Cour d'appel, 15 décembre 2015, Monsieur j. LI. c/ Madame s. RE.
Abstract🔗
Vente - Résolution (oui) - Obligations du vendeur - Délivrance de la chose - Manquement (oui) - Préjudice moral (oui)
Résumé🔗
En délivrant une montre de luxe dont les caractéristiques non seulement esthétiques mais matérielles étaient différentes de celles qui avaient été convenues, peu important que la référence du modèle ait été identique, le vendeur a manqué à son obligation de délivrance. L'acquéreur était en droit de refuser la livraison de cet objet et de demander la résolution de la vente et la restitution de l'acompte.
En proposant, après cinq mois d'attente, une montre qu'il savait différente du modèle commandé, le vendeur, professionnel, a causé un préjudice moral à l'acquéreur, qui sera réparé par l'allocation de 5 000 euros de dommages-intérêts.
Motifs🔗
COUR D'APPEL
ARRÊT DU 15 DECEMBRE 2015
En la cause de :
- Monsieur j. LI., né le 25 octobre 1947 à Amsterdam (Pays-Bas), de nationalité néerlandaise, demeurant et domicilié X à Monaco ;
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
APPELANT,
d'une part,
contre :
- Madame s. RE., née le 18 juillet 1957 à Ekeren (Belgique), de nationalité belge, sans profession, demeurant X à Monaco ;
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
INTIMÉE,
d'autre part,
LA COUR,
Vu le jugement rendu par le Tribunal de première instance, le 26 mars 2015 (R.4374) ;
Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 26 mai 2015 (enrôlé sous le numéro 2015/000141) ;
Vu les conclusions déposées le 17 juillet et 27 octobre 2015 par Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur, au nom de s. RE. ;
Vu les conclusions déposées le 13 octobre 2015 par Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de j. LI. ;
À l'audience du 3 novembre 2015, vu la production de leurs pièces par les conseils des parties ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
La Cour statue sur l'appel relevé par j. LI. à l'encontre d'un jugement du Tribunal de Première Instance du 26 mars 2015.
Considérant les faits suivants :
Courant octobre 2013, Mme s. RE. a commandé, par l'intermédiaire de M. Eugène VAN KOPPEN, à M. j. LI., courtier en joaillerie une montre de marque B. en or avec des diamants.
Elle a versé à M. LI., à titre d'acompte, une somme de 15.000 euros, à laquelle se sont ajoutés 7 euros de frais bancaires.
Le 26 mars 2014, M. LI. lui livré une montre qu'elle a refusée.
Par arrêt du 8 juillet 2014, la Cour d'appel de MONACO a autorisé Mme s. RE. à procéder à une saisie-arrêt auprès de la société A. à concurrence de 20.000 euros sur toutes sommes, valeurs ou biens mobiliers appartenant à M. LI., « pour avoir sûreté, garantie et paiement de ladite somme, montant auquel nous évaluons provisoirement la créance du requérant en principal, frais et accessoires, sauf à parfaire ou à diminuer ».
Par exploit du 10 juillet 2014 délivré par l'intermédiaire de Maître NOTARI, Huissier de justice, Mme s. RE. a signifié la saisie à la banque et assigné M. LI. devant le Tribunal de première instance en validité de la saisie et en paiement de diverses sommes.
En défense, M. LI. a sollicité le débouté des demandes de Mme s. RE., la mainlevée de la saisie-arrêt, le paiement du solde du prix soit 31.350 euros, ainsi que 5.000 euros à titre de dommages et intérêts.
Par jugement du 26 mars 2015, le Tribunal a :
- prononcé la résolution de la vente aux torts de M. LI.,
- condamné M. LI. à payer à Mme s. RE. la somme de 15.000 euros à titre de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal à compter du 10 juillet 2014,
- condamné celui-ci à payer à Mme s. RE. 1.500 euros à titre de dommages-intérêts,
- rejeté le surplus des demandes,
- condamné M. LI. aux dépens distraits au profit de Maître Richard MULLOT, Avocat-défenseur.
M. LI. a relevé appel le 26 mai 2015.
Aux termes de sa requête d'appel et de ses conclusions du 13 octobre 2015, il demande à la Cour de :
- ordonner la mainlevée de la saisie-arrêt,
- condamner Mme s. RE. à lui verser la somme de 31.970 euros en paiement du solde du prix de la montre B. qu'elle lui a commandée outre 5.000 euros à titre de dommages et intérêts,
- débouter Mme s. RE. de ses demandes,
- la condamner aux dépens distraits au profit de Maître GIACCARDI.
Il fait essentiellement valoir que :
Sur la vente :
- la montre qu'il a livrée à Mme s. RE. correspond exactement au modèle qu'elle a commandé, c'est-à-dire une montre B. référencée 81308 BR or jaune 18 carats sertie de diamants dans la lunette en taille baguette,
- les dernières lettres « CHD » de la référence mentionnée par Mme s. RE. signifient « champagne dial », soit « cadran champagne », ce qui constitue l'indication de la couleur du cadran, la référence de la montre demeurant 81308 BR,
- lorsqu'il est recherché sur internet la référence « X. », la montre qui apparaît est exactement le modèle dont le concluant est en possession,
- la photographie de la montre dont se prévaut Mme s. RE. est un modèle 31 mm alors qu'elle a commandé un modèle de 34 mm,
- la montre livrée est donc bien le modèle commandé par Mme s. RE., de sorte que celle-ci est mal fondée à solliciter la résolution de la vente,
- le prix convenu était de 47.970 euros et non de 37.500 euros,
Sur les dommages et intérêts :
- Mme s. RE. a fait preuve de mauvaise foi et son comportement a causé au concluant un préjudice financier mais aussi moral du fait de l'atteinte à sa réputation professionnelle.
Aux termes de ses conclusions du 17 juillet et du 27 octobre 2015, Mme s. RE. demande à la Cour de :
- Confirmer le jugement,
- Condamner M. LI. à lui payer 20.000 euros à titre de dommages-intérêts,
- Dire qu'en application de l'article 1009 du Code civil les intérêts sur cette somme produiront des intérêts,
- Déclarer régulière et valider la saisie-arrêt pratiquée par Maître NOTARI, Huissier de justice, entre les mains de la banque suivant exploit du 10 juillet 2014,
- Ordonner que les sommes dues par M. LI. seront recouvrées en priorité sur le montant du solde disponible saisi,
- Ordonner que le tiers saisi se libèrera valablement au profit de la concluante des sommes détenues pour le compte de M. LI. sur simple présentation de la décision à venir,
- Condamner M. LI. aux dépens de première instance et d'appel en ce compris tous frais et accessoires, frais d'huissiers, d'expertises et de traductions éventuelles dont distraction au profit de M. le Bâtonnier Richard MULLOT, avocat-défenseur.
Elle fait valoir en substance que :
Sur la vente :
- le modèle de montre a été un élément déterminant de la vente,
- or le modèle livré par M. LI. est différent de celui qu'elle a commandé tant au niveau des signes de l'heure, de la lunette que du cadran,
- la montre proposée par M. LI. n'étant pas conforme à celle qui a été commandée, ce dernier n'a pas exécuté son obligation de délivrance,
- dès lors la concluante est fondée à demander la résolution de la vente et la restitution de l'acompte versé,
Sur les dommages et intérêts :
- M. LI. a été d'une particulière mauvaise foi en premier lieu en tentant de lui vendre un montre différente de celle commandée au prétexte que seul ce modèle était disponible alors qu'en tant que professionnel il ne pouvait se méprendre sur le modèle, en deuxième lieu en ne respectant pas le délai de livraison de cinq mois, en troisième lieu en déménageant sans modifier son adresse auprès des services du répertoire du commerce, qui plus est sans retirer les actes qui lui ont été délivrés, et enfin en exerçant la vente aux particuliers sans autorisation,
- la concluante a subi un préjudice moral et matériel, lequel se traduit par la perte de la jouissance de la somme de 15.007 euros depuis près de deux ans et par les frais engendrés par la défense de ses intérêts.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.
SUR CE,
Attendu que l'appel régulièrement formé dans les conditions de fond et de forme prévues par le Code de procédure civile, doit être déclaré recevable ;
Sur la vente :
Attendu que, selon l'article 1445 du Code civil, le vendeur a l'obligation de délivrer la chose qu'il vend ;
Attendu qu'au cas présent, le 11 octobre 2013, M. LI. a adressé un courriel libellé ainsi « vous avez demandé à Eugène une montre B. en or ref 81308 Dr. Chd boîtier avec diamants. Je peux vous livrer cette montre avec une remise de 25 %. Le prix attendu moins la remise sera de 37 500 € » ;
Que Mme s. RE. lui a répondu par courriel du même jour de la façon suivante « afin d'éviter tout malentendu (parce que je trouve que c'est une très belle remise), j'aimerais avoir votre confirmation qu'on parle de la même montre. Votre ref : 81308 Dr. Chd- prix d'amis : 37.500 €. La ref sur ma photo : 81 308 Brchd : boîtier de 34 mm, or jaune 18 ct avec diamants en taille baguette. Merci de votre confirmation. Inclus dans mail : photo référence et prix de la montre souhaité » (pièce 2 intimée) ;
Que la photo jointe est celle d'une montre de marque X. dont le cadran, de couleur champagne, est strié et les signes de l'heure sont constitués par des chiffres arabes, avec une lunette munie de diamants de taille baguette, au prix de 58.150 euros ;
Que, par courriel du 13 octobre 2013, M. LI. a indiqué à Mme s. RE. « je confirme montre en or de marque B. ex. 81308 BR. CHD à 37.500 € » ;
Qu'il résulte de cet échange entre les parties que celles-ci sont convenues de la vente d'une montre de marque B., référence 81308 BRCHD au prix de 37.500 euros, avec un cadran strié couleur champagne comportant des signes horaires en chiffres arabes ;
Attendu que, le 15 octobre 2013, M. LI. a informé Mme s. RE. que la montre avec baguettes était retirée de la production et qu'il avait envoyé un mail à l'usine pour demander s'il y avait encore un modèle à vendre ; que, le 18 octobre suivant, il lui a indiqué qu'il avait reçu l'argent et que la commande était faite ; que, le 13 décembre de la même année, il lui a adressé le message suivant « je viens d'avoir une montre B. au téléphone, ça ne va pas marcher pour le 17 avec les baguettes. Ils en ont une avec le bord en brillants et qui coûte aussi moins cher. Je leur avais demandé pour Noël mais cela ne va pas marcher », puis, le 8 février 2014 il lui a envoyé le SMS suivant « j'ai reçu confirmation que la montre sera livrée avant le 15 mars. Je te tiens au courant » ;
Que M. e. VA. KO., par l'intermédiaire duquel la montre a été commandée à M. LI., a attesté avoir été présent le 26 mars 2014 lors de la livraison, par un tiers, de la montre dans le hall de l'hôtel Hermitage ; qu'il a affirmé que la montre remise, dont le cadran était incrusté de diamants, n'était pas celle que Mme s. RE. avait commandée (pièce 17 intimée) ;
Que l'examen de la photo de la montre livrée par M. LI. (sa pièce 2) fait apparaître effectivement que celle-ci est composée d'un cadran comportant des index en diamants, et non des signes horaires en chiffres arabes ; qu'en outre, ce cadran est lisse, et non strié ;
Attendu qu'en délivrant ainsi une montre de luxe dont les caractéristiques non seulement esthétiques mais matérielles étaient différentes de celles qui avaient été convenues, peu important que la référence du modèle ait été identique, M. LI. a manqué à son obligation de délivrance ;
Que Mme s. RE. était ainsi en droit de refuser la livraison de cet objet ;
Qu'elle est également fondée à demander la résolution de la vente ;
Qu'il s'ensuit que le jugement sera confirmé en ce qu'il a prononcé la résolution de la vente et condamné M. LI. à restituer à Mme s. RE. la somme de 15.000 euros, hors frais bancaires, versée à titre d'acompte ;
Sur les dommages et intérêts :
Attendu qu'en proposant à Mme s. RE., après cinq mois d'attente, une montre qu'il savait différente de celle qui avait été commandée, M. LI., courtier en joaillerie professionnel, dont Mme s. RE. était en droit d'attendre légitiment, compte tenu de sa qualité, la plus grande rigueur, a fait preuve de mauvaise foi ;
Qu'il a causé à Mme s. RE. un préjudice moral qui résulte de cette attente et de la déception de n'avoir pas reçue la montre souhaitée, qui sera réparé par l'allocation d'une somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts qu'il sera condamné à lui payer, par voie de réformation du jugement ;
Sur la saisie-arrêt :
Attendu qu'ajoutant au jugement, la saisie-arrêt sera validée ;
Qu'il sera dit que les sommes dues par M. LI. seront recouvrées en priorité sur le montant du solde disponible saisi ;
Qu'il sera ordonné en outre au tiers saisi de se libérer au profit de Mme s. RE. des sommes détenues sur le compte de M. LI. ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,
statuant publiquement et contradictoirement,
Reçoit l'appel,
Confirme le jugement sauf en ce qu'il a condamné M. LI. à payer à Mme s. RE. la somme de 1.500 euros à titre de dommages-intérêts,
Statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant,
Condamne M. LI. à payer à Mme s. RE. la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral,
Valide la saisie-arrêt autorisée par arrêt du 8 juillet 2014 auprès de la société A. à concurrence de la somme de 20.000 euros sur toutes sommes, valeurs ou biens mobiliers appartenant à M. LI., qui a été signifiée par exploit du 10 juillet 2014 délivré par Maître NOTARI, Huissier de justice,
Dit que la société A., tiers-saisi, se libérera valablement des sommes qu'elle détient pour le compte de M. LI. par le versement qu'elle en opérera auprès de Mme s. RE.,
Condamne M. LI. aux dépens d'appel, distraits au profit de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,
Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable,
Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,
Composition🔗
Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, Monsieur Paul CHAUMONT, Conseiller, assistés de Mademoiselle Florence TAILLEPIED, Greffier ;
Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,
Lecture est donnée à l'audience publique du15 DÉCEMBRE 2015, par Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Mademoiselle Florence TAILLEPIED, Greffier, en présence de Mademoiselle Cyrielle COLLE, Substitut du Procureur général.