Cour d'appel, 31 mai 2016, La Société A c/ La société B et Maître c D

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Abstract🔗

Saisie-arrêt – Conditions

Résumé🔗

L'article 487, alinéa 1er, du Code de procédure civile dispose que « tout créancier peut déposer au greffe général une requête tendant à frapper temporairement d'indisponibilité entre les mains d'un tiers, et dans la limite qu'il fixe, les sommes dues à son débiteur et les rentes, valeurs ou autres biens mobiliers lui appartenant ». Aux termes de l'article 490, alinéa 1er, du même code « tout créancier peut, en vertu d'un titre, saisir-arrêter entre les mains d'un tiers les biens visés à l'alinéa 1 de l'article 487 ». L'article 491 dispose qu'« à défaut de titre, la saisie-arrêt peut avoir lieu en vertu de la permission du juge et pour la somme qu'il fixe ». Le créancier qui entend solliciter, par requête non contradictoire, le bénéfice de cette autorisation judiciaire doit justifier de l'existence d'un principe certain de créance présentant un caractère suffisant d'évidence. La démonstration d'une créance liquide et exigible n'est pas exigée. En l'espèce, il est constant que, par contrats du 30 mars 2009 et du 24 avril 2009, la société A a consenti à la société B deux prêts respectivement de deux millions et d'un million d'euros, dont le montant total a été ramené à 2.320.000 euros par avenant du 10 décembre 2010. Le principe de la créance que la société A tient sur la société B en application de ces contrats n'est pas contesté. Il est certain et présente un caractère suffisant d'évidence, ce qui suffit à justifier la saisie-arrêt qui a été ordonnée, à bon droit, par l'ordonnance sur requête du 7 janvier 2016, peu important que la créance de la société A ne soit pas exigible au regard de l'avenant qu'elle a conclu le 3 novembre 2010 avec la société B et la société E. Il convient, en conséquence, d'infirmer l'ordonnance déférée, sans qu'il soit nécessaire de se fonder sur le jugement du Tribunal d'arrondissement de Luxembourg du 18 mai 2015 qui a admis au passif chirographaire de la faillite de la société B, la créance de la société A.


Motifs🔗

COUR D'APPEL

ARRÊT DU 31 MAI 2016

En la cause de :

  • - La Société Luxembourgeoise A, ayant son siège social sis X1 L-1420 Luxembourg, inscrite au Registre du Commerce et des Sociétés du Luxembourg sous le n° B 117.649 agissant poursuites et diligences de son Président du Conseil d'Administration en exercice, Monsieur Atanas SA. ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

APPELANTE,

d'une part,

contre :

  • La société anonyme B, société de droit luxembourgeois, ayant son siège social X2 L-1420 Luxembourg, inscrite au Registre du Commerce et des Sociétés du Luxembourg sous le n° B79.548, prise en la personne de Maître c D, avocat à La Cour, demeurant professionnellement à L-1442 Luxembourg, X5, agissant en sa qualité de curateur de la faillite de ladite société anonyme B, déclarée en état de faillite par jugement rendu par le Tribunal d'arrondissement de et à Luxembourg en date du 23 décembre 2013, faillite n° 912/13 ;

  • Maître c D, avocat à la Cour, demeurant professionnellement à L-1142 Luxembourg, X3, ès-qualités de curateur de la faillite de la société anonyme B., société de droit luxembourgeois, ayant son siège social X4 L-1420 Luxembourg, inscrite au Registre du Commerce et des Sociétés du Luxembourg sous le n° X, déclarée en état de faillite par jugement rendu par le Tribunal d'arrondissement de et à Luxembourg en date du 23 décembre 2013, faillite n° 912/13 ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

INTIMÉES,

EN PRÉSENCE DE :

  • - La société B, société anonyme monégasque dont le siège social se trouve à Monaco (98000), X5, Zone F - R + 1 - Lots 543 et 544, immatriculée au Répertoire du Commerce et de l'Industrie sous le n° X, représentée par son Président délégué, Monsieur BASSANI-ANTIVARI, domicilié en cette qualité audit siège ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

TIERS-SAISI,

d'autre part,

LA COUR,

Vu l'Ordonnance sur requête du 7 janvier 2016 ;

Vu l'Ordonnance du Juge des référés rendue le 24 février 2016 (R.3321) ;

Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 2 mars 2016 (enrôlé sous le numéro 2016/000140) ;

Vu les conclusions déposées le 26 avril 2016 par Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur, au nom de la société B et de Maître c D ;

Vu les conclusions déposées le 27 avril 2016 par Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur, au nom de la SAM B ;

À l'audience du 3 mai 2016, ouï les conseils des parties en leurs plaidoiries ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel relevé par la société A. à l'encontre d'une Ordonnance du Juge des référés rendue le 24 février 2016.

Considérant les faits suivants :

Par contrats du 30 mars 2009 et du 24 avril 2009, la société de droit luxembourgeois A (la société A) a consenti à la société de droit luxembourgeois B, deux prêts respectivement de deux millions et d'un million d'euros.

Le 3 novembre 2010, la société B a émis 240.000 obligations convertibles en actions pour une valeur nominale de 100 euros, dont la totalité a été acquise par la société des Îles Vierges Britanniques E (la société E) moyennant paiement de la somme de 24 millions d'euros.

La société B s'est engagée, d'une part, à payer à cette dernière des intérêts trimestriels, et, d'autre part, à lui rembourser les obligations à l'échéance fixée au 3 novembre 2013.

Par avenant du 3 novembre 2010, rédigé en anglais et conclu entre la société A, la société B et la société E, la société A a accepté de « subordonner » les prêts du 30 mars 2009 et du 24 avril 2009 au remboursement de la totalité des montants dus à la société E « en vertu des obligations convertibles » et elle s'est interdit de « ask, demand, accelerate, sue, claim or prove for the whole or any part of any relevant amount », ce que la société A traduit par « demander, revendiquer, accélérer, poursuivre en justice, réclamer ou prouver pour la totalité ou une partie du montant concerné », et ce que la société B traduit par « demander, exiger, anticiper, intenter des poursuites pour ou réclamer le paiement de, déclarer en tant que créance tout ou partie de la somme réclamée ».

Le 10 décembre 2010, le montant de la créance de la société A sur la société B a été ramené à 2.320.000 euros à la suite d'une opération de compensation.

La société B n'ayant pas remboursé les intérêts convenus et les obligations à l'échéance, la société E l'a assignée en faillite le 2 octobre 2013 devant le Tribunal d'arrondissement de Luxembourg.

Par jugement du 23 décembre 2013, le Tribunal d'arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière commerciale, a déclaré la société B en faillite et désigné Maître c D en qualité de curateur de cette dernière.

Le 7 juillet 2014, la société A a déclaré sa créance pour un montant de 2.320.000 euros, augmentée de la somme de 500.142,50 euros à titre d'intérêts.

Par jugement du 18 mai 2015, la juridiction luxembourgeoise a admis au passif chirographaire de la faillite de la société B, la créance de la société A pour un montant de 2.320.000 euros.

Le 5 janvier 2016, la société A a saisi le Président du Tribunal de première instance de Monaco d'une requête en saisie-arrêt des 19.997 actions détenues par la société B dans le capital de sa filiale, la société de droit monégasque B, « pour avoir sûreté, garantie et paiement de l'ensemble de sa créance de 2.820.142,50 € ».

Par ordonnance du 7 janvier 2016, le Président a autorisé la saisie-arrêt en « sûreté, garantie et paiement » de la somme de 2.320.000. euros.

Par exploit du 1er février 2016, la société B, représentée par son curateur, Maître c D, et ce dernier, agissant en qualité de représentant de la masse des créanciers de la faillite de la société B, ont assigné la société A en référé devant le Président du Tribunal de première instance en rétractation de cette décision.

Par ordonnance de référé du 24 février 2016, le Président a :

  • - ordonné la rétractation de l'ordonnance sur requête du 7 janvier 2016 ;

  • - ordonné la mainlevée de la saisie-arrêt pratiquée le 14 janvier 2016 ;

  • - condamné la société A aux dépens de la présente ordonnance distraits au profit de Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

Le magistrat a énoncé que « le principe certain de la créance suppose qu'elle soit également exigible, ce qui n'est pas le cas dans la présente espèce » dès lors que l'avenant du 3 novembre 2010 subordonne « la perception et l'exécution de la créance de la société A au paiement en priorité de la créance de la société E, laquelle n'a pas été réglée par la société B ».

Par exploit du 2 mars 2016, la société A a relevé appel.

Aux termes de son acte d'appel et assignation, la société A demande à la Cour de :

  • - réformer l'ordonnance du Juge des référés rendue le 24 février 2016,

  • - confirmer l'ordonnance présidentielle du 7 janvier 2016.

  • Elle fait essentiellement valoir que :

  • - le juge a exigé à tort, comme condition à la reconnaissance d'un principe certain de créance, son exigibilité,

  • - l'admission de sa créance au passif de la faillite démontre qu'elle est certaine dans son principe,

  • - le principe d'universalité et d'unicité de la faillite, reconnu en droit monégasque, n'a pas pour effet de rendre indisponibles les biens du débiteur et d'empêcher une mesure conservatoire tant que le jugement prononçant la faillite du débiteur n'a pas fait l'objet d'une décision d'exequatur, conformément à l'article 472 du Code de procédure civile.

Aux termes de ses conclusions du 26 avril 2016, la société B, représentée par Maître c D, demande à la Cour de :

  • - confirmer l'ordonnance de référé du 24 février 2016,

  • - condamner la société A aux dépens de première instance et d'appel distraits au profit de Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

Elle fait valoir en substance que :

  • - l'avenant du 3 novembre 2010, qui conditionne la créance de la société A au respect des accords conclus entre la société B et la société E, démontre l'absence du principe certain de la créance puisque cette condition n'est pas advenue,

  • - l'admission de la créance de la société A au passif de la société B a été obtenue par des moyens déloyaux voire frauduleux, puisque la déclaration de créance a été faite sans référence à l'avenant du 3 novembre 2010 qui prévoit que la société A s'interdit de déclarer en tant que créance tout ou partie des sommes concernées,

  • - la fraude corrompant tout, le principe de créance de la société A n'est pas certain,

  • - le curateur de la faillite a engagé une procédure d'exequatur du jugement de faillite devant le Tribunal de première instance.

Aux termes de ses conclusions du 27 avril 2016, la société B demande à la Cour de :

  • - confirmer l'ordonnance de référé du 24 février 2016,

  • - condamner tous contestants aux entiers dépens de l'instance au profit de M. le Bâtonnier Richard MULLOT, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

Elle fait essentiellement valoir que :

  • - la société A ne justifie pas d'un principe certain de créance puisqu'elle a obtenu par fraude le jugement au Luxembourg ayant admis sa créance,

  • - une action pour tentative d'escroquerie au jugement serait parfaitement justifiée,

  • - il existe une contestation sérieuse résultant de ce que, d'une part, le représentant légal de la société A est lui-même actionnaire de la société B, et qu'il agit « en conflit d'intérêts manifeste », d'autre part, le conseil qui le représente au cours des assemblées générales de la concluante est le même que celui qui a initié la procédure de saisie-arrêt à l'encontre de la société B à la demande de la société E, et, enfin, compte tenu de la clause d'attribution exclusive de compétence pour la juridiction du Luxembourg, la société A sera obligée d'assigner au fond au Luxembourg, où elle se heurtera à l'arrêt des poursuites en matière de procédures collectives qui l'empêchera d'obtenir une décision au fond.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures précitées auxquelles il est expressément renvoyé.

SUR CE,

Attendu que l'article 487, alinéa 1er, du Code de procédure civile dispose que « tout créancier peut déposer au greffe général une requête tendant à frapper temporairement d'indisponibilité entre les mains d'un tiers, et dans la limite qu'il fixe, les sommes dues à son débiteur et les rentes, valeurs ou autres biens mobiliers lui appartenant » ;

Qu'aux termes de l'article 490, alinéa 1er, du même code « tout créancier peut, en vertu d'un titre, saisir-arrêter entre les mains d'un tiers les biens visés à l'alinéa 1 de l'article 487 » ;

Que l'article 491 dispose qu'« à défaut de titre, la saisie-arrêt peut avoir lieu en vertu de la permission du juge et pour la somme qu'il fixe » ;

Que le créancier qui entend solliciter, par requête non contradictoire, le bénéfice de cette autorisation judiciaire doit justifier de l'existence d'un principe certain de créance présentant un caractère suffisant d'évidence ;

Que la démonstration d'une créance liquide et exigible n'est pas exigée ;

Attendu qu'en l'espèce, il est constant que, par contrats du 30 mars 2009 et du 24 avril 2009, la société A a consenti à la société B deux prêts respectivement de deux millions et d'un million d'euros, dont le montant total a été ramené à 2.320.000 euros par avenant du 10 décembre 2010 ;

Que le principe de la créance que la société A tient sur la société B en application de ces contrats n'est pas contesté ;

Qu'il est certain et présente un caractère suffisant d'évidence, ce qui suffit à justifier la saisie-arrêt qui a été ordonnée, à bon droit, par l'ordonnance sur requête du 7 janvier 2016, peu important que la créance de la société A ne soit pas exigible au regard de l'avenant qu'elle a conclu le 3 novembre 2010 avec la société B et la société E ;

Qu'il convient, en conséquence, d'infirmer l'ordonnance déférée, sans qu'il soit nécessaire de se fonder sur le jugement du Tribunal d'arrondissement de Luxembourg du 18 mai 2015 qui a admis au passif chirographaire de la faillite de la société B, la créance de la société A ;

Qu'il n'est pas non plus utile d'examiner le bien-fondé de l'argumentation de la société B tenant à un prétendu « conflit d'intérêts manifeste » résultant de la circonstance que le représentant légal de la société A est lui-même actionnaire de la société B, à l'existence d'un même conseil dans différentes procédures, et au fait que la société SOLIDUS est susceptible de se heurter, en cas d'assignation au fond devant la juridiction luxembourgeoise au principe de l'arrêt des poursuites en matière de procédure collective, de telles considérations, étrangères à l'objet de la présente procédure, ne constituant pas une contestation sérieuse ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant publiquement et contradictoirement,

Reçoit l'appel,

Infirme l'ordonnance de référé rendue le 24 février 2016,

Y ajoutant,

Dit que l'ordonnance du 7 janvier 2016 recevra plein effet,

Condamne la société B aux dépens de la procédure de référé et d'appel, distraits au profit de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable,

Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,

Composition🔗

Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, Monsieur Paul CHAUMONT, Conseiller, assistés de Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en chef adjoint, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles,

Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,

Lecture est donnée à l'audience publique du 31 MAI 2016, par Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en chef adjoint, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, en présence de Monsieur Jacques DOREMIEUX, Procureur Général.

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