Cour d'appel, 23 juin 2015, Madame f. BA. veuve BE. c/ L'Établissement d'Enseignement Catholique Privé dénommé « L'école privé A »
Abstract🔗
Enseignement privé catholique – Qualification – Contrat administratif (oui) – Conséquences – Institutrice – Contrat de travail – Compétence (oui) – Mise à la retraite imposée – Qualification – Licenciement sans motif valable et abusif (non)
Résumé🔗
L'analyse de la convention signée le 4 février 2006 entre, d'une part, le représentant de l'État de Monaco et, d'autre part, l'archevêque de Monaco qui exerce son autorité sur l'enseignement privé catholique de la Principauté révèle l'existence d'un contrat administratif conclu entre une personne publique et une personne privée s'engageant à contribuer au service public de l'enseignement sous le contrôle de l'État moyennant l'octroi d'avantages financiers. Il est non moins constant qu'ainsi que les premiers juges l'ont rappelé dans la décision déférée, mais aussi à l'occasion d'autres différends salariaux, l'employeur qu'est cet organisme privé d'enseignement se trouve soumis à un certain contrôle de la puissance publique quant à l'organisation et au fonctionnement de son établissement. Outre le contrôle pédagogique, administratif et financier de l'État, force est de relever que les mesures édictées dans la convention du 4 février 2006 sont majoritairement identiques à celles en vigueur dans l'enseignement public monégasque tant au regard des méthodes, des cycles et des programmes d'enseignement, de la durée de l'année scolaire et des horaires de travail, qu'aux effectifs, au mode de rémunération du personnel ou à la limitation d'âge du personnel enseignant. La situation juridique de l'employeur est d'autant plus soumise à l'emprise de la puissance publique qu'il n'est nullement contesté qu'un représentant de l'État de Monaco compose le conseil d'administration de chaque établissement de l'enseignement privé catholique. Si ce faisceau d'éléments établit le régime exorbitant du contrat passé par l'État et les établissements d'enseignement catholiques de Monaco, il est non moins incontestable que la mission de tels établissements présente un caractère d'intérêt général lié à l'activité d'enseignement qui s'y trouve dispensée. Dès lors, même si l'école privé A est un organisme de droit privé et si les contrats de travail des personnels qu'il emploie relèvent également du droit privé, certaines des décisions unilatérales émanant de cet établissement scolaire peuvent néanmoins comporter l'emploi de prérogatives de puissance publique, les dispositions réglementaires de portée générale procédant de la convention du 4 février 2006 s'imposant aux tiers et donc aux salariés des établissements concernés. Une telle atteinte au principe de l'effet relatif des conventions résulte précisément du caractère exorbitant du régime applicable.
Quant à la mesure prise à l'encontre de f. BE., la convention du 4 février 2006, stipulant en son article 10 que la limite d'âge de 60 ans est applicable aux personnels enseignants du premier degré, trouve son fondement dans les dispositions de la loi n° 1.049 du 28 juillet 1982 sur les pensions de retraite des fonctionnaires et de certains agents publics, dont l'article 6 dispose que tout agent est admis d'office à cesser toute fonction et à faire valoir ses droits à pension lorsqu'il a atteint l'âge de 60 ans pour les maîtres de l'enseignement du premier degré. Il résulte des pièces produites que si f. BE. disposait d'un simple diplôme de jardinière éducatrice obtenu en 1969 lorsqu'elle a été employée au sein de l'école privé B, elle y a par la suite occupé la fonction d'institutrice à compter du 20 septembre 1976 avant d'être affectée le 10 septembre 2001 au Cours A en cette même qualité d'institutrice, ainsi qu'en attestent tant la demande d'autorisation d'embauchage et de permis travail du 10 septembre 2001, que les bulletins de salaires versés aux débats. Si sa propre qualification lui a interdit d'obtenir le déroulement de carrière et la reclassification auxquels elle prétendait, il n'en demeure pas moins que cette salariée avait depuis 1976 la qualité de personnel enseignant du premier degré correspondant au poste et aux fonctions effectivement exercées, ayant été dès la rentrée 2001-2002 recrutée en qualité d'institutrice au cours du Saint enfant Jésus (ou cours A) dans les mêmes conditions d'emploi rattachées à cette fonction. Il n'est pas davantage contestable que le poste d'institutrice correspond au premier degré d'enseignement concernant les enseignants dans le primaire, c'est-à-dire les professeurs des écoles et les instituteurs, dont la limite d'âge pour l'exercice de leurs fonctions est fixée à 60 ans. Il suit de l'analyse susvisée que les premiers juges ont à bon droit retenu leur compétence pour constater les conséquences juridiques d'un tel contrat administratif sur la relation de travail ayant existé entre les parties et en déduire que la mise à la retraite imposée à f. BE. ne s'analysait pas en un licenciement abusif fondé sur un motif non valable, ainsi que cette salariée le prétendait à tort.
Motifs🔗
COUR D'APPEL
ARRÊT DU 23 JUIN 2015
En la cause de :
- Madame f. BA. veuve BE., née le 8 janvier 1948, retraitée, demeurant X à Eze (06360) ;
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, ayant pour avocat plaidant Maître Danièle RIEU, avocat au Barreau de Nice ;
APPELANTE,
d'une part,
contre :
-L'Établissement d'Enseignement Catholique Privé dénommé « A », dont le siège social est sis X1 Monaco, pris en la personne de son Directeur en exercice, y demeurant en cette qualité ;
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
INTIMÉ,
d'autre part,
LA COUR,
Vu le jugement rendu par le Tribunal du Travail le 15 décembre 2011 ;
Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 20 octobre 2014 (enrôlé sous le numéro 2015/000032) ;
Vu les conclusions déposées les 6 janvier, 24 mars et 26 mai 2015 par Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur, au nom du Cours A ;
Vu les conclusions déposées les 24 février et 5 mai 2015 par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de f. BA. veuve BE. ;
À l'audience du 2 juin 2015, vu la production de leurs pièces par les conseils des parties ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
La Cour statue sur l'appel relevé par f. BA. veuve BE., à l'encontre d'un jugement du Tribunal du Travail en date du 15 décembre 2011.
Considérant les faits suivants :
f. BA. veuve BE., employée par l'établissement d'enseignement catholique privé dénommé « A » à compter du 10 septembre 2001 sous contrat à durée indéterminée avec reprise d'ancienneté, dans les mêmes conditions et au salaire qui était attaché à sa fonction dans le cadre de son ancien contrat au bénéfice de l'école privé B (ayant pris effet le 20 septembre 1976), a été mise à la retraite à l'âge de 60 ans le 4 juillet 2008.
Soutenant que sa mise à la retraite était injustifiée et s'analysait en un licenciement et revendiquant le bénéfice d'un reclassement sur la grille indiciaire de la documentation sociale de l'enseignement libre français « catégorie instituteurs », f. BE. a attrait l'école privé A devant le bureau de jugement du Tribunal du travail au début de l'année 2009.
Suivant jugement en date du 15 décembre 2011 le Tribunal du travail a :
« - dit que la décision de mise à la retraite de f. BA. épouse BE. par l'établissement d'enseignement catholique privé dénommé A ne s'analyse pas en un licenciement,
- débouté en conséquence f. BA. épouse BE. de ses demandes en paiement de l'indemnité de congédiement, de l'indemnité de licenciement et de dommages et intérêts,
- avant dire droit au fond sur les demandes de rappel de salaire et d'indemnités de congés payés, ordonné la réouverture des débats afin que l'établissement d'enseignement catholique privé dénommé l'école privé A :
* produise les conventions ayant lié l'école privé B à l'État de Monaco depuis le 20 septembre 1976 et jusqu'au 10 septembre 2001, ainsi que celles ayant lié l'école privé A à l'État de Monaco depuis le 10 septembre 2001 et jusqu'au 4 février 2006,
* fournisse la définition officielle française des termes « hors contrat », « secondaire », « classes élémentaires » et « classes du 2ème degré » contenus dans la grille de salaire dont il se prévaut, en apportant notamment tous éléments permettant de déterminer si l'enseignement privé catholique français ne correspond qu'à l'enseignement privé « hors contrat » en France et d'expliquer l'apparente contradiction est lié au fait que les « professeurs du secondaire » pourraient enseigner dans « les classes élémentaires » ( 27 heures), les « classes du deuxième degré » (18 ou 20 heures) et les « classes préparatoires aux Grandes Écoles » (18 heures),
- f. BA. épouse BE. fournisse toutes indications sur le mode de calcul des congés payés au sein des établissements scolaires catholiques privés de la Principauté ainsi que sur son incidence en cas de rappel de salaire, et s'explique sur le fait que l'indemnité compensatrice de congés payés mentionnée à hauteur de 5.012,54 euros sur le document adressé à la CAR et cosignée par les parties ne correspondrait pas aux sommes qui lui étaient dues »,
et ce, aux motifs que :
- Le contrat de travail de f. BE. caractérise un contrat administratif entre une personne publique est une personne privée, la mission confiée à cette employée ayant un caractère d'intérêt général,
- certaines décisions unilatérales prises par de tels établissements dans le cadre d'un contrat exorbitant du droit commun comportent l'emploi de prérogatives de puissance publique,
- tel est le cas de la décision de mise à la retraite d'un enseignant du premier degré lorsqu'il a atteint l'âge de 60 ans dans les termes prévus par la convention de subvention conclue avec l'État de Monaco,
- l'article 10 du contrat du 4 février 2006 signé avec l'État et engageant l'école privé A prévoyait que la limite d'âge de 60 ans est applicable aux personnels enseignants du premier degré, f. BE. relevant de cette catégorie en qualité d'institutrice et ayant pour sa part atteint 60 ans le 8 janvier 2008,
- la décision du Cours A ne peut dès lors s'analyser en un licenciement, l'existence de ce contrat comportant des clauses réglementaires faisant partiellement échec au principe de l'effet relatif des conventions,
- en l'état du protocole transactionnel conclu entre le directeur diocésain de l'enseignement catholique de Monaco, le responsable administratif de l'école privé B et la directrice du Cours du Saint Enfant Jésus d'une part et, d'autre part, f. BE., il n'apparaît pas en l'état possible de déterminer les grilles qui étaient applicables à la situation de f. BE. et il apparaît nécessaire d'ordonner la réouverture des débats à l'effet d'obtenir la production de certaines pièces complémentaires.
Suivant exploit du 20 octobre 2014, f. BE. a régulièrement interjeté appel du jugement rendu le 15 décembre 2011 par le Tribunal du travail, non signifié, à l'effet de voir la Cour :
- déclarer recevable l'appel parte in qua interjeté à l'encontre du jugement rendu le 15 décembre 2011 par le tribunal du travail,
- le déclarer bien fondé,
- en conséquence le réformer en ce qu'il a dit que la décision de mise à la retraite de f. BE. par l'établissement d'enseignement catholique privé l'école privé A ne s'analyse pas en un licenciement et la débouter de ses demandes en paiement de l'indemnité de congédiement, de l'indemnité de licenciement et de dommages et intérêts,
Et, statuant à nouveau :
- dire que Madame f. BE. ne pouvait être mise à la retraite d'office à l'âge de 60 ans et que cette décision unilatérale de la part du Cours A correspond bien non seulement à un licenciement mais à un licenciement non valable,
- en conséquence condamner l'établissement d'enseignement catholique privé, dénommé l'école privé A, à lui régler la somme de 7774, 08 euros à titre d'indemnité de congédiement, la somme de 6802, 56 euros à titre d'indemnité de licenciement et la somme de 150 000 euros à titre de dommages intérêts pour licenciement abusif,
- dire que les sommes ainsi dues devront être réglées avec intérêts au taux légal à compter de la demande en justice, soit à compter du 31 décembre 2008,
- condamner enfin l'école privé A aux dépens d'appel.
Au soutien de ce recours, f. BE. expose liminairement que la procédure s'est poursuivie sur le deuxième point de ses demandes après la réouverture des débats et qu'un jugement rendu le 17 octobre 2013 par le Tribunal du travail, l'a déboutée également de l'ensemble de ses prétentions relatives à son déroulement de carrière et à sa demande de rappel de salaire, décision dont elle n'a pas fait appel et qui est devenue définitive.
En revanche et s'agissant de la décision entreprise, elle soutient que sa mise à la retraite d'office était impossible et expose en substance aux termes de l'ensemble de ses écrits judiciaires que :
- par la décision définitive rendue le 17 octobre 2013 elle n'a pu obtenir le déroulement de carrière auquel elle prétendait au motif essentiel qu'elle ne faisait pas partie du personnel enseignant, ne disposant que d'un diplôme de jardinière éducatrice correspondant à une qualification d'éducation et non d'enseignement,
- dès lors elle ne pouvait être mise à la retraite d'office au motif qu'elle aurait fait partie du personnel enseignant du premier degré, l'école privé A ne pouvant utiliser l'une et l'autre des catégories selon son intérêt et au préjudice de ses employés,
- le contrat de subvention liant l'école privé A au Gouvernement princier ne lui a jamais été transmis et elle n'a jamais été informée de sa teneur en ce qu'elle était tenue de prendre sa retraite à 60 ans alors même qu'étant une salariée de droit privé elle pouvait continuer à travailler au moins jusqu'à 65 ans.
Estimant dès lors que sa mise à la retraite s'analyse en un licenciement, elle ne revendique pas d'indemnité de préavis, mais sollicite l'octroi d'une indemnité de congédiement calculé conformément aux dispositions de la loi n° 845 du 27 juin 1968 et s'élevant à une somme de 7.774,08 euros qui sera déduite du montant de l'indemnité de licenciement calculée par référence à l'article 2 de la loi n° 845, soit une somme de 6.802,56 euros.
Outre le préjudice moral résultant de cette cessation anticipée de son contrat de travail, l'appelante estime avoir subi d'importantes conséquences financières, ayant perdu 5 ans de salaires qui n'ont été qu'en partie compensés par son allocation retraite dans la mesure où celle-ci est d'un montant inférieur à la somme à laquelle elle aurait pu prétendre avec 20 trimestres de cotisation supplémentaires jusqu'au mois de juillet 2013.
Au titre de ces cinq années de travail perdu, elle évalue sa perte de revenus à la somme de 43.021,22 euros tandis que le préjudice correspondant à la réduction de sa pension de retraite se chiffre selon elle à la somme de 250.071,44 euros, soit un manque à gagner global de 293.092,66 euros au regard duquel l'indemnisation sollicitée, chiffrée à 150.000 euros apparaît particulièrement raisonnable et devrait lui être accordée.
L'école privé A, intimé, entend pour sa part, aux termes de l'ensemble de ses conclusions, voir débouter f. BE. des fins de son appel et confirmer en toutes ses dispositions frappées d'appel le jugement du 15 décembre 2011, en ce qu'il a été dit que la décision de mise à la retraite de f. BE. par l'établissement d'enseignement catholique privé dénommé A ne s'analyse pas en un licenciement et en ce que f. BE. a été déboutée de ses demandes en paiement.
L'école privé A entend reconventionnellement voir condamner l'appelante à lui payer une somme de 10.000 euros de dommages intérêts pour procédure abusive.
L'école privé A expose pour l'essentiel que :
- la convention signée le 4 février 2006 passé entre l'État et le diocèse a été versée aux débats devant le Tribunal du travail et stipule clairement en son article 10 que la limite d'âge de 60 ans est applicable aux personnels enseignants du premier degré,
- il n'y a pas lieu de faire un amalgame entre le poste occupé au sein du Cours A c'est-à-dire institutrice, et le diplôme obtenu en 1969 de jardinière éducatrice,
- il résulte d'une jurisprudence constante en la matière que les contrats de travail des personnels des organismes d'enseignement catholique privé sous contrat avec l'État sont exorbitants du droit commun dans la mesure où la mission d'enseignement présente un caractère d'intérêt général et se trouve soumise en partie à un régime de droit public,
- certaines décisions unilatérales de tels établissements comportent l'emploi de prérogatives de puissance publique et peuvent donc caractériser des actes administratifs, tel étant le cas de la décision de mise à la retraite notifiée à cette enseignante, l'exposé des motifs de la loi n° 1.049 du 28 juillet 1982 sur les pensions de retraite des fonctionnaires explicitant que la limite d'âge de 60 ans est maintenue pour les services comportant des fonctions dont l'exercice implique des risques particuliers ou des fatigues exceptionnelles,
- f. BE., institutrice, relevait de la catégorie des personnels enseignants du premier degré même si elle ne disposait pas du diplôme requis pour l'exercer mais d'un simple diplôme de jardinière éducatrice et s'était vu attribuer une classification au regard de la grille de salaire en rapport avec le travail d'institutrice qu'elle effectuait réellement,
- les bulletins de salaire remis à f. BE. attestent de ce qu'elle était bien employée en qualité d'institutrice, l'analyse parcellaire et spécieuse du jugement rendu le 17 octobre 2013 au sujet de ses rémunérations ne permettant pas de déduire qu'elle se serait vu refuser la qualité de personnel enseignant du premier degré, les premiers juges se bornant à indiquer qu'elle disposait d'une qualification d'éducation et non d'enseignement,
- le poste d'institutrice correspond bien au premier degré visant les enseignants dans le primaire,
- la convention signée le 4 février 2006 avec l'État de Monaco caractérise bien le contrat administratif souscrit par une association privée qui, en contrepartie d'avantages financiers, s'engage à exercer une activité concourant directement à la satisfaction de l'intérêt général et au service public de l'enseignement sous le contrôle pédagogique administratif et financier de l'État,
- l'activité d'enseignement est soumise au moins pour partie à un régime de droit public ce que conforte la présence dans le conseil d'administration de chaque établissement d'un représentant de l'État,
- le non-respect des différentes obligations édictées dans cette convention notamment celles édictée par l'article 10 avec la mise à la retraite d'office à l'âge de 60 ans pour les enseignants du premier degré implique la suspension ou la suppression totale ou partielle du versement de la subvention accordée par l'État (article 16 de la Convention),
- en conséquence il était impossible au Cours A de déroger à la mise à la retraite d'un instituteur ou d'un professeur des écoles ayant atteint l'âge de 60 ans sous peine de voir sa subvention étatique supprimée en partie ou même en totalité.
S'agissant de sa demande reconventionnelle, l'école privé A fait état de l'attitude blâmable de f. BE. qui prétend avoir été avisée de sa mise à la retraite de façon très indirecte alors même qu'elle avait été informée par la Directrice du Cours A de la teneur de la convention souscrite avec l'État.
L'intimée rappelle également qu'afin de ne pas faire perdre à cette salariée le bénéfice de ses 25 années d'ancienneté acquises au sein de l'école privé B, il avait été décidé par un protocole transactionnel de l'embaucher suivant contrat à durée indéterminée avec conservation de son ancienneté au 20 septembre 1976, ce qui démontre de plus fort la bienveillance de son employeur qui n'avait cependant aucun lien juridique ou contractuel avec l'Ecole des dominicaines et ce, alors même que f. BE. ne disposait pas des qualifications requises pour l'exercice de son métier d'institutrice.
L'école privé A fait enfin état des multiples demandes, pléthoriques et fantaisistes, formalisées par courrier ou par téléphone par f. BE. et son époux révélant le caractère particulièrement procédurier de cette institutrice et démontrant l'aspect abusif de la présente procédure judiciaire, l'appel ayant au demeurant été interjeté plusieurs années après son délibéré.
L'appelante, f. BE., reprenant le bénéfice de son exploit d'appel, observe en substance aux termes de ses nouveaux écrits judiciaires que l'école privé A, qui a su exploiter sa situation particulière, ne peut plus désormais se refuser à tirer les conséquences d'une décision de justice définitive après avoir fait état du fait qu'elle ne pouvait se prévaloir que d'un diplôme de jardinière éducatrice pour lui refuser le déroulement de carrière et le salaire auxquels elle pouvait prétendre.
Qu'il convient selon elle de passer outre la qualification donnée par les parties à leur lien contractuel et de retenir que Madame BE. n'était qu'une simple éducatrice en classe maternelle et ne se trouvait donc nullement obligée, eu égard à la convention souscrite avec l'État, de prendre sa retraite à 60 ans.
Que l'école privé A lui apparaît avoir pris à son encontre une décision intempestive et abusive sans même soumettre son cas à son conseil d'administration composé de représentants de l'État, la référence aux « fatigues exceptionnelles » visées par la loi n° 455 du 27 juin 1947 étant déplacée dans la mesure où elle n'a que très rarement été absente pour maladie au cours de l'ensemble de sa carrière.
f. BE. s'oppose enfin à la demande reconventionnelle en dommages-intérêts formés par l'école privé A, intimé, estimant qu'il n'y a rien de blâmable pour un salarié à faire valoir ses droits en justice et a interjeté un appel alors même que l'employeur concerné a de son côté agi avec légèreté, en prenant une décision de mise à la retraite d'office sans entretien ni information préalable.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.
SUR CE,
Attendu que l'appel partiellement interjeté par f. BE. tend à voir réformer la décision entreprise en ce qu'il a été dit que sa mise à la retraite par l'établissement A ne s'analyse pas en un licenciement et en ce qu'elle a été déboutée de l'ensemble de ses demandes de paiement des indemnités de congédiement, de licenciement et de dommages-intérêts ;
Attendu qu'il résulte des pièces produites que f. BE. a été invitée à faire valoir ses droits à la retraite à la fin de l'année scolaire 2007-2008 par l'établissement d'enseignement qui l'employait, l'école privé A, conformément aux dispositions invoquées de l'article 10 de la convention passée entre l'État et le diocèse le 4 février 2006 stipulant que la limite d'âge de 60 ans est applicable au personnel enseignant du premier degré ;
Que l'appelante estime au contraire d'une part qu'elle ne faisait pas partie du personnel enseignant et qu'elle n'aurait donc pas dû être mise à la retraite d'office à l'âge de 60 ans dans la mesure où elle n'avait qu'un diplôme de jardinière éducatrice suffisant pour sa fonction d'éducatrice en classe maternelle et fait d'autre part valoir qu'elle n'avait jamais été informée de l'existence de contenu de ce contrat liant l'école privé A à l'État ;
Attendu que l'analyse de la convention signée le 4 février 2006 entre d'une part le représentant de l'État de Monaco et, d'autre part, l'archevêque de Monaco qui exerce son autorité sur l'enseignement privé catholique de la Principauté révèle l'existence d'un contrat administratif conclu entre une personne publique et une personne privée s'engageant à contribuer au service public de l'enseignement sous le contrôle de l'État moyennant l'octroi d'avantages financiers ;
Qu'il est non moins constant qu'ainsi que les premiers juges l'ont rappelé dans la décision déférée, mais aussi à l'occasion d'autres différends salariaux, l'employeur qu'est cet organisme privé d'enseignement se trouve soumis à un certain contrôle de la puissance publique quant à l'organisation et au fonctionnement de son établissement ;
Qu'outre le contrôle pédagogique, administratif et financier de l'État, force est de relever que les mesures édictées dans la convention du 4 février 2006 sont majoritairement identiques à celles en vigueur dans l'enseignement public monégasque tant au regard des méthodes, des cycles et des programmes d'enseignement, de la durée de l'année scolaire et des horaires de travail, qu'aux effectifs, au mode de rémunération du personnel ou à la limitation d'âge du personnel enseignant ;
Que la situation juridique de l'employeur est d'autant plus soumise à l'emprise de la puissance publique qu'il n'est nullement contesté qu'un représentant de l'État de Monaco compose le conseil d'administration de chaque établissement de l'enseignement privé catholique ;
Attendu que si ce faisceau d'éléments établit le régime exorbitant du contrat passé par l'État et les établissements d'enseignement catholiques de Monaco, il est non moins incontestable que la mission de tels établissements présente un caractère d'intérêt général lié à l'activité d'enseignement qui s'y trouve dispensée ;
Que dès lors, même si L'école privé A est un organisme de droit privé et si les contrats de travail des personnels qu'il emploie relèvent également du droit privé, certaines des décisions unilatérales émanant de cet établissement scolaire peuvent néanmoins comporter l'emploi de prérogatives de puissance publique, les dispositions réglementaires de portée générale procédant de la convention du 4 février 2006 s'imposant aux tiers et donc aux salariés des établissements concernés ;
Qu'une telle atteinte au principe de l'effet relatif des conventions résulte précisément du caractère exorbitant du régime applicable ;
Attendu, quant à la mesure prise à l'encontre de f. BE., que la convention du 4 février 2006, stipulant en son article 10 que la limite d'âge de 60 ans est applicable aux personnels enseignants du premier degré, trouve son fondement dans les dispositions de la loi n° 1.049 du 28 juillet 1982 sur les pensions de retraite des fonctionnaires et de certains agents publics, dont l'article 6 dispose que tout agent est admis d'office à cesser toute fonction et à faire valoir ses droits à pension lorsqu'il a atteint l'âge de 60 ans pour les maîtres de l'enseignement du premier degré ;
Attendu qu'il résulte des pièces produites que si f. BE. disposait d'un simple diplôme de jardinière éducatrice obtenu en 1969 lorsqu'elle a été employée au sein de l'école privé B, elle y a par la suite occupé la fonction d'institutrice à compter du 20 septembre 1976 avant d'être affectée le 10 septembre 2001 au Cours A en cette même qualité d'institutrice, ainsi qu'en attestent tant la demande d'autorisation d'embauchage et de permis travail du 10 septembre 2001, que les bulletins de salaires versés aux débats ;
Que si sa propre qualification lui a interdit d'obtenir le déroulement de carrière et la reclassification auxquels elle prétendait, il n'en demeure pas moins que cette salariée avait depuis 1976 la qualité de personnel enseignant du premier degré correspondant au poste et aux fonctions effectivement exercées, ayant été dès la rentrée 2001-2002 recrutée en qualité d'institutrice au cours du Saint enfant Jésus (ou cours A) dans les mêmes conditions d'emploi rattachées à cette fonction ;
Qu'il n'est pas davantage contestable que le poste d'institutrice correspond au premier degré d'enseignement concernant les enseignants dans le primaire, c'est-à-dire les professeurs des écoles et les instituteurs, dont la limite d'âge pour l'exercice de leurs fonctions est fixée à 60 ans ;
Attendu qu'il suit de l'analyse susvisée que les premiers juges ont à bon droit retenu leur compétence pour constater les conséquences juridiques d'un tel contrat administratif sur la relation de travail ayant existé entre les parties et en déduire que la mise à la retraite imposée à f. BE. ne s'analysait pas en un licenciement abusif fondé sur un motif non valable, ainsi que cette salariée le prétendait à tort ;
Que la décision entreprise sera dès lors confirmée en toutes ses dispositions appelées, f. BE. étant déboutée de l'ensemble de ses prétentions ;
Attendu sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts formée par l'école privé A qu'eu égard au régime exorbitant du droit commun inhérent au contrat administratif passé entre l'État son employeur, l'appelante a pu se méprendre sur la portée de ses droits et n'a commis aucune faute à l'occasion de la procédure initiée devant le tribunal du travail, ni au demeurant en interjetant appel du jugement déféré ;
Que l'école privé A sera dès lors débouté des fins de sa demande d'indemnisation pour procédure abusive ;
Attendu que les dépens d'appel demeureront à la charge de f. BE. ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,
statuant publiquement et contradictoirement,
Reçoit les appels,
Déboute f. BE. des fins de son appel et confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 15 décembre 2011 par le Tribunal du travail,
Déboute l'école privé A des fins de sa demande de dommages-intérêts,
Laisse les dépens d'appel à la charge de f. BE. et dit qu'ils seront distraits au profit de Maître Christophe SOSSO, avocat défenseur, sous sa due affirmation,
Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable,
Vu les articles 58 et 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,
Composition🔗
Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Officier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, Monsieur Eric SENNA, Conseiller, assistés de Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en chef adjoint, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles,
Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,
Lecture est donnée à l'audience publique du 23 JUIN 2015, par Madame Brigitte GRINDA-GAMBARINI, Premier Président, Officier de l'Ordre de Saint-Charles assistée de Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en chef adjoint, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, en présence de Mademoiselle Cyrielle COLLE, substitut du Procureur Général.