Cour d'appel, 4 juillet 2016, v. VA. et Ministère public c/ g. BO.
Abstract🔗
Harcèlement moral - Éléments constitutifs - Preuve des actes (non) - Relaxe
Résumé🔗
La prévenue doit être relaxée du chef de harcèlement moral commis alors qu'elle dirigeait un commerce. En effet, les actions ou omissions répétées, au sens de l'article 236-1 du Code pénal, qui lui sont reprochées par la partie civile, salariée, ne sont pas caractérisées. Celle-ci ne produit pas les avertissements dont elle aurait fait l'objet et d'autres faits qu'elle invoque ne sont ni datés ni circonstanciés. Ils ne sont corroborés par aucun autre témoignage alors même qu'ils sont formellement contestés par la prévenue. Par ailleurs, cette dernière produit le procès-verbal établi par un huissier constatant les SMS conservés par elle sur son téléphone portable et émanant de la partie civile, qui reflètent des échanges professionnels cordiaux et non le harcèlement dont elle se plaint.
Motifs🔗
Cour d'appel correctionnelle
Dossier PG n° 2015/000804
R. 6301
ARRÊT DU 4 JUILLET 2016
En la cause de :
v. VA., née le 14 août 1976 à Reims (51), de nationalité française, sans profession, demeurant X1 à Nice (06000) ;
constituée partie civile, absente, représentée par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, substituée par Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur en cette même Cour et plaidant par Maître Elie COHEN, avocat au barreau de Nice ;
Et du :
MINISTÈRE PUBLIC ;
APPELANTS,
Contre :
g. BO., née le 29 août 1970 à Bayonne (64), de filiation inconnue, de nationalité française, actuellement sans emploi, demeurant X2 à Nice (06000) ;
Prévenue de :
HARCÈLEMENT
présente, assistée de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur,
INTIMÉE,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,
jugeant correctionnellement, après débats à l'audience du 6 juin 2016 ;
Vu le jugement contradictoirement rendu par le Tribunal de première instance jugeant correctionnellement le 22 mars 2016 ;
Vu les appels interjetés le 5 avril 2016, par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur pour v. VA., partie civile, et par le Ministère public, à titre incident ;
Vu l'ordonnance présidentielle en date du 12 avril 2016 ;
Vu la citation et signification, suivant exploit, enregistré, de Maître Patricia GRIMAUD-PALMERO, huissier, en date du 26 avril 2016 ;
Vu les pièces du dossier ;
Vu les conclusions de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur pour g. BO., en date du 2 juin 2016 ;
Vu les conclusions de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur pour v. VA., en date du 6 juin 2016 ;
Ouï Paul CHAUMONT, Conseiller, en son rapport ;
Ouï g. BO., prévenue, en ses réponses ;
Ouï Maître Elie COHEN, avocat au barreau de Nice pour v. VA., partie civile, régulièrement autorisé à plaider par le Président, en sa plaidoirie et moyens d'appel ;
Ouï le Ministère public en ses réquisitions ;
Ouï Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur pour g. BO., prévenue, en sa plaidoirie ;
Ouï la prévenue en dernier, en ses moyens de défense ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Par jugement contradictoire en date du 22 mars 2016, le Tribunal correctionnel a, sous la prévention :
« D'avoir à Monaco courant 2014 et 2015, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, soumis, sciemment et par quelque moyen que ce soit, v. VA., Madame BOR., Madame TS. à des actions ou missions répétées ayant pour objet ou pour effet une dégradation de leurs conditions de vie se traduisant par une altération de leur santé physique ou mentale, en l'espèce notamment en espionnant les employés par le biais des caméras vidéo, en demandant à un employé, Monsieur MA., de rapporter tous les faits et gestes du personnel, en changeant les horaires de manière intempestive et sans motif, en attribuant des tâches indues, en mettant certains employés à l'écart, en les avertissant pour de faux motif, en étant agressive, en missionnant v. VA. afin de faire démissionner les employés devenus indésirables ; avec cette circonstance que, concernant v. VA., elles ont causé une maladie excédant huit jours, en l'espèce un suivi psychologique depuis le 22 juillet 2014 et une nécessité d'éviction du lieu de travail, le 2 janvier 2015, et que, concernant Madame BOR. et Madame TS., elles n'ont causé aucune maladie ou incapacité de travail »,
DÉLIT prévu et réprimé par les articles 26 et 236-1 du Code Pénal ;
sur l'action publique :
relaxé g. BO. des fins de la poursuite sans peine ni dépens ;
sur l'action civile :
reçu v. VA. et Madame BOR. en leur constitution de partie civile mais au fond les déboute de leurs demandes ;
laissé les dépens à la charge du Trésor.
Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur de v. VA., partie civile, a interjeté appel de cette décision par acte de greffe en date du 5 avril 2016.
Le Ministère public a interjeté appel incident de ladite décision le même jour.
Considérant les faits suivants :
Par lettre du 5 janvier 2015, v. VA. portait plainte auprès du Procureur général de Monaco en exposant être employée au sein de la boutique C située à Monaco et victime de harcèlement moral sur son lieu de travail de la part de sa directrice, g. BO., et de Monsieur MA., salarié chargé de la gestion du stock.
Elle joignait à sa plainte :
un certificat médical du 2 janvier 2015, établi par le Docteur GIRAUD, indiquant, après examen, que son état de santé « nécessite l'éviction de son lieu de travail le 2 janvier 2015 » ;
les lettres du 25 et du 26 novembre 2014 dénonçant les faits de maltraitance dont elle serait victime, adressées respectivement à l'inspection du travail et au Président directeur général (PDG) du Groupe CC, dont la société C est la filiale ;
une lettre ouverte adressée le 22 décembre 2014 au PDG du groupe CC signée également par cinq autres salariées du magasin, Madame TS., Madame BOR., Madame DU., Madame DE. et Madame NI. pour lui signaler le harcèlement qui serait pratiqué à leur encontre sur leur lieu de travail ;
les attestations rédigées par Madame TS. et Madame BOR..
Par lettre du 8 janvier 2015 adressée au Procureur général de Monaco, Madame TS. et Madame BOR. portaient plainte également pour dénoncer les actes de violence morale dont elles feraient l'objet au sein de la boutique C.
Le Procureur général saisissait la Sûreté publique pour enquête.
v. VA. était entendue par la police le 23 mars 2015.
Elle indiquait que :
elle avait été recrutée par g. BO. le 6 mars 2014 en qualité d'adjointe de direction et manager du département accessoires-maroquinerie, et que cette dernière l'avait mandatée pour renouveler l'équipe et, à cette fin, exercer des pressions sur deux salariés qui apparaissaient les plus fragiles, Corine DE. et Hania PA., lesquelles avaient effectivement quitté le magasin entre mars et juin 2014 ;
s'agissant des deux salariées recrutées pour les remplacer, Madame BOR. et Madame DU., g. BO. avait adopté à l'égard de la première une attitude méprisante, tandis qu'elle s'était acharnée à l'égard de la seconde, de sorte que l'une et l'autre avaient été placées en arrêt de travail en juillet et août 2014, pour ne plus revenir ;
g. BO. avait infligé un avertissement injustifié à un autre membre de son équipe, Madame TS., pour que cela serve d'exemple aux autres salariés ;
Madame BOR. ayant déposé un arrêt de travail le 22 juillet 2014 pour le lendemain, g. BO. l'avait convoquée v. VA.) le soir même à 20 h et lui avait reproché le recrutement de Madame BOR. en lui disant « pour que cela vous serve de leçon, vous viendrez travailler à sa place demain » sachant que le 23 juillet était un mercredi, qu'elle ne travaillait jamais le mercredi pour pouvoir rester avec son fils et que, malgré tout, elle était venue travailler ;
après le départ de Madame BOR. et Madame DU., elle avait été prise pour cible par g. BO. ;
elle avait pris alors la décision d'écrire au PDG du groupe CC, ce qui s'était traduit par une visite du Directeur des relations humaines, Monsieur OR. le 11 décembre 2014 qui avait pris parti pour g. BO. ;
à partir de ce moment, tous les employés de la boutique avaient souffert des agissements de la directrice qui les avait fait surveiller par l'intermédiaire de Monsieur MA. ;
elle avait été elle-même mise à l'écart ; et avait été privée de toute réunion et, plus généralement de toute communication ;
le 13 janvier 2015, elle avait été dispensée de venir travailler et, après un entretien avec Monsieur OR. le 22 janvier 2015, elle avait été licenciée ;
elle avait été suivie par un psychiatre « par rapport à tout ce (qu'elle) avait vécu dans cette affaire ».
Elle ajoutait que g. BO. était une personne « manipulatrice », « vicieuse, qui mène un management par la peur, qui adore diviser pour mieux régner, rabaissante, humiliante, impulsive et s'attaquant aux personnes vulnérables ».
Elle remettait aux policiers un certificat médical du 17 mars 2015 établi par le Docteur FE. indiquant « donner mes soins à Mme VA. du 22 juillet 2014 jusqu'à ce jour au centre hospitalier Breil/Roya ».
De nombreux salariés ayant travaillé dans la boutique sous la direction de g. BO. étaient entendus par la police et témoignaient du comportement malveillant de g. BO. à leur égard et de sa personnalité.
Ainsi, Monsieur DE., vendeuse de 2009 à juin 2014, époque à laquelle elle avait été licenciée, indiquait que g. BO. l'avait faussement accusée de vol puis mise à l'écart en lui confiant une tâche ne correspondant pas à sa qualification et en lui retirant le mercredi comme jour de repos alors qu'elle avait un enfant mineur tout en donnant ce mercredi devant elle à une autre employée qui avait des enfants déjà majeurs. Elle ajoutait qu'elle s'était effondrée et qu'elle avait finalement été déclarée inapte au travail. Elle estimait que g. BO. était une femme « manipulatrice et agressive ».
Madame TS., vendeuse de septembre 2013 jusqu'à sa démission en janvier 2015, exposait que g. BO. lui avait reproché son manque de compétence alors que ses chiffres étaient bons, qu'elle lui avait envoyé des piques concernant son état physique et qu'après l'envoi du courrier à la direction elle l'avait totalement ignorée notamment en refusant de lui parler et de la saluer.
Madame BOR., qui avait travaillé dans la boutique du 1er mars au 31 juillet 2014, date à laquelle elle avait mis fin à son contrat de travail d'un commun accord avec g. BO., déclarait que celle-ci « avait l'habitude de s'en prendre quasiment tous les jours à une personne différente », qu'elle « adorait monter les employés les uns contre les autres » et qu'elle « s'amusait à créer un climat malsain dans cette boutique » ce dont elle « se délectait ».
Monsieur GO., vendeur d'août 2010 à février 2014 indiquait que g. BO. avait une attitude condescendante et menaçante envers le personnel, qu'elle avait adopté un « management » de plus en plus agressif, qu'elle était « très manipulatrice », qu'elle était « tout à fait capable d'être responsable de pressions morales et de harcèlement envers ses employés ».
Il ajoutait se souvenir avoir été convoqué avec tous les salariés à la demande de g. BO., celle-ci ayant demandé à Monsieur MA. ce qui s'était passé la veille dans la boutique, et il indiquait que g. BO. lui avait montré un enregistrement vidéo en lui reprochant d'être resté assis pendant 1 minute 30 et en affirmant qu'elle en avait le droit puisque son travail consistait à savoir tout ce qui se passait dans la boutique.
Massimo LA., embauché comme vendeur en 2003 avant de devenir directeur adjoint jusqu'à son licenciement en avril 2011, estimait que g. BO. était une personne tyrannique envers ses employés.
Victoria PR. vendeuse de juin à octobre 2012 expliquait qu'elle avait été licenciée brutalement, sans explication et décrivait g. BO. comme étant une « femme égoïste, tyrannique, qui n'hésite pas à faire du chantage à l'emploi sur ses salariés, qui met énormément de pression et qui joue toujours sur la faiblesse de ses salariés ».
Stéphane AZ., contrôleur du stock d'août 2008 jusqu'à sa démission en mai 2013, indiquait que g. BO. était « manipulatrice, sournoise, rabaissante qui, lorsqu'elle n'arrive pas à contrôler les salariés, n'hésite pas à les casser ». Il ajoutait qu'il n'y avait pas « une seule boutique de luxe où il y avait un tel turn over parmi les employés ».
Dardane GJ., vendeuse de mars 2010 au 18 avril 2015, date de sa démission, déclarait qu'elle n'avait jamais eu de problème avec g. BO. mais que, toutefois, elle ne la considérait pas comme une personne loyale, ajoutant « elle est fausse ».
Madame NI. déclarait qu'elle était vendeuse depuis huit ans, qu'elle avait elle-même été victime de harcèlement de la part de g. BO. qui était une personne un peu « diabolique », « manipulatrice et très forte » sachant « comment entourlouper les gens » qui « dès qu'on était pas d'accord avec elle, nous menaçait de prendre la porte », ajoutant que l'ambiance au sein de la boutique était très bonne depuis que g. BO. était absente.
Madame PA., vendeuse de septembre 2008 jusqu'à sa démission en juin 2014, mettait en cause le comportement de v. VA. à son égard.
Monsieur MA. admettait qu'il avait noté les agissements des employés pour pouvoir s'en rappeler et le raconter à la directrice, ajoutant que c'était une façon d'être reconnaissant à son égard dans la mesure où elle avait participé à son recrutement.
D'autres témoignages en revanche, étaient favorables à g. BO..
Madame DA., qui avait remplacé v. VA. le 30 mars 2015, et Madame OS., vendeuse depuis le 22 septembre 2014 indiquaient :
la première, que g. BO., qui l'avait recrutée, était une « personne très bien » avec elle et qu'elle n'avait pas été témoin de brimade particulière de sa part envers d'autres collègues, en précisant toutefois que, depuis son embauche, g. BO. n'avait pas été beaucoup à la boutique C en raison de son arrêt maladie prolongé et de ses vacances ;
la seconde, notamment, qu'elle n'avait jamais subi de harcèlement de la part de g. BO..
Madame VI., vendeuse du 1er avril au 30 septembre 2013, déclarait qu'elle n'avait pas été victime d'agissements de la part de g. BO. et qu'elle n'avait pas remarqué de comportement de sa part particulièrement violent ou méchant envers un autre employé, mais elle notait toutefois, pendant cette période, beaucoup de départs et d'arrivées parmi le personnel.
Monsieur QU., qui avait travaillé au sein de la boutique de juin 2011 jusqu'à son licenciement début mars 2015, d'abord comme vendeur puis comme manager, indiquait qu'il n'avait jamais été victime d'agissements de la part de g. BO., qu'il ne l'avait pas vue exercer envers ses employés « une pression terrible au point de les faire craquer », que son « management » devait être qualifié de « normal par rapport à tout ce qu'il a pu entendre sur tous les directeurs et les directrices des boutiques de luxe », qu'elle était « parfois dure » mais qu'il n'avait pas été choqué, et que, s'agissant de Monsieur MA., il n'avait rien remarqué d'anormal à son sujet, hormis qu'il faisait « son boulot de stockiste ».
Enfin, Monsieur OR., responsable des ressources humaines du groupe CC, expliquait aux enquêteurs que g. BO. était « une personne très professionnelle », que, lors de ses cinq déplacements sur place il n'avait « rien remarqué d'anormal concernant son management », que le nombre des départs et des arrivées au sein de la boutique s'expliquait par « la particularité du secteur monégasque » et par « la crise économique », tout en admettant que c'était la seule boutique où « de telles choses se produisaient ».
Il ajoutait que « le licenciement de v. VA. était parfaitement justifié » que celle-ci « se montrait agressive lors de nos entretiens » et qu'il pensait qu' « elle avait réussi à retourner certaines ex-employées et qu'elle en voulait (à g. BO.) pour des raisons qu'il ignorait ».
Dans un courriel du 18 mai 2015 adressé à la Sûreté publique, l'inspection du travail exposait que la boutique comptait actuellement, une directrice, deux responsables de département, quatre vendeurs, et un salarié chargé du stock, et qu'entre le 1er octobre 2010 et le 18 avril 2015, 24 salariés avaient quitté leurs fonctions, à la suite de démissions (7), de licenciements (7), du terme de leurs contrats à durée terminée (8), ou d'une période d'essai jugée non concluante par l'employeur (2).
g. BO. était entendue par les policiers à qui elle déclarait qu'elle avait toujours travaillé dans les boutiques de luxe, d'abord comme vendeuse chez la société R à Monaco puis comme directrice de la boutique L à Cannes avant de devenir, le 1er avril 2010, directrice de la boutique C à Monaco.
Elle faisait valoir qu'elle était « quelqu'un d'exigeant dans le cadre de son travail » et qu'elle n'avait « en aucun cas eu le sentiment d'exercer à leur égard une quelconque pression sur les salariés ».
Elle contestait le bien-fondé de témoignages dirigés contre elle, notamment ceux de Madame TS. et de Madame BOR., qu'elle soupçonnait d'avoir été manipulées par v. VA. dans le but de les rallier à sa cause, et elle affirmait que Monsieur MA. n'avait pas reçu d'instruction de sa part pour surveiller le comportement des autres employés.
S'agissant des caméras vidéo, elle soulignait que c'était le groupe C qui avait pris la décision de leur installation sans savoir qu'il était nécessaire d'obtenir, préalablement, une autorisation.
g. BO. était poursuivie devant le Tribunal correctionnel à l'initiative du Ministère public pour « avoir, à Monaco courant 2014 et 2015, soumis, sciemment et par quelque moyen que ce soit, v. VA., Madame BOR., Madame TS. à des actions ou omissions répétées ayant pour objet ou pour effet une dégradation de leurs conditions de vie se traduisant par une altération de leur santé physique ou mentale, en l'espèce notamment en espionnant les employés par le biais des caméras vidéo, en demandant à un employé, Monsieur MA., de rapporter tous les faits et gestes du personnel, en changeant les horaires de manière intempestive et sans motif, en attribuant des tâches indues, en mettant certains employés à l'écart, en les avertissant pour de faux motifs, en étant agressive, en missionnant v. VA. afin de faire démissionner les employés devenus indésirables, avec cette circonstance que, concernant v. VA., elles ont causé une maladie excédant huit jours, en l'espèce un suivi psychologique depuis le 22 juillet 2014 et une nécessité d'éviction du lieu de travail, le 2 janvier 2015, et que, concernant Madame BOR. et Madame TS., elles n'ont causé aucune maladie ou incapacité de travail, délit prévu et réprimé par les articles 26 et 236-1 du Code pénal ».
Par jugement contradictoire du 22 mars 2016, le Tribunal a :
relaxé g. BO. ;
reçu v. VA. et Madame BOR. en leur constitution de partie civile ;
débouté celles-ci de leurs demandes.
Le Tribunal a retenu que si « les dépositions des victimes et les témoignages des anciens salariés constituaient un faisceau de présomptions concordant et suffisaient à établir que g. BO. avait volontairement soumis v. VA., Madame BOR. et Madame TS. à des agissements réitérés et donc à caractériser en partie la matérialité du délit de harcèlement moral qui lui était reproché, l'enquête de police menée n'avait pas permis, faute d'avoir pu obtenir auprès des victimes des éléments notamment médicaux probants qui auraient pu alors être recueillis par une expertise médicale de ces dernières, de démontrer leurs conséquences directes imposées par la loi afin de consommer cette infraction ».
Le 5 avril 2016, v. VA. a relevé appel et le Procureur général a relevé appel incident.
Aux termes de ses conclusions du 6 juin 2016, v. VA. demande à la Cour de :
déclarer son appel recevable,
déclarer g. BO. coupable des faits qui lui sont reprochés,
déclarer recevable sa constitution de partie civile,
condamner g. BO. à lui payer la somme de 35.000 euros à titre de dommages-intérêts.
Elle fait valoir en substance que les faits reprochés à g. BO. sont établis par les procès-verbaux et les pièces du dossier et que les certificats médicaux qu'elle verse aux débats, notamment celui du 2 janvier 2015, établissent le lien de causalité entre l'altération de son état physique et mental et les agissements de g. BO..
Le Procureur général sollicite également l'infirmation du jugement et demande de déclarer la prévenue coupable et de la condamner à la peine de 15 jours à un mois d'emprisonnement avec sursis.
Par ses conclusions du 2 juin 2016, g. BO. sollicite la confirmation du jugement de relaxe.
Elle soutient essentiellement que les éléments constitutifs, matériels et intentionnel de l'infraction ne sont pas réunis, que v. VA. ne rapporte pas la preuve des préjudices qu'elle allègue, et que cette dernière est animée par une véritable intention de nuire à son égard.
SUR CE,
Attendu que les appels, relevés dans les formes et délais prescrits par les articles 406 et 411 du Code de procédure pénale, sont réguliers et recevables ;
Attendu que l'article 236-1 du Code pénal incrimine le fait de soumettre, sciemment et par quelque moyen que ce soit, toute personne à des actions ou omissions répétées ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale ;
Attendu qu'en l'espèce, lors de son audition du 23 mars 2015, v. VA. a exposé qu'après le départ de Madame BOR. et Madame DU., c'est-à-dire en août 2014, elle avait été prise pour cible par g. BO. qui lui avait notifié un avertissement injustifié puis lui avait fait subir une énorme pression quotidienne en lui demandant de tout recommencer au prétexte que ce n'était jamais bien fait, en la dévalorisant devant les clients, en la dédaignant, en lui faisant de nombreux griefs concernant sa gestion et son organisation, et en lui infligeant un second avertissement aux prétextes d'une erreur de caisse présumée, d'une mauvaise organisation dans son travail et d'un manque d'efficacité ;
Qu'elle a ajouté qu'à la suite de l'envoi de la lettre au PDG du groupe CC, et de la visite du Directeur des relations humaines le 11 décembre 2014, elle avait été mise à l'écart et privée de toute réunion et, plus généralement de toute communication ;
Attendu que, cependant, v. VA. ne produit pas les avertissements dont elle se prévaut ni ne soutient les avoir contestés ;
Que les autres faits qu'elle invoque ne sont ni datés ni circonstanciés ;
Qu'ils ne sont corroborés par aucun autre témoignage alors même qu'ils sont formellement contestés par g. BO. ;
Que, certes, Monsieur FI., employé depuis mai 2014 au sein de la boutique C, a déclaré aux policiers, le 28 juillet 2015, que v. VA. avait « le plus subi les foudres de g. BO. » et qu'elle avait subi un harcèlement de sa part ;
Que, toutefois, ce témoignage ne fait état d'aucun fait précis ;
Attendu qu'au contraire, Natalya OS., vendeuse dans la boutique depuis le 22 septembre 2014, a affirmé lors de son audition du 30 juillet 2015, que la mauvaise ambiance était due à un problème personnel entre v. VA. et g. BO. et qu'elle n'avait jamais été témoin de harcèlement de g. BO. envers v. VA. ;
Que par ailleurs, g. BO. produit le procès-verbal établi par un huissier le 29 avril 2015 constatant les SMS conservés par cette dernière sur son téléphone portable et émanant de v. VA., postérieurs au mois d'août 2014, dont celui du 19 septembre 2014 qui est rédigé de la façon suivante « merci pour votre soutien en tout cas, c'est très important vous savez, très bonne soirée, à demain », et celui du 15 octobre aux termes duquel elle écrit « merci beaucoup pour le covoiturage, c'est super gentil, à demain et très bonne soirée » ; que ces SMS, de même que ceux qui ont été échangés pendant cette période et qui sont mentionnés dans le constat de l'huissier, reflètent des échanges professionnels cordiaux et non le harcèlement dont se plaint v. VA. ;
Qu'en outre, dans son audition par les policiers du 2 mars 2014, Madame PA., salarié au sein de la boutique C du 1er septembre 2008 au 2 juin 2014, a indiqué qu' « (...) à l'arrivée de Mme VA. en tant que manager la situation s'est complètement détériorée. Mme VA. se montrait très agressive à mon égard, elle me parlait avec un ton très agressif même devant les clients, ce qui me mettait vraiment mal à l'aise, elle ne supportait pas qu'on la contredise car elle voulait faire sa place dans cette boutique. Elle avait également l'habitude de me faire des reproches qui n'étaient pas justifiés (...) » ; que, si elle ajoute que « Mme VA. a agi de la sorte avec moi sur les instructions de Mme BO., c'est d'ailleurs ce qu'elle m'avait dit », son témoignage permet de douter de la sincérité de v. VA. lorsqu'elle se présente comme victime de g. BO., dès lors qu'elle paraît avoir adopté les méthodes qu'elle lui reproche ;
Attendu qu'au regard de ces éléments, les actions ou omissions répétées, au sens de l'article 236-1 du Code pénal, qui sont reprochées à g. BO. ne sont pas caractérisées ;
Qu'il y a lieu, en conséquence, de confirmer la décision des premiers juges tant sur l'action publique que sur l'action civile ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,
statuant en matière correctionnelle, publiquement, contradictoirement à l'égard de g. BO. et conformément aux dispositions de l'article 377 du Code de procédure pénale à l'égard de la partie civile,
Reçoit les appels ;
Confirme le jugement du Tribunal correctionnel du 22 mars 2016 en toutes ses dispositions appelées ;
Condamne v. VA. aux frais du présent arrêt ;
Composition🔗
Après débats en audience publique de la Cour d'appel de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le six juin deux mille seize, qui se sont tenus devant Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, faisant fonction de Président, Madame v. ZAND, Conseiller, Monsieur Paul CHAUMONT, Conseiller, en présence de Monsieur Jacques DOREMIEUX, Procureur général, assistés de Madame Nadine VALLAURI, Greffier ;
Après qu'il en ait été délibéré et jugé, le présent arrêt a été signé par Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, faisant fonction de Président, Madame v. ZAND, Conseiller, Monsieur Paul CHAUMONT, Conseiller, magistrats en ayant délibéré et ce en application des articles 58 à 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013, relative à l'administration et à l'organisation judiciaires ;
Lecture étant donnée à l'audience publique du quatre juillet deux mille seize par Monsieur Paul CHAUMONT, Conseiller, faisant fonction de Président, assisté de Madame Nadine VALLAURI, Greffier, en présence de Monsieur Hervé POINOT, Procureur général adjoint, et ce en application des dispositions des articles 58 à 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013.