Cour d'appel, 1 juin 2015, d. DU. c/ Ministère public

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Abstract🔗

Procédure pénale – Délit de banqueroute simple (oui) – Délit de banqueroute frauduleuse (oui) – Commerçant en état de cessation de paiement

Résumé🔗

L'article 328 du Code pénal énonce que sont punis des peines de la banqueroute simple, les dirigeants de toute personne morale exerçant même en fait une activité commerciale et se trouvant en état de cessation des paiements, lorsqu'en cette qualité et de mauvaise foi, ils ont, sans excuse légitime, omis de faire au greffe général, dans les quinze jours, la déclaration de la cessation des paiements de la personne morale. Quant à l'article 328-1 du même code, il réprime des peines de la banqueroute frauduleuse le dirigeant d'une personne morale exerçant une activité commerciale et se trouvant en état de cessation des paiements qui, de mauvaise foi, a détourné ou dissimulé une partie de son actif.

En première instance, le Tribunal correctionnel a condamné d. DU. pour le délit de banqueroute simple et la Cour d'appel le confirme. Elle constate entre les bilans financiers de 2011 et 2012, l'aggravation du résultat déficitaire et d. DU. en sa qualité de gérant de la SARL A (SARL A.) ne pouvait méconnaître qu'elle se trouvait dans l'impossibilité de régler son passif exigible avec son actif disponible. La Cour va également caractériser le délit de banqueroute frauduleuse en infirmant le jugement du tribunal sur deux points. Premièrement, les véhicules appartenant à la SARL A. ont été intégralement été acquittés par l'acheteur, de sorte qu'il ne peut y avoir de détournement ou de dissimulation de l'actif de la société. Ensuite les dépenses effectuées avec le compte de la SARL A., notamment divers frais de déplacements, ne sont pas suffisamment caractérisées comme relevant d'un détournement.

En revanche, pour caractériser le délit de banqueroute frauduleuse la Cour d'Appel va retenir deux autres éléments. Le premier dans le cadre d'un contrat de prestations de services conclu entre la SARL A. et l'Archevêché de Monaco et qui a été cédé à titre gratuit à e. DE. La valeur de la contrepartie mis à la charge de ce dernier ne correspondait pas au contrat cédé et générait un chiffre d'affaires annuel d'environ 92.000 euros. En tant que salarié de la société A., e. DE. ne s'occupait que de ce seul client, ce qui suffisait à ce que son contrat soit rentable. Enfin en tant que gérant de la société A., d. DU. a réalisé une cession à titre gratuit du magazine L à la société B LTD, tout en restant directeur de la publication. Cette cession n'a entrainé aucune contrepartie financière pour la société A., ce qui permet de caractériser le délit de banqueroute frauduleuse. En conséquence, la Cour d'Appel, tout en infirmant certains éléments et le relaxant sur la cession des véhicules, condamne d. DU. à la peine de huit mois d'emprisonnement avec sursis, alors que le Tribunal l'avait condamné à un an avec sursis.


Motifs🔗

Cour d'appel correctionnelle Dossier PG n° 2014/001799

ARRÊT DU 1er JUIN 2015

En la cause de :

d. DU., né le 24 juillet 1967 à Choisy-le-Roi (94), de B. et de R. JO., de nationalité française, exploitant de société, demeurant « X », X - 06200 Nice ;

Prévenu de :

BANQUEROUTE SIMPLE

BANQUEROUTE FRAUDULEUSE

présent, assisté de Maître Adrien VERRIER, avocat au barreau de Nice,

APPELANT/INTIMÉ

Contre :

le MINISTÈRE PUBLIC ;

INTIMÉ/APPELANT

En présence de :

Christian BOISSON, syndic de la cessation des paiements de la SARL A, « A », dont le siège social était sis X1 à Monaco, constitué partie civile, comparaissant en personne ;

INTIMÉ

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO, jugeant correctionnellement, après débats à l'audience du 13 avril 2015 ;

Vu le jugement contradictoirement rendu par le Tribunal de première instance jugeant correctionnellement le 20 janvier 2015 ;

Vu les appels interjetés le 26 janvier 2015 tant par d. DU., prévenu, que par le Ministère public, à titre incident ;

Vu l'ordonnance présidentielle en date du 10 février 2015 ;

Vu la citation et signification, suivant exploit, enregistré, de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 2 mars 2015 ;

Vu les conclusions de Maître Adrien VERRIER, avocat et celui de d. DU., en date du 10 avril 2015 ;

Vu les conclusions de Christian BOISSON, syndic de la cessation des paiements de la SARL A, en date du 13 avril 2015 ;

Vu les pièces du dossier ;

Ouï Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, en son rapport ;

Ouï d. DU., prévenu, en ses réponses ;

Ouï Christian BOISSON, partie-civile, comparaissant en personne, en ses observations ;

Ouï le Ministère public en ses réquisitions ;

Ouï Maître Adrien VERRIER, avocat et celui de d. DU., prévenu, régulièrement autorisé à plaider par le Président, en sa plaidoirie et moyens d'appel ;

Ouï le prévenu en dernier, en ses moyens de défense ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Par jugement contradictoire en date du 20 janvier 2015, le Tribunal correctionnel a, sous la prévention :

« Pour avoir, à Monaco, courant 2012 et 2013, étant dirigeant de droit de la «SARL A», se trouvant en état de cessation des paiements depuis le 31 décembre 2011 selon jugement du Tribunal de Première Instance en date du 31 octobre 2013, omis de mauvaise foi et sans excuse légitime, de faire au greffe général, dans les 15 jours, la déclaration de la cessation des paiements de ladite société »,

DÉLIT prévu et réprimé par les articles 327 et 328 alinéa 1 du Code pénal ;

« Pour avoir, à Monaco, courant 2012 et 2013, étant dirigeant de droit de la «SARL A», laquelle se trouvait en état de cessation des paiements, détourné ou dissimulé, de mauvaise foi, une partie de l'actif de ladite société, en l'espèce :

  • - en cédant à titre gratuit au préjudice de la «SARL A», à e. DE., ancien salarié de la société, exploitant en nom propre sous l'enseigne «E» une activité «d'édition, réalisation, commercialisation, diffusion d'ouvrages, brochures, bulletins, formulaires, ventes d'espaces publicitaires», un contrat de prestations de services conclu précédemment entre la «SARL A» et l'Archevêché de Monaco,

  • - en cédant à titre gratuit au préjudice de la «SARL A», à une société anglaise «B LTD» la publication du magazine «L» renommé «LI. ART L»,

  • - en cédant à e. DE., sans en percevoir la totalité du prix de vente, un véhicule S et un scooter P dont la «SARL A» était propriétaire,

  • - en transférant la propriété à son nom d'une motocyclette K dont la «SARL A» était propriétaire en compensation de son compte courant associé,

  • - en usant de la carte bancaire de la «SARL A» pour effectuer des paiements et des retraits d'espèces disproportionnés par rapport à la situation financière de la « SARL A »,

  • - en effectuant des virements injustifiés de fonds du compte de «SARL A» sur le compte bancaire de la société D»,

DÉLIT prévu et réprimé par les articles 327 et 328 -1 du Code de commerce ;

Sur l'action publique,

  • - déclaré coupable d. DU. des délits qui lui sont reprochés ;

En répression, faisant application des articles visés par la prévention ainsi que de l'article 393 du Code pénal,

  • - l'a condamné à la peine de UN AN D'EMPRISONNEMENT AVEC SURSIS, l'avertissement prescrit par l'article 395 du Code pénal n'ayant pu être adressé au condamné, absent lors du prononcé de la décision ;

Sur l'action civile,

  • - reçu Christian BOISSON, syndic de la cessation des paiements de la SARL « A », « A » en sa constitution de partie civile ;

  • - renvoyé l'affaire à l'audience des intérêts civils du 20 mars 2015 à 9 h 30,

  • - condamné en outre, d. DU. aux frais ;

d. DU., prévenu, a interjeté appel de cette décision par acte de greffe en date du 26 janvier 2015.

Le Ministère public a interjeté appel incident de ladite décision le même jour.

Les appels réguliers sont recevables.

Considérant les faits suivants :

La SARL A (ci-après A) est une société de droit monégasque, immatriculée le 22 septembre 2010, créée par d. DU., et dont ce dernier était gérant, associé à 90 %.

Son objet social consistait, notamment, en l'édition, la diffusion et la vente de publications d'ouvrages et de revues à Monaco et à l'étranger.

La SARL A avait, en particulier, la charge de l'édition du bulletin mensuel de l'Eglise de Monaco et du magazine L.

d. DU. déposait le bilan de la société auprès du greffe du Tribunal de Monaco le 17 octobre 2013.

Par jugement du 31 octobre 2013, le Tribunal de première instance constatait l'état de cessation des paiements de la SARL A, fixait provisoirement la date de cette cessation au 31 décembre 2011 et désignait Christian BOISSON en qualité de syndic de la procédure.

Le 18 décembre 2013, le syndic adressait au juge-commissaire, conformément à l'article 438 du Code de commerce, un rapport sur la situation de la société débitrice, faisant état de faits susceptibles de qualification pénale, notamment le délit de banqueroute simple pour déclaration tardive de l'état de cessation des paiements, et le délit de banqueroute frauduleuse en raison de prélèvements effectués sur le compte de la société, y compris après le dépôt de bilan.

Le juge-commissaire transmettait le rapport au Procureur général qui confiait une enquête à la Sûreté Publique.

Au rapport initial du syndic, faisaient suite deux autres rapports complémentaires en date des 20 janvier 2014 et 11 juin 2014, adressés au juge-commissaire, transmis au Parquet général, puis aux services de police pour complément d'enquête, qui révélaient d'éventuels détournements d'actif.

L'enquête permettait de mettre en évidence une déclaration tardive de la cessation des paiements de la SARL A, ainsi que des détournements possibles d'une partie de l'actif de la société caractérisés, notamment, par une cession de contrat sans contrepartie, par la cession de véhicules dont la société était propriétaire sans perception de la totalité du prix de vente, par la cession, à titre gratuit, de la publication du magazine L à une société anglaise, par l'utilisation de la carte bancaire de la société pour des paiements et retraits d'espèces hors de proportion avec la situation financière de l'entreprise, et par l'existence de virements injustifiés depuis le compte de la société.

À l'issue de l'enquête, d. DU. faisait l'objet d'une citation devant le Tribunal correctionnel pour des faits de banqueroute simple et de banqueroute frauduleuse par dissimulation ou détournement d'actif.

Le casier judiciaire monégasque de d. DU. ne porte trace d'aucune condamnation.

Sur son casier judiciaire français, figure une condamnation prononcée le 28 mars 2011, par le Tribunal correctionnel de Nice, à la peine de 400 euros d'amende pour conduite d'un véhicule sous l'empire d'un état alcoolique, à propos de laquelle il est précisé que l'amende a été payée le 24 août 2011 et que la condamnation est réhabilitée de plein droit.

Par conclusions déposées à l'audience le 16 décembre 2014, Christian BOISSON, es-qualités de syndic à la cessation des paiements de la SARL A se constituait partie civile et sollicitait la condamnation de d. DU. au paiement de la somme de 121.534 euros pour le préjudice subi par les créanciers, au titre du détournement d'un véhicule, de retraits et paiements injustifiés et du détournement du contrat du magazine L, ainsi que sa condamnation au paiement de la somme de 20.000 euros de dommages-intérêts.

Par conclusions également déposées à l'audience le 16 décembre 2014, le conseil de d. DU. sollicitait la relaxe de son client aux motifs :

  • - pour la banqueroute simple consistant en l'omission de faire au greffe général, la déclaration de cessation des paiements de la personne morale dans les quinze jours, que d. DU. était lui-même à l'initiative de la requête en constatation de l'état de cessation des paiements, qu'au 31 décembre 2011, le résultat de la société était déficitaire à hauteur de 160.042 euros seulement, ce qui n'était pas alarmant compte tenu des créances en cours estimées à 158.746,57 euros, que deux clients (la SAS H et la SASU I) n'avaient pas honoré leurs factures d'un montant total supérieur à 600.000 euros et qu'en conséquence, pouvait être retenue au bénéfice de d. DU. l'excuse légitime au sens de l'article 328 du Code pénal ;

  • - pour la banqueroute frauduleuse, que ce délit n'était pas caractérisé, ni dans son élément matériel ni dans son élément moral, par la cession à titre gratuit à e. DE. du contrat conclu avec l'Archevêché de Monaco dès lors que ladite cession avait permis de ne pas aggraver le passif de la société, d. DU. ne pouvant, de ce fait, être considéré comme de mauvaise foi ; que s'agissant de la cession à titre gratuit du magazine L à la société de droit anglais B LTD, celle-ci était contestée dès lors que des encaissements au titre du magazine L avaient été réalisés au seul profit de la SARL A ; que s'agissant de la cession à e. DE. d'un véhicule S et d'un scooter P., ces cessions n'avaient pas été consenties à titre gratuit mais moyennant la somme totale de 5.000 euros, les prix correspondant à la valeur d'amortissement ; que s'agissant de la cession à d. DU. d'une moto K en compensation de son compte courant d'associé, d'une part l'existence de ce compte courant n'avait jamais été contestée sur le plan comptable, d'autre part la compensation avait permis de ne pas aggraver le passif de la société ; que s'agissant de l'utilisation de la carte bancaire et des retraits d'espèces, ces dépenses étaient justifiées par les démarches accomplies par le gérant pour tenter d'obtenir de nouveaux contrats et fidéliser des clients ; que s'agissant enfin des deux virements de 500 euros et 1.000 euros émis en février et août 2013 en faveur de d. DU., ces sommes correspondaient à la rémunération de la gérance.

Par jugement contradictoire en date du 20 janvier 2015, désormais entrepris, le Tribunal correctionnel déclarait d. DU. coupable de banqueroute simple et de banqueroute frauduleuse, le condamnait, en répression, à la peine d'un an d'emprisonnement avec sursis, recevait Christian BOISSON, es-qualités de syndic de la cessation des paiements de la SARL A, A, en sa constitution de partie civile et renvoyait l'affaire à l'audience des intérêts civils du 20 mars 2015.

Pour statuer ainsi, le Tribunal retenait :

  • - qu'il résultait des échanges de courriels entre d. DU. et le cabinet d'expertise comptable en charge de la comptabilité de la SARL A, que cette société était déjà en cessation des paiements depuis le mois de septembre 2013, et que la déclaration du 18 octobre 2013 a été opérée tardivement par le gérant qui ne pouvait ignorer cette situation, en sorte que le délit de banqueroute simple était constitué ;

  • - que les cessions, soit à titre gratuit, soit à moindre prix, de biens appartenant à la personne morale, et notamment celle des deux principaux contrats constituant l'essentiel du chiffre d'affaires, ne peuvent que caractériser des détournements d'une partie de l'actif de la société ;

  • - qu'il en va de même des virements intervenus au profit de la société D, de l'usage de la carte bancaire de la SARL A ainsi que des retraits d'espèces depuis le compte de celle-ci, et ce à hauteur de 18.934,54 euros, durant les cinq mois qui ont précédé la cessation des paiements ;

  • - qu'il est ainsi établi que d. DU., conscient de la mauvaise situation financière de la SARL A en sa qualité d'associé gérant, a délibérément, avant de déposer le bilan, dissipé et détourné une partie de l'actif de celle-ci, étant observé que le sort des deux créances alléguées par le prévenu est incertain puisque faisant l'objet d'une procédure judiciaire distincte en cours.

Par acte du 26 janvier 2015, d. DU. relevait appel de la décision.

Par acte du même jour, le Procureur général en relevait appel incident.

Par conclusions déposées le 10 avril 2015, d. DU. demande à la Cour d'infirmer le jugement rendu par le Tribunal correctionnel de Monaco, de prononcer la relaxe et de débouter Christian BOISSON de l'ensemble de ses demandes.

Il fait valoir :

  • s'agissant du défaut de déclaration de cessation des paiements dans les quinze jours au Greffe Général, qu'il a procédé lui-même à cette déclaration, que la perte de 160.042 euros enregistrée au 31 décembre 2011 ne signifie pas, ipso facto, un état de cessation des paiements, et que ce résultat négatif n'était pas alarmant compte tenu des importantes créances en cours dont il espérait le recouvrement ;

  • que, pour caractériser le délit de banqueroute, les premiers juges se sont fondés sur un échange de courriels entre le prévenu et son expert-comptable, lesquels attestent uniquement que ce dernier n'avait pas été réglé de ses derniers honoraires, ce qui ne saurait suffire à caractériser le délit ;

  • que, s'agissant de la cession à titre gratuit à e. DE. du contrat conclu avec l'Archevêché de Monaco, un accord est intervenu le 14 septembre 2009 entre la SARL A et e. DE. aux termes duquel en échange de la cession gratuite à son profit dudit contrat, e. DE. acceptait de présenter sa démission, évitant ainsi la charge d'une procédure de licenciement à la société, et de prendre à son compte le règlement de certaines factures, qui auraient dû être supportées par la SARL ;

  • que l'on ne peut caractériser ni l'élément matériel (ce contrat ne constituant pas un actif de la société) ni l'élément moral de l'infraction (aucune mauvaise foi ne pouvant être imputée à d. DU.) ;

  • que, s'agissant de la cession à titre gratuit du magazine L à la société B LTD, il a été décidé de mettre fin à la publication du magazine papier en raison des pertes financières, que des règlements sont intervenus entre juillet et octobre 2013 au titre de dernières factures en cours qui ont profité à la SARL A et non à la société B LTD, que cette dernière n'a jamais repris le magazine papier L lequel a cessé d'exister dès la fin du mois de novembre 2013, soit avant même la fermeture de A, ce que confirme la déclaration de créances de la société F anciennement chargée de la publication du magazine ;

  • que la société B LTD n'a repris que le site internet datant de 2008, qui n'était pas la propriété de la SARL A, mais celle de d. DU. ;

  • que, s'agissant de la cession à e. DE. d'un véhicule S et d'un scooter PIAGGIO, ces deux véhicules lui ont été cédés par A le 6 juillet 2013, pour une somme de 5.100 euros, correspondant à leur valeur d'amortissement, l'intégralité du paiement ayant été réglé entre les mains du syndic ;

  • que, s'agissant de la cession à d. DU., d'une moto K en compensation de son compte courant d'associé, cette compensation a permis de ne pas procéder à l'aggravation du compte courant créditeur, lequel, même après compensation, est resté largement créditeur (30.000 euros) ;

  • que, s'agissant de l'usage de la carte bancaire et des retraits d'espèces, tous les justificatifs des dépenses réalisées par carte bancaire ont été adressés aux services de police, qu'au cours de la période entre mars et juin 2013, le gérant n'a ménagé aucun effort pour tenter d'obtenir de nouveaux contrats et de fidéliser des clients, qu'à cet effet, il a multiplié les déplacements, et augmenté sa participation à des événements, et qu'ainsi toutes ces dépenses sont en lien direct et exclusif avec l'objet social de la SARL et ont profité à celle-ci ;

  • que, s'agissant des retraits d'espèces, il s'agit uniquement de retraits réalisés à l'étranger à l'occasion de salons et de manifestations auxquelles participait d. DU. ;

  • que ces dépenses, intervenues entre mars et juin 2013, ont généré un chiffre d'affaire substantiel dès lors que près de 150.000euros ont été crédités durant cette période ce qui est de nature à infirmer la thèse du Tribunal correctionnel selon laquelle durant les cinq mois précédant la cessation des paiements, les dépenses fonctionnaient alors que la société était en arrêt d'activité ;

  • qu'indépendamment du chiffre d'affaire substantiel généré, ces dépenses ne présentent pas un caractère anormal, ainsi que le démontre la comparaison avec les exercices précédents ;

  • que, s'agissant de virements prétendument injustifiés depuis le compte de la SARL A vers le compte « de la société D », d'un montant de 500 euros le 20 février 2013 et de 1.000 euros le 26 août 2013, il s'agit de la rémunération de gérant de d. DU., la société J n'existant pas encore lors de l'émission de ces virements et l'examen du compte personnel de d. DU. faisant état de ce que ces mêmes sommes ont été portées au crédit du compte ;

  • que, sur le plan civil, d. DU. n'est poursuivi que sur la base d'un rapport établi le 18 décembre 2013, alors que des événements sont apparus postérieurement et que son contenu n'a pas été modifié.

Par conclusions déposées à l'audience, Christian BOISSON syndic de la cessation des paiements de la SARL A, demande à la Cour, de :

  • déclarer recevable la constitution de partie civile du syndic de la SARL A, A ;

  • condamner d. DU. à payer à la cessation des paiements de la SARL A, A, un montant de 121.534 euros pour le préjudice subi par les créanciers de celle-ci, représentant le détournement du véhicule K 8.200 euros, les retraits et paiements sans lien avec l'activité de la société à la date des paiements 18.934 euros, le détournement du contrat du magazine L 94.400 euros ;

  • condamner d. DU. au paiement d'un montant de 20.000 euros de dommages-intérêts au titre du préjudice subi par la masse des créanciers ;

  • condamner d. DU. aux entiers dépens de l'instance.

À l'audience fixée pour l'examen de l'affaire, la partie civile a développé oralement ses conclusions écrites.

Le Ministère public a requis la confirmation de la décision entreprise sur la culpabilité et le prononcé d'une peine de 18 mois d'emprisonnement avec sursis.

Le conseil du prévenu a développé oralement ses conclusions écrites.

SUR CE,

1 - Attendu que l'appel, formé dans les formes et délais prescrits par les articles 406 et 411 du Code de procédure pénale, est recevable ;

2 - Attendu que la recevabilité de la constitution de partie civile de Christian BOISSON ès-qualités de syndic à la cessation des paiements de la SARL A, n'est pas contestée ;

3 - Attendu que l'article 328 du Code pénal énonce que sont punis des peines de la banqueroute simple, les dirigeants de toute personne morale exerçant même en fait une activité commerciale et se trouvant en état de cessation des paiements, lorsqu'en cette qualité et de mauvaise foi, ils ont, sans excuse légitime, omis de faire au greffe général, dans les quinze jours, la déclaration de la cessation des paiements de la personne morale ;

Attendu, en l'espèce, que par jugement en date du 31 octobre 2013, le Tribunal de première instance, qui a constaté l'état de cessation des paiements de la SARL A (ci-après A), dont d. DU. est le gérant, en a fixé provisoirement la date au 31 décembre 2011 ;

Mais attendu que le juge répressif a le pouvoir de retenir une date de cessation des paiements autre que celle fixée par la juridiction civile ou commerciale ;

Attendu, qu'au 31 décembre 2011, si la société A affichait un résultat net déficitaire de 160.042,05 euros, son chiffre d'affaires hors taxes s'élevait néanmoins à la somme de 1.616.253,29 euros ;

Que la situation financière de la société s'est ensuite aggravée ;

Qu'en effet, le bilan de l'exercice 2012 permet de relever un résultat net déficitaire de 395.855,14 euros, pour un chiffre d'affaires de 591.728,90 euros, en diminution de moitié par rapport à l'exercice précédent ;

Que, de même, pour l'exercice clôturé au 31 décembre 2012, le passif exigible à moins d'un an atteint la somme de 676.747,46 euros ;

Que les deux créances invoquées sur les sociétés I et H, anciennes d'environ quatre ans, font l'objet d'une procédure judiciaire toujours en cours et figuraient, d'ailleurs, en créances douteuses dans la comptabilité de la société ;

Attendu qu'il en résulte qu'à la date du 31 décembre 2012, la SARL A, qui se trouvait dans l'impossibilité de régler son passif exigible avec son actif disponible, était en situation de cessation des paiements, ce que d. DU., en sa qualité de dirigeant social, associé à 90 %, titulaire d'un diplôme en administration d'entreprises, ne pouvait méconnaître ;

Qu'en conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a déclaré d. DU. coupable du délit de banqueroute simple ;

4 - Attendu que l'article 328-1 du Code pénal réprime des peines de la banqueroute frauduleuse le dirigeant d'une personne morale exerçant une activité commerciale et se trouvant en état de cessation des paiements qui, de mauvaise foi, a détourné ou dissimulé une partie de son actif ;

Attendu que d. DU. doit être relaxé du chef de détournement ou dissimulation de l'actif de la société relatif à la cession à e. DE. d'un véhicule S et d'un scooter P. ayant appartenu à la SARL A, le prix de ces deux véhicules, en rapport avec leur valeur, ayant été intégralement acquitté par l'acheteur ;

Attendu, s'agissant, de la cession à titre gratuit à ce même e. DE. du contrat de prestations de services précédemment conclu entre la SARL A et l'Archevêché de Monaco, que la Cour observe :

  • qu'un contrat fait partie de l'actif de la société ;

  • que d. DU. allègue une contrepartie à la cession, évoquant un accord qui aurait été « formalisé le 14 septembre 2009 » (sic) entre le cédant et le cessionnaire, aux termes duquel e. DE. aurait démissionné, ce qui aurait évité à la SARL A les frais d'une procédure de licenciement, et que celui-ci aurait également pris à sa charge le paiement de certaines dépenses incombant normalement à la société ;

  • que si, lors de son audition devant les services de police, e. DE. n'évoque, ni ne produit aucun document écrit sur ce point, un accord en date du 14 septembre 2013 est versé aux débats par d. DU., aux termes duquel, eu égard au « contexte de crise et de difficultés dans lequel se trouve la société A, e. DE. propose à la société A de récupérer à son propre compte l'exécution de ce contrat… e. DE. donne sa démission à la société…et prendra à sa charge sur sa structure le règlement du versement annuel 2012/2013 prévu pour l'Archevêché…et ainsi que le règlement des factures d'impression des numéros 128 et 129 » ;

  • qu'il est justifié que le montant du versement annuel 2012/2013 s'élevant, eu égard aux pièces produites, à la somme de 581,80 euros, a été acquitté par un chèque au nom d e. DE. ;

  • mais qu'il ne ressort pas des débats que la valeur de la contrepartie mise à la charge d e. DE. corresponde à celle du contrat cédé, lequel générait un chiffre d'affaires annuel de l'ordre de 92.000 euros ;

  • qu'en dépit des allégations sur le caractère prétendument peu rémunérateur dudit contrat émises par le prévenu, e. DE. a précisé d'une part qu'en sa qualité de salarié de A, à compter de la mi-2011, il ne s'est occupé que d'un seul client, l'Archevêché de Monaco, d'autre part que sa nouvelle activité consistait uniquement en la publication du bulletin, ce qui établit suffisamment l'importance et la rentabilité du contrat ;

Attendu, en conséquence, que la banqueroute frauduleuse est établie de ce chef ;

Attendu que d. DU. ne conteste pas avoir acquis, le 6 juillet 2013, une moto de marque K ayant appartenu à la société A, au prix de 8.200 euros. Attendu que le financement de cette acquisition a été effectué par une compensation du compte courant d'associé de d. DU.. Mais attendu que le compte courant d'un associé, fut-il important, n'est pas destiné au paiement de dettes personnelles, en sorte que de ce chef également, les éléments constitutifs de l'infraction sont réunis ;

Attendu, par ailleurs, que l'exploitation du compte de la SARL A, ouvert a l'établissement bancaire G, a permis de mettre en évidence une augmentation importante des dépenses, retraits et paiements, effectués au moyen de la carte bancaire de la SARL A, à compter du mois de mars 2013, principalement à l'étranger (RUSSIE, États-Unis, ROYAUME UNI) ;

Attendu que le prévenu, qui ne conteste pas ces dépenses, affirme qu'il aurait tenté de relancer l'activité de A en multipliant le démarchage de partenaires étrangers ;

Qu'il a produit divers documents aux services de police, lesquels après avoir analysé le détail des achats payés par carte bancaire pour les mois de mars, avril, mai et juin 2013 ont ainsi conclu : « Notons que s'il semble s'agir d'achats susceptibles d'être liés à l'activité de A et à des frais de déplacement (billets d'avion, hôtels, restaurants, achats dans les aéroports, frais d'autoroute, location de voitures), force est de constater que certains établissements (hôtels et restaurants) sont de haut de gamme et pratiquent des prix élevés) » ;

Que les éléments recueillis au cours de l'enquête apparaissent insuffisants pour caractériser l'existence des détournements de ce chef, et qu'ainsi la relaxe devra être prononcée à ce titre ;

Attendu, de même, que les affirmations de d. DU. selon lesquelles les virement perçus du compte de la SARL A, d'un montant total de 10.950 euros, pour la période allant de février à octobre 2013, constitueraient soit des rémunérations, soit le remboursement de frais personnels ne sont pas démenties par l'enquête effectuée, en sorte, que la relaxe s'impose de ce chef ;

Attendu, enfin, qu'est reprochée à d. DU. la cession, à titre gratuit, du magazine L à la société B LTD ;

Que d. DU. ne conteste pas que la société A avait en charge la publication du magazine L ;

Qu'il affirme que si le magazine n'existe plus sous son format papier, le site internet, dont le prévenu est propriétaire, fonctionne toujours ;

Attendu, néanmoins, que les documents produits aux débats permettent de déterminer que le magazine L. I. ART L (anciennement L), accessible sur le site internet www. L com, est édité par la société B LTD, située à LONDRES, dont le directeur de publication est d. DU. ;

Que Christian BOISSON affirme, en outre, que lors d'une réunion avec d. DU., ce dernier lui avait indiqué que la publication de ce magazine avait été transférée à une société de droit anglais dont il était le dirigeant, et ce, à titre gratuit ;

Que par ailleurs, le fait que la publication du magazine L n'ait plus lieu sous le format papier mais soit désormais effectuée en ligne ne change rien à l'existence ni au contenu du magazine ;

Qu'il est donc suffisamment établi que la publication du magazine L, auparavant assurée par la société A, est actuellement poursuivie, sous la dénomination L. I. ART L, par la société B LTD, et ce, sans aucune contrepartie financière pour la société A ;

Que de ce chef, le délit de banqueroute frauduleuse est établi ;

Attendu, sur la peine, qu'eu égard aux circonstances entourant la commission des faits, à la personnalité du prévenu et à son absence d'antécédents judiciaires, exception faite d'une condamnation pour un délit routier, la Cour prononce à l'encontre de d. DU. une peine de huit mois d'emprisonnement assortie du sursis, le jugement étant infirmé de ce chef ;

Attendu que d. DU. supportera les frais du présent arrêt ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTE DE MONACO, statuant contradictoirement à l'égard de toutes les parties, publiquement et en dernier ressort,

Reçoit les appels ;

Constate que la recevabilité de la constitution de partie civile de Christian BOISSON n'est pas contestée ;

Infirme le jugement en ce qu'il reconnu d. DU. coupable du délit de banqueroute frauduleuse par détournement d'actif des chefs de la cession à e. DE. d'un véhicule S et d'un scooter P, de l'utilisation de sa carte bancaire pour effectuer des paiements et retraits et de l'existence de virements de fonds du compte de la SARL A vers le compte de la société D ;

L'infirme également en ce qu'il a condamné d. DU. à la peine de UN AN d'emprisonnement avec sursis ;

Statuant des chefs réformés,

Relaxe d. DU. du chef de banqueroute frauduleuse par détournement d'actif des chefs de la cession à e. DE. d'un véhicule S et d'un scooter P, de l'utilisation de sa carte bancaire pour effectuer des paiements et retraits et de l'existence de virements de fonds du compte de la SARL A vers le compte de la société D ;

Condamne d. DU. à la peine de HUIT MOIS d'emprisonnement avec sursis ;

Dit que l'avis prescrit par l'article 395 du Code pénal a pu être donné au condamné, présent lors du prononcé ;

Confirme le jugement pour le surplus ;

Condamne d. DU. aux frais du présent arrêt.

Composition🔗

Ainsi jugé et prononcé en audience publique de la Cour d'appel de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le premier juin deux mille quinze, par Monsieur Marc SALVATICO, Conseiller faisant fonction de Président, Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, Monsieur Eric SENNA, Conseiller, en présence de Monsieur Michael BONNET, Premier Substitut du Procureur général, assistés de Madame Nadine VALLAURI, Greffier.

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