Cour d'appel, 15 décembre 2015, La Société Anonyme de droit français dénommée B. c/ La Société à Responsabilité Limitée A. et autres

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Abstract🔗

Procédure civile - Référé expertise - Évaluation de la perte d'exploitation d'un commerce - Adjonction d'un sapiteur en comptabilité à l'expert judiciaire désigné - Domaine de compétence de l'expert judiciaire

Résumé🔗

À la suite de l'incendie de la façade de l'immeuble abritant le fonds de commerce assuré auprès de l'appelante, le juge des référés saisi a ordonné une expertise aux fins d'évaluer les préjudices. Par la suite, saisi d'une contestation relative à la méthode choisie par l'expert pour évaluer la perte d'exploitation subie par ledit commerce, le magistrat chargé de suivre l'expertise a adjoint à l'expert judiciaire un sapiteur en comptabilité. C'est vainement que l'appelante fait valoir qu'il n'y avait pas lieu de désigner un sapiteur, l'expert judiciaire désigné étant, selon elle, apte à procéder au chiffrage des différents chefs de préjudice. En effet, la nécessité d'examiner les pièces comptables transmises et de les comparer avec celles précédemment transmises s'induit notamment des contestations récurrentes inhérentes à la méthode d'évaluation retenue par le cabinet d'expertise mandaté par l'appelante dont les conclusions ne procèdent pas d'un débat contradictoire. L'avis d'un nouveau technicien permettra de résoudre ces difficultés. Ainsi, eu égard à l'intérêt et aux enjeux financiers du litige, mais également au domaine de compétence spécifique de l'expert judiciaire, inscrit sur la liste de la Cour d'appel sous la rubrique « bâtiment et travaux publics », il convient de confirmer l'ordonnance déférée.


Motifs🔗

COUR D'APPEL

ARRÊT DU 15 DÉCEMBRE 2015

En la cause de :

  • - La Société Anonyme de droit français dénommée B., dont le siège social se trouve X1, 92727 NANTERRE CEDEX, agissant poursuites et diligences de son Président Directeur Général en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;

  • Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

  • APPELANTE,

  • d'une part,

contre :

  • 1/ La Société à Responsabilité Limitée A., au capital social de 16.000 euros, dont le siège social est X à Monaco, prise en la personne de son gérant en exercice, Monsieur MA. TR., demeurant en cette qualité audit siège ;

  • Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Patricia REY, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

  • 2/ La société C., Société à Responsabilité Limitée, dont le siège social est sis X, à Monaco, prise en la personne de son gérant en exercice, domicilié en cette qualité audit siège ;

  • Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

  • 3/ La Société Anonyme dénommée D., société anonyme de droit français, dont le siège social est sis X2 à Paris (75002), prise en la personne de son Président du conseil d'administration en exercice, demeurant en cette qualité audit siège ;

Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Georges BLOT avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par Maître Myriam HABART-MELKI, avocat au Barreau de Marseille ;

INTIMÉES,

  • d'autre part,

En présence de : Monsieur Jean-Marc RADIGOIS, expert

LA COUR,

Vu l'ordonnance rendue le 28 mai 2015 par le Juge chargé du contrôle de l'expertise (R.6310) ;

Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 15 juin 2015 (enrôlé sous le numéro 2016/000001) ;

Vu les conclusions déposées le 10 novembre 2015 par Maître Patricia REY, avocat-défenseur, au nom de la SARL A. ;

Vu les conclusions déposées le 10 novembre 2015 par Maître Georges BLOT, avocat-défenseur, au nom de la SA D. ;

Vu les conclusions déposées le 16 novembre 2015 par Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur, au nom de la SARL C. ;

À l'audience du 17 novembre 2015 :

  • - ouï le conseil de la SA D. en sa plaidoirie,

  • - vu la production de leurs pièces par les conseils de la SA B., de la SARL C. et de la SARL A.,

  • - ouï Monsieur Jean-Marc RADIGOIS, expert, en ses observations ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel relevé par la SA B. à l'encontre d'une ordonnance rendue par le juge chargé du contrôle de l'expertise en date du 28 mai 2015.

Considérant les faits suivants :

La société A. exploite un fonds de commerce de fleuriste, décoration, vente de petits objets et mobilier situé X à Monaco au titre de l'exploitation duquel elle a souscrit un contrat d'assurance multirisque professionnelle auprès de la compagnie B.

Un incendie s'est déclaré le 24 octobre 2011 sur la façade de l'immeuble où se trouve situé ce fonds de commerce, la vitrine du magasin ayant été complètement détruite et une épaisse couche de suie ayant endommagé à l'intérieur de la boutique les divers agencements, outre le matériel et les stocks, rendant le fonds de commerce totalement inexploitable.

Une déclaration de sinistre ayant été effectuée auprès de l'assureur de l'exploitant, la compagnie B. mandatait alors un expert en la personne du cabinet E.dont le rapport intermédiaire faisait apparaître que l'origine du sinistre était attribuée à l'intervention de l'entreprise C. chargée par le syndic de mettre en conformité l'installation de gaz dans l'immeuble.

Il résulte des conclusions de cet expert de l'assureur que deux hypothèses sont envisageables dans la mesure où il est établi qu'au moment de l'accident deux ouvriers procédaient à la soudure d'un raccord sur un tuyau de gaz se situant dans une niche en façade de l'immeuble ; il en déduit que la chaleur aurait pu provoquer la déformation du conduit et une fuite du gaz qui se serait enflammé, mais il estime aussi qu'une fuite sur le tuyau de gaz pourrait aussi expliquer l'incendie lors de la mise en service du chalumeau par l'ouvrier.

Aucun accord amiable n'ayant pu être trouvé entre les experts des compagnies d'assurances à la suite de l'évaluation du préjudice effectuée par le cabinet E., la société B. et son assuré la société A. saisissaient le juge des référés par exploit du 3 mai 2013, lequel, suivant ordonnance du 19 juin 2013, faisait droit à leurs demandes et instaurait une expertise confiée à M. Jean-Marc RADIGOIS avec mission de :

  • - se rendre sur les lieux litigieux X Monaco ;

  • - se faire remettre par les parties les documents utiles à l'accomplissement de sa mission ;

  • - rechercher l'origine de l'incendie survenu le 24 octobre 2011 et déterminer les responsabilités encourues ;

  • - chiffrer les préjudices s'agissant tant des dommages directs que de la perte d'exploitation subie par la société A., et ce, avec la possibilité pour l'expert de s'adjoindre tout sapiteur expert-comptable de son choix si nécessaire pour l'évaluation du préjudice subi.

L'expert Jean-Marc RADIGOIS rédigeait un pré-rapport d'expertise le 12 juin 2014 aux termes duquel il concluait notamment que la société C. ayant reconnu être seule responsable du sinistre, son assureur D. étant donc tenu contractuellement à la garantir, le seul débat résiduel concernant le chiffrage des préjudices.

Un nouveau pré-rapport était déposé par l'expert le 12 février 2015 aux termes duquel il précisait que pour la période du 9 novembre 2011 au 27 mai 2013 la compagnie B. a avancé au titre du sinistre à la société A. une somme totale de 756.428,28 euros et indiquait que pour la perte d'exploitation évaluée à 519.597 euros, il n'avait pas été contesté que le chiffre d'affaires avait diminué de 12,42 % avant le sinistre, que la marge brute représentait 62,99 % du chiffre d'affaires, que la perte de marge brute s'établissait à 374.805 euros, les frais supplémentaires à 151.342 euros et la franchise à 6.550 euros.

La société C. et la société D. contestaient la méthode choisie par l'expert pour évaluer la perte d'exploitation sur la base du rapport non contradictoire du cabinet E.rappelant que les éléments comptables pour les années 2011, 2012 et 2013 n'avaient pas été transmis par la société A. qui ne s'était pas expliquée sur le maintien de son activité exercée depuis un autre local.

Ces deux parties saisissaient alors le juge commis pour suivre l'expertise à l'effet de réclamer la désignation d'un sapiteur en comptabilité devant selon eux s'imposer dès l'obtention des éléments comptables.

Devant ce magistrat, la société B. relevait que la plupart des pièces comptables avait en réalité été communiquée et que son assuré s'engageait à transmettre le reste de la comptabilité à l'expert et à fournir les éléments d'information concernant le local du MIN, simple local de stockage sans aucune activité.

Le magistrat chargé de suivre expertise rendait une ordonnance le 28 mai 2015 aux termes de laquelle, statuant par décision susceptible d'appel dans le délai de 15 jours à compter de la notification, il disait que l'expert Jean-Marc RADIGOIS doit s'adjoindre un sapiteur en comptabilité pour l'évaluation de la perte d'exploitation de la société A. du fait de l'incendie du 24 octobre 2011.

Pour statuer ainsi, ce magistrat relevait notamment qu'il y a intérêt après la transmission des pièces comptables pour les années 2011, 2012 et 2013, de recourir à un sapiteur en comptabilité pour examiner ces documents, les comparer aux pièces comptables précédemment transmises à l'expert et donner un avis sur la perte d'exploitation causée par l'incendie du 24 octobre 2011.

Suivant exploit en date du 15 juin 2015, la société B. interjetait régulièrement appel de l'ordonnance rendue le 28 mai 2015 par le juge commis pour suivre l'expertise a l'effet de voir réformer cette décision et dire n'y avoir lieu d'adjoindre un sapiteur comptable pour l'évaluation de la perte d'exploitation de la société A. du fait de l'incendie du 24 octobre 2011 et dire que l'expert Jean-Marc RADIGOIS devra déposer son rapport définitif dans un délai raisonnable qu'il plaira à la Cour de bien vouloir fixer.

Au soutien de ce recours, la société B. observait notamment que :

  • - l'expert judiciaire a obtenu tous les documents notamment comptables qu'il réclamait,

  • - il dispose de l'ensemble des éléments notamment les bilans qui lui sont nécessaires pour le chiffrage du préjudice d'exploitation qui lui est demandé,

  • - il dispose également de la méthode de calcul utilisé par l'expert technique de la compagnie B. et des explications complémentaires fournies justifiant ce mode de calcul dans les dires successifs qui lui ont été adressés par le conseil de ladite compagnie,

  • - il est donc apte à procéder au chiffrage des différents chefs de préjudice en relation directe avec le sinistre du 24 octobre 2011 et a déposé son rapport définitif sans l'aide d'un sapiteur comptable.

Présent à l'audience du 6 octobre 2015, l'expert Jean-Marc RADIGEOIS observe qu'il s'en rapporte à l'avis de la Cour mais qu'il serait opportun de désigner, non pas un sapiteur, mais un co-expert appelé à donner son avis sur la partie comptable.

La société A. entend pour sa part voir réformer l'ordonnance du juge chargé du contrôle de l'expertise en toutes ses dispositions et dire n'y avoir lieu d'adjoindre un sapiteur comptable pour l'évaluation de la perte d'exploitation de la société du fait de l'incendie du 24 octobre 2011 ; elle soutient pour l'essentiel que la décision entreprise n'est ni motivée, ni justifiée dans la mesure où les pièces comptables sollicitées ont été transmises à l'expert dès le 30 juin 2014, lequel ne sollicite pas la désignation d'un sapiteur mais a simplement demandé aux parties de faire toutes observations utiles pour le calcul du préjudice d'exploitation qu'il doit chiffrer.

La société C. soutient que l'ordonnance rendue par le juge en charge du contrôle des expertises le 28 mai 2015 est tout à fait fondée et devra être confirmée en cause d'appel dans la mesure où l'expert ne doit pas se borner à entériner le rapport du cabinet E. non contradictoire et déterminer lui-même quel est le préjudice d'exploitation subi, ce qu'il ne semble pas en mesure de faire compte tenu de sa spécialité dans le domaine « plomberie sanitaire, robinetterie eau et gaz » dépendant du secteur du bâtiment et des travaux publics.

La société D. fait enfin valoir que la société B. appelante n'apporte aucun élément probant justifiant sa résistance à la désignation d'un sapiteur qui n'a au demeurant pas été mise à sa charge, en sorte que l'ordonnance déférée devra selon elle être confirmée en toutes ses dispositions ; elle rappelle par ailleurs que la société appelante souhaite faire homologuer le rapport de son conseil technique, le cabinet E., par l'expert judiciaire, lequel, ingénieur de formation, ne dispose pas de toutes les compétences nécessaires pour l'examen des préjudices financiers et s'est au demeurant adjoint l'aide d'un expert-comptable en la personne de Monsieur ROSATI. Elle déplore par ailleurs que l'intégralité de la compatibilité de la société A. n'ait toujours pas été transmise.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.

SUR CE,

Attendu que l'appel régulièrement formé dans les conditions de fond et de forme prévues par le Code de procédure civile, doit être déclaré recevable ;

Attendu que le juge commis pour assurer le contrôle de l'expertise et chargé de régler les difficultés d'exécution de cette mesure d'instruction a qualité pour modifier notamment le contenu de la mission de l'expert, le délai à lui imparti pour le dépôt de son rapport ou les modalités d'exercice de sa mission ;

Que saisi de la contestation relative à la méthode choisie par l'expert judiciaire pour évaluer la perte d'exploitation subie par la société A., le juge, en l'espèce commis en référé, a estimé opportun de permettre au technicien désigné de recourir à un sapiteur en comptabilité, décision que conteste présentement la société B. comme la société A. ;

Attendu qu'il résulte des éléments de la procédure que la société A. a remis à l'expert Jean-Marc RADIGOIS ses pièces comptables pour les années 2011, 2012 et 2013 ainsi que la convention d'occupation précaire signée avec la régie autonome F. le 31 octobre 2011, soit après la survenance du sinistre du 24 octobre 2011 ;

Que la nécessité d'examiner ces pièces comptables et de les comparer aux pièces précédemment transmises à l'expert s'induit notamment des contestations récurrentes inhérentes à la méthode d'évaluation retenue par le cabinet E.dont les conclusions ne procèdent pas d'un débat contradictoire ;

Attendu que l'avis d'un nouveau technicien sur la perte d'exploitation causée par l'incendie du 24 octobre 2011 devra permettre de résoudre ces difficultés, étant au demeurant précisé que l'expert Jean-Marc RADIGOIS, présent au premier appel de la cause, ne s'est pas déclaré défavorable à la désignation d'un co-expert appelé à donner son avis sur la partie comptable à traiter tout en émettant simplement certaines réserves inhérentes au risque d'un avis contraire de l'éventuel sapiteur désigné ;

Attendu qu'eu égard tant à l'intérêt et aux enjeux financiers du litige qu'au domaine de compétence spécifique de l'expert Jean-Paul RADIGOIS inscrit sur la liste de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence sous la rubrique « bâtiment et travaux publics », il n'apparaît pas en l'espèce opportun de remettre en cause l'appréciation du juge chargé du contrôle de l'expertise en ce qu'il a été décidé de recourir à un sapiteur en comptabilité pour l'évaluation de la perte d'exploitation de la société A. ;

Qu'il convient en conséquence de confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue par ce magistrat le 28 mai 2015, et ce, avec toutes conséquences de droit ;

Attendu que les dépens d'appel demeureront à la charge de la société B. qui succombe en ses prétentions ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant publiquement et contradictoirement,

Reçoit l'appel formé par la société B.,

Confirme en toutes ses dispositions la décision rendue par le juge commis pour suivre l'expertise en date du 28 mai 2015,

Condamne la société B. aux dépens d'appel, distraits au profit de Maître Patricia REY, Maître Arnaud ZABALDANO et Maître Georges BLOT, sous leur due affirmation et chacun pour ce qui le concerne,

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable,

Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,

Composition🔗

Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Virginie ZAND, Conseiller, Monsieur Paul CHAUMONT, Conseiller, assistés de Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en chef adjoint, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles,

Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,

Lecture est donnée à l'audience publique du15 DECEMBRE 2015, par Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Commandeur de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en chef adjoint, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, en présence de Mademoiselle Cyrielle COLLE, Substitut du Procureur Général.

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