Cour d'appel, 15 décembre 2015, Monsieur o.m. GR. c/ La société anonyme monégasque A.
Abstract🔗
Contrat de travail - Modification des éléments substantiels (non) - Employé d'un hôtel - Refus fautif d'exécuter une mission - Transcription et transmission des fiches de police de la clientèle - Refus fautif d'exécuter une mission - Sanction - Avertissement écrit - Annulation (non)
Résumé🔗
L'établissement hôtelier employeur n'a imposé aucune modification de son contrat de travail au salarié, chasseur, en lui confiant, comme à tous les chasseurs de l'hôtel, la tâche de retranscription des fiches de police établies par le service de la réception et destinées à recueillir divers renseignements sur les clients, en vue d'une transmission à la Sûreté publique, d'abord sur une fiche manuscrite puis, plus récemment, sur une fiche informatique, soit une heure de travail en moyenne par jour. Le salarié a en conséquence adopté un comportement fautif en refusant un jour d'exécuter la mission confiée, qu'il avait jusque-là toujours exécutée, en estimant à tort qu'elle dépassait le cadre de ses compétences. Il a été sanctionné de manière proportionnée par un avertissement écrit, sanction la plus faible, qu'il n'y a donc pas lieu d'annuler.
Motifs🔗
COUR D'APPEL
ARRÊT DU 15 DÉCEMBRE 2015
En la cause de :
- Monsieur o. m. GR., Chasseur tournant nuit/jour, demeurant X, 06000 Nice,
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par Maître Aurélie SOUSTELLE, avocat au Barreau de Nice ;
APPELANT,
d'une part,
contre :
- La société anonyme monégasque A., dont le siège social est X1, 98000 Monaco, prise en la personne de son Président Délégué en exercice domicilié en cette qualité audit siège,
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
INTIMÉE,
d'autre part,
LA COUR,
Vu le jugement rendu par le Tribunal du travail en date du 10 avril 2014 ;
Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 21 mai 2014 (enrôlé sous le numéro 2014/000170) ;
Vu l'arrêt avant dire droit en date du 7 avril 2015 ;
Vu les conclusions déposées les 5 mai, 26 juin et 28 septembre 2015, par Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de la SAM A. ;
Vu les conclusions déposées les 3 juin et 31 août 2015, par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de o. m. GR. ;
À l'audience du 3 novembre 2015, ouï les conseils des parties en leurs plaidoiries ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
La Cour statue sur l'appel relevé par o. m. GR., à l'encontre d'un jugement du Tribunal du travail en date du 10 avril 2014.
Considérant les faits suivants :
Statuant sur la recevabilité de l'appel relevé par o. m. GR. à l'encontre d'un jugement du Tribunal du travail du 10 avril 2014 qui l'a débouté de ses demandes en annulation de l'avertissement qui lui a été notifié le 16 août 2011 et en paiement de dommages-intérêts pour sanction abusive, la Cour de céans dans son arrêt du 7 avril 2015, auquel il y a lieu de se reporter pour plus ample exposé des faits et de la procédure, a déclaré recevable ce recours et renvoyé les parties à conclure au fond.
Suivant conclusions des 5 mai, 26 juin et 28 septembre 2015, la société A., qui conclut au rejet des demandes d o. m. GR. et à la confirmation du jugement, a en substance fait valoir que :
o. m. GR., embauché à compter du 1er avril 2002 en qualité de chasseur tournant jour/nuit, a refusé en 2011 de procéder à la saisie des fiches de police, ce qui a donné lieu à l'avertissement aujourd'hui contesté ;
en sa qualité d'établissement hôtelier elle est tenue à l'obligation légale d'établissement d'une fiche dite de police destinée à recueillir divers renseignements sur ses clients ; à compter de 2007, il a été imposé une transmission sans délai de ces fiches à la Sûreté publique ;
la retranscription de ces fiches, établies par le service de la réception, a toujours été effectuée par les chasseurs au cours de leur service de nuit, et désormais également par les chasseurs de jour compte tenu de la modification du texte ; ils y procèdent, sans aucune discrimination, sous la responsabilité de leur supérieur hiérarchique, le chef concierge ;
la tâche litigieuse est en rapport avec la qualification des chasseurs et sans dénaturation de leur fonction dans la mesure où il s'agit d'une tâche administrative annexe (selon l'appelant en moyenne 1 heure de travail par jour), que les chasseurs ont toujours eu la charge de réaliser, qui s'entend dès lors comme une simple modification des conditions de travail mais nullement comme une modification d'un élément essentiel du contrat de travail ;
il n'a été procédé à aucune nouvelle répartition des tâches entre la conciergerie et la réception, la transcription des fiches de police étant réalisée sous la responsabilité du chef concierge ;
la preuve de la surcharge du travail, de la dégradation du service des chasseurs et enfin d'une incidence sur leur rémunération n'est pas rapportée, en l'absence d'embauche supplémentaire de chasseurs ;
la sanction administrée est proportionnée à la faute commise au regard du refus unilatéral infondé opposé par l'employé.
Pour sa part o. m. GR., qui rappelle avoir reçu un avertissement pour « refus de procéder à la saisie des fiches de police », poursuit la réformation du jugement en ce qu'il a été débouté de sa demande en annulation de l'avertissement du 16 août 2011 et en paiement de dommages-intérêts pour sanction abusive, et sollicite de voir la Cour annuler l'avertissement donné et condamner la société A. à lui payer la somme de 1.500 euros à titre de dommages-intérêts pour sanction abusive.
Il soutient pour l'essentiel que :
le chasseur remplit une mission de services et doit répondre immédiatement aux sollicitations des clients,
la saisie des fiches de police dans la base informatique CARDEX incombe aux réceptionnistes, les chasseurs s'occupent uniquement de la transmission informatique des fiches d'enregistrement à la police,
la saisie des données nominatives récemment imposée est une tâche administrative sans rapport avec sa qualification qui dénature ses fonctions en le rendant moins disponible auprès de la clientèle : elle constitue une modification d'un élément essentiel du contrat de travail,
cette tâche supplémentaire crée une surcharge de travail rendant le chasseur moins disponible, ce qui réduit le montant des pourboires, et obligeant l'employeur à embaucher, ce qui engendre une diminution du salaire à la masse de chacun,
en l'absence de fiche de poste l'employeur ne peut à sa seule convenance mettre à la charge des chasseurs des tâches qui relèvent d'une fonction différente,
le fait de n'avoir pas confié aux chasseurs du business center l'exécution de la saisie demandée aux chasseurs de jour procède d'une discrimination,
la fiche de poste « chef concierge » démontre qu'il est le responsable des fiches de police.
En définitive, il estime qu'imposer à un salarié une tâche qui, d'une part, n'entre pas dans ses fonctions et compétences, d'autre part, nuit à celles qui sont les siennes, constitue un abus de pouvoir et une exécution de mauvaise foi du contrat de travail par l'employeur qui doivent être considérés comme une modification du contrat de travail.
Il n'a donc commis aucune faute en refusant de l'exécuter et la sanction sera annulée.
Subsidiairement, la sanction sera annulée en l'état du caractère disproportionné de l'avertissement prononcé, au regard de son ancienneté et de l'absence de tout reproche depuis le début de la relation salariée.
Enfin, les dommages-intérêts sont justifiés par la nécessité de faire valoir ses droits en justice.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.
SUR CE,
Attendu que conformément aux dispositions des articles 1er et 54 de la loi n° 446 du 16 mai 1946, le Tribunal du travail dispose du droit de contrôler les sanctions disciplinaires prononcées par l'employeur à l'encontre d'un salarié ; que la sanction doit être justifiée et proportionnée à la faute commise, sous peine d'être annulée ;
Qu'il appartient donc à la Cour de vérifier en premier lieu s'il y a eu un comportement fautif, autrement dit en l'espèce de déterminer si la tâche imposée constituait une modification d'un élément essentiel du contrat de travail, que le salarié était en droit de refuser, ou un simple changement des conditions de travail du salarié, que l'employeur pouvait imposer unilatéralement, puis, dans le cas où une faute aurait été commise, de vérifier si la sanction est proportionnée à cette faute ;
Attendu en l'espèce que pour déclarer fondé l'avertissement prononcé, le Tribunal du travail a considéré au vu des pièces à lui soumises que la mission litigieuse dévolue à l'appelant était une simple modification de ses conditions de travail en relevant que le traitement des fiches de police (sous réserve de la seule évolution technologique) entrait dans les attributions des chasseurs au sein de l'Hôtel de Paris, que la nouvelle tâche (saisie et transmission) constituait une tâche administrative annexe dont il n'était pas démontré qu'elle empêcherait les chasseurs d'accomplir correctement leur travail, ceux-ci poursuivant leur mission première en exerçant l'essentiel de leur activité directement au contact de la clientèle, que la logique ou l'efficacité du système de répartition des tâches entre la réception et la conciergerie (et plus particulièrement les chasseurs) était une question relevant du pouvoir de direction de l'employeur et enfin que la différence de traitement avec les chasseurs affectés au «business center» n'était pas suffisamment étayée ;
Attendu à cet égard qu'il appert des éléments de la cause que, traditionnellement au sein de l'Hôtel de Paris, les fiches dites de police remplies par la réception étaient ensuite retranscrites par les chasseurs sur le livre de police, puis, à sa suppression, traitées informatiquement par leurs soins ;
Qu'à compter de 2007 et de la modification du texte réglementaire, cette tâche jusqu'alors effectuée uniquement la nuit, a été accomplie indifféremment le jour et la nuit pour satisfaire à la nouvelle exigence de transmission sans délai aux services de la Sûreté Publique ;
Qu'ainsi, la gestion informatique des diverses opérations incombant à cet établissement hôtelier a entraîné une modification du traitement des fiches d'enregistrement des clients servant à l'élaboration des fiches de police ; que les fiches papier ont matériellement disparu au profit d'une saisie informatique des fiches client dans la base cardex, laquelle désormais n'était pas nécessairement effectuée par la réception notamment en cas de nouveau client, la responsabilité du traitement des « cardex » et de l'envoi des fiches de police incombant aux chasseurs, sous la responsabilité du chef concierge (fiche de poste en date de mai 2000) ;
Que les compte-rendu de réunion, note de service et mémo concernant cette question révèlent en effet que l'obligation de transmettre les informations nominatives aux services de police recouvre une double charge, le traitement des fiches de police pour le personnel de la réception, la retranscription informatique de ces données et leur envoi pour les chasseurs ;
Attendu que par suite, selon les directives de la direction, les chasseurs devaient procéder à la saisie partielle ou totale de la fiche client, au moyen des informations fournies par la réception, laquelle n'était désormais plus tenue de remplir nécessairement informatiquement la fiche ;
Qu'à cet égard, l'appelant soutient que la tâche dévolue supposerait désormais une saisie relevant des attributions historiques de la réception ;
Mais force est d'observer que c'est de manière tout aussi historique que les chasseurs de l'Hôtel de Paris ont été chargés d'effectuer, à partir des renseignements collectés par la réception, la retranscription desdites fiches pour une transmission à la Sûreté publique ; que le fait que les réceptionnistes, compte tenu de l'évolution technique ayant entrainé une unicité de support pour les fiches, soient désormais partiellement déchargés de leur élaboration est indifférent puisqu'il ne constitue pas corrélativement une nouvelle attribution mise à la charge des chasseurs dans la mesure où la collecte des informations nominatives est toujours réalisée par le service de la réception ; que seuls le support des données collectées (fiche manuscrite auparavant, photocopie de documents d'identité ou fiche informatique aujourd'hui) et le mode de retranscription, manuel à l'origine, informatique désormais, ont évolué ;
Attendu qu'il apparaît dès lors que l'appelant évoque à tort une mission dépassant le cadre de ses compétences ;
Qu'en outre il n'est nullement justifié de ce que seuls quelques chasseurs seraient de manière discriminatoire contraints d'effectuer cette tâche, qu'une surcharge de travail détournerait les chasseurs de leur mission première de services pour le compte des clients - alors que l'appelant invoque seulement une heure de travail en moyenne par jour - et aurait conduit, pour y faire face, à une embauche corollaire de chasseurs qui aurait eu pour conséquence une baisse consécutive de la rémunération à la masse ;
Attendu en définitive que la société A. n'a imposé aucune modification de son contrat de travail au salarié et c'est donc à juste titre que les premiers juges ont estimé qu'il a adopté un comportement fautif en refusant d'exécuter la mission qui lui avait été confiée, qu'il avait au demeurant jusque-là toujours exécutée, par des motifs que la Cour adopte et fait siens ;
Attendu sur le caractère proportionné de la sanction infligée, que la société A. était en droit de signifier à o. m. GR. son mécontentement face à son refus de se soumettre à la décision qu'elle avait pourtant clairement expliquée et définie lors des nombreuses discussions et réunions s'étant tenues au préalable ;
Que même s'il est exact qu o. m. GR. n'avait jamais reçu la moindre sanction disciplinaire depuis son embauche, il ne saurait être discuté que la société A. a fait une réponse proportionnée à l'attitude adoptée par son salarié en lui délivrant la sanction la plus mineure, savoir un avertissement écrit ;
Attendu en conséquence que la décision qui a rejeté les demandes d'annulation et de paiement de dommages-intérêts sera confirmée en toutes ses dispositions ;
Qu o. m. GR. qui succombe supportera les dépens d'appel ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,
statuant publiquement et contradictoirement,
Déboute o. m. GR. des fins de son appel,
Confirme le jugement du Tribunal du travail en date du 10 avril 2014 en toutes ses dispositions,
Condamne o. m. GR. aux dépens d'appel, en ce compris ceux réservés par l'arrêt du 7 avril 2015, distraits au profit de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur sous sa due affirmation.
Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable,
Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,
Composition🔗
Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, Monsieur Paul CHAUMONT, Conseiller, assistés de Mademoiselle Florence TAILLEPIED, Greffier,
Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,
Lecture est donnée à l'audience publique du 15 décembre 2015, par Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Vice-Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Mademoiselle Florence TAILLEPIED, Greffier, en présence de Mademoiselle Cyrielle COLLE, Substitut du Procureur Général.