juin 2016, vu la production de leurs pièces par les conseils des parties ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel relevé par n. AN. à l'encontre d'un jugement du Tribunal du Travail du 29 octobre 2015.

Considérant les faits suivants :

n. AN. a été employée par la société anonyme monégasque A en qualité de femme de chambre tournante suivant contrats à durée déterminée, à compter du 18 juin 1997, puis suivant contrat à durée indéterminée à compter du 1er novembre 2003.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 10 février 2011, cette employée s'est vue notifier son licenciement pour faute grave dans les termes suivants :

  • « Par courrier recommandé du 1er février 2011, nous vous avons invitée à un entretien, pour le 4 février 2011 à 12 heures, afin de vous donner la possibilité de vous expliquer sur le fait que vous avez participé activement, et à de nombreuses reprises, à des actions de calomnie susceptibles d'être qualifiées de diffamatoires et poursuivies de ce chef.

  • Vous nous avez adressé un courrier daté du 3 février, accompagné d'un certificat médical délivré à votre demande par votre médecin, dans lequel vous vous référez aux faits antérieurs, déjà relevés, alors que les actes, sur lesquels nous vous invitons à venir vous expliquer, datent de septembre mais n'ont été portés à notre connaissance que plus récemment.

  • Déjà, avant votre arrêt de travail, et pendant celui-ci, à de nombreuses reprises, vous avez été le vecteur de prétendues informations et principalement de propos mensongers et d'appréciations, à caractère très fortement diffamatoire, à propos de notre établissement, de ses dirigeants et même des membres de son personnel, leurs représentants ou les représentants syndicaux.

  • Il s'est avéré, notamment, que vous aviez diffusé, par divers moyens, en de nombreux lieux, des tracts, des documents et même soumis à signature des pétitions au contenu infamant, à propos desquels certains employés se sont sentis harcelés par votre insistance.

  • Plus récemment, il a été porté à notre connaissance que vous aviez déclaré, dans le cadre de l'enquête en cours diligentée par la Sûreté publique, que des documents, et sans doute ceux que vous diffusez contenant les diffamations précitées, émis par votre mari, n'auraient pas été remis à leurs destinataires. Vous avez même allégué que des membres de notre personnel détourneraient ou feraient rétention de correspondances, pour ces destinataires.

  • Ces accusations graves, ainsi que votre implication dans la diffusion de tracts diffamatoires, dont nous avions connaissance, à l'extérieur de l'établissement, se trouve ainsi confirmée par vos propres propos.

  • Une telle attitude, vraisemblablement passible de qualifications pénales, est totalement incompatible avec la poursuite de votre contrat de travail dans notre établissement. La tenue et le colportage de propos infamants contre l'hôtel, sa direction, et aussi ses personnels et leurs représentants, les représentants syndicaux, sont des actes graves.

  • Cette impossibilité de poursuite du contrat de travail s'avère effective au point de rendre impossible votre présence au travail, fût-ce pendant un délai de préavis, fussiez-vous à nouveau autorisée à reprendre par les médecins.

  • La gravité des fautes, visant l'Hôtel, sa direction et ses salariés, commises préalablement et réitérées alors que vous êtes en arrêt de travail, nous contraignent de vous notifier dès aujourd'hui votre licenciement pour fautes, graves, à effet immédiat, dès présentation de la présente lettre à votre domicile (...) ».

Soutenant que la rupture de son contrat de travail n'est pas fondée sur une faute grave ou un motif valable et revêt un caractère abusif, n. AN. a attrait la SAM A devant le bureau de jugement du Tribunal du Travail à l'effet d'obtenir sa condamnation au paiement des sommes suivantes :

  • - 12.512,94 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

  • - 8.719,83 euros au titre de l'indemnité de congédiement,

  • - 5.231,90 euros au titre de l'indemnité de préavis (soit 2.615,95 euros x 2),

  • - 60.000 euros à titre de dommages intérêts, avec intérêts au taux légal,

  • - la somme brute de 523,19 euros au titre des congés payés sur préavis et la capitalisation des intérêts au taux légal à compter de la demande en justice ainsi que l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

En réponse, la SAM MONTE CARLO GRAND HÔTEL s'est opposée à l'ensemble de telles demandes en soutenant que n. AN. s'était livrée avec son époux f. AN., également employé de l'hôtel, à une véritable campagne de diffamations constitutive de la faute grave.

Par jugement en date du 29 octobre 2015, le Tribunal du travail statuant publiquement et contradictoirement a :

  • - Déclaré irrecevables les demandes additionnelles de n. AN. relatives aux congés afférents à l'indemnité compensatrice de préavis et à la capitalisation des intérêts ;

  • - Dit que le licenciement de n. AN. par la société anonyme monégasque A n'est pas fondé sur une faute grave mais repose sur un motif valable et ne revêt aucun caractère abusif ;

  • - Condamné la société anonyme monégasque A à payer à n. AN. :

    • - la somme brute de 4.170,98 euros (quatre mille cent soixante-dix euros et quatre-vingt-dix-huit centimes) à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

    • - la somme de 6.777,85 euros (six mille sept cent soixante-dix-sept euros et quatre-vingt-cinq centimes) à titre d'indemnité de congédiement,

    • - le tout avec intérêts au taux légal à compter du 10 avril 2013 ;

  • - Débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

  • - Fait masse des dépens et dit qu'ils seront supportés par moitié par chacune des parties ;

Au soutien de cette décision, les premiers juges ont pour l'essentiel relevé que les faits reprochés à n. AN. auraient été commis pendant une période où elle était suspendue pour cause d'accident du travail, puis de maladie sans que l'employeur démontre à quelle date il aurait eu connaissance des diffamations imputées à cette employée, les infractions pénales commises par son mari ne la concernant pas. Ils estimaient néanmoins que les propos tenus par cette salariée pendant son arrêt de travail et à l'occasion de la diffusion de pétitions et d'une remise de tracts caractérisaient un motif valable de rupture, mais non une faute grave.

Suivant exploit en date du 21 décembre 2015, n. AN. interjetait appel du jugement rendu le 29 octobre 2015 par le Tribunal du travail à l'effet de le voir réformer en ce qu'il a jugé que le licenciement n'était pas fondé sur une faute grave mais sur un motif valable et en ce qu'elle a été déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement abusif ainsi que des fins de sa demande au titre de l'indemnité de licenciement.

Elle entend voir la Cour :

  • - dire et juger que le licenciement est abusif,

  • - condamner la SARL A au paiement des sommes suivantes :

    • - indemnité de préavis : 5.231,90 euros bruts,

    • - congés payés sur préavis : 523,19 euros bruts,

    • - indemnité de congédiement : 8.719,83 euros,

    • - indemnité de licenciement : 12.512,94 euros,

    • - dommages-intérêts pour licenciement abusif : 60.000 euros ;

  • - dire que les créances salariales porteront intérêts au taux légal capitalisé à compter de la demande en justice,

  • - condamner la SAM A aux entiers dépens.

Au soutien de son appel et aux termes de l'ensemble de ses écrits judiciaires, n. AN. expose en substance que s'agissant d'un licenciement prononcé pour faute grave, la charge de la preuve des éléments propres à le justifier incombe exclusivement à l'employeur, lequel prétend selon elle à tort qu'elle aurait, avant son arrêt de travail et pendant celui-ci, tenu des propos mensongers à caractère diffamatoire à l'égard de l'entreprise, de ses dirigeants et des représentants du personnel.

L'appelante soutient que la lettre de rupture est imprécise quant aux propos diffamatoires qui lui sont reprochés, l'employeur ne précisant pas à quelle date il aurait été informé de ces faits, ni de quelle manière ; elle ajoute que les faits invoqués en février 2011 à son encontre sont identiques aux griefs allégués pour licencier son mari f. AN. le 4 juin 2010 lequel s'était vu reprocher d'avoir fait circuler une pétition contenant des propos diffamatoires à l'égard de la SAM A.

n. AN. fait valoir que la qualité de son travail n'a jamais été remise en cause par l'employeur qui établissait au contraire une fiche d'évaluation très élogieuse pour l'année 2010.

La qualification de faute grave ne peut, selon n. AN., être retenue dans la mesure où l'employeur ne démontre pas à quelle date il aurait eu connaissance des faits commis en septembre 2010 ni ne prouve la réalité de l'enquête qu'il aurait à cette égard conduite pour justifier une mesure de licenciement postérieure.

S'agissant des attestations produites par l'employeur ayant permis au Tribunal de caractériser l'existence d'un motif valable de licenciement, l'appelante observe que les affirmations des témoins ne caractérisent aucune diffamation ou accusation calomnieuse mais tout au plus la volonté de faire état de conditions de travail difficiles relevant de la liberté d'expression.

n. AN., tout en demandant que la pièce n° 3 soit déclarée nulle, soutient en définitive que la matérialité des faits reprochés n'est pas établie et que le licenciement présente un caractère abusif.

La SAM A, intimée, relève appel incident et entend voir la Cour :

  • - réformer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que le licenciement de n. AN. reposait sur un motif valable et non sur une faute grave,

Et, statuant à nouveau :

  • - écarter des débats les attestations produites par m. PO. condamné pour établissement d'une attestation faisant état de faits matériellement inexacts au profit de f. AN. en lien direct avec ce litige,

  • - dire et juger que les actes reprochés à n. AN. sont constitutifs d'une faute grave justifiant son licenciement immédiat sans préavis, ni indemnité,

  • - dire et juger que le licenciement de n. AN. est intervenu à bon droit sur le fondement de la faute grave en sorte qu'il est régulier, repose sur un motif valable et ne revêt aucun caractère abusif,

  • - en tout état de cause, débouter n. AN. de l'ensemble de ses demandes fins et prétentions et condamner reconventionnellement celle-ci au paiement d'une somme de 10.000 euros compte tenu de ces affirmations trompeuses et de la mise en œuvre de cette procédure abusive et vexatoire occasionnant un préjudice moral et financier à la société A, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

La SAM A fait valoir pour l'essentiel que :

  • - la disparition de la relation de confiance établie entre l'entreprise et son salarié au regard des agissements ce dernier constitue un motif valable justifiant le licenciement pour faute grave, tel étant le cas lorsque l'employé a manqué à son devoir de loyauté,

  • - les faits de diffamation sont parfaitement prouvés, n. AN. ayant participé à une campagne de dénigrement à l'encontre de son employeur rendant impossible la continuation de son contrat de travail après qu'elle ait refusé de se présenter à l'entretien auquel elle avait été conviée,

  • - si seul le mari f. AN. a été condamné en correctionnelle pour diffamation envers la SAM A, les côtes de la procédure pénale démontrent en effet le rôle incontestable de son épouse et sa participation active à l'entreprise de déstabilisation conduite contre cet employeur,

  • - la remise de tracts par n. AN. dénonçant des faits de harcèlement ou les réprimandes permanentes de l'employeur révèle ce comportement déloyal et la gravité de la faute commise,

  • - n. AN. organisait la campagne de diffamation depuis son domicile par des sites Internet et dans les lieux publics par la distribution de tracts durant sa période d'accident du travail et donc d'absence de l'entreprise,

  • - s'agissant d'un licenciement prononcé pour faute grave, la SAM A estime n'être redevable d'aucune indemnité, ni au demeurant de l'indemnité de préavis qui n'était pas due compte tenu de l'incapacité de n. AN. en arrêt maladie depuis plus de six mois,

  • - s'agissant du montant exorbitant des dommages-intérêts réclamés, l'appelante trompe la religion de la Cour en voulant faire croire qu'elle est la seule source de revenus de son foyer alors même qu'elle est toujours mariée à f. AN. et qu'elle ne justifie pas des liens entre le licenciement et les préjudices invoqués, notamment les pathologies psychiques et physiques alléguées,

  • - Le présent recours est mis en œuvre de façon abusive et vexatoire et génère des frais supplémentaires qu'il est injuste de laisser à la charge de l'intimée en sorte qu'une indemnisation de 10.000 euros est sollicitée au titre du préjudice moral et financier lié à l'obligation de se défendre en justice devant la Cour d'appel.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.

SUR CE,

Attendu que les appels principal et incident régulièrement formés dans les formes et conditions prévues par le Code de procédure civile doivent être déclarés recevables ;

  • Sur la demande de rejet des débats des attestations établies par m. PO. :

Attendu que la SAM A entend voir écarter des débats les attestations qu'elle qualifie de complaisance établies par m. PO., celui-ci ayant déjà été condamné pour établissement d'une attestation faisant état de faits matériellement inexacts au profit de f. AN. et en lien direct avec ce litige ;

Attendu qu'en l'état du lien de connexité évident existant entre les faits reprochés à f. AN. d'une part et à et n. AN. d'autre part, et à la décision pénale susvisée, il y aura lieu d'écarter des débats les attestations de m. PO. qui n'apparaissent pas suffisamment objectives ni posséder toutes les garanties de loyauté requises pour contribuer à la manifestation de la vérité dans le cadre d'un procès équitable ;

  • Sur la demande de nullité de l'attestation établie par s. BR. :

Attendu que n. AN. soutient que l'attestation établie sous la pièce n° 3 ne respecte pas les dispositions impératives de l'article 324 du Code de procédure civile ;

Que si l'absence de mention relative à l'intérêt au procès n'est pas dirimante en soi, puisque seule l'existence positive d'un tel intérêt doit être précisée, en revanche le défaut d'indication de l'existence ou de l'absence de lien de parenté, d'alliance, de subordination ou d'intérêt avec les parties méconnaît les prescriptions impératives imposées par la loi ;

Que l'attestation ainsi produite sous la pièce n° 3 sera déclarée nulle et écartée des débats, à défaut d'avoir respecté les dispositions de l'article 324-3° du Code de procédure civile ;

  • Sur la validité et la gravité du motif de rupture :

Attendu que n. AN. ayant été licenciée pour faute grave selon les termes de la lettre recommandée avec accusé de réception du 10 février 2011 précédemment rappelés, il appartient à la SAM A de justifier des faits imputables à cette salariée qui constituent selon elle une violation des obligations résultant du contrat de travail, d'une nature ou d'une importance telle qu'elle aurait rendu impossible la poursuite de la relation de travail et induit son départ immédiat de l'entreprise ;

Attendu qu'il résulte des pièces produites que la SAM A a procédé au licenciement pour faute grave de n. AN. au début du mois de février 2011 pour des faits qui auraient été commis très antérieurement, soit dans le courant des mois de mai et septembre 2010, c'est-à-dire durant une période de suspension du contrat de travail puisque cette employée était alors arrêtée en raison d'une lombalgie d'effort caractérisant un accident du travail du 8 avril au 31 octobre 2010, puis pour cause de maladie due à un état anxio-dépressif réactionnel à compter du 1er novembre 2010 ;

Attendu que le délai écoulé ne saurait à lui seul permettre d'écarter la qualification de faute grave, l'employeur pouvant en effet avoir connaissance des faits imputables à un de ses salariés plusieurs mois après leur survenance et en déduire, lors de la reprise de travail de cet employé, l'impossibilité immédiate de le maintenir au sein de l'entreprise en l'état de la rupture de toute relation de confiance ;

Qu'en l'espèce, n. AN. était en effet en arrêt de travail du mois de mai 2010 au 10 février 2011 et n'était donc pas présente au sein de l'entreprise lorsque des faits de diffamation publique ont été perpétrés à l'encontre de la SAM A par f. AN., son époux, lequel devait par la suite être condamné au titre de ces agissements par jugement du Tribunal correctionnel du 1er avril 2014, confirmé par arrêt de la Cour d'appel du 24 novembre 2014 ;

Attendu que la SAM A reproche en substance à n. AN. une attitude inacceptable ayant consisté à orchestrer et à participer à une campagne de diffamation et de dénigrement à son encontre ;

Que si la malveillance de f. AN. est établie et a été sanctionnée pénalement, l'utilisation de l'adresse mail de son épouse pour enregistrer le nom de domaine d'un site Internet malveillant ne saurait pour autant être imputée à n. AN. et ne suffit pas à établir à elle seule l'implication de celle-ci dans les agissements fautifs de son époux ;

Que par ailleurs, les attestations émanant de quatre salariés de l'employeur doivent être examinées avec précaution compte tenu du lien de subordination existant entre ces témoins et l'employeur d'une part et ne sont pas particulièrement circonstanciées quant à la gravité des faits reprochés d'autre part ;

Attendu que force est en revanche de constater que d. VA., employée en qualité de femme de chambre, affirme que n. AN. lui a remis un tract à la gare Riquier à Nice le 16 mai 2010 à 7h30 en lui indiquant qu'à l'hôtel, les salariés étaient constamment harcelés et réprimandés, tandis que ma. SP. soutient que n. AN. lui a demandé le 18 mai 2010 à 7h20 devant la gare de Monaco de distribuer des lettres dans le vestiaire des femmes de chambre italiennes de l'hôtel ;

Qu'il résulte par ailleurs des pièces produites que n. AN. ayant accompagné le 11 mai 2010 son époux devant le A à l'occasion de la diffusion de la pétition datée du 7 mai, a à la suite eu l'occasion de faire part de son avis sur le sujet dans le cadre d'un entretien qui a eu lieu consécutivement au malaise de son époux en présence de l'Inspecteur du travail, du Directeur des ressources humaines et de délégués du personnel, en insinuant que le comportement de son employeur était critiquable dans les termes ci-après : « avec tout ce qui se passe ici » et « il y a des dossiers à l'inspection du Travail » ;

Que le procès-verbal d'entretien susvisé fait état des sous-entendus et insinuations clairement proférés par n. AN. à l'encontre de son employeur et attestant à tout le moins de sa grande défiance envers celui-ci ;

Attendu que même si ces agissements ont été perpétrés pendant une période où la salariée était en arrêt de travail, il n'en demeure pas moins que le Tribunal du travail a admis leur véracité pour en déduire la validité du motif de rupture en sorte qu'il est raisonnable de considérer que la gravité de la défiance publiquement manifestée par n. AN. envers son employeur, mais aussi des critiques diffamantes colportées, rendaient impossible la poursuite de la relation de travail et le maintien de cette salariée dans l'entreprise à l'issue de son arrêt maladie ;

Attendu qu'aucune des pièces produites ne permet de présumer une quelconque volonté de l'employeur de renoncer à sanctionner un tel comportement, le droit monégasque n'imposant en outre le respect d'aucun délai pour tirer toutes conséquences utiles de l'agissement fautif d'un salarié ;

Qu'au contraire, l'enquête pénale conduite contre f. AN. permettait corrélativement à la SAM A de vérifier le degré d'implication de son épouse, également employée au sein de l'hôtel, sans précipiter une quelconque décision de rupture ;

Attendu que les éléments recueillis ont donc permis à l'employeur de s'assurer que la nécessaire loyauté et le climat de confiance mutuelle devant présider à la relation de travail avaient bel et bien disparu lorsque la période de suspension du contrat de travail est arrivée à échéance et que n. AN. s'est trouvée de nouveau apte à exercer ses fonctions ;

Qu'il s'ensuit que le licenciement de n. AN. apparaît fondé sur un motif valable et une faute grave en sorte que la décision entreprise devra être partiellement réformée et cette salariée déboutée de l'ensemble de ses prétentions indemnitaires de ce chef ;

  • Sur le caractère abusif de la rupture :

Attendu que n. AN., à laquelle incombe la charge de la preuve de l'abus commis par l'employeur dans l'exercice de son droit unilatéral de licenciement, ne démontre pas l'existence d'un motif fallacieux de rupture, ni d'une intention de nuire de l'employeur, alors même que celui-ci n'apparaît avoir fait preuve d'aucune précipitation et apparaît au contraire avoir tenté, face à la gravité des agissements reprochés, d'obtenir des explications à l'occasion d'un entretien (convocation du 1er février 2011) ;

Attendu que n. AN. sera dès lors déboutée des fins de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour licenciement abusif et la décision entreprise confirmée de ce chef ;

  • Sur la demande d'indemnisation pour appel abusif :

Attendu que la SAM A estimant avoir été préjudiciée par les manœuvres de n. AN. entend voir condamner celle-ci au paiement d'une somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts ;

Attendu qu'il n'est toutefois pas établi que n. AN. ait abusé de son droit d'appel ou ait agi dans l'intention de nuire à la société A, aucun des éléments de la cause ne permettant d'établir une quelconque faute de sa part ni d'erreur équipollente au dol, en sorte que la demande d'indemnisation formée par la SAM A sera rejetée ;

Attendu que les entiers dépens de l'instance demeureront à la charge de la salariée qui succombe en ses prétentions, ce chef du jugement déféré devant être également réformé ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant publiquement et contradictoirement,

Reçoit les appels principal et incident,

Écarte des débats les attestations établies par m. PO. et déclare nulle l'attestation établie sous la pièce n° 3 par s. BR.,

Réformant partiellement la décision entreprise,

Dit et juge que le licenciement de n. AN. est intervenu sur le fondement de la faute grave, repose sur un motif valable et ne revêt aucun caractère abusif,

Déboute en conséquence n. AN. de l'ensemble de ses demandes, fins et prétention avec toutes conséquences de droit,

Déboute la société anonyme monégasque A des fins de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive,

Condamne n. AN. aux entiers dépens de l'instance et dit qu'ils seront distraits au profit de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur sous sa due affirmation,

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable,

Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,

Composition🔗

Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, Monsieur Paul CHAUMONT, Conseiller, assistés de Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en chef adjoint, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles,

Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,

Lecture est donnée à l'audience publique du 26 SEPTEMBRE 2016, par Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en chef adjoint, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, en présence de Mademoiselle Cyrielle COLLE, substitut du Procureur Général.

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