Cour d'appel, 26 avril 2016, La Société A. c/ La Société B. et La Société D.

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Abstract🔗

Marque – Notoriété – Interdiction d'usage (oui) – Concurrence déloyale (oui)

Résumé🔗

La société A. sollicite le bénéfice des dispositions de l'article 5 de la loi n° 1.058 du 10 juin 1983, selon lequel « le titulaire d'une marque notoirement connue au sens des dispositions des conventions internationales visées à l'article 2 peut demander l'annulation du dépôt ou l'interdiction de l'usage d'une marque susceptible de créer une confusion avec la sienne ». Pour apprécier le bienfondé de la demande d'interdiction d'usage formée par l'appelante, il convient d'examiner si les marques « E.» et « F. » dont elle est titulaire, peuvent être qualifiées de notoires au sens de ce texte et des conventions internationales exécutoires à Monaco, auxquelles il renvoie. Le Tribunal a rappelé à juste titre l'exposé des motifs de la loi n° 1.058 du 10 juin 1983, selon lequel la notoriété ne doit pas être strictement appréciée sur le plan national en raison du caractère exigu du territoire, mais plutôt au plan international, une marque d'une importante renommée à l'étranger pouvant ne pas avoir d'ores et déjà pénétré le marché national, du fait notamment de sa dimension réduite pouvant selon le secteur concerné, être peu propice à la promotion de certains produits. Par ailleurs, l'article 6 bis de la Convention de Paris, exécutoire à Monaco, fait référence au caractère notoire d'une marque, sans pour autant la définir.

Il convient également de se référer à la recommandation adoptée lors de la 34ème série de réunions des assemblées des États membres de l'OMPI concernant la protection des marques notoires, qui invite les autorités compétentes, pour déterminer la notoriété, à considérer notamment :

  • Le degré de connaissance ou de reconnaissance de la marque dans le secteur concerné du public, sans qu'il soit nécessaire d'exiger que la marque soit connue de l'ensemble du public,

  • La durée, l'étendue et l'aire géographique de toute utilisation de la marque,

  • La durée et l'aire géographique de tout enregistrement, ou demande d'enregistrement de la marque dans la mesure où elles reflètent l'utilisation ou la reconnaissance de la marque,

  • Le secteur concerné du public, au regard des consommateurs effectifs ou potentiels des produits ou services auxquels la marque s'applique, des personnes appartenant aux circuits de distribution des dits produits ou service, et des milieux économiques ayant des activités liées à ces produits et services.

En l'espèce, c'est par une juste appréciation des faits de la cause que le Tribunal a décidé que la société A. était titulaire des marques « E. » et « F. », notoirement connues, de sorte qu'elle est recevable à demander l'interdiction de l'usage d'une marque susceptible de créer une confusion avec les siennes.

Les éléments de l'espèce démontrent la participation active des sociétés B. et D. dans la commercialisation de produits portant les marques « E. » et « F. » sans qu'il s'agisse de produits fabriqués par la société A., il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a fait interdiction à ces sociétés d'user des marques « E. » et « F. », sous astreinte de 1.000 euros par infraction constatée.

Se fondant sur les dispositions de l'article 1229 du Code civil, la société A., invoquant des actes déloyaux commis par les sociétés B. et D., sollicite leur condamnation solidaire à réparer le préjudice qu'elle subit. En cette matière, est considéré comme acte déloyal tout comportement qui s'éloigne de la conduite normale d'un professionnel avisé et qui, faussant l'équilibre dans les relations concurrentielles, rompt l'égalité des chances devant exister entre les concurrents dans un système d'économie libre. Il s'ensuit, ainsi que cela est d'ailleurs admis, qu'une faute même non intentionnelle, tenant à une absence de précautions nécessaires afin d'éviter un risque de confusion avec des produits concurrents, suffit à constituer un acte de concurrence déloyale sans qu'il soit nécessaire d'établir la mauvaise foi. Par ailleurs, il est admis que le simple risque de confusion constitue en soi un préjudice pour le trouble qu'il cause, indépendamment de toute preuve d'une perte de clientèle. En l'espèce, il a été démontré que les sociétés B. et D. ont participé à la commercialisation de produits sur lesquels figuraient les marques « E. » et « F. », ne provenant pas de la société A.. Loin de justifier qu'elles ont pris toutes les précautions nécessaires pour s'assurer de l'origine des produits qu'elles commercialisaient, il est établi qu'elles ont agi en toute connaissance de cause, ce que confirme également le document comptable, saisi au siège de la société B., dont elles ont eu nécessairement connaissance, faisant état des ventes du produit «I. », par la société G. à ses différents clients entre 2007 et 2009 et mentionnant l'identité de ses fournisseurs, qui sont, outre la société A., la société suisse H. pour une quantité de 288.000 litres et la société sud-africaine J. pour une quantité de 642.400 litres, sans lien avec la société A.. Les agissements ainsi commis, ayant eu pour objet et pour effet de générer une confusion auprès de la clientèle de la société A., ont permis aux sociétés intimées de tirer profit de la réputation de cette société et de la renommée de ses produits. Ces agissements constitutifs d'actes déloyaux ouvrent droit à réparation. La société A. fait état d'une perte de marge bénéficiaire qu'elle chiffre à la somme de 2.188.019 euros, retenant des ventes de produits litigieux par les sociétés intimées sur la période de juillet et août 2008 pour un volume de 655.900 litres et un préjudice moral résultant de l'atteinte à la valeur patrimoniale de ses marques ainsi qu'à sa réputation qu'elle évalue à la somme de 750.000 euros, en paiement desquelles elle sollicite la condamnation solidaire des sociétés intimées. Pour évaluer le préjudice résultant de la perte de marge bénéficiaire, il convient de considérer, comme l'a justement énoncé le Tribunal, les quantités pour lesquelles l'implication des sociétés intimées, chacune pour ce qui les concerne, est prouvée. Les sociétés intimées ont chacune pour leur compte commis des agissements déloyaux à l'origine d'un dommage, certes de même nature mais néanmoins distinct pour la société A., leur action conjointe ne pouvant être déduite de leur seule proximité. Dans ces conditions elles doivent être condamnées à la réparation du seul dommage qui leur est imputable, à l'exclusion de tout autre et qu'il ne peut en conséquence être prononcé à leur encontre une condamnation solidaire. Il en sera de même de la réparation du préjudice moral résultant de l'atteinte à la valeur patrimoniale des marques « E. » et « F. » ainsi qu'à la réputation de la société A..


Motifs🔗

COUR D'APPEL

ARRÊT DU 26 AVRIL 2016

En la cause de :

  • - La société A., de droit irlandais, immatriculée au registre des Sociétés (« Companies Registration Office »), sous le n° X, dont le siège social se trouve X1 à Dublin 15 en Irlande, agissant poursuites et diligences de son Président (« Chairman »), Monsieur p. SH., domicilié en cette qualité audit siège ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, plaidant par Maître Sylvain JUSTIER, avocat au Barreau de Paris, substitué par Maître Aliénor BOUVIER, avocat en ce même barreau ;

APPELANTE,

d'une part,

contre :

  • La société anonyme monégasque B., immatriculée au Répertoire du Commerce et de l'Industrie de Monaco sous le n° X, dont le siège social se trouve X2 à Monaco, prise en la personne de son liquidateur amiable, Monsieur Louis MAINGARD, demeurant et domicilié en cette qualité audit siège ;

  • La société anonyme monégasque D., immatriculée au Répertoire du Commerce et de l'Industrie de Monaco sous le n° X, dont le siège social se trouve X2 à Monaco, prise en la personne de son Président administrateur délégué, Monsieur Louis MAINGARD, demeurant et domicilié en cette qualité audit siège ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, plaidant par Maître Laure BAUDUCCO, avocat au Barreau de Toulon, substitué par Maître Julie ROTA, avocat en ce même barreau ;

INTIMÉES,

d'autre part,

LA COUR,

Vu le jugement rendu par le Tribunal de première instance, le 22 juillet 2014 (R.7090) ;

Vu l'exploit d'appel parte in qua et d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 13 novembre 2014 (enrôlé sous le numéro 2015/000049) ;

Vu les conclusions déposées les 20 janvier 2015 et 3 juin 2015 par Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, au nom de la société anonyme monégasque B. et de la société anonyme monégasque D. ;

Vu les conclusions déposées le 22 avril 2015 par Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur, au nom de la société A. ;

À l'audience du 1er mars 2016, ouï les conseils des parties en leurs plaidoiries ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel relevé par la société A. à l'encontre d'un jugement du Tribunal de Première Instance du 22 juillet 2014.

Considérant les faits suivants :

La société A. (ci-après dénommée la société A.), société de droit irlandais, fabrique et commercialise des produits phytosanitaires destinés à l'agriculture.

Elle est titulaire des marques verbales communautaires E. et F. pour les avoir déposées auprès de l'Office d'Harmonisation du Marché Intérieur (OHMI) dans le courant de l'année 1996.

Elle commercialise en Europe, notamment un herbicide à base de glyphosate, sous la dénomination « E.F.1. », pour lequel elle a obtenu en France une autorisation de mise sur le marché (AMM) sous la dénomination « E.F. ».

La société G., société de droit français, aujourd'hui radiée du Registre du Commerce et des Sociétés de Paris, ensuite d'une procédure de liquidation judiciaire, clôturée pour insuffisance d'actifs le 12 avril 2012, avait obtenu, en accord avec la société A., une AMM sur le territoire français de ce produit, sous la dénomination « I. », pour une importation parallèle.

Conformément à la réglementation européenne applicable, et afin d'assurer la traçabilité du produit, les étiquettes du « I. » devaient indiquer qu'il s'agissait d'un produit fabriqué par la société A., laquelle procédait elle-même à l'impression et à l'apposition des étiquettes « I. » sur son produit « E.F.1. », avant de le livrer à la société G..

Le 14 octobre 2009, la société A. était informée par la Direction Générale de l'Alimentation (DGAL) rattachée au Ministère de l'Agriculture en France, que des produits « I. » étaient susceptibles de contrefaire les marques E. et F..

Elle formait, en conséquence, une demande d'intervention auprès de la Direction Nationale Française du Renseignement et des Enquêtes Douanières qui aboutissait à la retenue de 85.600 litres (4.280 bidons) dans les locaux de la société K., filiale du groupe L. (L.), et apprenait par la suite que la société G. et la société monégasque B. étaient les expéditeurs des marchandises concernées.

C'est dans ces conditions que la société A. initiait en France trois procédures de saisie-contrefaçon, au siège de de la société L. à Paris, dans les locaux de la société K., et au domicile de Monsieur BANDRIER, ancien gérant de la société G..

Parallèlement, elle obtenait par ordonnance du 9 mars 2010, l'autorisation de faire procéder par huissier, dans les locaux de la société B. à Monaco, notamment à la description des produits argués de contrefaçon, à la saisie de deux échantillons, et à la remise de tous documents utiles.

Puis par assignation en date du 8 avril 2010, la société A. faisait citer la société B. et la SAM D. aux fins de :

  • - Constater que les défenderesses importent, commercialisent et vendent des produits phytosanitaires contrefaisant les marques « E. » et « F. »,

  • - Leur faire interdiction de faire usage, sur tous supports et à quelque titre que ce soit des marques « E. » et « F. » ou de toute imitation de celles-ci, sous astreinte de 10.000 euros par infraction constatée.

Par jugement en date du 15 décembre 2011, le Tribunal rejetait une exception d'appel en garantie présentée par les défenderesses.

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 23 janvier 2014, la société A., maintenant ses précédentes demandes, sollicitait en outre qu'il soit jugé que les sociétés défenderesses se sont rendues coupables d'actes de concurrence déloyale à son encontre, engageant leur responsabilité civile sur le fondement de l'article 1229 du Code civil, et qu'elles soient condamnées à lui payer, avec intérêt au taux légal à compter de l'assignation et capitalisation, les sommes de :

  • - 2.188.019 euros à titre de dommages et intérêts,

  • - 750.000 euros au titre du préjudice moral,

concluant au rejet des demandes reconventionnelles des sociétés B. et D., qui sollicitaient :

  • - À titre liminaire, la nullité de plein droit du procès-verbal de saisie du 24 mars 2010 et que soit constatée l'absence de fondement de l'assignation en validation de saisie-contrefaçon du 8 avril 2010,

  • - À titre principal, l'irrecevabilité de l'action de la société A.,

  • - À titre subsidiaire, la mise hors de cause de la société D. et la condamnation de la société A. à lui payer une somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, outre plus généralement le débouté de la société A. de toutes ses demandes, fins et conclusions,

  • - À titre reconventionnel, la condamnation de la société A. à payer aux sociétés D. et B. la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

  • - En tout état de cause, la condamnation de la société A. au paiement de la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'article 29 de la loi du 10 juin 1983 et sa condamnation aux dépens, avec distraction au profit de Maître Frank MICHEL, et la somme de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles.

Par jugement du 22 juillet 2014, le Tribunal a :

  • - Déclaré l'action de la société A. recevable ;

  • - Fait interdiction aux sociétés B. et D. de faire usage de quelque manière que ce soit, dans la Principauté de Monaco, des marques E. et F., sous astreinte provisoire de 1.000 euros par infraction constatée ;

  • - Condamné la société B. à payer à la société A. la somme de 1.100.000 euros à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale ;

  • - Rejeté le surplus des demandes de la société A. ;

  • - Débouté les sociétés B. et D. de leurs demandes reconventionnelles ;

  • - Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

  • - Condamné solidairement les sociétés B. et D. aux dépens distraits au profit de Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

Pour statuer ainsi, le Tribunal a retenu que :

  • - La nullité invoquée, tenant à une absence de saisine de la juridiction dans la quinzaine de la saisie la rendant nulle, est une nullité relative devant être soulevée avant toute discussion au fond, et sa présentation pour la première fois par conclusions du 9 octobre 2013, alors que les sociétés défenderesses ont conclu au débouté des demandes de la société A. le 28 juin 2012, la rend irrecevable,

  • - En tout état de cause, cette exception a été soulevée avec légèreté, puisqu'il est établi que deux copies de l'exploit d'assignation ont été laissées à une seule secrétaire mais à charge pour elle de les remettre aux deux sociétés défenderesses,

  • - La société A. n'ayant pas fait procéder à l'enregistrement des marques « A. » et « F. » à Monaco et l'enregistrement de droit de l'Union Européenne étant dépourvu d'effet en Principauté de Monaco, elle ne peut bénéficier de la protection prévue à l'article 3 de la loi n° 1.058 du 10 juin 1983,

  • - La société A. doit être reconnue comme titulaire des marques notoires « E. » et « F. » au sens de l'article 5 de la loi n° 1.058 du 10 juin 1983, lui ouvrant droit à demander l'interdiction de l'usage d'une marque susceptible de créer une confusion avec la sienne,

  • - Les étiquettes apposées sur les contenants de produits « I. », font apparaître le nom de la société A., permettant au consommateur de faire le lien nécessaire avec la société productrice,

  • - 85.600 litres de produits I. appartenant à la société G. suspectés de contrefaçon, présentaient pour certains des imitations des étiquettes originales des produits « I. » et « R. »,

  • - Les documents saisis au siège de la société B. établissent qu'elle a pu procéder à des achats de produits définis comme I. auprès d'au moins deux sociétés fabricantes, qui ne sont pas la société A., justifiant pour la protection des marques « E. » et « F. », qu'il lui soit fait interdiction d'utiliser ces noms,

  • - Cette même interdiction doit s'étendre à la société D., avec laquelle elle a partagé le même siège social et dont le dirigeant a eu des responsabilités au sein de la société B., alors de surcroit que cette société demeure seule en activité et que son objet social est l'achat et la vente de produits chimiques,

  • - La société B., qui a agi hors de son objet social, ne pouvait ignorer que la mention E. figurant sur les étiquettes de produit I. étaient nécessairement contrefaisantes puisqu'elle achetait ces produits aux sociétés H. et J., et qu'elle a elle-même réalisé certaines de ces étiquettes,

  • - Aucun élément produit ne démontre une implication de la société D.,

  • - La faute de la société B. a créé un préjudice économique à la société A., constitué par la perte de marge dont elle a été privée,

  • - Le préjudice doit être évalué à partir des quantités pour lesquelles l'implication de la société B. est prouvée, soit 304.000 litres correspondant aux quantités de produit qu'elle a commandées,

  • - Le préjudice purement économique s'évalue à la somme de 1.013.840 euros, en retenant une marge par litre de 3,335 euros, portant à 1.100.000 euros le préjudice total, toute cause confondue, compte-tenu de l'atteinte aux droits protégés,

  • - La nature constitutive de la condamnation impose que les intérêts ne courent qu'à compter du jugement,

  • - Aucune urgence ne justifie le prononcé de l'exécution provisoire de la décision.

La société A. a interjeté appel parte in qua de la décision.

Par assignation du 13 novembre 2014 et conclusions du 22 avril 2015, elle demande à la Cour de :

  • - « L'accueillir en son appel,

  • - Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

    • - Déclaré son action recevable,

    • - Fait interdiction aux SAM B. et D. de faire usage de quelque manière que ce soit, dans la Principauté de Monaco des marques E. et F., sous astreinte provisoire de 1.000 euros par infraction constatée,

    • - Retenu que la participation active de la société B. est démontrée et qu'elle a causé un préjudice économique à la société A.,

    • - Débouté les sociétés B. et D. de leurs demandes reconventionnelles ;

  • - Réformer les dispositions du jugement en ce qu'il a retenu :

    • - Une absence d'élément permettant de démontrer une implication de la société D.,

    • - Un préjudice total, toutes causes confondues d'un million cent mille euros,

  • - Dire et juger s'agissant des chefs de jugement devant être réformés que :

    • - Les sociétés B. et D. ont importé, commercialisé, vendu, offert à la vente et livré des produits phytosanitaires contrefaisant les marques communautaires E. et F. appartenant à la société A., et les droits d'auteur de cette dernière sur les étiquettes « E.F.1. » et « I. »,

    • - Les sociétés B. et D. ont tenté de créer une confusion auprès de la clientèle de la société A. en distribuant des milliers de litres d'herbicide après y avoir apposé volontairement et frauduleusement de fausses étiquettes « E.F.1. » et « I. », alors qu'ils n'avaient pas été fabriqués par l'usine de la société A., ce que savaient pertinemment les intimées,

    • - Les sociétés B. et D. se sont rendues coupables d'agissements interdits et illicites constitutifs d'actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société A., engageant nécessairement leur responsabilité sur le fondement de l'article 1229 du Code civil,

    • - Les sociétés B. et D. seront conjointement et solidairement condamnées à verser à la société A. les sommes de :

      • 2.188.019 euros, sauf à parfaire à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale commis au préjudice de la société A.,

      • 750.000 euros, sauf à parfaire, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi par la société A.,

  • - Dire que ces sommes, dont le total s'élève à 2.938.019 euros (sauf à parfaire) porteront intérêt au taux légal à compter de l'assignation, avec capitalisation des intérêts,

  • - Condamner conjointement et solidairement les sociétés B. et D. aux entiers dépens, en ce compris tous frais et accessoires, dont distraction au profit de Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur sous son affirmation de droit ».

Au soutien de ses demandes, elle fait valoir que :

  • - Le Tribunal a fait une juste application de l'article 264 du Code de procédure civile qui prévoit que toute nullité des actes de procédure est couverte, si elle n'est proposée avant toute discussion au fond,

  • - La signification de l'assignation a, en tout état de cause, été faite dans le respect des dispositions légales, copie ayant été remise au siège social des deux sociétés, chacune des assignations mentionnant le nom de la personne ayant reçu lesdites copies et s'étant déclarée habilitée à les recevoir,

  • - Sa demande d'interdiction d'usage de marque est fondée sur l'article 5 de la loi n° 1.058 du 10 juin 1983, à l'exclusion de l'article 3,

  • - La notoriété de sa marque, fondant sa demande d'interdiction d'usage, que l'article 5 prévoit, est établie au regard des critères énoncés par la loi et les conventions internationales qu'elle mentionne,

  • - Les allégations des intimées, selon lesquelles elle aurait activement participé à la contrefaçon qu'elle dénonce, ne sont pas établies et dénuées de bon sens,

  • - Les pièces produites démontrent que la société B. et la société D. ont participé, sans l'autorisation de la société A., à l'achat et à la commercialisation de produits en apparence identiques aux produits fabriqués par cette société et ont organisé la fabrication d'étiquettes de nature à créer la confusion,

  • - L'implication de la société D. est établie au regard de sa participation au protocole transactionnel conclu avec le groupe L., de son intervention dans l'achat, la vente et la livraison de quantités très importantes de produits contrefaisants, et dans le reconditionnement des bidons sur lesquels elle a fait apposer des étiquettes frauduleuses, mais aussi au regard des relations très étroites qu'elle entretient avec la société B.,

  • - Leurs agissements ayant pour but de créer une confusion dans l'esprit de la clientèle, afin de profiter de la notoriété de la société A. et de détourner tout ou partie de sa clientèle sont constitutifs d'une faute engageant leur responsabilité,

  • - Son droit à réparation résultant du trouble commercial provenant des agissements illégaux employés est d'autant plus incontestable qu'il est établi que les intimées sont parvenues à distribuer 988.000 litres de produits contrefaisants,

  • - La perte qu'elle a subie, limitée aux ventes effectuées par les intimées entre juillet et octobre 2008, représentant un volume de 655.900 litres, s'évaluent à la somme de 2.188.019 euros,

  • - La société G. n'a été qu'une société écran utilisée par les intimées pour commercialiser les produits contrefaisants mis sur le marché par leurs soins, ce que confirme la parfaite concordance entre les volumes commandés par la société B. auprès de la société H. et les volumes achetés par la société G. au cours de la même période,

  • - La minoration par le Tribunal de son préjudice moral, tenant à l'atteinte à la valeur patrimoniale des marques qu'elle détient et exploite depuis de nombreuses années et à sa réputation, n'est pas acceptable.

En réponse, et par conclusions des 20 janvier et 3 juin 2015, les sociétés B. et D. font valoir que :

  • - Le « F. » et le « I. » ne sont qu'une marque commerciale, donnée au produit de base glyphosate,

  • - La société A. ne produit au soutien de ses allégations concernant la société D. que des documents mentionnant le nom glyphosate,

  • - La société D. n'a jamais commercialisé de produit «I. » ou « R. »,

  • - La société B. a été partie à un protocole prévoyant que la créance de la société L. soit soldée en nature par notamment 58.400 litres de produits « I. », commandés auprès de la société G., réglés par la société A.,

  • - La copie de l'assignation en validation de la saisie contrefaçon n'a été remise qu'à la société D., à l'exclusion de la société B., de sorte que la saisie est nulle de plein droit en application de l'article 29 de la loi n° 1.058 du 10 juin 1983, entraînant une absence de fondement de l'assignation en validation de saisie-contrefaçon, justifiant l'allocation aux intimées de la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour les préjudices subis, tenant notamment à l'atteinte à l'image de marque et à la notoriété des sociétés,

  • - La société A. ne démontre aucun enregistrement à Monaco de la marque « E.F. », dont elle demande la protection, ses demandes étant dès lors irrecevables au visa de l'article 3 de la loi n° 1.058 du 10 juin 1983,

  • - La société A. ne peut se prévaloir de la notoriété de sa marque et obtenir en conséquence sa protection, de sorte qu'elle doit être déboutée de ses demandes,

  • - La société A. procède par voie d'affirmation sans rapporter aucune preuve de l'implication de la société D. dans les faits reprochés à la société B.,

  • - La mise en cause de la société D. dans le cadre de la présente instance est abusive et le jugement doit être réformé en ce que l'interdiction de faire usage des marques « E. » et « F. » vise cette société qui doit se voir allouer la somme de 50.000 euros en réparation de son préjudice,

  • - La société A. est impliquée dans les agissements qu'elle reproche à tort à la société B. et accessoirement à la société D., n'ayant pas réagi à la présence en France de 7 conteneurs de produits « I. », qu'elle savait ne pas avoir livrés, autrement que par la recherche d'une solution pour parvenir au double étiquetage,

  • - La société B. ne conteste pas avoir livré à la société L. 58.400 litres de produits « I. » qu'elle a achetés à la société G., en exécution du protocole intervenu,

  • - Les sociétés B. et D. ne sont pas concernées par la vente, par la société G. à la société L., de 1.252.140 litres de « I. »,

  • - Si la société G. s'est adressée à la société B. pour sa commandes d'étiquettes estampillées « I. », c'est parce qu'elles sont liées par une convention de gestion administrative et comptable, mais la société B. n'a participé à la confection d'aucune étiquette pour son propre compte,

  • - Du fait de la procédure abusive, initiée contre elles, les sociétés B. et D. éprouvent un préjudice tant financier que moral.

Elles demandent en conséquence à la Cour de :

  • « - Réformer la décision en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

  • À titre liminaire

  • - Déclarer nul de plein droit le procès-verbal de saisie établi par Maître ESCAUT MARQUET le 24 mars 2010,

  • - Constater l'absence de fondement de l'assignation en validation de saisie-contrefaçon en date du 8 avril 2010,

  • À titre principal,

  • - Déclarer la société A. irrecevable en son action,

Subsidiairement,

  • - Mettre hors de cause la société D.,

  • - Condamner la société A. à payer à la société D. la somme de 50.000 euros pour procédure abusive,

  • - Débouter la société A. de toutes ses demandes, fins et conclusions,

Reconventionnellement,

  • - Condamner la société A. à payer aux sociétés D. et B. la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

En tout état de cause

  • - Condamner la société A. à payer aux sociétés D. et B. la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la violation de l'article 29 de la loi du 10 juin 1983,

  • - Condamner la société A. aux entiers dépens de première instance et d'appel distraits au profit de Maître Frank MICHEL, sur son affirmation de droit, et à la somme de 10.000 euros au titre de dommages et intérêts complémentaires ».

SUR CE,

  • Sur la recevabilité des appels :

Attendu que la recevabilité des appels interjetés dans les forme et délai prescrits n'est pas discutée ;

  • Sur l'exception de nullité :

Attendu qu'aux termes de l'article 29 de la loi n° 1.058 du 10 juin 1983, la description ou la saisie est nulle de plein droit, sans préjudice des dommages-intérêts qui peuvent être réclamés s'il y a lieu, faute par le requérant de s'être pourvu, soit par la voie civile, soit par la voie correctionnelle, dans le délai de quinzaine ;

Attendu par ailleurs, que l'article 145 du Code de procédure civile prévoit qu'il doit être laissé une copie de l'exploit à chacune des personnes auxquelles la signification doit être faite ;

Attendu enfin, qu'aux termes de l'article 264 du Code de procédure civile, toute nullité d'exploit introductif d'instance sera couverte, si elle n'est proposée avant toute exception ou défense, autre que les exceptions de caution et d'incompétence et toute nullité des autres actes de procédures sera couverte, si elle n'est proposée avant toute discussion de ces actes au fond ;

Attendu en l'espèce, que les sociétés intimées concluent à la nullité de l'acte de saisie, invoquant un défaut de saisine de la juridiction civile dans le délai de 15 jours énoncé à l'article 29 de la loi n° 1.058 du 10 juin 1983 ;

Attendu que cette demande relève des prévisions de l'article 264 du Code de procédure civile et doit donc être formée avant toute défense au fond, comme l'a justement retenu le Tribunal, ce que ne contestent d'ailleurs pas les sociétés intimées ;

Attendu qu'il est constant en l'espèce, qu'elle a été formée tardivement par elles en première instance, dans leurs conclusions en date du 9 octobre 2013, ayant préalablement conclu le 28 juin 2012 au débouté des demandes de la société A. ;

Attendu dès lors que c'est à bon droit que le Tribunal a déclaré irrecevable l'exception de nullité invoquée ;

Attendu que le jugement sera confirmé sur ce point, sans même qu'il y ait lieu de se prononcer sur le défaut de saisine de la juridiction dans le délai prescrit que le Tribunal n'a pas retenu ;

  • Sur la recevabilité des demandes de la société A. :

Attendu qu'il résulte de l'article 3 de la loi n° 1.058 du 10 juin 1983, que pour bénéficier de la protection qu'il prévoit, le propriétaire d'une marque doit avoir procédé au dépôt de celle-ci auprès du service de la Propriété industrielle et obtenu son enregistrement ;

Attendu que la société A. n'a jamais prétendu avoir procédé à Monaco à l'enregistrement des marques E. et F. et ne soutient pas que l'enregistrement de droit de l'Union Européenne, qui en l'espèce a été réalisé, puisse produire un quelconque effet en Principauté ;

Mais attendu que les demandes qu'elle forme à l'encontre des intimées ne sont nullement fondées sur l'article 3 de la loi n° 1.058 du 10 juin 1983 ;

Attendu en effet que la société A. a indiqué fonder sa demande d'interdiction d'usage de ses marques sur l'article 5 de la loi n° 1.058 du 10 juin 1983 et sa demande de réparation de son préjudice sur l'article 1229 du Code civil ;

Attendu dans ces conditions que la fin de non-recevoir soulevée par les sociétés intimées, tenant à un défaut d'enregistrement des marques privant la société A. d'invoquer le bénéfice de l'article 3 de la loi du 10 juin 1983, doit être rejetée ;

  • Sur le bienfondé des demandes de la société A. :

Attendu que la société A. indique et justifie être seule titulaire des marques verbales communautaires « E. » et « F. » pour les avoir déposées auprès de l'Office d'Harmonisation du Marché Intérieur (OHMI) dans le courant de l'année 1996 et des droits d'auteur sur les étiquettes « E.F.1. » et « I. » ;

Attendu qu'elle admet ne pas être titulaire de la marque « I. », mais rappelle fabriquer le produit commercialisé en France sous cette marque par la société G., et qu'il est identique au produit « E.F. » qu'elle commercialise elle-même en France sous cette marque ;

Attendu en outre que le produit de marque « I. » est nécessairement associé à la marque « E » puisque figurait sur les étiquettes du produit « I. » la marque E., ainsi que sur le livret d'utilisation de ce produit, jusqu'au mois de mars 2009, le Ministère de l'agriculture français ayant exigé à compter de cette date le double étiquetage des produits « I. » ;

Attendu que la société A. précise, sans être contredite, qu'elle procédait elle-même à l'impression et à l'apposition des étiquettes « I. », sur son produit « E.F.1. », dans son usine de production située en Irlande, avant de procéder à la livraison du « I. » à la société G. ;

  • Sur la demande d'interdiction :

Attendu que la société A. sollicite le bénéfice des dispositions de l'article 5 de la loi n° 1.058 du 10 juin 1983, selon lequel « le titulaire d'une marque notoirement connue au sens des dispositions des conventions internationales visées à l'article 2 peut demander l'annulation du dépôt ou l'interdiction de l'usage d'une marque susceptible de créer une confusion avec la sienne » ;

Attendu que pour apprécier le bienfondé de la demande d'interdiction d'usage formée par l'appelante, il convient d'examiner si les marques « E. » et « F. » dont elle est titulaire, peuvent être qualifiées de notoires au sens de ce texte et des conventions internationales exécutoires à Monaco, auxquelles il renvoie ;

Attendu que le Tribunal a rappelé à juste titre l'exposé des motifs de la loi n° 1.058 du 10 juin 1983, selon lequel la notoriété ne doit pas être strictement appréciée sur le plan national en raison du caractère exigu du territoire, mais plutôt au plan international, une marque d'une importante renommée à l'étranger pouvant ne pas avoir d'ores et déjà pénétré le marché national, du fait notamment de sa dimension réduite pouvant selon le secteur concerné, être peu propice à la promotion de certains produits ;

Attendu par ailleurs que l'article 6 bis de la Convention de Paris, exécutoire à Monaco, fait référence au caractère notoire d'une marque, sans pour autant la définir ;

Attendu qu'il convient également de se référer à la recommandation adoptée lors de la 34ème série de réunions des assemblées des Etats membres de l'OMPI concernant la protection des marques notoires, qui invite les autorités compétentes, pour déterminer la notoriété, à considérer notamment :

  • Le degré de connaissance ou de reconnaissance de la marque dans le secteur concerné du public, sans qu'il soit nécessaire d'exiger que la marque soit connue de l'ensemble du public,

  • La durée, l'étendue et l'aire géographique de toute utilisation de la marque,

  • La durée et l'aire géographique de tout enregistrement, ou demande d'enregistrement de la marque dans la mesure où elles reflètent l'utilisation ou la reconnaissance de la marque,

  • Le secteur concerné du public, au regard des consommateurs effectifs ou potentiels des produits ou services auxquels la marque s'applique, des personnes appartenant aux circuits de distribution des dits produits ou service, et des milieux économiques ayant des activités liées à ces produits et services ;

Attendu en l'espèce qu'il résulte des pièces produites que la société A. commercialise de façon soutenue ses produits en Europe depuis 20 ans, que les marques « F. » et « E. » sont apposées sur ces produits et bénéficient d'une protection pour les avoir déposées auprès de l'Office d'Harmonisation du Marché Intérieur (OHMI) dans le courant de l'année 1996 ;

Attendu qu'ils font l'objet d'une publicité auprès des professionnels du secteur, qu'ils sont mentionnés dans des articles de revues spécialisées et apparaissent immédiatement lors d'une recherche sur Internet associant les mots « E. » et F. ;

Attendu qu'au regard des critères à retenir, il est inopérant de soutenir, comme le font les sociétés intimées, que les marques E. et F. n'auraient jamais fait la une des journaux populaires, et malvenu de déclarer qu'elles n'apparaissent pas dans les trois premières pages de recherche sur Internet sous la seule référence « E. », qui ne mentionnent que la banque du même nom ou la personne d'E. BA.;

Attendu que par mail du 28 janvier 2010, la société D. confirmait d'ailleurs la notoriété qu'elle conteste aujourd'hui, en exprimant ses regrets sur la provenance du produit « I. » vendu par elle, fabriqué par la société O. et non par la société A. ;

Attendu ainsi que c'est par une juste appréciation des faits de la cause que le Tribunal a décidé que la société A. était titulaire des marques « E. » et « F. », notoirement connues, de sorte qu'elle est recevable à demander l'interdiction de l'usage d'une marque susceptible de créer une confusion avec les siennes ;

  • Sur la mise en cause des sociétés B. et D. :

Attendu qu'il est constant que les marchandises litigieuses ayant fait l'objet de la retenue douanière, à l'origine de la procédure, ont été livrées d'une part, par la société G., et d'autre part par la société B. ;

Attendu qu'il s'agissait de bidons d'herbicide à base de glyphosate, revêtus pour partie d'un double étiquetage « E.F.1. » et « I. » et pour l'autre partie d'une étiquette unique « I. » mentionnant les marques « E. » et « F. » ;

Attendu que la société A. indique, sans être contredite, qu'elle n'a jamais vendu à la société B. de « I. », et justifie que l'autorisation de mise sur le marché que la société G. détenait, lui a définitivement été retirée le 1er avril 2010, en raison de la revente par ses soins de faux « I. » et de l'absence de sécurité en résultant ;

Attendu qu'il est établi par les pièces produites que les marchandises objet de la retenue, vendues par la société B. à la société L. pour une quantité de 58.400 litres, l'ont été dans le cadre d'un protocole d'accord intervenu le 14 mai 2009, entre cette dernière et trois sociétés monégasques, dont les sociétés B. et D., domiciliées à la même adresse et représentées à l'acte par Monsieur C, et qu'elles ont fait l'objet d'une facturation pour un montant de 234.768 euros, sans qu'il soit établi que ces marchandises aient été fournies par la société G. comme le prétendent les intimées ;

Attendu qu'il est également justifié d'une quantité identique de « I. » livrée par la société O. à la société B. ;

Attendu qu'il convient également de tenir compte :

  • Des courriers électroniques adressés par la société B. à la société H. lui confirmant les adresses de livraisons de produit « I. », fourni par celle-ci, pour une quantité totale de 288.000 litres,

  • De quatre factures émises par la société M., confirmant à la société B. ses commandes de « Glyphosate 360 », l'une d'entre elles mentionnant qu'il s'agit de « I. »,

  • D'un courrier adressé le 29 juillet 2008 par la société P. à la société B., confirmant l'envoi de 10.000 livrets I. à destination de la société M.,

  • De la télécopie adressée par la société B. à la société O. le 5 juin 2009, contenant instructions pour le reconditionnement et l'étiquetage des produits devant comporter une étiquette « I. » et une étiquette « F. » ;

Attendu qu'au regard de ces éléments, il ne fait aucun doute que la société B. a directement participé à la commercialisation de produits qui n'ont pas été fabriqués par la société A. mais sur lesquels ont été apposés les marques « E. » et « F. » ;

Attendu qu'il ne peut être sérieusement prétendu qu'aucune des pièces versées aux débats ne permet de démontrer une implication de la société D. ;

Attendu en effet que la participation de la société D. à la commercialisation des produits utilisant les marques « E. » et « F. » ne peut être contestée et résulte de :

  • D'une note financière indiquant qu'elle a vendu au 31 décembre 2009, 281.600 litres de « I. »,

  • D'échanges entre elle et la société N. faisant état d'une livraison de 20.320 litres de « I. »

  • De télécopies de février et mars 2010 de la société Q. à la société D., mentionnant un stock de plusieurs milliers d'étiquettes « I. » et d'étiquettes « mode d'emploi » ;

Attendu qu'un échange de courriers électroniques en janvier 2010 démontre que la société D. avait une parfaite connaissance de ce que le produit I. qu'elle vendait ne provenait pas de la société A., mais de la société O. ;

Qu'il convient également de tenir compte de la proximité des sociétés B. et D. tenant notamment à l'identité de siège social, à leur représentation par le même dirigeant, a C, au protocole d'accord intervenu le 14 mai 2009, prévoyant la livraison au bénéfice de la société L. de « I. d'origine BARCLAY », lequel s'est d'ailleurs présenté comme juriste de la société B. à l'occasion des opérations de saisie, et du transfert à la société D. du département « herbicide » depuis le 1er octobre 2010 par la société B., faisant suite au retrait d'autorisation de constitution intervenu par arrêté ministériel du 5 juillet 2010 et à sa liquidation ;

Attendu que les sociétés intimées font état d'une participation active de la société A. dans l'utilisation de ses marques sur les produits contrefaits, qui la priverait de son droit d'agir à leur encontre ;

Attendu à cet égard qu'il convient de noter que dès le 7 février 2009, Monsieur HE., directeur commercial pour l'Europe de la société A., attirait l'attention de son siège en Irlande, des difficultés rencontrées par leurs partenaires français, dans la commercialisation des produits soumis au régime de l'importation parallèle, en raison de l'exigence du double étiquetage imposée par la réglementation mise en œuvre par la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes et par la Direction Générale de l'Alimentation ;

Attendu qu'un échange de mails est ensuite intervenu au mois de mars 2009 entre les dirigeants de la société A. afin de parvenir à la recherche d'une solution pour satisfaire à cette exigence ;

Attendu qu'il n'est nullement établi que la société A. avait connaissance dès cette date de l'existence de produits contrefaits sur lesquels elle aurait sciemment décidé d'apposer un double étiquetage ;

Attendu que le mail du 16 avril 2009 émanant de Monsieur HE., qui s'inscrit dans le contexte de recherche d'une solution, ne l'établit pas davantage ;

Attendu en effet qu'aucun élément ne permet d'affirmer que le volume de « I. » en stock au sein de l'entrepôt de la société L., objet du mail en date du 16 avril 2009, serait supérieur à celui livré à la société G., par la société A., lui permettant de mesurer qu'il s'agissait nécessairement de produits contrefaits, de sorte que la faute imputée à cette dernière par les sociétés intimées, tenant à une participation active à l'usage de ses marques sur un produit qu'elle n'a pas fabriqué, à tout le moins à une négligence coupable, n'est pas démontrée ;

Attendu que la société A., lorsqu'elle a été officiellement informée au mois d'octobre 2009 des suspicions de contrefaçon, a immédiatement initié les procédures qui ont été rappelées ;

Attendu qu'au vu de l'ensemble de ces éléments, qui démontre la participation active des sociétés B. et D. dans la commercialisation de produits portant les marques « E. » et « F. » sans qu'il s'agisse de produits fabriqués par la société A., il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a fait interdiction à ces sociétés d'user des marques « E. » et « F. », sous astreinte de 1.000 euros par infraction constatée ;

  • Sur la demande de condamnation :

Attendu que se fondant sur les dispositions de l'article 1.229 du Code civil, la société A., invoquant des actes déloyaux commis par les sociétés B. et D., sollicite leur condamnation solidaire à réparer le préjudice qu'elle subit ;

Attendu qu'en cette matière, est considéré comme acte déloyal tout comportement qui s'éloigne de la conduite normale d'un professionnel avisé et qui, faussant l'équilibre dans les relations concurrentielles, rompt l'égalité des chances devant exister entre les concurrents dans un système d'économie libre ;

Attendu qu'il s'ensuit, ainsi que cela est d'ailleurs admis, qu'une faute même non intentionnelle, tenant à une absence de précautions nécessaires afin d'éviter un risque de confusion avec des produits concurrents, suffit à constituer un acte de concurrence déloyale sans qu'il soit nécessaire d'établir la mauvaise foi ;

Attendu que par ailleurs, il est admis que le simple risque de confusion constitue en soi un préjudice pour le trouble qu'il cause, indépendamment de toute preuve d'une perte de clientèle ;

Attendu en l'espèce qu'il a été démontré que les sociétés B. et D. ont participé à la commercialisation de produits sur lesquels figuraient les marques « E. » et « F. », ne provenant pas de la société A. ;

Attendu que loin de justifier qu'elles ont pris toutes les précautions nécessaires pour s'assurer de l'origine des produits qu'elles commercialisaient, il est établi qu'elles ont agi en toute connaissance de cause, ce que confirme également le document comptable, saisi au siège de la société B., dont elles ont eu nécessairement connaissance, faisant état des ventes du produit « I. », par la société G. à ses différents clients entre 2007 et 2009 et mentionnant l'identité de ses fournisseurs, qui sont, outre la société A., la société suisse H. pour une quantité de 288.000 litres et la société sud-africaine J. pour une quantité de 642.400 litres, sans lien avec la société A. ;

Attendu que les agissements ainsi commis, ayant eu pour objet et pour effet de générer une confusion auprès de la clientèle de la société A., ont permis aux sociétés intimées de tirer profit de la réputation de cette société et de la renommée de ses produits ;

Attendu que ces agissements constitutifs d'actes déloyaux ouvrent droit à réparation ;

Attendu que la société A. fait état d'une perte de marge bénéficiaire qu'elle chiffre à la somme de 2.188.019 euros, retenant des ventes de produits litigieux par les sociétés intimées sur la période de juillet et août 2008 pour un volume de 655.900 litres et un préjudice moral résultant de l'atteinte à la valeur patrimoniale de ses marques ainsi qu'à sa réputation qu'elle évalue à la somme de 750.000 euros, en paiement desquelles elle sollicite la condamnation solidaire des sociétés intimées ;

Attendu que pour évaluer le préjudice résultant de la perte de marge bénéficiaire, il convient de considérer, comme l'a justement énoncé le Tribunal, les quantités pour lesquelles l'implication des sociétés intimées, chacune pour ce qui les concerne, est prouvée ;

Attendu que la société A. ne peut se référer au document comptable de la société G., qui indique les quantités achetées par elle auprès des sociétés H. et J. entre 2007 et 2009, sans plus de précision, quand bien même il existerait une relation privilégiée entre la société G. et les sociétés intimées, alors qu'il n'est pas établi que les quantités mentionnées auraient toutes été commercialisées par les sociétés intimées, et alors qu'en outre ces quantités ne correspondent pas à celles sur la base desquelles la société A. chiffre sa perte de marge bénéficiaire ;

Attendu qu'il résulte d'une note saisie par l'huissier de justice au siège de la société B., que la société D. a commercialisé au 31 décembre 2009, 281.600 litres de « I. », mais que ce document ne suffit pas à établir l'origine douteuse du produit dans sa totalité, qui n'est pas autrement justifiée ;

Attendu que l'échange de mails en date du 7 octobre 2009 pour la livraison à la société N. de 20.320 litres de « I. » ne permet pas non plus d'affirmer qu'il s'agissait de produits contrefaits ;

Attendu qu'en définitive et en l'état des pièces produites, l'évaluation de la quantité de produits contrefaits à la commercialisation desquels la société D. a participé, ne peut se faire que par référence au nombre d'étiquettes mentionnées dans les télécopies de la société MARI faisant état de 4.000 étiquettes de « I. » et 8.000 étiquettes « mode d'emploi », destinées à être apposées sur un minimum de 8.000 bidons, dont la contenance, qui pourrait être de 20 litres, reste néanmoins incertaine ;

Attendu que la marge moyenne par litre ressort à 3,335 euros pour la société A., portant le préjudice économique subi du fait des agissements déloyaux commis par la société B. à la somme de 2.266.466 euros, mais qui doit être limité au montant de la demande, soit la somme de 2.188.019 euros ;

Attendu qu'il ne peut être alloué aucune somme en réparation du préjudice économique subi du fait des agissements déloyaux commis par la société D. compte tenu du montant limité de la demande de la société A., la quantité concernée restant en tout état de cause incertaine ;

Attendu que les sociétés intimées ont chacune pour leur compte commis des agissements déloyaux à l'origine d'un dommage, certes de même nature mais néanmoins distinct pour la société A., leur action conjointe ne pouvant être déduite de leur seule proximité ;

Attendu dans ces conditions qu'elles doivent être condamnées à la réparation du seul dommage qui leur est imputable, à l'exclusion de tout autre et qu'il ne peut en conséquence être prononcé à leur encontre une condamnation solidaire ;

Attendu qu'il en sera de même de la réparation du préjudice moral résultant de l'atteinte à la valeur patrimoniale des marques « E. » et « F. » ainsi qu'à la réputation de la société A. ;

Attendu que tenant compte de l'implication respectivement établie pour chacune des sociétés intimées dans cette atteinte, il y lieu de condamner la société B. au paiement de la somme de 200.000 euros et la société D. au paiement de la somme de 10.000 euros ;

Attendu que la décision étant constitutive de droit, la demande en paiement d'intérêts sur les sommes allouées à compter de l'assignation doit être rejetée, les intérêts au taux légal devant courir à compter du jugement sur la somme de 1.100.000 euros et à compter du présent arrêt sur le surplus ;

  • Sur les demandes reconventionnelles :

Attendu que les sociétés intimées qui succombent en leurs prétentions seront déboutées de leurs demandes en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive et violation des dispositions de la loi du 10 juin 1983 ;

Attendu qu'elles seront condamnées aux dépens de la présente procédure d'appel, au profit de la société A., avec distraction au bénéfice de Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur ;

Attendu qu'il convient de retenir, parmi les pièces produites, les mails de la société B. en date des 1er, 11 et 19 septembre et 9 octobre 2008 adressés à la société H., lui donnant instruction de livrer du « I. » qu'elle lui a commandé pour une quantité totale de 288.000 litres, de la confirmation d'achat de 112.000 litres de « I. » qu'elle a adressée à la société J., de la facture émise par la société M. le 3 mars 2009 pour l'achat de 221.200 litres de « I. », et des bons de livraison de 58.400 litres de « I. » émanant de la société O. en date des 1er, 2 et 16 juillet 2009, soit un total de 679.600 litres, les autres pièces produites étant impropres à établir que les transactions ont concerné le produit litigieux, soit qu'elles fassent référence au produit Glyphosate, sans précision de marque, soit qu'elles ne permettent pas d'en déterminer l'origine ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant publiquement et contradictoirement,

Reçoit la société A. en son appel et les sociétés B. et D. en leur appel incident,

Confirme le jugement du 22 juillet 2014, sauf en ses dispositions qui ont débouté la société A. de sa demande de condamnation formée à l'encontre de la société D. et celles qui ont limité son préjudice à la somme de 1.100.000 euros,

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Condamne la société B. à payer à la société A. la somme de 2.188.019 euros en réparation de son préjudice économique et la somme de 200.000 euros en réparation de son préjudice moral,

Condamne la société D. à payer à la société A. la somme de 10.000 euros en réparation de son préjudice moral,

Fait masse des dépens et dit qu'ils seront supportés à concurrence de ¾ par la SAM B. et ¼ par la SAM D., dont distraction au profit de Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur sous sa due affirmation,

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable,

Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,

Composition🔗

Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Monsieur Éric SENNA, Conseiller, faisant fonction de Président, Madame Virginie ZAND, Conseiller, Monsieur Paul CHAUMONT, Conseiller, assistés de Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en Chef Adjoint, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles,

Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,

Lecture est donnée à l'audience publique du 26 AVRIL 2016, par Monsieur Éric SENNA, Conseiller, faisant fonction de Président, assisté de Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en Chef Adjoint, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, en présence de Monsieur Jacques DOREMIEUX, Procureur Général.

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