Cour d'appel, 18 avril 2016, Ministère public c/ a. BA.
Abstract🔗
Recel - Détention de cartes d'identité appartenant à des tiers - Requalification en vol (non) - Absence de preuve d'une soustraction frauduleuse - Connaissance de l'origine frauduleuse - Cartes d'identité volées
Résumé🔗
Le prévenu, interpellé après avoir tenté d'échapper à un contrôle policier, était porteur de deux cartes d'identité françaises aux noms de tiers. Poursuivi pour recel, il affirme que la première lui a été confiée par son légitime propriétaire, un ami, alors que ce dernier déclare l'avoir perdue. Quant à la seconde pièce d'identité, son propriétaire affirme qu'elle lui a été volée au cours d'une soirée sur une plage un an auparavant. C'est à tort que le tribunal a requalifié ces faits en vol en l'absence de preuve d'une soustraction frauduleuse des documents litigieux par le prévenu. En revanche, dès lors que les cartes d'identité ne lui ont pas été remises et qu'il savait qu'ils n'avaient pas été perdues, il n'a pu avoir le moindre doute sur le fait qu'elles avaient été volées. Ainsi, étant détenteur de documents dont il ne pouvait ignorer l'origine frauduleuse, le prévenu s'est rendu coupable du délit de recel reproché. La relaxe sera donc infirmée.
Motifs🔗
Cour d'appel correctionnelle
Dossier PG n° 2014/000376
JT n° 2014/000003
ARRÊT DU 18 AVRIL 2016
En la cause du :
MINISTÈRE PUBLIC ;
APPELANT,
Contre :
a. BA., né le 27 novembre 1995 à Cannes (06) France, de Patrick et de GO. Sylvia, de nationalité française, intérimaire, demeurant X1 à La Bocca (06150) France ;
Prévenu de :
RECELS DE VOLS,
REFUS D'OBTEMPERER,
VIOLATION DE DOMICILE,
absent, représenté par Maître Charles LECUYER, avocat près la Cour d'appel de Monaco, commis d'office et plaidant par ledit avocat ;
INTIMÉ,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO, jugeant correctionnellement, après débats à l'audience du 14 mars 2016 ;
Vu le jugement contradictoirement rendu par le Tribunal de première instance jugeant correctionnellement le 23 novembre 2015 ;
Vu l'appel partiel interjeté le 26 novembre 2015 par le Ministère public, à titre principal ;
Vu l'ordonnance présidentielle en date du 13 janvier 2016 ;
Vu la citation, suivant exploit, enregistré, de Maître Patricia GRIMAUD-PALMERO, huissier, en date du 28 janvier 2016 ;
Vu les pièces du dossier ;
Ouï Paul CHAUMONT, Conseiller, en son rapport ;
Ouï le Ministère public en ses réquisitions ;
Ouï Maître Charles LECUYER, avocat pour a. BA., prévenu, en ses plaidoiries ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Par jugement contradictoire en date du 23 novembre 2015, le Tribunal correctionnel a, sous la prévention :
« 1) d'avoir à Monaco, le 14 février 2014, et en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, sciemment recelé un scooter de marque Yamaha, type T-Max, faussement immatriculé AC-875-WQ (F), provenant d'un vol commis le 18 novembre 2013 au Cannet (06) France, au préjudice de Monsieur d. RI..
DÉLIT prévu et réprimé par les articles 26, 27, 309, 325, 339 et 340 du Code pénal ;
2) d'avoir à Monaco, le 14 février 2014, et en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, étant conducteur d'un scooter de marque Yamaha, type T-Max, faussement immatriculé AC-875-WQ (F), omis de s'arrêter aux injonctions d'agents de l'autorité.
DÉLIT prévu et réprimé par les articles 10 alinéa 2 et 207 du Code de la route ;
3) de s'être à Monaco, le 14 février 2014, et en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, introduit dans le domicile d'un habitant, en l'espèce celui de Monsieur Magnus KO., sis X2 à Monaco, contre sa volonté.
DÉLIT prévu et réprimé par l'article 124 alinéa 1 du Code pénal ;
4) d'avoir à Monaco, le 14 février 2014, et en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, sciemment recelé deux cartes nationales d'identité françaises aux noms de Justin BO. et Sébastien RA..
DÉLIT prévu et réprimé par les articles 26, 27, 309, 325, 339 et 340 du Code pénal ;
- déclaré a. BA. coupable des délits de recel de vol d'un scooter de marque Yamaha, type T-Max, de refus d'obtempérer et de violation de domicile, et l'a relaxé du délit de recel de vol de deux cartes nationales d'identité françaises aux noms de Justin BO. et Sébastien RA.;
En répression, faisant application des articles visés par la prévention, ainsi que de l'article 392 du Code pénal,
- l'a condamné à la peine de TROIS MOIS D'EMPRISONNEMENT ;
- condamné, en outre, a. BA., solidairement aux frais.
Le Ministère public a interjeté appel partiel à titre principal de ladite décision le 26 novembre 2015 à l'encontre d a. BA..
Considérant les faits suivants :
Le 14 février 2014, à 15 h 09, a. BA., qui pilotait un scooter de couleur noire de marque YAMAHA, modèle T-MAX, immatriculé en France sous le numéro AC 875 WQ, refusait de se soumettre à un contrôle de police et s'enfuyait à vive allure avec son passager, n. EL YA., alors mineur.
Poursuivi, il franchissait un feu tricolore, une ligne blanche continue et se dirigeait dans une impasse à la hauteur du 44 boulevard du Jardin Exotique où il abandonnait le véhicule.
Il pénétrait à pied dans le jardin d'une villa située X2 appartenant à M. KO., traversait le salon de cette villa dont la baie vitrée n'était pas verrouillée, et rejoignait le boulevard.
Quelques minutes plus tard, il y était interpellé.
a. BA. était trouvé porteur de cartes nationales d'identité françaises aux noms de Sébastien RA. et de Justin BO..
Les vérifications concernant le cyclomoteur faisaient apparaître qu'il avait été volé le 18 novembre 2013 au préjudice de d. RI. et que sa véritable immatriculation était le CB 489 FV, l'immatriculation AC 875 WQ correspondant à celle d'un véhicule de marque BMW, série 1.
Entendu sous le régime de la garde à vue, a. BA. refusait de répondre aux questions des enquêteurs sinon à celle de savoir pourquoi il avait été retrouvé en possession de cartes d'identité appartenant à des tiers.
Une information était ouverte et a. BA. était placé en détention provisoire du 15 février au 26 mai 2014 puis sous contrôle judiciaire.
Interrogé par le juge d'instruction, il reconnaissait être le conducteur du scooter le jour des faits en précisant qu'il se doutait que cet engin avait été volé.
Il expliquait qu'il avait tenté de fuir sous l'effet de la peur parce qu'il savait qu'il n'était pas en règle n'ayant pas le permis.
Il prétendait que quelqu'un lui avait donné le scooter, deux semaines avant, qu'il n'avait rien payé, et ne voulait pas dévoiler l'identité du donateur car il risquait « d'avoir des problèmes ».
Il ne pouvait fournir d'explication concernant le changement de la plaque d'immatriculation du véhicule et reconnaissait s'être introduit dans la propriété de M. KO. lors de sa fuite (D60).
Sébastien RA. et Justin BO. étaient entendus sur commission rogatoire internationale, le premier, le 5 mai et le 6 juin 2014, le second, le 13 mai 2014.
Aux termes de l'instruction a. BA. était renvoyé devant le Tribunal correctionnel, pour, à Monaco, le 14 février 2014 :
- avoir sciemment recelé le scooter de marque Yamaha type T-Max faussement immatriculé AC 875 WQ provenant d'un vol commis le 18 novembre 2013 au préjudice de d. RI. ;
- étant conducteur de ce scooter, avoir omis de s'arrêter aux injonctions d'agents de l'autorité ;
- s'être introduit au domicile de Magnus KO., situé X2 à Monaco, contre sa volonté ;
- avoir sciemment recelé deux cartes nationales d'identité françaises aux noms de Justin BO. et Sébastien RA..
Par jugement contradictoire du 23 novembre 2015, le Tribunal correctionnel :
- a déclaré a. BA. coupable des délits de recel de vol du scooter, de refus d'obtempérer et de violation de domicile ;
- relaxé le prévenu du délit de recel de vol des cartes d'identité françaises aux noms de Justin BO. et Sébastien RA..
- l'a condamné à trois mois d'emprisonnement.
Pour motiver sa décision de relaxe, le Tribunal a énoncé que :
« Il persiste un doute sur la provenance du document appartenant à Sébastien RA. puisque l'enquête a permis d'établir que celui-ci est une connaissance d a. BA. et qu'il pense avoir perdu sa carte durant une soirée électro à Cannes. Il indique par ailleurs lors de ses observations recueillies par les services de police français qu'il ne voit pas pour quelle raison a. BA. lui aurait dérobé sa carte (¿).
Concernant la carte d'identité de Justin BO., a. BA. indique avoir trouvé cette carte dans le sable lors d'une soirée électro à Cannes.
La victime a déclaré aux services de police français s'être fait voler son portefeuille durant la soirée électro à Cannes, dans lequel sa carte d'identité était rangée.
Aucun élément du dossier ne permet de déterminer qu a. BA. aurait commis les faits de vol du portefeuille de Justin BO..
Cependant, en s'emparant d'un objet ne lui appartenant pas dans le but de le conserver et sans le ramener à un agent de police afin qu'il puisse être restitué à son légitime propriétaire, il doit être considéré qu'a. BA. s'est rendu coupable d'un vol commis en France durant l'été 2013.
Le délit de recel est un délit de conséquence, c'est-à-dire la suite d'un premier délit.
Ainsi, il se trouve absorbé par le vol dont il est la conséquence, qu'importe le lieu de commission du délit originel et ce principe trouvant à s'appliquer quand bien même l'auteur des faits n'aurait pas été condamné dans le pays où le délit originel a été commis puisqu'aux termes des articles 6, 9 et 10 du Code de procédure pénale, il était possible de juger en Principauté de Monaco les faits de vols commis en France durant l'été 2013.
Il convient donc de le relaxer de ce chef de prévention ».
Le 26 novembre 2015, le Ministère public a relevé appel partiel de ce jugement.
À l'audience, le Procureur général a précisé que cet appel était limité à la décision de relaxe d a. BA. du délit de recel de vol des cartes d'identité françaises aux noms de Justin BO. et Sébastien RA..
SUR CE,
Attendu que l'appel, relevé dans les formes et délais prescrits par les articles 406 et 411 du Code de procédure pénale est régulier et recevable ;
Attendu qu'aux termes de l'article 339 du Code pénal, ceux qui sciemment auront recelé des choses enlevées, détournées ou obtenues à l'aide d'un crime ou d'un délit seront punis des peines prévues à l'article 325 ;
Attendu qu'a. BA. a déclaré aux enquêteurs que Sébastien RA. était un ami qui lui avait confié sa carte d'identité il y a longtemps, qu'il avait retrouvé ce document une semaine auparavant et qu'il l'avait placé dans le passeport qu'il conservait avec lui ;
Que s'agissant de Justin BO., a. BA. leur a indiqué qu'il ne le connaissait pas et qu'il avait trouvé sa carte d'identité « aux plages électro de Cannes » lors d'une soirée (D35).
Que, le 5 mai 2014, Sébastien RA. a indiqué aux policiers que s'il avait fréquenté a. BA. dans le passé et joué au foot avec lui, il ne l'avait plus revu depuis septembre 2013 ;
Qu'interrogé sur sa carte d'identité il précisait qu'il l'avait perdue l'année précédente, soit en 2013, à la période des plages électro à Cannes (D103) et que :
« concernant le fait que a. BA. avait en sa possession ma carte d'identité, ce n'est pas toujours pas normal. Je ne lui ai jamais confié personnellement. Je reste persuadé de l'avoir perdue mais je ne sais pas dans quelle circonstance, certainement au cours d'une soirée électro de Cannes. Je ne pense pas qu'a. me l'aurait volé. Quand je le fréquentais, nous n'avons jamais eu de problèmes » (D120) ;
Que, lors de son audition par la police, le 13 mai 2014, Justin BO. a exposé qu'au cours d'une soirée électro sur les plages de Cannes au cours de l'été 2013, il s'était fait dérobé sa sacoche contenant notamment son portefeuille dans lequel se trouvait sa carte d'identité, que le vol avait eu lieu lors d'un mouvement de foule, qu'il n'avait pas eu le temps de voir le voleur, qu'il avait retrouvé sa sacoche vide de son contenu en fin de soirée, qu'il ne connaissait pas a. BA. et qu'il n'était pas normal que celui-ci ait sa carte d'identité en sa possession (D112) ;
Que les déclarations de Justin BO. sont conformes à celles recueillies lors de son dépôt de plainte pour vol de sa carte d'identité le 28 août 2013 (D108) ;
Attendu que, contrairement à ce qu'a décidé le Tribunal, il n'y a lieu, au regard de ces éléments, de requalifier le délit de recel en celui de vol dès lors qu'il n'est pas établi qu'a. BA. a soustrait frauduleusement les documents d'identité litigieux ;
Qu'il convient en revanche de déterminer si les éléments constitutifs du recel sont réunis ;
Attendu qu'il est constant que, lors de son interpellation, a. BA. a été trouvé détenteur des cartes d'identité appartenant à Justin BO. et à Sébastien RA.;
Que, s'agissant du document d'identité de Justin BO., a. BA. s'est borné à soutenir devant les policiers puis devant le Tribunal qu'il l'avait trouvé dans le sable à l'occasion d'une soirée « électro » à Cannes ;
Qu'il n'a pas affirmé, cependant, avoir pensé qu'il avait été perdu ;
Qu'au demeurant, si tel avait été le cas, il aurait entrepris des démarches pour le restituer à son propriétaire ou pour le remettre à un service de police ou de gendarmerie ou à tout autre service administratif compétent, plutôt que de le conserver avec lui pendant plusieurs mois ;
Qu'il a pu d'autant moins avoir cru à la perte de cette carte d'identité qu'il s'est retrouvé simultanément en possession d'un second document d'identité appartenant, cette fois, à Sébastien RA., que ce dernier a démenti lui avoir remis ;
Que, dès lors que ces deux cartes d'identité n'ont pas été remises à a. BA., et que celui-ci savait qu'elles n'avaient pas été perdues, il n'a pu avoir le moindre doute sur le fait qu'elles avaient été volées ;
Qu'en les détenant ainsi tout en connaissant leur origine frauduleuse, a. BA. s'est rendu coupable de recel ;
Attendu qu'il y a lieu, en conséquence, d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a relaxé de ce chef et, statuant à nouveau, de l'en déclarer coupable ;
Attendu que les circonstances et la personnalité du prévenu justifient le maintien de la peine prononcée, le jugement étant confirmé sur ce point ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO, statuant en matière correctionnelle, publiquement et contradictoirement en application de l'article 377 du Code de procédure pénale,
Reçoit l'appel ;
Infirme le jugement du Tribunal correctionnel du 23 novembre 2015 en ce qu'il a relaxé a. BA. du délit de recel de vol de deux cartes d'identité française aux noms de Justin BO. et de Sébastien RA.;
Statuant à nouveau,
Déclare a. BA. coupable de ce chef ;
Confirme le jugement sur la peine ;
Laisse les frais du présent arrêt à la charge du Trésor ;
Composition🔗
Ainsi jugé et prononcé en audience publique de la Cour d'appel de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le dix-huit avril deux mille seize, par Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller faisant fonction de Président, Madame Virginie ZAND, Conseiller, Monsieur Paul CHAUMONT, Conseiller, en présence de Monsieur Jacques DOREMIEUX, Procureur général, assistés de Madame Nadine VALLAURI, Greffier.