Cour d'appel, 26 janvier 2016, Monsieur l. MA. c/ La Société M

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Abstract🔗

Contrat de travail - Salaires - Atteinte au principe de l'égalité de traitement (non) - Éléments objectifs d'appréciation - Méthode d'évaluation des salariés non discriminante - Critères en adéquation avec la nature des fonctions et des responsabilités

Résumé🔗

La charge de la preuve de l'atteinte au principe de l'égalité de traitement incombe au salarié qui s'en prévaut, tandis que l'employeur doit, en cas de différence de salaire avérée, justifier des raisons objectives présidant à cette disparité. En l'espèce, l'analyse comparative détaillée des situations respectives des caissiers du Grand Change n'appelle aucune critique en ce qu'elle repose sur des éléments objectifs et sur la combinaison des notes obtenues au sein de chacune des catégories retenues. Il s'induit des mécanismes d'évaluation mis en place que l'employeur attend de ses caissiers changeurs le comportement normal de tout salarié lié à son employeur par un lien de subordination, outre certaines compétences et aptitudes spécifiques inhérentes aux particularismes de leur mission. Le caractère objectif et non discriminant de la méthode d'évaluation se justifie au regard des attentes connues de l'employeur concerné qui souhaite un cumul de compétences chez ses caissiers changeurs et applique indifféremment à tous ses employés de caisse le même système de notation. De plus, les critères qualifiés de déterminants par l'employeur apparaissent en totale adéquation avec la nature des fonctions et des responsabilités des caissiers du Grand Change. Enfin, l'élaboration des fiches d'évaluation s'est faite en collaboration avec le syndicat des caissiers et n'a suscité aucune réaction de la Direction du travail.


Motifs🔗

COUR D'APPEL

ARRÊT DU 26 JANVIER 2016

En la cause de :

  • - Monsieur l. MA., né le 8 mai 1972 à Nice, de nationalité monégasque, demeurant X, 98000 Monaco,

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Patrice LORENZI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

APPELANTE,

d'une part,

contre :

  • - La société anonyme monégasque dénommée SOCIÉTÉ M, dont le siège social est sis X, 98000 Monaco, prise en la personne de son Président Délégué en exercice, demeurant et domicilié en cette qualité audit siège,

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

INTIMÉE,

d'autre part,

LA COUR,

Vu le jugement rendu par le Tribunal du Travail, le 18 décembre 2014 ;

Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 4 février 2015 (enrôlé sous le numéro 2015/000090) ;

Vu les conclusions déposées les 5 mai, 6 octobre et 1er décembre 2015 par Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de la SAM SOCIÉTÉ M ;

Vu les conclusions déposées les 14 juillet et 12 novembre 2015 par Maître Patrice LORENZI, avocat-défenseur, au nom de l. MA. ;

À l'audience du 15 décembre 2015, ouï les conseils des parties en leur plaidoiries ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel relevé par l. MA. à l'encontre d'un jugement du Tribunal du Travail du 18 décembre 2014.

Considérant les faits suivants :

l. MA. est employé par la société anonyme monégasque dénommée SOCIÉTÉ M (ci-après M) en qualité de caissier changeur au Grand Change.

Ce salarié a, ensuite d'un procès-verbal de non-conciliation en date du 15 octobre 2012, attrait la société M devant le bureau de jugement du Tribunal du Travail à l'effet d'obtenir sa condamnation au paiement des sommes suivantes :

  • - 10.681,63 euros bruts à titre de rappel de salaire pour la période de mai à décembre 2007,

  • - 12.331,41 euros bruts à titre de rappel de salaire pour la période de janvier à décembre 2008,

  • - 12.040,75 euros bruts à titre de rappel de salaire pour la période de janvier à décembre 2009,

  • - 9.947,66 euros bruts à titre de rappel de salaire pour la période de janvier à décembre 2010,

  • - 10.561,89 euros bruts à titre de rappel de salaire pour la période de janvier à décembre 2011,

  • - 5.653,43 euros bruts à titre de rappel de salaire pour la période de janvier à mai 2012,

  • - 5.000 euros à titre de dommages et intérêts.

Il a également sollicité la régularisation de ses bulletins de salaire, déclarations et cotisations sociales.

Par un premier jugement du 20 février 2014, le Tribunal du Travail a :

  • « - ordonné la réouverture des débats afin que la société anonyme monégasque Société M fournisse des explications et justifie objectivement, compte tenu notamment de la nature des fonctions et des responsabilités exercées par les caissiers du Grand Change, du caractère plus ou moins déterminant de tel ou tel « critère de compétence » mentionné sur les notations, en apportant tous commentaires nécessaires sur chaque évaluation annuelle générale de l. MA. depuis le 1er août 2007,

  • - dit que l. MA. formera, le cas échéant, dans un second temps des demandes subsidiaires pour tirer les conséquences du fait que certaines de ses évaluations annuelles ne seraient pas objectivement justifiées,

  • - sursis à statuer sur les demandes de l. MA.,

  • - réservé les dépens en fin de cause ».

Suivant jugement rendu le 18 décembre 2014, le Tribunal du Travail a débouté l. MA. de l'intégralité de ses demandes de rappels de salaire et de dommages-intérêts tout en le condamnant aux dépens du jugement et la société M à ceux réservés par la décision du 20 février 2014.

À l'appui de cette décision, les premiers juges ont pour l'essentiel retenu que :

  • - la notation générale ne peut pas être seulement fonction du nombre de critères classés de manière majoritaire dans telle ou telle catégorie (« excellent », « bon », « moyen ») mais doit tenir compte de l'appréciation d'autres critères fondamentaux comme le respect des procédures, les connaissances comptables, l'autonomie et la capacité à prendre des décisions, et le cas échéant d'autres critères liés au comportement,

  • - une telle position a été retenue de manière uniforme pour tous les employés, étant précisé que les critères qualifiés comme déterminants par l'employeur sont en adéquation avec la nature des fonctions et les responsabilités des caissiers du Grand Change,

  • - l'attribution des notes « bons » ou « excellents » apparait justifiée tant pour l. MA. que pour o. TR. et c. DE. en fonction des critères retenus,

  • - s'il est regrettable que la société M n'ait pas mis en place un système de coefficients plus clair afférents à chaque critère de compétence, le demandeur n'a cependant formulé aucune demande en paiement de dommages et intérêts pour solliciter la réparation d'un préjudice spécifique qui en est résulté,

  • - les situations évoquées des autres salariés c. MI. et c. DE. n'ont donné lieu à aucun traitement inégalitaire,

  • - l'octroi d'une faculté de contestation interne des notations individuelles ne peut résulter que d'une négociation collective, en sorte que le Tribunal du Travail n'a pas à statuer sur cette question.

Suivant exploit en date du 4 février 2015, l. MA. a régulièrement interjeté appel du jugement rendu par le Tribunal du Travail le 18 décembre 2014 signifié le 9 janvier 2015 dont il a sollicité la réformation en demandant à la Cour de :

  • - lui donner acte que la prescription édictée par l'article 2092 bis du Code civil s'applique bien aux demandes afférentes au mois de mai et juin 2007,

  • - dire et juger que sa demande est fondée et qu'il est recevable à solliciter le versement d'un salaire équivalent à celui versé aux employés accomplissant un travail similaire au titre de l'article 2-1 de la loi 739 du 16 mars 1963,

  • - condamner la société M à lui payer les sommes suivantes :

    • pour l'année 2007, de mai à décembre : 10.681,63 euros bruts,

    • pour l'année 2008, de janvier à décembre : 12.331,41 euros bruts,

    • pour l'année 2009, de janvier à décembre : 12.040,75 euros bruts,

    • pour l'année 2010, de janvier à décembre : 9.947,66 euros bruts,

    • pour l'année 2011, de janvier à décembre : 10.561,89 euros bruts,

    • pour l'année 2012, de janvier à mai : 5.653,43 euros bruts.

  • - condamner la société M à régulariser ces règlements au niveau des bulletins de salaire déclaration auprès de toutes les administrations intéressées,

  • - condamner la société M à lui verser la somme de 5.000 euros à titre de dommages intérêts pour tous préjudices confondus,

  • - condamner la société M aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Au soutien de ce recours, l. MA. expose en substance que :

  • - en vertu de la règle : « à travail égal, salaire égal » l'employeur est tenu d'assurer l'égalité des rémunérations entre tous les salariés employés conditions identiques c'est-à-dire qui accomplissent le même travail,

  • - pour étayer ses revendications il produit l'ensemble de ses revenus depuis l'année 2007 jusqu'au mois de mai 2012 et, à titre de comparaison, ceux de Monsieur n. CH. qui appartient également aux caissiers de la caisse du Grand Change et dont les rémunérations sont beaucoup plus importantes alors qu'il occupe un poste similaire,

  • - la société M n'a pas répondu favorablement à sa demande de rappel de salaires au motif que sa rémunération serait déterminée en fonction de l'accord collectif signé en janvier 2003 prévoyant une grille de salaires,

  • - il ne peut être porté atteinte au principe édicté par l'article 2-2 de la loi n°739 du 16 mars 1963 interdisant d'octroyer un salarié de l'un des deux sexes une rémunération inférieure à celle des salariés de l'autre sexe pour un même travail ou un travail de valeur égale,

  • - le Tribunal du Travail a rendu deux décisions successives dont la motivation serait contradictoire, puisqu'après avoir exposé la nécessité de respecter le principe « à travail égal, salaire égal », les premiers juges ont admis que le système mis en place par l'employeur n'était pas clair et qu'aucune contestation de la notation ne s'avérait possible,

  • - la décision entreprise n'a pas davantage tenu compte du fait que l'accord collectif dont la société M se prévaut n'est plus applicable puisque sa direction a adressé un courrier aux salariés pour les informer que l'accord arrivant à échéance le 31 octobre 2012 ne serait pas prolongé en sorte que la décision rendue par le Tribunal du Travail le 20 février 2014 devra être réformée par la Cour d'appel.

La SOCIÉTÉ M, intimée, entend pour sa part voir la Cour :

  • - dire et juger que la Cour n'est pas saisie d'un appel à l'encontre du jugement avant-dire droit du 20 février 2014 et que ce faisant l. MA. n'est pas recevable à remettre en cause les termes dudit jugement,

  • - déclarer l. MA. irrecevable en toutes ses contestations relatives à ce jugement,

  • - dire et juger que les demandes de l. MA. antérieures au 22 juin 2007 sont prescrites,

  • - confirmer le jugement du 18 décembre 2014 en toutes ses dispositions,

  • - débouter l. MA. de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions et le condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.

La société M développe en particulier les moyens suivants :

  • Sur la prescription :

    • La prescription quinquennale édictée par l'article 2092 bis du Code civil applicable à l'action des salariés a été interrompue en l'espèce le 21 juin 2012, date de la saisine du bureau de conciliation du Tribunal du Travail en sorte que les demandes de rappel de salaire concernant la période antérieure au 22 juin 2007 sont prescrites, ce que reconnaît au demeurant l. MA..

  • Sur le fond :

    • - l'acte d'appel et d'assignation délivré le 4 février 2015 ne concernait que le jugement rendu le 18 décembre 2014 alors que le jugement du 20 février 2014 n'a pas été soumis à la censure de la Cour en sorte qu'il est désormais définitif,

    • - la différence de traitement entre Monsieur CH. et l. MA. résulte du positionnement initial de ces deux salariés dans leur grille respective et de l'évolution de leur rémunération en application de l'accord du 14 janvier 2003 ayant mis en place un système d'individualisation des salaires reposant sur des critères objectifs étrangers à toute discrimination,

    • - par jugement avant-dire droit du 20 février 2014 il a été fait application de ce principe et il a été jugé que la réalité de ce système était indéniablement objectif et n'avait pas été contestée,

    • - le principe « à travail égal, salaire égal » n'interdit pas à l'employeur d'individualiser les rémunérations de salariés qui accomplissent un travail si aucune discrimination n'en résulte,

    • - il a été déjà jugé à de multiples reprises que le système d'avancement basé sur l'accord du 14 janvier 2003 ne générait aucune discrimination,

    • - les situations de Messieurs CH. et MA. n'étaient pas comparables, le premier exerçant le métier de caissier changeur depuis le 1er juin 1993 et le second seulement depuis le 1er août 2007, la mise en place de l'accord du 14 janvier 2003 avec l'accord des représentants du personnel ayant abouti à l'attribution au profit de chacun des salariés d'un échelon en fonction de sa rémunération antérieure et de l'expérience acquise,

    • - le Tribunal du Travail a, dans son jugement du 20 février 2014, constaté que le nouveau positionnement de l. MA. s'expliquait de façon objective,

    • - la société M a en effet répondu à l'injonction qui lui a été faite par la décision avant-dire droit du Tribunal du Travail de justifier de la nature des fonctions et des responsabilités exercées,

    • - le salarié appelant n'établit pas plus qu'il ne l'a fait en première instance en quoi le système d'évaluation mis en place ou son mode d'application présenterait un caractère discriminatoire, alors même qu'il n'a formulé aucune demande de rappel de salaire pour tirer les éventuelles conséquences d'une notation qui ne serait pas objective,

    • - aucun argument opérant ne peut être tiré du fait que l'accord arrivant à échéance le 31 octobre 2012 n'a pas été renouvelé, et ce, d'autant que les demandes non prescrites formulées par l. MA. sont relatives à une période pendant laquelle l'accord du 14 janvier 2003 était en vigueur.

l. MA., réitérant par conclusions en réponse le bénéfice de son acte d'appel et d'assignation tendant à la réformation du jugement rendu le 18 décembre 2004 par le Tribunal du Travail, précise que rien ne l'oblige à interjeter appel du jugement avant-dire droit du 20 février 2014 et ce, par application des dispositions de l'article 423 du Code de procédure civile, puisque cette décision a simplement donné une réouverture des débats et a sursis à statuer sur ses demandes en sorte qu'aucune censure ne doit être soumise à l'appréciation de la Cour concernant cette décision.

Il précise que depuis le mois de mai 2010, les caissiers la société M contestent la disparité de rémunération qui existe entre eux et qu'ils n'ont au demeurant pas signée le 30 mars 2012 la nouvelle convention collective créant selon lui une inégalité supplémentaire entre les salariés.

Il estime que la société M refuse tout règlement amiable de sa propre situation dans la mesure où il était le Secrétaire Général du Syndicat des Caisses lors des grèves du mois de mai 2010.

l. MA. fait valoir que la différence annuelle de ses propres rémunérations avec celle de Monsieur CH., également caissier à la caisse du Grand Change, est incontestable, alors même que le poste exercé est similaire. S'il ne conteste pas l'ancienneté plus importante de Monsieur CH., l'appelant estime que l'évolution de ce salarié n'est pas objectivement justifiée. Il observe à cet égard que le Tribunal du Travail a sollicité par sa décision avant-dire droit des explications complémentaires de la société M pour déterminer les critères de compétence présidant à l'octroi d'échelons complémentaires, mais que cet employeur n'a pas justifié le système créé qui apparaît en réalité source de discriminations importantes.

Il s'estime en définitive en droit de prétendre au même traitement que celui de Monsieur CH., la seule différence justifiée procédant de leur prime d'ancienneté.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.

SUR CE,

  • Sur la recevabilité de l'appel formé par l. MA.

Attendu que suivant l'acte du huissier du 4 février 2015, l. MA. a interjeté appel selon les termes énoncés dans le dispositif de cet exploit « de la décision rendue par le Tribunal de Travail à la date du 18 décembre 2014, signifiée le 9 janvier 2015 » et ce, même si en page 9 dudit exploit, il est incidemment mentionné que la décision du 24 février 2014 doit être réformée par la Cour d'appel et ce, sans aucun grief ni motif sous-tendant une telle affirmation, qui n'apparaît au demeurant pas reprise dans le dispositif de l'acte d'appel ;

Attendu que la société M ayant excipé de l'irrecevabilité de la demande de réformation du jugement du 20 février 2014, l. MA. répond que rien ne l'oblige à interjeter appel de la décision avant-dire droit du 24 février 2014 ayant simplement ordonné une réouverture des débats et ayant sursis à statuer sur ses prétentions ;

Attendu qu'il résulte des dispositions de l'article 423 du Code de procédure civile que les jugements qui tranchent dans le dispositif une partie du principal et ordonnent une mesure provisoire peuvent être immédiatement frappés d'appel, comme les jugements qui tranchent tout le principal, alors que les autres jugements ne peuvent être frappés d'appel qu'en même temps que le jugement sur le fond ;

Attendu que la Cour n'apparaît dès lors pas saisie de plein droit de l'appel formé sur le jugement avant-dire droit par le seul effet de l'appel interjeté à l'encontre du jugement sur le fond, mais doit en revanche statuer sur le bien-fondé des griefs articulés par l'appelant à l'encontre des deux jugements s'ils sont frappés d'appel conjointement après la décision sur le fond ;

Attendu que par application des dispositions de l'article 427-2° du Code de procédure civile, l'appel interjeté à titre principal est formé par un exploit d'assignation qui, à peine de nullité, contient notamment l'exposé des griefs et les motifs à l'appui ;

Que si l. MA. soumet en l'espèce à la censure de la Cour, de façon claire et non équivoque, le jugement du 18 décembre 2014 signifié le 9 janvier 2015, ainsi que cela résulte de la mention expressément apposée en page 2 de l'exploit d'appel du 4 février 2015 et surtout en page 10 du dispositif de cet acte d'huissier, la seule allusion incidente (en page 9) à la réformation de la décision du 20 février 2014, ne saurait caractériser un appel au sens des dispositions légales précitées, à défaut de tout exposé des griefs et motifs à l'appui, un tel formalisme étant nécessaire dans le cadre de l'appel conjoint visé par l'article 423 du Code de procédure civile et ce, contrairement à ce qui est soutenu par l. MA. qui estime à tort pouvoir se dispenser de tout formalisme ;

Qu'il s'ensuit que seul l'appel dès lors interjeté à l'encontre du jugement du 18 décembre 2014 apparait recevable, le jugement rendu le 20 février 2014 par le Tribunal du Travail apparaissant désormais définitif ;

  • Sur le fond

    Sur la prescription

Attendu que par application des dispositions de l'article 2092 bis du Code civil, l'action des ouvriers, gens de travail, domestiques pour le paiement de leurs salaires, indemnités, accessoires et fournitures se prescrit par cinq années ;

Que cette prescription quinquennale ne peut, aux termes des articles 2064 et 2065 de ce même code, être valablement interrompue que par une citation en justice y compris une citation en conciliation, un commandement ou une saisie ;

Que force est de constater que la prescription quinquennale a, en l'espèce, été valablement interrompue le 21 juin 2012, date de la saisine du bureau de conciliation du Tribunal du Travail par l. MA. à l'effet d'obtenir les sommes réclamées à titre de rappel de salaires ;

Que toutes les demandes de rappel de salaire concernant la période antérieure au 22 juin 2007 sont donc prescrites en application du texte susvisé, ce qu'il convient de rappeler tout en constatant que l'appelant déclare désormais prendre acte de cette prescription ;

  • Sur la demande de rappel de salaires

Attendu que le premier juge a légitimement rappelé que le principe d'égalité de traitement en matière de salaires n'est pas formellement consacré en droit du for de façon générale, la loi n°739 sur le salaire ne prohibant en fait de façon expresse que les discriminations fondées sur le sexe ;

Que cependant, l'article 7 du Pacte International relatif aux droits civiques et politiques passé à New York le 16 décembre 1966 et rendu exécutoire en Principauté de Monaco par l'ordonnance n°13.330 du 12 février 1998 dispose que tous les salariés doivent recevoir une rémunération égale en contrepartie d'un travail égal ou de valeur égale, rémunération s'entendant non seulement du salaire mais également des avantages et accessoires y afférents ;

Qu'il en résulte que la société M est contrainte d'assurer l'égalité de rémunération entre tous ses employés placés dans des conditions de subordination semblables et qui accomplissent un même travail ou un travail de valeur égale ;

Qu'il est néanmoins constant que la charge de la preuve de l'atteinte au principe susvisé incombe au salarié qui se prévaut de l'inégalité de traitement, tandis que l'employeur doit, en cas de différence de salaire avérée, justifier des raisons objectives présidant à cette disparité ;

Attendu qu'il résulte des éléments constants de la cause que n. CH. disposait en juillet 2003 d'une ancienneté de 10 années au sein de la caisse Grand Change où il a été classé à l'échelon 24, tandis que l. MA., nommé le 1er mai 2007 en qualité de caissier changeur, a été classé à l'échelon 14, après sa période probatoire de trois mois, c'est-à-dire à partir du 1er août 2007 ;

Attendu qu'une réouverture des débats a été ordonnée par le Tribunal du Travail le 20 février 2014 à l'effet de permettre à la société M de fournir des explications et de justifier objectivement, au regard de la nature des fonctions et des responsabilités exercées par les caissiers du Grand Change, du caractère plus ou moins déterminant de tel ou tel critère de compétence mentionné sur les notations en apportant tous les commentaires nécessaires sur chaque évaluation annuelle générale de l. MA. depuis le 1er août 2007 ;

Attendu qu'il est en effet établi et non sérieusement contestable que les situations de l. MA. mais aussi de n. CH., d o. TR. et de c. DE. étaient liées non seulement à l'attribution initiale de leur échelon mais aussi à l'évolution de leur carrière en fonction des résultats des notations annuelles individuelles ;

Attendu que l'examen détaillé des évaluations versées aux débats permet de constater que la notation générale ne dépendait pas exclusivement des critères d'appréciation qualitatifs, c'est-à-dire des rattachements aux catégories respectives « excellent », « bon » ou « moyen », mais résultait également du respect de trois autres critères fondamentaux consistant dans le respect des procédures, l'autonomie et la capacité à prendre des décisions, les connaissances comptables, critères éventuellement corrigés par certains aspects liés au comportement du salarié ;

Attendu que l'analyse comparative détaillée des situations respectives des caissiers du Grand Change conduite par les premiers juges n'appelle aucune critique en ce qu'elle repose sur des éléments objectifs et sur la combinaison des notes obtenues au sein de chacune des catégories susvisées ;

Attendu que le cas de l. MA. est tout à fait révélateur d'un tel mécanisme de compensation globale dès lors que la note définitive de « bon » retenue pour l'année 2008 correspond légitimement à la synthèse des appréciations « excellent » retenues au titre des connaissances comptables et des « bon » recueillis sur le respect des procédures mais aussi sur l'autonomie et la capacité à prendre des décisions ;

Attendu qu'il s'induit des mécanismes d'évaluation mis en place que la société M attend de ses caissiers changeurs le comportement normal de tout salarié lié à son employeur par un lien de subordination, outre certaines compétences et aptitudes spécifiques inhérentes aux particularismes de leur mission ;

Qu'il se déduit de ce nécessaire cumul de compétences qu'un caissier changeur qui n'est pas reconnu excellent sur l'une ou l'autre des tâches spécifiques susvisées, comme l. MA., ne peut être qualifié que de « bon » sur son poste de travail ;

Attendu qu'à l'instar d'une moyenne mathématique et à défaut de tout système de coefficient afférent à chaque critère de compétence, il est en effet légitime de déduire d'un tel mécanisme que l'obtention de deux notes « bon » et d'une note « excellent » conduit à une appréciation globale de « bon » ;

Que le caractère objectif et non discriminant d'une telle méthode d'évaluation se justifie au regard des attentes connues de l'employeur concerné qui souhaite un cumul de compétences chez ses caissiers changeurs et applique indifféremment à tous ses employés de caisse le même système de notation ;

Que de plus, les critères qualifiés de déterminants par la société M apparaissent en totale adéquation avec la nature des fonctions et des responsabilités des caissiers du Grand Change ;

Qu'en ce qui concerne par ailleurs l'aspect démocratique, voire la régularité de cette méthode, force est simplement de constater que l'élaboration des fiches d'évaluation s'est faite en collaboration avec le syndicat des caissiers et n'a suscité aucune réaction de la Direction du travail qui avait d'ailleurs préalablement rencontré la Direction des ressources humaines de la société M et les représentants du Syndicat monégasque du personnel des caisses ;

Attendu enfin, sur les disparités alléguées, que l'ensemble des évaluations produites concernant d'autres salariés revêt une constance générale quant à la méthodologie suivie par la société M, le cas de Monsieur G n'étant pas opérant dès lors que le Directeur administratif avait émis des réserves en qualifiant de surévaluée sa notation qui a, en définitive, été réajustée à la baisse ;

Attendu que le surplus des arguments invoqués par l. MA. inhérents notamment à l'existence de différends l'opposant à la société M en sa qualité de délégué général du syndicat des caisses n'apparaît pas de nature à caractériser un grief utile à l'encontre du jugement déféré, pas plus que l'invocation de l'échéance de l'accord du 14 janvier 2003, advenue le 31 octobre 2012, et ce, dans la mesure où les demandes de l. MA. portent sur une période comprise entre le 22 juin 2007 et le 21 juin 2012 durant laquelle l'accord précité restait en vigueur ;

Attendu qu'il apparaît en définitive que les premiers juges ont à bon droit estimé que l. MA. ne justifiait pas subir le traitement inégalitaire déploré ni n'apparaissait donc fondé en sa demande de rappel de salaires ;

Que le jugement rendu le 18 décembre 2014 par le Tribunal du Travail sera dès lors confirmé en toutes ses dispositions ;

Attendu que les dépens d'appel demeureront à la charge de l. MA. qui succombe ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant publiquement et contradictoirement,

Vu les dispositions des articles 423 et 427 du Code de procédure civile,

Déclare recevable l'appel interjeté par l. MA. à l'encontre du jugement du Tribunal du Travail en date du 18 décembre 2014 et irrecevable toute demande tendant à voir remettre en cause le jugement avant-dire droit du 20 février 2014, devenu définitif,

Dit et juge que toutes les demandes de rappel de salaires formées par l. MA., antérieures au 22 juin 2007, sont prescrites,

Déboute l. MA. des fins de son appel et confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 18 décembre 2014 par le Tribunal du Travail,

Condamne aux dépens d'appel l. MA. et dit qu'ils seront distraits au profit de Maître Thomas GIACCARDI, avocat défenseur sous sa due affirmation,

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable,

Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires.

Composition🔗

Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, Monsieur Eric SENNA, Conseiller, Monsieur Paul CHAUMONT, Conseiller, assistés de Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en chef adjoint, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles,

Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,

Lecture est donnée à l'audience publique du 26 JANVIER 2016, par Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en chef adjoint, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, en présence de Monsieur Michaël BONNET, Premier Substitut du Procureur Général.

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