Cour d'appel, 23 février 2016, Monsieur m. BU. c/ La société A
Abstract🔗
Procédure civile - Article 177 du Code de procédure civile - Prescription quinquennale
Banques - Convention de compte courant - Manquement au devoir d'information - Nullité de la stipulation d'intérêts conventionnels
Résumé🔗
Dans le cadre du litige relatif à un compte courant professionnel opposant le client à sa banque, il appartient à la juridiction saisie d'apprécier le bien-fondé de la demande en paiement au vu des pièces produites et de tirer toutes conséquences de l'insuffisance de ces pièces à établir la réalité de la créance alléguée. Elle ne peut contraindre une partie à produire une pièce dont elle n'entend pas se prévaloir. La cour confirme en conséquence la décision qui a rejeté la demande de communication de pièces formée le client poursuivi sur le fondement des dispositions de l'article 177 du Code de procédure civile.
Compte tenu des irrégularités affectant le calcul des intérêts, la cour prononce la nullité de la stipulation d'intérêts conventionnels.
Compte tenu de sa qualité de « professionnel de la gestion d'immeubles, notoirement connu sur la place de MONACO et dans les communes françaises avoisinantes », le client était en mesure d'apprécier que les documents reçus de sa banque ne lui permettaient pas de vérifier la vérité des facturations d'agios appliqués mais il n'a formulé aucune contestation à ce titre avant le 13 février 2013, dans le cadre de l'action engagée à son encontre par la banque. La prescription quinquennale est ainsi acquise pour les relevés qu'il a reçus antérieurement au 13 février 2008.
La sanction de la nullité de la stipulation d'intérêts conventionnels est la substitution des intérêts au taux conventionnel par les intérêts au taux légal mais la banque ne produit aucun document permettent à la Cour d'établir et de vérifier le bien-fondé de la somme réclamée au titre des intérêts. La créance alléguée à ce titre n'est donc pas établie.
La créance de la banque s'établit à la somme totale de 86.629,35 euros, comprenant le montant de la créance en principal (81.684,41 euros) et les frais divers et commissions (4.944,94 euros). Cette somme est augmentée des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 6 juin 2011.
Motifs🔗
COUR D'APPEL
ARRÊT DU 23 FEVRIER 2016
En la cause de :
- Monsieur m. BU., né le 16 avril 1942 à Monaco, de nationalité française, administrateur de biens, demeurant à Monaco (98000) X et exerçant sous l'enseigne « m. BU. », X à Monaco ;
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par Maître m. CONCAS, avocat au Barreau de Nice ;
APPELANT,
d'une part,
contre :
- La SA A, société anonyme à directoire et conseil de surveillance, dont le siège est à Marseille (13006), X1, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Marseille sous le n°X, prise en la personne de son Président Directeur Général en exercice domicilié en cette qualité audit siège ;
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par Maître Marion ETTORI, avocat au Barreau de Marseille ;
INTIMÉE,
d'autre part,
LA COUR,
Vu le jugement rendu par le Tribunal de première instance, le 25 octobre 2012 (R.519) ;
Vu le jugement rendu par le Tribunal de première instance, le 8 janvier 2015 (R.2462) ;
Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 26 février 2015 (enrôlé sous le numéro 2015/000099) ;
Vu les conclusions déposées les 5 mai 2015, 6 octobre 2015 et 15 décembre 2015 par Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur, au nom de la société A S. A. ;
Vu les conclusions déposées les 23 juin 2015 et 17 novembre 2015 par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de m. BU. ;
À l'audience du 5 janvier 2016, ouï les conseils des parties en leurs plaidoiries ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
La Cour statue sur l'appel relevé par m. BU. à l'encontre des deux jugements du Tribunal de Première Instance en date des 25 octobre 2012 et 8 janvier 2015.
Considérant les faits suivants :
Pour les besoins de sa profession, une convention de compte courant a été conclue le 5 mai 2003, par Monsieur m. BU. auprès de la société A (ci-après dénommée société A).
Les conditions générales de la convention prévoient qu'elles s'appliquent aux comptes-courants ouverts par les professionnels et que le fonctionnement du compte est régi par les règles juridiques du compte-courant et les usages bancaires en France.
La clôture du compte est intervenue le 6 juin 2011, à l'initiative de la banque, mettant en demeure m. BU., par courrier en date du 26 mai 2011, d'avoir à payer la somme de 131.638,10 euros représentant le montant du solde débiteur.
Par assignation du 2 septembre 2011, la société A a saisi le Tribunal de Première Instance de Monaco d'une demande tendant à la condamnation de m. BU., sous le bénéfice de l'exécution provisoire, au paiement des sommes de :
131.652,99 euros en principal, augmentée des intérêts au taux conventionnel, avec capitalisation,
20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive.
Par jugement en date du 25 octobre 2012, la demande de communication de pièces formée par m. BU. a été rejetée.
Sur le fond, m. BU. s'est opposé aux demandes de la banque, invoquant un manquement à son devoir d'information, des dates de valeurs injustifiées et prohibées entraînant l'application de taux effectifs globaux erronés et abusifs, maintenant à titre subsidiaire sa demande de production d'éléments propres à justifier le principe de la créance de la banque, sollicitant en tout état de cause la condamnation de celle-ci au paiement des sommes de 20.000 euros et 10.000 euros à titre de dommages et intérêts, pour résistance abusive et pour procédure abusive et téméraire.
En réponse, la société A a fait valoir la prescription de l'exception de nullité de la stipulation d'intérêts conventionnels pour la période antérieure au 13 février 2008, ramenant sa créance à la somme de 130.118 euros, pour tenir compte de la substitution du taux légal au taux conventionnel appliqué, sanctionnant l'irrégularité affectant les TEG mentionnés, maintenant ses autres demandes formées dans son exploit introductif d'instance.
Par jugement du 8 janvier 2015, le Tribunal a :
- Déclaré prescrite l'exception de nullité des intérêts pour la période antérieure au 13 février 2008,
- Condamné m. BU. à payer à la société A la somme de 86.629,35 euros représentant le solde débiteur du compte 2400 250 129 C avec intérêts aux taux légal depuis le 6 juin 2011,
- Ordonné en application de l'article 1154 du Code civil français la capitalisation des intérêts échus pour une année,
- Débouté les parties du surplus de leur prétentions,
- Condamné m. BU. aux dépens de l'instance, y compris ceux réservés par jugement du 25 octobre 2012, avec distraction au profit de Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.
Pour statuer ainsi le Tribunal a retenu pour l'essentiel que :
- m. BU. ne critiquait pas le montant de la créance en principal ni celui des commissions et frais divers, retenus par son propre expert, dont il reste redevable,
- ne peuvent être discutés que les seuls intérêts relatifs aux relevés reçus dans les cinq ans précédant l'exception de nullité invoquée pour la première fois le 13 février 2013, compte-tenu de la prescription quinquennale prévue par l'article 1304 du Code civil français,
- la banque ne peut prétendre au paiement des intérêts contractuels, les décomptes d'agios ne précisant pas les nombres débiteurs servant de base de calcul, ou correspondant, pour certains, à l'arrêté fusionné de cinq comptes, et retenant pour les années 2008 à 2010 des dates de valeurs négatives rectifiées.
Par exploit d'huissier en date du 26 février 2015, Monsieur m. BU. a interjeté appel :
- du jugement rendu le 25 octobre 2012,
- et du jugement rendu le 8 janvier 2015, en ce qu'il a :
déclaré prescrite l'exception de nullité des intérêts pour la période antérieure au 13 février 2008,
condamné m. BU. à payer à la société A la somme de 86.629,35 euros représentant le solde débiteur du compte avec intérêts au taux légal depuis le 6 juin 2011,
ordonné en application de l'article 1154 du Code civil français la capitalisation des intérêts échus pour une année,
condamné m. BU. aux dépens.
Il fait valoir que :
Il a réclamé à la société A certaines pièces nécessaires à une meilleure approche du dossier telles que la facturation détaillée des agios et frais réclamés trimestre par trimestre, ainsi que la méthode de calcul des agios débités avec la justification trimestre par trimestre, et les conditions générales et particulières de la convention de compte courant, mais que le Tribunal, qui a relevé que les pièces demandées n'avaient pas été communiquées, n'a pas cru devoir faire droit à la demande de communication de pièces.
La société A n'a versé aux débats aucun décompte de créance, ventilant de manière précise chacun des postes et permettant au Tribunal d'apprécier le quantum des réclamations poste par poste, qui ne pouvait se contenter de retenir le montant de la somme en principal indiqué par l'expert, au seul motif que cette somme n'a pas été critiquée.
Le point de départ du délai de prescription peut être repoussé jusqu'à la date à laquelle le client victime a découvert le préjudice par lui subi, et qu'en l'espèce, il ne peut avoir commencé à courir, à défaut pour la banque d'avoir fourni les éléments permettant de déterminer le vice affectant le mode de calcul des intérêts.
Le Tribunal ne pouvait faire application de l'article 1154 du Code civil français, prévoyant la capitalisation des intérêts, alors que c'est par la faute du créancier, admise par le Tribunal qui l'a retenue pour écarter l'application des intérêts au taux conventionnel, qu'il n'a pu être procédé à la liquidation de la dette.
La banque a failli à son obligation d'information, en retenant des dates de valeurs anticipées ou différées qu'elle n'a pas justifiées et en s'abstenant de faire figurer sur les relevés les nombres débiteurs, privant l'emprunteur de toute vérification de la réalité des intérêts débiteurs facturés.
m. BU. demande en conséquence à la Cour de :
- Le déclarer recevable et fondé en son appel,
- Infirmer le jugement du 25 octobre 2012 ayant rejeté la demande de communication de pièces,
- Enjoindre avant la poursuite du débat de fond devant la cour, à la société A d'avoir à communiquer l'ensemble des factures détaillées des agios et frais réclamés pour chaque trimestre de la période considérée, la méthode de calcul des agios débités avec la justification de chaque somme pour chaque trimestre de ladite période, et la convention de compte courant incluant outre les conditions générales, les conditions particulières,
- Infirmer le jugement du 8 janvier 2015, en toutes ses dispositions,
- Dire et juger que la société A a manqué à son devoir d'information à son égard,
- Constater que la demande de la société A ne repose que sur des calculs erronés à partir de dates de valeurs injustifiées et prohibées entrainant l'application de taux (TEG), tout aussi erronés et abusifs et qu'elle doit donc être purement et simplement rejetée,
- Déclarer nuls depuis l'origine les TEG calculés sur ces bases erronées,
- Constater que la société A ne verse pas aux débats, les éléments justifiant le principe et le quantum de sa demande.
En conséquence et au principal
- Débouter la société A de l'intégralité de ses prétentions,
Subsidiairement et avant dire droit,
- Ordonner la production par la société A avant la poursuite de tout débat au fond, des pièces suivantes dans le délai qu'il plaira à la Cour de fixer à savoir :
L'acte sous seing privé signé par Monsieur m. BU. visant le compte n° 2400 250 129 qui a été conservé par la banque à des fins prétendues d'enregistrement et que celle-ci ne lui a jamais retourné,
Les échelles d'intérêts permettant de vérifier les facturations des intérêts débiteurs portant sur le compte 2400 250 129 et sur les autres comptes fusionnés portant les numéros 2400 2501133Y, 2400 2501135S, 2400 250136T et 2400 250137U,
L'indication des nombres débiteurs dans les décomptes d'agios de la banque,
Le relevé trimestriel et annuel des frais et agios avec la justification de chaque somme et les extraits de compte 2400 250 129 C, 2400 2501133Y, 2400 2501135S, 2400 250136T, 2400 250137U et 2400 250138 et 2400 250139 et 2400 250140 depuis leur ouverture jusqu'à fin 2011,
La convention de compte courant incluant outre les conditions générales, les conditions particulières,
- Dire qu'à défaut d'une telle production, la société A sera de plus fort déboutée de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
En tout état de cause
- Condamner la société A lui à payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en raison de sa procédure abusive et téméraire,
- La condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel distraits au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat défenseur, sous sa due affirmation.
Par conclusions en réponse en date des 5 mai, 6 octobre et 15 décembre 2015, la société A demande à la Cour de :
- Débouter m. BU. des fins de ses appels,
- Confirmer le jugement avant dire-droit du 25 octobre 2012,
- Confirmer le jugement au fond du 8 janvier 2015 en ce qu'il a :
Déclaré prescrite l'exception de nullité des intérêts pour la période antérieure au 13 février 2008,
Condamné m. BU. à lui payer la somme de 86.629,35 euros représentant le montant en capital, frais et commissions, du solde débiteur du compte 2400 250 129 C avec intérêts au taux légal depuis le 6 juin 2011,
Ordonné, en application des articles 1154 du Code civil français la capitalisation des intérêts échus pour une année,
Condamné m. BU. aux dépens de l'instance, y compris ceux réservés par jugement du 25 octobre 2012 avec distraction au profit de Maître Didier ESCAUT, avocat défenseur,
- Recevoir la société A en son appel incident,
- Réformer pour le surplus le jugement du 8 janvier 2015 et statuant de nouveau,
- Dire et juger que la sanction applicable en cas de non-respect par un établissement financier de l'exigence de l'écrit en matière de taux conventionnel, est la substitution du taux légal au taux conventionnel appliqué,
- Donner acte à la société A qu'elle a pour la période non prescrite, soit à compter du 13 février 2008 jusqu'à la date de clôture du compte, procédé à cette substitution,
- Donner acte à la société A qu'elle ramène le quantum de sa créance en intérêts à la somme de 25.023,18 euros,
- Condamner m. BU. à lui payer la somme de 25.023,18 euros avec intérêts légaux à compter du 6 juin 2011,
- Dire et juger en application de l'article 1154 du Code civil français que les intérêts échus depuis plus d'un an auront vocation à se capitaliser,
- Débouter m. BU. de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- Condamner m. BU. au paiement de la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis du fait de l'appel dilatoire et manifestement abusif,
- Le condamner aux entiers dépens, tant de première instance et d'appel, distraits au profit de Maître Didier ESCAUT, avocat défenseur, sur son affirmation et sur le fondement de l'article 699 du Code de procédure civile.
La société A fait valoir pour l'essentiel que :
- Elle n'entend pas utiliser d'autres pièces que celles versées aux débats, de sorte que c'est par une juste appréciation que le tribunal a, dans son jugement avant dire droit, décidé que la demande de communication fondée sur l'article 177 du Code de procédure civile, ne pouvait aboutir,
- m. BU. a eu connaissance durant toute la période de fonctionnement du compte des TEG afférents aux découverts successifs de sorte qu'il ne peut se prévaloir d'aucun report du point de départ du délai de prescription quinquennale et que les intérêts perçus par la banque sur la période antérieure au 13 février 2008 ne peuvent plus être valablement contestés,
- La sanction applicable à l'absence des nombres débiteurs qu'elle admet, est la substitution du taux conventionnel appliqué au découvert, par le taux légal, ce qu'elle a fait, ramenant sa créance en intérêts à la somme de 11.409 euros, mais n'a pas pour effet d'entrainer la déchéance du droit à intérêts,
- Elle a supprimé les dates de valeurs négatives, désormais prohibées, et positives conduisant à une restitution en intérêts de la somme de 1.943 euros pour les années 2008, 2009 et 2010,
- m. BU. ne conteste ni le montant du capital emprunté, ni le montant des frais et commissions prélevés par la banque, que l'expert qu'il a lui-même missionné a fixé aux sommes de 81.684,41 euros et 4.944,94 euros dont il reste redevable,
- Elle a vocation à conserver les intérêts conventionnels prélevés sur le compte jusqu'au 13 février 2008, soit la somme de 15.557,18 euros,
- Les intérêts au taux légal à compter de cette date s'élèvent à la somme de 11.409 euros, de sorte qu'après déduction de la somme de 1.943 euros correspondant au trop perçu en intérêts, sa créance au titre des intérêts doit être fixée à la somme de 25.023,18 euros.
- La demande d'expertise faite par Monsieur BU. à titre subsidiaire n'est pas justifiée, compte-tenu du calcul de sa créance, effectué conformément aux prescriptions légales.
En réponse, m. BU. a fait valoir par conclusions des 23 juin et 20 novembre 2015 que :
- Il s'est heurté au refus de la banque de transmettre tous documents lui permettant de comprendre le mode de calcul des intérêts débiteurs qui lui ont été facturés et il reste dans l'attente d'un décompte clair et non équivoque de sa créance en principal et intérêts,
- L'emprunteur dispose d'un délai de 5 ans pour agir à compter du jour où l'erreur affectant un TEG est révélée, et qu'il a eu connaissance du vice affectant la clause d'intérêt que postérieurement à la conclusion du contrat,
- La mention du calcul des intérêts sur 360 jours entraîne la nullité de la clause d'intérêt figurant au contrat et cette nullité peut être soulevée plus de 5 ans après la souscription du contrat par une personne profane,
- La mention d'un TEG erroné entraîne la déchéance totale du droit aux intérêts,
- Le rapport de Monsieur COLOMBANI a mis en évidence les irrégularités affectant les intérêts facturés par le jeu des dates de valeurs anticipées, par l'impossibilité d'exploiter les TEG calculés jusqu'au 31 décembre 2008, en raison d'une fusion des comptes, et par le défaut d'indication des paramètres « nombres débiteurs »,
- Le montant global de la créance de la banque est invérifiable compte-tenu de ses irrégularités.
Il demande en conséquence à la Cour de :
- Le déclarer recevable et fondé en son appel,
- Infirmer les décisions attaquées en toutes leurs dispositions et statuant à nouveau,
- Dire et juger que la société A a manqué à son devoir d'information à son égard,
- Constater que la demande de la société A ne repose que sur des calculs erronés à partir de dates de valeurs injustifiées et prohibées entrainant l'application de taux (TEG), tout aussi erronés et abusifs et doit donc être purement et simplement rejetée,
- Déclarer nuls depuis l'origine les TEG calculés sur ces bases erronées,
- Constater que la société A ne verse pas aux débats, les éléments justifiant le principe et le quantum de sa demande.
En conséquence et au principal,
- Débouter la société A de l'intégralité de ses prétentions,
Subsidiairement et avant dire droit,
- Ordonner la production par la société A avant la poursuite de tout débat au fond, des pièces suivantes dans le délai qu'il plaira à la Cour de fixer à savoir :
L'acte sous seing privé signé par Monsieur m. BU. visant le compte n° 2400 250 129 qui a été conservé par la banque à des fins prétendues d'enregistrement et que celle-ci ne lui a jamais retourné,
Les échelles d'intérêts permettant de vérifier les facturations des intérêts débiteurs portant sur le compte 2400 250 129 C et sur les autres comptes fusionnés portant les numéros 2400 2501133Y - 2400 2501135S - 2400 250136T et 2400 250137U,
L'indication des nombres débiteurs dans les décomptes d'agios de la banque,
Le relevé trimestriel et annuel des frais et agios avec la justification de chaque somme et les extraits de compte 2400 250 129 C - 2400 2501133Y - 2400 2501135S - 2400 250136T - 2400 250137U - 2400 250138 - 2400 250139 - et 2400 250140 depuis leur ouverture jusqu'à fin 2011,
La convention de compte courant incluant outre les conditions générales, les conditions particulières,
- Dire qu'à défaut d'une telle production, la société A sera de plus fort déboutée de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
En tout état de cause,
- Condamner la société A lui à payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en raison de sa procédure abusive et téméraire,
- La condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel distraits au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat défenseur, sous sa due affirmation.
Subsidiairement, si la Cour venait à considérer le rapport COLOMBANI, comme non contradictoire,
- Désigner tel expert judiciaire qu'il plaira à la Cour avec mission identique à celle qui a été amiablement confié à Monsieur COLOMBANI et ce aux frais avancés de la société A.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.
SUR CE,
Les appels, interjetés dans les formes et délais prescrits par le Code de procédure civile, sont recevables ;
1° - L'appel du jugement du 25 octobre 2012
Attendu qu'aux termes de l'article 177 du Code de procédure civile, le Tribunal ordonne que les parties se communiquent réciproquement, avant les plaidoiries, dans un délai qu'il fixera pour l'une et pour l'autre, des écritures préparatoires ou conclusions motivées, ainsi que les pièces dont elles entendront faire usage ;
Attendu que l'objet de cet article est d'assurer la communication, dans le respect du contradictoire, de toutes les pièces dont chaque partie entend faire état dans le cadre de l'instance, à l'appui de ses demandes ou prétentions ;
Attendu qu'il ne résulte pas des dispositions de cet article qu'il peut être invoqué par l'une des parties pour obtenir de l'autre partie communication de pièces qu'elle est susceptible de détenir, mais dont elle n'entend pas pour autant faire état à l'appui de sa demande ;
Attendu en l'espèce, que la société A indique avoir communiqué toutes les pièces dont elle entend faire état, ce que ne conteste pas m. BU., qui considère que les pièces produites sont insuffisantes à établir le bien fondé des prétentions de la banque et la réalité de la créance qu'elle invoque ;
Attendu qu'il appartient à la juridiction saisie d'une demande en paiement, d'en apprécier le bien-fondé au vu des pièces produites et de tirer toutes conséquences de l'insuffisance de ces pièces à établir la réalité de la créance alléguée, sans qu'elle puisse sur le fondement de l'article 177 du Code de procédure civile contraindre à produire une pièce, la partie qui n'entend pas s'en prévaloir ;
Attendu dans ces conditions que c'est à bon droit que le Tribunal a rejeté la demande de communication de pièces formée par m. BU. sur le fondement des dispositions de l'article 177 du Code de procédure civile ;
Attendu que le jugement du 25 octobre 2012 doit être confirmé ;
2° - L'appel du jugement du 8 janvier 2015
Attendu que pour fixer la créance de la société A à la somme de 86.629,35 euros avec intérêts aux taux légal depuis le 6 juin 2011 et capitalisation des intérêts échus pour une année, le Tribunal a considéré que :
- N'étaient contestés ni le montant du capital emprunté, soit 81.684,41 euros, ni le montant des commissions et frais divers, soit la somme de 4.944,94 euros,
- La banque avait satisfait à son devoir d'information et aux prescriptions de l'article 1907 du Code civil français, la convention liant les parties mentionnant un taux effectif global et Monsieur BU. ayant reçu sans protestation ni réserve les décomptes d'agios trimestriels mentionnant les taux pratiqués,
- En application des dispositions de l'article 1304 du Code civil, l'exception de nullité soumise à la prescription quinquennale ne peut concerner que les seuls intérêts relatifs aux relevés reçus dans les cinq ans qui précèdent la demande faite pour la première fois le 13 février 2013,
- En raison des irrégularités contenues dans ces relevés, la banque ne peut prétendre au paiement des intérêts contractuels,
- Les intérêts au taux légal courent à compter de la date de la clôture du compte,
- La capitalisation des intérêts doit être ordonnée par application des dispositions de l'article 1154 du Code civil français et dans les conditions qu'il fixe.
3° - Le rapport de Monsieur COLOMBANI
Attendu que s'il est exact que la société A n'a versé aux débats aucun décompte de créance ventilant poste par poste le montant des sommes réclamées, il ne fait pas de doute que ce décompte a été établi par l'expert COLOMBANI, que Monsieur BU. a lui-même missionné, et dont il souligne la qualité et la précision du travail ;
Attendu qu'à l'issue de son analyse, qualifiée de complète et sérieuse par Monsieur BU., Monsieur COLOMBANI a déterminé la composition de la créance invoquée par la société A, après avoir établi un récapitulatif pour le compte concerné des intérêts débités, des commissions entrant dans le calcul des TEG et des frais divers ;
Attendu que de ce récapitulatif, il résulte que le total des intérêts facturés par la banque s'élève à la somme de 45.023,64 euros, tandis que les frais et commissions ont été facturés à hauteur de 4.944,94 euros ;
Attendu que le montant de la créance en principal, qui s'élève à la somme de 81.684,41 euros, résulte d'une simple opération mathématique et correspond au montant de la somme totale réclamée duquel ont été déduites les sommes facturées par la banque au titre des intérêts d'une part et commissions et frais divers d'autre part ;
Attendu que s'agissant des intérêts facturés, l'expert a constaté que :
- Jusqu'au 30 septembre 2008, ont été facturés sur le compte litigieux, les intérêts de quatre autres comptes sans que le détail en soit communiqué, ne permettant aucune vérification ;
- La banque a tenu compte de dates de valeurs anticipées ou différées entraînant le doublement moyen du nombre de jours d'intérêts facturés ;
- L'absence d'éléments communiqués tenant au Nombres Débiteurs ne permet pas de vérifier les TEG affichés qui sont en tout état de cause, erronés, compte-tenu des dates de valeur retenues ;
Attendu que c'est en raison des irrégularités qu'il a constatées, affectant le calcul des intérêts, que l'expert indique en conclusion de son rapport que la créance alléguée par la société A est invérifiable, sans remettre en cause le montant de la créance en principal, ni la somme réclamée au titre des commissions et frais divers, que la société A ne conteste pas ;
Attendu que retenant les griefs formulés par Monsieur COLOMBANI, le tribunal a, à juste titre, considéré que la banque ne peut prétendre au paiement des intérêts contractuels qu'elle sollicite ;
Attendu que la sanction de la déchéance des intérêts conventionnels prononcée par le Tribunal, qui résulte nécessairement de la nullité de la stipulation d'intérêts conventionnels écartée à tort par les premiers juges, n'est critiquée ni par m. BU., ni par la société A laquelle admet, au moins pour partie, ses manquements et ne pas avoir satisfait à l'égard de Monsieur BU., à son obligation d'information ;
Attendu qu'ainsi, ne reste à examiner par la Cour que l'intervention d'une prescription, retenue par le Tribunal que m. BU. conteste, et les conséquences de la nullité de la stipulation d'intérêts conventionnels sur lesquelles les parties s'opposent ;
4° - L'intervention d'une prescription
Attendu qu'aux termes de l'article 1304 du Code civil français, l'action en nullité d'une convention dure cinq ans, ce délai ne courant dans le cas de violence que du jour où elle a cessé et en cas d'erreur ou de dol, du jour où ils ont été découverts ;
Attendu qu'il est admis que le point de départ de la prescription de l'action en nullité de la stipulation de l'intérêt conventionnel est la réception de chacun des écrits indiquant ou devant indiquer le TEG appliqué ;
Attendu en l'espèce, que l'exception de nullité de la stipulation d'intérêts conventionnels a été invoquée pour la première fois par Monsieur BU., le 13 février 2013 ;
Attendu que m. BU. considère avoir eu connaissance des erreurs affectant les documents bancaires, et notamment les décomptes d'intérêts, à la lecture du rapport de Monsieur COLOMBANI, en date du 1er février 2013, de sorte qu'il estime qu'aucune prescription ne peut lui être opposée ;
Mais attendu qu'il ne conteste pas avoir reçu trimestriellement durant toute la période de fonctionnement du compte, des décomptes d'agios ;
Attendu que s'il peut être admis, avec Monsieur COLOMBANI, que ces documents ne permettaient pas de vérifier la vérité des facturations d'agios appliqués, il n'est pas douteux que Monsieur BU., en sa qualité déclarée de « professionnel de la gestion d'immeubles, notoirement connu sur la place de MONACO et dans les communes françaises avoisinantes » était en mesure d'apprécier qu'aucun des documents qu'il recevait ne lui permettait de vérifier la vérité des facturations d'agios appliqués ;
Attendu que cependant Monsieur BU. n'a formulé aucune contestation sur les relevés reçus trimestriellement avant le 13 février 2013, dans le cadre de l'action engagée à son encontre par la banque, de sorte que sa demande en nullité de la stipulation conventionnelle figurant sur les relevés qu'il a reçus antérieurement au 13 février 2008, doit être rejetée, la prescription quinquennale prévue par les dispositions légales, étant acquise à la date de sa demande ;
Que le jugement doit être confirmé sur ce point ;
5° - Les conséquences de la nullité de la stipulation d'intérêts conventionnels
Attendu que la nullité de la stipulation d'intérêts conventionnels ayant été prononcée à compter du 13 février 2008, la banque qui l'admet, ne peut plus prétendre à compter de cette date au paiement des intérêts conventionnels ;
Mais attendu que contrairement à ce qu'affirme Monsieur BU., la nullité prononcée n'entraîne pas pour le créancier la déchéance de son droit à intérêts ;
Attendu qu'il est unanimement admis que la sanction de la nullité de la stipulation d'intérêts conventionnels est la substitution des intérêts au taux conventionnel par les intérêts au taux légal ;
Attendu que la stipulation conventionnelle figurant sur les relevés reçus antérieurement au 13 février 2008 doit, en l'absence d'annulation, recevoir application ;
Attendu que la banque affirme que le montant des intérêts au taux contractuel pour la période allant jusqu'au 13 février 2008, s'élève à la somme de 15.557,18 euros ;
Mais attendu que cette somme ne résulte pas des décomptes d'agios établis pour cette période, dont la valeur probante en l'absence de certification reste insuffisante ;
Attendu qu'elle déclare par ailleurs que le montant des intérêts au taux légal, appliqués en remplacement des intérêts au taux conventionnel, s'élève à la somme de 11.409 euros, de laquelle il convient de déduire la somme de 1.943 euros, correspondant aux intérêts devant être restitués après rétablissement du compte pour tenir compte des dates effectives d'opérations en remplacement des dates de valeur négatives prohibées ;
Mais attendu que les documents produits, consistant dans des relevés de compte, sur lesquels ne figure pas même d'intitulé, ne permettent pas à la Cour d'établir et de vérifier le bien-fondé de la somme que la banque réclame au titre des intérêts ;
Attendu que dans ces conditions la créance alléguée au titre des intérêts n'est pas établie ;
6° - Le montant de la créance de la banque
Attendu qu'en définitive, la créance de la banque s'établit à la somme totale de 86.629,35 euros, telle que fixée par le Tribunal, comprenant outre le montant de la créance en principal, qui s'élève à la somme de 81.684,41 euros, la somme de 4.944,94 euros au titre des frais divers et commissions ;
Attendu que la somme allouée devra être augmentée des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 6 juin 2011, sans que puisse être ordonnée la capitalisation des intérêts, au détriment de Monsieur BU. qui ne saurait supporter les conséquences dommageables des manquements commis par la banque dans l'établissement de ses décomptes, retardant au moins pour partie l'apurement de la dette ;
7° - Les demandes de dommages et intérêts
Attendu que les demandes de dommages et intérêts formées par les parties qui succombent respectivement en leurs prétentions doivent être rejetées ;
Sur les demandes formées à titre subsidiaire par Monsieur BU.
Attendu qu'il n'y a pas lieu de faire droit aux demandes formées par m. BU. à titre subsidiaire, tendant à la production de pièces et à l'instauration d'une mesure d'expertise, les pièces produites par les parties ayant permis à la Cour de se prononcer sur le bien-fondé des prétentions respectives des parties ;
Attendu dans ces conditions que le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a ordonné la capitalisation des intérêts dus depuis plus d'une année ;
Attendu que les parties succombant partiellement en leurs prétentions, il y a lieu de compenser les dépens entre elles par application de l'article 232 du Code de procédure civile ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,
statuant publiquement et contradictoirement,
Dit les parties recevables en leurs appels,
Confirme le jugement du 25 octobre 2012,
Confirme le jugement du 8 janvier 2015, sauf en ce qu'il a ordonné la capitalisation des intérêts échus pour une année,
Statuant à nouveau du chef infirmé,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 1154 du Code civil français et déboute la société A de sa demande de capitalisation des intérêts,
Y ajoutant,
Déboute les parties de leur demande de dommages et intérêts,
Déboute Monsieur m. BU. de ses demandes subsidiaires de communication de pièces et tendant à voir ordonner une mesure d'expertise,
Ordonne la compensation totale des dépens,
Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,
Composition🔗
Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Virginie ZAND, Conseiller, Monsieur Éric SENNA, Conseiller, assistés de Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en chef adjoint, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles,
Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,
Lecture est donnée à l'audience publique du 23 FÉVRIER 2016, par Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en chef adjoint, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, en présence de Mademoiselle Cyrielle COLLE, substitut du Procureur Général.