Cour d'appel, 10 mars 2015, La SAM A. c/ c. BO. et E.
Abstract🔗
Crédit – Responsabilité de la banque (non) – Conditions
Résumé🔗
La responsabilité de la banque pour soutien abusif ou crédit excessif ne peut être retenue que dans deux cas : soit, la banque a octroyé, en connaissance de cause, un crédit dont le coût était incompatible avec l'équilibre de la trésorerie de l'entreprise, soit la banque a accordé un crédit à l'entreprise dont elle connaissait la situation irrémédiablement compromise. La responsabilité de la banque peut être engagée pour octroi de crédit abusif sur le fondement de l'article 1229 du Code civil aux termes duquel tout fait de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. En application de ce texte, il incombe à celui qui recherche la responsabilité civile professionnelle de l'établissement dispensateur de crédit de rapporter la triple démonstration d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité directe entre eux. Dans l'action choisie par Monsieur c. BO. ès-qualités, la faute de la banque consisterait, par l'octroi d'un prêt ou d'une autorisation de découvert, à avoir soutenu artificiellement une entreprise dont elle connaissait, ou aurait dû connaître, la situation irrémédiablement compromise. La notion de « situation irrémédiablement compromise » est souverainement appréciée par les juges du fond, et l'appréciation qu'ils portent sur cette situation doit s'effectuer au moment où le soutien a été accordé, et non en fonction de la situation qui se révèlera lors de l'ouverture ultérieure de la procédure collective. Cette notion s'entend d'une situation financière définitivement désespérée pour laquelle aucune issue ne peut être envisagée, la continuité de l'exploitation s'avérant dès lors tout à fait impossible. La situation irrémédiablement compromise d'une entreprise ne saurait se confondre avec l'état de cessation des paiements, lequel constitue seulement un indice attestant de la santé économique déficiente de l'entreprise, la proximité, voire l'antériorité, entre la date de cessation des paiements et la date à laquelle les crédits litigieux ont été consentis ne constituant pas, non plus, un motif suffisant pour caractériser la situation irrémédiablement compromise d'une structure. Faute de démontrer la situation irrémédiablement compromise de g. GI., exerçant sous l'enseigne B., au moment de l'octroi des deux crédits en janvier et mars 2005, Monsieur c. BO., ès-qualités, ne peut qu'être débouté des demandes qu'il forme à l'égard de la banque, le jugement entrepris étant infirmé de ce chef.
Motifs🔗
COUR D'APPEL
ARRÊT DU 10 MARS 2015
En la cause de :
- La SAM A., société anonyme monégasque au capital de 10.000.000 d'euros, ayant son siège X2, à Monaco, agissant poursuites et diligences de son Président Délégué en exercice, domicilié en cette qualité audit siège,
Ayant primitivement élu domicile en l'Etude de Maître Evelyne KARCZAG-MENCARELLI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, puis en celle de Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur près la même Cour, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
APPELANTE,
d'une part,
contre :
1- Monsieur c. BO., expert-comptable de nationalité monégasque, demeurant X à Monaco (98000), ès-qualités de Syndic de la cessation des paiements de Monsieur g. GI., exerçant le commerce sous la dénomination « B. », désigné à cette fonction par jugement du Tribunal de première Instance du 23 novembre 2006,
Ayant élu domicile en l'Etude de Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
2- La société E., société coopérative de crédit à capital variable et à responsabilité limitée, dont le siège est sis X3 à Marseille (13002), immatriculée au RCS de Marseille sous le n° X, représentée par le Président du Directoire en exercice, Monsieur p. FI., domicilié en cette qualité audit siège,
Ayant primitivement élu domicile en l'Etude de Maître Evelyne KARCZAG-MENCARELLI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, puis en celle de Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur près la même Cour, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
INTIMÉS,
d'autre part,
LA COUR,
Vu le jugement rendu par le Tribunal de première instance, le 24 octobre 2013 (R.414) ;
Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Claire NOTARI, huissier, en date du 5 décembre 2013 (enrôlé sous le numéro 2014/000082) ;
Vu les conclusions déposées les 13 mars et 28 octobre 2014, par Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur, au nom de c. BO. ;
Vu les conclusions déposées les 1er juillet et 2 décembre 2014, respectivement par Maître Evelyne KARCZAG-MENCARELLI, avocat-défenseur, et par Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur, au nom de la SAM A. ;
À l'audience du 17 février 2015 :
- Ouï Maître Alexis MARQUET, conseil de la SAM A. et de la société E., en ses plaidoiries ;
- Vu la production de ses pièces par Maître Jean-Charles GARDETTO, conseil de c. BO. ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
La Cour statue sur l'appel relevé par de la SAM A., à l'encontre d'un jugement du Tribunal de Première Instance du 24 octobre 2013.
Considérant les faits suivants :
Monsieur g. GI. exerçait depuis 1995 un commerce en nom propre sous l'enseigne B. et F., une activité d'entreprise générale de bâtiment, tous corps d'état.
L'activité F. a été cédée, aux termes d'un acte publié le 12 octobre 2001, à la SCS YA. VA. DE. BR. et Cie dont g. GI. apparaît au capital social comme associé commanditaire, porteur de 288 parts sur 600.
Le 19 janvier 2005, g. GI. obtenait de la société E. (ci-après E.), un prêt dit « crédit de restructuration » d'un montant de 350.000 euros, d'une durée de 12 ans, au taux effectif global de 5,486%.
Le 30 mars 2005, il obtenait de la société E. un prêt dit de « facilité de caisse destinée aux besoins courants de son activité », d'un montant de 90.000 euros, au taux de 8,60%.
Suite au dépôt de bilan du 30 octobre 2006, le Tribunal de Première Instance constatait, par jugement du 23 novembre 2006, la cessation des paiements de g. GI. et en fixait la date au 1er octobre 2006.
Par jugement du 4 octobre 2007, la date de cessation des paiements était avancée au 1er juillet 2004.
Un jugement du 17 juin 2010 prononçait la liquidation des biens de g. GI..
Par exploit d'huissier en date du 15 juillet 2010, Monsieur c. BO., ès-qualités de syndic de la cessation des paiements de Monsieur g. GI., exerçant le commerce sous la dénomination « B. » a fait assigner, devant le Tribunal de Première Instance de MONACO, la société E., ci-après E., sollicitant sa condamnation pour avoir abusivement soutenu le crédit de g. GI..
La SAM A., venant aux droits de la société E., est intervenue volontairement à la procédure.
Par jugement contradictoire en date du 24 octobre 2013, le Tribunal de Première Instance a statué ainsi qu'il suit :
« - prononce la mise hors de cause de la société E.,
reçoit la SAM A. en son intervention volontaire et dit qu'elle vient valablement aux droits de la société E. dans le cadre de la présente instance,
condamne la SAM A. à réparer entièrement le préjudice collectif causé à la masse des créanciers de g. GI. par le soutien abusif accordé,
dit que la SAM A. sera tenue à ce titre de réparer le préjudice résultant de l'insuffisance d'actif diminuée du passif existant au jour de la délivrance des crédits litigieux, ainsi que les préjudices accessoires,
surseoit à statuer sur la liquidation de ce préjudice jusqu'à l'issue de la procédure de liquidation des biens de g. GI.,
condamne la SAM A. à payer à c. BO., en sa qualité de syndic, une provision de 1.000.000 euros (un million d'euros) à valoir sur l'indemnisation du préjudice collectif subi par la masse des créanciers,
place l'affaire au RÔLE GENERAL et dit qu'elle sera rappelée à toute audience utile à la requête de l'une ou l'autre des parties,
condamne la SAM A. aux dépens, dont distraction au profit de Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,
ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable. »
Par exploit d'appel et assignation délivré le 5 décembre 2013, la SAM A. a relevé appel parte in qua de cette décision.
Aux termes de cet exploit, et des conclusions qu'elle a déposées les 1er juillet 2014 et 2 décembre 2014, la SAM A. demande à la Cour de :
« Allouer à la S. A. M. A. l'entier bénéfice de son acte d'appel et assignation et de ses précédentes écritures d'instance et d'appel tenues ici pour intégralement répétées ;
Recevoir la S. A. M. A. en son appel parte in qua, le dire bien fondé et y faire entièrement droit ;
Par voie de conséquence, confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a :
Prononcé la mise hors de cause de la société E. ;
Reçu la SAM G. en son intervention volontaire et dit qu'elle vient valablement aux droits de la société E. dans le cadre de la présente instance ;
Infirmer la décision entreprise en ses autres dispositions et statuant à nouveau ;
Vu l'article 451-3° du Code de commerce,
Vu l'arrêt de la Cour d'appel de Monaco du 11 novembre 2003,
Vu la jurisprudence française constante en matière de soutien abusif de crédit,
Vu les pièces produites aux débats, dont notamment le rapport établi par Madame b. FU. en date du 25 juillet 2005,
Dire et juger que Monsieur c. BO. ès qualités ne rapporte pas la preuve que l'entreprise de Monsieur g. GI. était dans une situation irrémédiablement compromise lors de l'octroi du prêt du 19 janvier 2005 et de l'autorisation de découvert régularisée le 30 mars 2005 avec effet au 19 janvier 2005 ;
Dire et juger que Monsieur c. BO. ès qualités n'établit pas que la société E. avait connaissance du caractère irrémédiablement compromis de la situation de l'entreprise de Monsieur g. GI. lors du prêt du 19 janvier 2005 et de l'autorisation de découvert du 30 mars 2005 avec date de valeur au 19 janvier 2005 ;
En conséquence,
Débouter Monsieur c. BO. ès qualités de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions et les déclarer mal fondées ;
Condamner à titre reconventionnel Monsieur c. BO. ès qualités au paiement d'une somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
À titre subsidiaire,
Constater et au besoin dire et juger que Monsieur c. BO. n'établit pas le préjudice qui résulterait directement du prétendu soutien abusif de crédit ;
Débouter en conséquence Monsieur c. BO. ès qualités de l'ensemble de ses demandes ;
À titre plus subsidiaire,
Dire et juger que la société A. ne saurait supporter la charge des créances déclarées au passif de Monsieur g. GI. par les organismes sociaux et fiscaux pour la somme globale de 588.093,01 euros ;
En tout état de cause,
Condamner Monsieur c. BO. ès qualités aux entiers dépens, tant de Première Instance que d'appel, en ce compris tous frais et accessoires, tels que frais de greffe et d'enregistrement, frais d'huissier, procès-verbaux de constat, sommations, frais d'expertise et de traduction éventuels, dont distraction au profit de Maître Alexis MARQUET, Avocat-Défenseur, sous son affirmation de droit ».
La SAM A. fait essentiellement valoir :
que la loi française du 26 juillet 2005 a mis un terme à la jurisprudence française sur laquelle Monsieur c. BO. fonde sa demande,
que la jurisprudence monégasque exige, depuis un arrêt du 11 novembre 2003, que le demandeur à l'action en responsabilité de la banque pour soutien abusif de crédit établisse, d'une part, que la situation de l'entreprise était irrémédiablement compromise, d'autre part, que la banque avait connaissance de cette situation au moment de l'octroi du crédit,
qu'il doit, en outre, être tenu compte de l'attitude de l'emprunteur, lequel, en l'espèce, était activement assisté de son expert-comptable,
que les premiers juges n'ont pas caractérisé le fait que l'entreprise B. était dans une situation irrémédiablement compromise, Monsieur c. BO. n'ayant pas rapporté les preuves qui lui incombaient en sa qualité de demandeur à l'instance,
que la seule cessation des paiements n'est pas nécessairement révélatrice d'une situation irrémédiablement compromise,
qu'il convient, en outre, de démontrer que l'entreprise n'était plus viable au moment où les crédits contestés ont été accordés,
que si une possibilité de redressement est établie, le crédit consenti n'est pas abusif,
que les premiers juges n'ont pas tiré les conséquences de leur constatation selon laquelle l'entreprise B. « présentait peu de perspectives de redressement »,
que le rapport d'audit de Madame b. FU. a conclu à la viabilité de l'entreprise,
que si le jugement constatant l'état de cessation des paiements a été rendu le 23 novembre 2006, la liquidation des biens n'a été prononcée que par un jugement du 17 juin 2010, intervenu près de quatre ans plus tard,
que la référence au bilan de 2001 n'est pas pertinente, car elle est, d'une part, trop ancienne, et concerne d'autre part, une période durant laquelle Monsieur g. GI. exploitait deux activités,
que si en 2002 et 2004, la capacité d'autofinancement de l'entreprise B. apparaît négative, en 2003 elle est presque revenue à l'équilibre et en 2005 elle est positive,
que les créanciers ont admis que la situation de l'entreprise n'était pas irrémédiablement compromise en acceptant un échelonnement du règlement de leurs créances,
que Monsieur g. GI. avait parfaitement connaissance de la situation de son entreprise lorsqu'il a sollicité les crédits litigieux,
que si la Cour devait retenir la responsabilité de la banque, seul le préjudice en lien direct avec la prétendue faute commise est susceptible d'être indemnisé, ce préjudice éventuel n'ayant pu naître que postérieurement au 19 janvier 2005,
que Monsieur c. BO. est défaillant dans l'administration de la preuve de son préjudice,
qu'en toute hypothèse, la banque ne saurait supporter le passif correspondant aux créances des organismes fiscaux et sociaux.
Aux termes de conclusions déposées les 13 mars 2014 et 28 octobre 2014, Monsieur c. BO., ès-qualités de syndic de la cessation des paiements de Monsieur g. GI., exerçant le commerce sous la dénomination « B. », demande à la Cour, sur le fondement des articles 451 du Code de commerce et 1229 du Code civil, de :
« - voir débouter la SAM A., venant aux droits de la société E., de son appel et assignation,
voir confirmer le jugement rendu le 24 octobre 2013, y ajoutant,
condamner la SAM A. à payer à Monsieur c. BO., ès-qualités de syndic de la cessation des paiements de Monsieur g. GI., la somme de 20.000,00 euros à titre de légitimes dommages-intérêts pour résistance abusive,
condamner la SAM A. aux entiers dépens, en ce compris tous frais et accessoires, tels que frais d'huissier, procès-verbaux de constat, sommations, frais d'expertise et de traduction éventuels, dont distraction au profit de Maître Jean-Charles GARDETTO, avocat-défenseur, sous sa due affirmation de droit ».
Monsieur c. BO., ès-qualités de syndic de la cessation des paiements de Monsieur g. GI., fait valoir, en substance :
que les conditions du soutien abusif sont réunies dès lors, d'une part, que la situation de l'entreprise B. était irrémédiablement compromise lors de l'octroi, en 2005, des prêts litigieux, d'autre part, que la banque connaissait cette situation,
que l'analyse du chiffre d'affaires de Monsieur g. GI. démontre, sans contestation possible, la situation irrémédiablement compromise de son entreprise,
qu'en effet, entre le 31 décembre 2001 et le 31 décembre 2003, le découvert bancaire de Monsieur g. GI. s'est lourdement accru,
que le bilan au 31 décembre 2004 révèle un résultat déficitaire à hauteur de 139.554,73 euros, ainsi qu'une augmentation du passif exigible à hauteur de 1.183.017,35 euros,
que l'état de cessation des paiements est l'un des indices attestant de la situation irrémédiablement compromise de l'entreprise, celle-ci n'ayant poursuivi son activité que grâce aux concours consentis par la banque,
qu'il ne peut être déduit du rapport de Madame b. FU. que l'entreprise aurait été viable, ledit rapport déplorant l'octroi des crédits litigieux,
que cet expert a souligné que la situation de l'entreprise demeurait fragile,
que le fait que l'entreprise ait connu une amélioration temporaire en 2005 et 2006 ne saurait suffire à écarter le caractère irrémédiablement compromis de sa situation,
que la banque, partenaire de longue date de l'entreprise exploitée par Monsieur g. GI., était bien au courant de la situation comptable de celle-ci et de ses difficultés,
que la fréquence à laquelle Monsieur g. GI. a sollicité le concours de la banque démontre que l'état de son entreprise était connu de la banque,
que la banque a l'obligation de se renseigner sur la situation de son client,
que, le soutien abusif de la banque ayant contribué à accroître le passif, le préjudice est égal à l'accroissement du passif né dudit soutien, soit la somme de 1.086.080,74 euros,
que s'agissant du passif correspondant aux créances déclarées par les organismes sociaux et le Trésor, il ne saurait être argué du prétendu laxisme de ces créanciers qui n'ont nullement contribué à accroître son passif en lui accordant simplement des délais de paiement,
que le fait que le bien sur lequel la banque a pris une hypothèque ait été sous-évalué est sans incidence sur le préjudice.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé ;
SUR CE,
1- Attendu que la recevabilité de l'appel n'est pas contestée ;
2- Attendu que la responsabilité de la banque pour soutien abusif ou crédit excessif ne peut être retenue que dans deux cas :
soit, la banque a octroyé, en connaissance de cause, un crédit dont le coût était incompatible avec l'équilibre de la trésorerie de l'entreprise,
soit la banque a accordé un crédit à l'entreprise dont elle connaissait la situation irrémédiablement compromise ;
Attendu, au cas d'espèce, que Monsieur c. BO., ès-qualités de syndic de la cessation des paiements de Monsieur g. GI. recherche la responsabilité de la SAM A. (anciennement D.) à laquelle il reproche d'avoir, malgré la situation irrémédiablement compromise de g. GI., exerçant sous l'enseigne B., qu'elle connaissait, accordé à cette entreprise un prêt de 350.000 euros le 19 janvier 2005 et une autorisation de découvert à hauteur de 90.000 euros régularisée le 30 mars 2005, avec effet au 19 janvier 2005 ;
Attendu que pour faire droit à la demande de Monsieur c. BO., les premiers juges ont relevé qu'au jour de l'octroi des crédits litigieux, la banque « pouvait ou devait avoir à l'issue de diligences normales une connaissance de la situation manifestement obérée de l'entreprise, qui outre un état de cessation des paiements caractérisé, (qui ne pourrait éventuellement ne consister, en adoptant un point de vue optimiste, qu'en un problème de trésorerie) présentait de plus et surtout peu de perspectives de redressement, au vu de la multiplication des résultats négatifs et de la faible marge structurelle » ;
Attendu que la responsabilité de la banque peut être engagée pour octroi de crédit abusif sur le fondement de l'article 1229 du Code civil aux termes duquel tout fait de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ;
Qu'en application de ce texte, il incombe à celui qui recherche la responsabilité civile professionnelle de l'établissement dispensateur de crédit de rapporter la triple démonstration d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité directe entre eux ;
Attendu que, dans l'action choisie par Monsieur c. BO. ès-qualités, la faute de la banque consisterait, par l'octroi d'un prêt ou d'une autorisation de découvert, à avoir soutenu artificiellement une entreprise dont elle connaissait, ou aurait dû connaître, la situation irrémédiablement compromise ;
Attendu que la notion de « situation irrémédiablement compromise » est souverainement appréciée par les juges du fond, et que l'appréciation qu'ils portent sur cette situation doit s'effectuer au moment où le soutien a été accordé, et non en fonction de la situation qui se révèlera lors de l'ouverture ultérieure de la procédure collective ;
Que cette notion s'entend d'une situation financière définitivement désespérée pour laquelle aucune issue ne peut être envisagée, la continuité de l'exploitation s'avérant dès lors tout à fait impossible ;
Attendu, au cas d'espèce, que Monsieur g. GI. a procédé à la déclaration de cessation des paiements de son entreprise le 23 octobre 2006 ;
Que par un jugement du 23 novembre 2006, le Tribunal de Première Instance a fixé provisoirement au 1er octobre 2006 la date de la cessation des paiements de g. GI., exerçant le commerce sous l'enseigne B. ;
Que par jugement du 4 octobre 2007, le Tribunal de Première Instance a reporté au 1er juillet 2004 l'état de cessation des paiements, faisant en cela droit à la demande de Monsieur c. BO. ;
Mais attendu que la situation irrémédiablement compromise d'une entreprise ne saurait se confondre avec l'état de cessation des paiements, lequel constitue seulement un indice attestant de la santé économique déficiente de l'entreprise, la proximité, voire l'antériorité, entre la date de cessation des paiements et la date à laquelle les crédits litigieux ont été consentis ne constituant pas, non plus, un motif suffisant pour caractériser la situation irrémédiablement compromise d'une structure ;
Attendu que Monsieur c. BO., intimé, soutient que l'analyse du chiffre d'affaires de Monsieur g. GI. démontrerait sans contestation possible, la situation irrémédiablement compromise de son entreprise ;
Que les éléments chiffrés sont les suivants :
le bilan au 31 décembre 2001 révèle déjà une insuffisance d'actif de l'ordre de 118.815 euros ;
en 2002, à la suite de la cession d'une partie de l'activité, le chiffre d'affaires a diminué de manière significative ;
le découvert bancaire de l'entreprise s'est aggravé pour atteindre la somme de 457.176,30 euros au 31 décembre 2003, le résultat net de l'exercice à cette date étant en perte de 27.538,41 euros ;
le bilan au 31 décembre 2004 révèle un résultat de la société déficitaire à hauteur de 139.554,73 euros, avec un passif exigible de 1.183.017,35 euros ;
le bilan au 31 décembre 2005 révèle un résultat de la société bénéficiaire à hauteur de 32.209,70 euros avec un passif exigible de 1.030.241,55 euros ;
Attendu que ces chiffres ne sont pas contestés, la Cour observant néanmoins que la constatation d'une situation très obérée ou d'une insuffisance, même importante et prolongée, de trésorerie, n'est pas, à elle seule, révélatrice d'une situation irrémédiablement compromise ;
Mais attendu que reprochant précisément aux premiers juges de ne pas avoir caractérisé la situation irrémédiablement compromise de l'entreprise B. au moment de l'octroi des deux crédits litigieux, la SAM A., appelante, invoque le rapport d'audit établi le 25 juillet 2005 par Madame b. FU., expert-comptable, commissaire aux comptes, commise par la COMED le 24 février 2005 ;
Qu'il a, en effet, été demandé à Madame b. FU. de procéder à un audit de l'entreprise, de rechercher l'origine de ses difficultés actuelles, de proposer des mesures de redressement, d'évaluer la viabilité de l'entreprise dès lors que lesdites mesures seront appliquées et de proposer un plan d'étalement des dettes afin que la COMED puisse décider d'aider, ou non, l'entreprise B. ;
Attendu que tout l'intérêt du rapport de Madame b. FU. tient à sa parfaite concomitance avec les crédits litigieux, étant observé que celle-ci a pris en considération, dans son analyse, l'emprunt de 350.000 euros ;
Qu'il n'est, par ailleurs, pas soutenu que Madame b. FU. n'aurait pas eu connaissance des éléments chiffrés ci-dessus, résultant des bilans, sur lesquels s'appuie Monsieur c. BO. ;
Qu'après avoir, notamment, identifié une source dite « conjoncturelle » de difficultés pour l'entreprise tenant à l'absence de son dirigeant, Monsieur g. GI., suite à un accident de la route dont ce dernier a été victime, l'expert-comptable a pu relever que ce dernier était « désormais de retour à la tête de son entreprise » et qu'il s'était « employé à étoffer son carnet de commandes », ce qui a permis à Madame b. FU. d'en déduire que « les conjoncturelles de difficultés ont aujourd'hui définitivement et heureusement disparu » ;
Qu'interrogée ensuite sur l'évaluation de la viabilité de l'entreprise, Madame b. FU., après avoir déterminé une moyenne pondérée du chiffre d'affaires de l'entreprise à 1.298.000 euros par an, a pu relever qu'au moment de son intervention, le carnet de commandes s'élevait à 1.216.000 euros hors taxes, que le montant des coûts fixes pouvait être évalué à 616.000 euros, que les charges proportionnelles représentaient 40% du chiffre d'affaires de l'entreprise ;
Qu'ayant, en outre, déterminé un plan de remboursement des créanciers, elle a conclu en ces termes : « Il apparaît que, dans l'hypothèse la plus favorable, l'entreprise B. est en mesure de rembourser tous ses créanciers en 6 années (de 2005 à 2010 inclus). De notre point de vue, l'entreprise est parfaitement viable et peut rembourser sa dette si on lui en laisse le temps » ;
Que la conclusion du rapport d'audit de Madame b. FU., loin de révéler une situation irrémédiablement compromise, conclut à la viabilité de l'entreprise B., faisant en outre ressortir :
que cette entreprise « fait du travail soigné »,
qu'elle a « actuellement un carnet de commandes bien rempli » ;
Que Madame b. FU., qui a eu connaissance des prêts consentis par la banque, ne considère pas que l'entreprise B. a pu poursuivre son activité grâce aux seuls concours de la banque, dès lors qu'elle s'est fondée, dans son analyse, sur le chiffre d'affaires moyen de l'entreprise et l'importance de son carnet de commandes ;
Que d'ailleurs, ni le travail, ni les conclusions de Madame b. FU. ne sont sérieusement contestés ;
Que la seule réserve émise par l'expert comptable, est ainsi formulée : « sa situation reste néanmoins fragile car un seul plan d'étalement a été accepté et elle reste à la merci des créanciers non-signataires, d'une mauvaise année en matière de chiffre d'affaires ou de mauvais payeurs (comme c'est parfois le cas dans le domaine du bâtiment ») ;
Qu'en toute hypothèse, la seule « fragilité » d'une situation est impropre à mettre en évidence l'existence d'une situation irrémédiablement compromise, c'est-à-dire sans issue ;
Que la liquidation de l'entreprise B. n'est intervenue que le 17 juin 2010, soit plus de cinq ans après l'octroi des crédits contestés ;
Qu'en toute hypothèse, le constat, auquel ont abouti les premiers juges, du « peu de perspectives de redressement » que présentait l'entreprise est insuffisant à caractériser la situation irrémédiablement compromise de l'entreprise B. ;
Attendu, en conséquence, que faute de démontrer la situation irrémédiablement compromise de g. GI., exerçant sous l'enseigne B., au moment de l'octroi des deux crédits en janvier et mars 2005, Monsieur c. BO., ès-qualités, ne peut qu'être débouté des demandes qu'il forme à l'égard de la banque, le jugement entrepris étant infirmé de ce chef ;
Attendu qu'étant débouté de ses demandes, Monsieur c. BO., ès-qualités, se trouve, dès lors, mal fondé en sa demande de dommages-intérêts pour résistance abusive ;
Attendu que l'action en justice constitue l'exercice d'un droit ;
Que l'appréciation erronée qu'une partie fait de ses droits n'est pas, en soi, constitutive d'un abus de procédure, sauf le cas, non démontré au cas d'espèce, d'une intention de nuire, d'une malveillance ou d'une erreur équipollente au dol ;
Qu'en conséquence, la SAM A., qui ne démontre pas en quoi Monsieur c. BO. ès-qualités, aurait fait preuve de légèreté en l'assignant, sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts ;
Attendu que succombant en cause d'appel, Monsieur c. BO., ès-qualités de syndic de la cessation des paiements de Monsieur g. GI., exerçant le commerce sous la dénomination « B. », supportera les entiers dépens de première instance et d'appel, distraits au profit de Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur, sous sa due affirmation de droit.
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,
statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Reçoit l'appel,
Infirme le jugement rendu le 24 octobre 2013 par le Tribunal de Première Instance sauf en ce qu'il a prononcé la mise hors de cause de la société E., reçu la SAM A. en son intervention volontaire et dit qu'elle venait valablement aux droits de la société E.,
Statuant à nouveau des chefs réformés,
Déboute Monsieur c. BO., ès-qualités de syndic de la cessation des paiements de Monsieur g. GI., exerçant le commerce sous la dénomination « B. » de l'ensemble des demandes formées à l'encontre de la SAM A.,
Déboute Monsieur c. BO., ès-qualités de syndic de la cessation des paiements de Monsieur g. GI., exerçant le commerce sous la dénomination « B. » de sa demande de dommages-intérêts pour résistance abusive,
Déboute la SAM A. de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive,
Condamne Monsieur c. BO., ès-qualités de syndic de la cessation des paiements de Monsieur g. GI., exerçant le commerce sous la dénomination « B. » aux entiers dépens de première instance et d'appel, distraits au profit de Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur, sous sa due affirmation de droit,
Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable.
Composition🔗
Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Brigitte GRINDA GAMBARINI, Premier Président, Officier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, Monsieur Eric SENNA, Conseiller, assistés de Madame Laura SPARACIA-SIOLI, Greffier en chef adjoint, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles,
Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,
Lecture est donnée à l'audience publique du 10 MARS 2015, par Madame Brigitte GRINDA GAMBARINI, Premier Président, Officier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Laura SPARACIA-SIOLI, Greffier en chef adjoint, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, en présence de Monsieur Michaël BONNET, Premier substitut du Procureur Général.