Cour d'appel, 10 mars 2015, c. BU. c/ a. FA. et j. MA.
Abstract🔗
Appel immédiat – Recevabilité (non)
Résumé🔗
À titre liminaire la Cour relève que le débat devant s'instaurer devant elle est limité à la question de la recevabilité de l'appel au visa des dispositions de l'article 423 du Code de procédure civile. Il est constant que le jugement querellé se borne à trancher un incident de procédure qui ne met pas fin à l'instance, en enjoignant à l'appelante de communiquer à l'intimé l'ensemble des pièces versées par celui-ci au cours de l'instance, à l'exception du rapport d'expertise. Il ne saurait être utilement soutenu qu'il s'agit d'un jugement tranchant dans son dispositif une partie du principal et ordonnant une mesure d'instruction ou une mesure provisoire pouvant être immédiatement frappé d'appel. Cette décision ne tranche effectivement qu'un incident de procédure qui ne met pas fin à l'instance et ne pourra en conséquence qu'être frappée d'appel en même temps que le jugement sur le fond. Le fait d'avoir mis hors de cause a. FA. ne permet pas à l'appelante de soutenir que le Tribunal aurait, ce faisant, tranché une partie du principal alors que la mise hors de cause d'une partie ne relève pas du fond mais de sa qualité à agir en tant que partie, étant en effet avéré en l'espèce, aux termes d'un acte de partage produit par l'appelante, qu'a. FA. ne dispose plus d'aucun droit réel sur le bien litigieux, et qu'il n'a plus qualité pour agir dans le cadre de la présente instance. Par ailleurs, ce n'est pas parce que le jugement entrepris prévoit qu'il est rendu en premier ressort qu'il doit être considéré comme étant susceptible d'appel immédiat. Il n'est pas en l'espèce contesté que ce jugement est susceptible d'appel, la question à laquelle la Cour doit répondre portant sur le moment auquel cette décision est appelable. Enfin, la mention erronée, telle qu'elle appert de l'acte de signification du jugement faisant état du fait que les parties à qui le jugement est signifié ont 30 jours à compter de la présente signification pour en interjeter appel, ne crée pas le droit et ne change pas la nature du jugement pour le rendre appelable. Il convient en conséquence de déclarer irrecevable l'appel du 28 juillet 2014 et de renvoyer la cause et les parties devant le Tribunal de première instance pour qu'il soit statué sur le fond.
Motifs🔗
COUR D'APPEL
ARRÊT DU 10 MARS 2015
En la cause de :
- Mademoiselle c. BU., née le 8 mai 1981 à Monaco, de nationalité monégasque, domiciliée X à Zurich (Suisse),
Ayant élu domicile en l'Etude de Maître Sophie LAVAGNA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
APPELANTS,
En présence de :
- Monsieur a. FA., né le 14 mars 1943 à Monaco, de nationalité monégasque, domicilié X à Monaco,
Ayant élu domicile en l'Etude de Maître Sophie LAVAGNA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'une part,
contre :
- Monsieur j. MA., né le 11 août 1926 à Grasse (Alpes-Maritimes), de nationalité française, retraité, domicilié « X » - X à Monaco (98000),
Ayant élu domicile en l'Etude de Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
INTIMÉ,
d'autre part,
LA COUR,
Vu le jugement rendu par le Tribunal de première instance, le 26 juin 2014 (R.6405) ;
Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Patricia GRIMAUD-PALMERO, huissier, en date du 28 juillet 2014 (enrôlé sous le numéro 2015/000011) ;
Vu les conclusions déposées les 13 novembre 2014 et 6 janvier 2015, par Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur, au nom de j. MA. ;
Vu les conclusions déposées le 29 décembre 2014, par Maître Sophie LAVAGNA, avocat-défenseur, au nom de c. BU. ;
À l'audience du 10 février 2015, vu la production de leurs pièces par les conseils des parties ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
La Cour statue sur l'appel relevé par c. BU., à l'encontre d'un jugement du Tribunal de Première Instance du 26 juin 2014.
Considérant les faits suivants :
Suivant jugement du 26 juin 2014 auquel il convient de se reporter pour une parfaite appréhension des faits et de la procédure, le Tribunal de première instance de Monaco a :
« ordonné la jonction de différentes instances enrôlées sous des numéros distincts,
mis a. FA. hors de cause,
enjoint à c. BU. de communiquer à j. MA. l'ensemble des pièces versées par celui-ci au cours de l'instance à l'exception du rapport d'expertise,
ordonné le renvoi de l'affaire et des parties à l'audience du mercredi 8 octobre 2014 à 9 heures,
réservé les dépens en fin de cause ».
Au soutien de cette décision les premiers juges ont pour l'essentiel retenu que :
les Tribunaux doivent garantir le respect du contradictoire et de la loyauté des débats,
au cas particulier le conseil des défendeurs ne déclare pas ne pas détenir les pièces qui ont été versées aux débats par le demandeur dans le courant de l'instance, il use de formules vagues et se contente d'invoquer une absence d'obligation de produire lesdites pièces,
il résulte en conséquence de la formulation utilisée par les hoirs FA. qu'ils ne contestent pas être en possession des pièces versées par le demandeur au début de l'instance et qu'ils font preuve d'une inertie fautive.
Par acte en date du 28 juillet 2014, c. BU. a interjeté appel parte in qua de cette décision et demande à la Cour de :
« - infirmer le jugement entrepris en date du 26 juin 2014 en certaines de ses dispositions ;
ET STATUANT À NOUVEAU :
CONSTATER que l'inscription d'hypothèque provisoire inscrite le 6 mai 1983 par Monsieur j. MA. est périmée ;
DIRE n'y a voir lieu d'enjoindre à Mademoiselle c. BU. de communiquer à Monsieur j. MA. l'ensemble des pièces versées par lui au cours des instances introduites en 1983 ;
CONSTATER qu'aucune reprise d'instance n'a été effectuée suite au décès de Madame SO. ;
CONSTATER qu'une instance introduite il y a 31 ans, puis placée au rôle général pendant 22 ans n'a pas pu être jugée dans un délai raisonnable avec toutes conséquences de droit ;
DIRE ET JUGER que par conséquent l'ensemble des demandes de Monsieur j. MA. sont irrecevables ;
CONDAMNER Monsieur j. MA. aux entiers dépens distraits au profit de Maître Sophie LAVAGNA, Avocat-Défenseur, sur sa due affirmation ».
Elle fait valoir en substance que :
outre le fait que les premiers juges ont omis de constater que l'hypothèque provisoire inscrite le 6 mai 1983 était périmée et que l'ensemble des demandes de Monsieur j. MA. était irrecevable au vu du délai écoulé et de l'absence de reprise d'instance suite au décès de Madame c. SO., ils ont fait litière du principe qui veut que « les parties ne peuvent exiger la communication que des pièces dont l'adversaire fait usage à l'appui de ses prétentions » ;
au cas particulier, comme il le reconnaît expressément, Monsieur j. MA. est en possession de l'intégralité des pièces produites par les défendeurs et partant, la donnée factuelle selon laquelle il ne serait plus en possession des pièces sur lesquelles il fondait ses demandes en 1983, ne saurait prospérer ;
il n'y a donc pas lieu de la condamner à verser au débat les pièces que Monsieur j. MA. avait versé lui-même aux débats afin de nuire à feue sa mère et feue sa grand-mère après 22 ans d'inertie, ayant lui-même égaré lesdites pièces.
j. MA., intimé, entend quant à lui aux termes de ses écrits judiciaires déposés le 13 novembre 2014, voir la Cour :
« dire que le jugement du 26 juin 2014 n'est pas susceptible d'appel ;
déclarer irrecevable l'appel du 28 juillet 2014 ;
condamner c. BU. aux entiers dépens d'appel distraits au profit de Maître Jean-Pierre LICARI, avocat défenseur, sous sa due affirmation ».
Il soutient pour l'essentiel que :
aux termes de l'article 423 du Code de procédure civile :
« les jugements qui tranchent dans leur dispositif une partie du principal et ordonnent une mesure d'instruction ou une mesure provisoire peuvent être immédiatement frappés d'appel comme les jugements qui tranchent tout le principal. Les autres jugements ne peuvent être frappés d'appel qu'en même temps que le jugement sur le fond. Peuvent aussi être immédiatement frappés d'appel les jugements qui statuent sur une exception de procédure, une fin de non recevoir ou tout autre incident mettant fin à l'instance.
Les autres jugements ne peuvent être frappés d'appel qu'après le jugement sur le fond et conjointement avec l'appel de celui-ci ».
le jugement entrepris tranche un incident de procédure qui ne met pas fin à l'instance, il ne tranche en aucune partie de son dispositif une partie du principal et dès lors l'appel ne pourra qu'être déclaré irrecevable ;
si dans l'acte de signification, en date du 9 juillet 2014, l'huissier instrumentaire a écrit par erreur que les parties à qui le jugement est signifié ont 30 jours à compter de la présente signification pour en interjeter appel, l'erreur ne crée pas le droit et la mention dont s'agit ne rend pas pour autant le jugement susceptible d'appel.
Dans des conclusions en réponse déposées le 29 décembre 2014, c. BU., appelante demande à la Cour de :
« Sur la recevabilité de l'appel :
Vu l'article 6 de la CEDH ;
Vu l'article 423 du code de procédure civile ;
Vu l'article 1162 du code civil ;
Vu la jurisprudence de la cour de révision ;
Dire que le jugement du 26 juin 2014 est susceptible d'appel ;
Déclarer recevable l'appel du 28 juillet 2014.
Au fond :
Recevoir Mademoiselle c. BU. en son appel parte in qua, et le déclarer bien fondé ;
Infirmer le jugement entrepris en date du 26 juin 2014 en certaines de ses dispositions ;
ET STATUANT À NOUVEAU :
CONSTATER que l'inscription d'hypothèque provisoire inscrite le 6 mai 1983 par Monsieur j. MA. est périmée ;
DIRE n'y a voir lieu d'enjoindre à Mademoiselle c. BU. de communiquer à Monsieur j. MA. l'ensemble des pièces versées par lui au cours des instances introduites en 1983 ;
CONSTATER qu'aucune reprise d'instance n'a été effectuée suite au décès de Madame c. SO. le 2 mars 2000 ;
CONSTATER qu'une instance introduite il y a 32 ans, puis placée au rôle général pendant 22 ans n'a pas pu être jugée dans un délai raisonnable avec toutes conséquences de droit ;
DIRE ET JUGER que par conséquent l'ensemble des demandes de Monsieur j. MA. sont irrecevables ;
CONDAMNER Monsieur j. MA. aux entiers dépens distraits au profit de Maître Sophie LAVAGNA, Avocat-Défenseur, sur sa due affirmation ».
Elle expose notamment que depuis le décès de Madame c. SO. survenu le 2 mars 2000, aucune reprise d'instance n'est intervenue et partant, l'instance a donc été interrompue à ce stade, or le 25 janvier 2012 les affaires étaient remises au rôle à la demande de Monsieur j. MA. et Madame Michèle FA. BU. décédée le 5 décembre 2012, laissant pour héritière sa fille c. BU..
Elle précise que c'est en cet état que j. MA. la faisait assigner avec Monsieur a. FA. en reprise d'instance et sollicitait, outre la jonction des deux instances susvisées, la communication par les défendeurs de ses pièces versées aux débats en 1983, qu'il aurait égarées ainsi que les bordereaux de communication correspondants.
Elle rappelle que s'abstenant de répliquer aux arguments qu'elle fait valoir, j. MA. s'est borné à déposer des conclusions d'irrecevabilité de l'appel.
A ce propos, elle relève que le jugement du 26 juin 2014 prévoit expressément qu'il intervient en premier ressort ce qui permet de retenir qu'il prévoit lui-même la possibilité d'en relever appel, outre le fait qu'il tranche une partie du principal en ce qu'il met a. FA. hors de cause et que partant, il est bien susceptible d'appel.
Elle observe encore que ce même jugement ordonne une mesure d'instruction contestée en ce qu'il lui enjoint de communiquer à j. MA. l'ensemble des pièces versées par celui-ci au cours de l'instance, à l'exception du rapport d'expertise.
Elle insiste enfin sur le fait que le jugement entrepris ayant ordonné une mesure d'instruction contraire aux dispositions de la loi, de la jurisprudence et de la CEDH, celui-ci est à l'évidence susceptible d'appel.
Aux termes d'ultimes écrits en réponse sur la recevabilité déposés le 6 janvier 2015, j. MA. demande à la Cour de lui adjuger l'entier bénéfice de ses précédentes conclusions et précise que le problème est celui de savoir à quel moment le jugement querellé est susceptible d'appel, étant observé qu'il ne le sera que conjointement avec le jugement sur le fond, quand il sera rendu.
Il fait encore observer que le Tribunal n'a pas tranché une partie du principal en mettant hors de cause Monsieur a. FA., cette mise hors de cause ressortissant de la recevabilité et non du fond à savoir du « principal ».
Il rappelle enfin que selon l'article 423 du Code de procédure civile, pour être susceptible d'appel, le jugement qui ordonne une mesure d'instruction doit aussi trancher une partie du principal, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.
SUR CE,
Attendu qu'à titre liminaire la Cour relève que le débat devant s'instaurer devant elle est limité à la question de la recevabilité de l'appel au visa des dispositions de l'article 423 du Code de procédure civile ;
Attendu qu'il est constant que le jugement querellé se borne à trancher un incident de procédure qui ne met pas fin à l'instance, en enjoignant à l'appelante de communiquer à l'intimé l'ensemble des pièces versées par celui-ci au cours de l'instance, à l'exception du rapport d'expertise ;
Attendu qu'il ne saurait être utilement soutenu qu'il s'agit d'un jugement tranchant dans son dispositif une partie du principal et ordonnant une mesure d'instruction ou une mesure provisoire pouvant être immédiatement frappé d'appel ;
Que cette décision ne tranche effectivement qu'un incident de procédure qui ne met pas fin à l'instance et ne pourra en conséquence qu'être frappée d'appel en même temps que le jugement sur le fond ;
Attendu que le fait d'avoir mis hors de cause a. FA. ne permet pas à l'appelante de soutenir que le Tribunal aurait, ce faisant, tranché une partie du principal alors que la mise hors de cause d'une partie ne relève pas du fond mais de sa qualité à agir en tant que partie, étant en effet avéré en l'espèce, aux termes d'un acte de partage produit par l'appelante, qu'a. FA. ne dispose plus d'aucun droit réel sur le bien litigieux, et qu'il n'a plus qualité pour agir dans le cadre de la présente instance ;
Attendu par ailleurs que ce n'est pas parce que le jugement entrepris prévoit qu'il est rendu en premier ressort qu'il doit être considéré comme étant susceptible d'appel immédiat ;
Qu'il n'est pas en l'espèce contesté que ce jugement est susceptible d'appel, la question à laquelle la Cour doit répondre portant sur le moment auquel cette décision est appelable ;
Attendu enfin que la mention erronée, telle qu'elle appert de l'acte de signification du jugement faisant état du fait que les parties à qui le jugement est signifié ont 30 jours à compter de la présente signification pour en interjeter appel, ne crée pas le droit et ne change pas la nature du jugement pour le rendre appelable ;
Attendu qu'il convient en conséquence de déclarer irrecevable l'appel du 28 juillet 2014 et de renvoyer la cause et les parties devant le Tribunal de première instance pour qu'il soit statué sur le fond ;
Attendu que les dépens suivant la succombance, c. BU. sera condamnée à les supporter avec distraction au profit de Maître Jean-Pierre LICARI, avocat défenseur, sous sa due affirmation ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,
statuant publiquement et contradictoirement,
Vu les dispositions de l'article 423 du Code de procédure civile,
Dit que le jugement du 26 juin 2014 n'est pas susceptible d'appel immédiat,
Déclare en conséquence irrecevable l'appel du 28 juillet 2014,
Renvoie la cause et les parties devant le Tribunal de première instance pour qu'il soit statué sur le fond,
Condamne c. BU. aux entiers dépens d'appel, distraits au profit de Maître Jean-Pierre LICARI, avocat défenseur, sous sa due affirmation,
Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable.
Composition🔗
Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Brigitte GRINDA GAMBARINI, Premier Président, Officier de l'Ordre de Saint-Charles, Monsieur Marc SALVATICO, Conseiller, Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, assistés de Madame Laura SPARACIA-SIOLI, Greffier en chef adjoint, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles,
Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,
Lecture est donnée à l'audience publique du 10 MARS 2015, par Madame Brigitte GRINDA GAMBARINI, Premier Président, Officier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Laura SPARACIA-SIOLI, Greffier en chef adjoint, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, en présence de Monsieur Michaël BONNET, Premier Substitut du Procureur Général.