Cour d'appel, 10 février 2015, s. CO. c/ SARL « A »
Abstract🔗
Juge des référés – Office
Résumé🔗
Saisi d'une demande d'expulsion fondée sur les effets d'une telle clause résolutoire, le Juge des référés ne statue pas en vertu des dispositions de l'article 414 du Code de procédure civile et demeure simplement tenu de vérifier si les conditions de mise en œuvre de la clause conventionnelle sont ou non remplies et si aucune mauvaise foi ne l'accompagne. En effet, le contrat étant la loi des parties, l'office de ce magistrat demeure, en une telle matière, extrêmement limité et consiste simplement à constater une situation intervenue de plein droit et d'en tirer les conséquences sans préjuger au fond, les droits des parties étant réservés. La juridiction des référés se trouve donc compétente pour statuer sur la demande.
Motifs🔗
COUR D'APPEL
ARRÊT DU 10 FÉVRIER 2015
En la cause de :
- Monsieur s. CO., né le 23 avril 1949 à Borgotaro en Italie, de nationalité italienne, commerçant, demeurant « Y », X X X 1er à Monaco ;
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
APPELANT,
d'une part,
contre :
- La SARL « A », au capital de 15.000 euros, immatriculée au RCI sous le n° X, exerçant sous l'enseigne « La Crémaillère », dont le siège social se trouve X1 à Monaco, prise en la personne de son gérant en exercice, Monsieur s. KO., y demeurant en cette qualité ;
Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Christiane PALMERO, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par Maître Myriam HOUAM, avocat au Barreau de Nice ;
INTIMÉE,
d'autre part,
LA COUR,
Vu l'ordonnance de référé rendue par le Président du Tribunal de première instance, le 12 novembre 2014 (R.1039) ;
Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 20 novembre 2014 (enrôlé sous le numéro 2015/000058) ;
Vu les conclusions déposées le 13 janvier 2015, par Maître Christiane PALMERO, avocat-défenseur, au nom de la SARL « A » ;
À l'audience du 13 janvier 2015 :
Ouï le conseil de s. CO. en ses plaidoiries ;
Vu la production de ses pièces par le conseil de la SARL « A » ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
La Cour statue sur l'appel relevé par s. CO., à l'encontre d'une ordonnance de référé en date du 12 novembre 2014.
Considérant les faits suivants :
Saisi par s. CO. d'une demande tendant à faire constater la résiliation de plein droit du contrat de location-gérance consenti à la SARL A par l'effet de la clause résolutoire et à ordonner son expulsion dans le mois de la signification de l'ordonnance, en tant que de besoin avec l'assistance d'un serrurier et de la force publique, le Juge des référés, par ordonnance en date du 12 novembre 2014, a considéré que les conditions de mise en jeu de la clause résolutoire n'étaient pas réunies et débouté s. CO. de sa demande d'expulsion du locataire-gérant.
Pour statuer ainsi ce magistrat, sur la base des dispositions de l'article 148 du Code de procédure civile, a considéré que les conditions de la clause résolutoire n'étaient pas réunies dans la mesure où il n'était pas formellement établi que la SARL A avait été avisée du dépôt en Mairie par l'Huissier de justice du commandement de payer.
Par acte en date du 20 novembre 2014, s. CO. a relevé appel de l'ordonnance de référé.
Il poursuit l'infirmation de cette décision, et entend voir en conséquence ordonner l'expulsion de corps et de biens de la SARL A, et celle de tous occupants de son chef, dès le prononcé de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, et en tant que de besoin avec l'assistance d'un serrurier et de la force publique.
Pour ce faire, l'appelant rappelle que la dette locative de la locataire-gérante a entraîné la délivrance d'un commandement de payer visant la clause résolutoire conventionnellement convenue dans le contrat de gérance libre du 11 avril 2011, réitéré le 3 octobre 2011, que ce commandement, déposé en Mairie par l'huissier faute d'avoir trouvé la destinataire à son domicile, lui a été valablement signifié par lettre recommandée du 18 avril 2014, conformément aux dispositions de l'article 148 du Code de procédure civile, ainsi que cela résulte de l'original du récépissé de dépôt produit aux débats.
L'expulsion devra en conséquence être ordonnée en l'état de l'augmentation de la dette de la société qui n'est pas contestée et du défaut d'exploitation du fonds de commerce constaté suivant procès-verbal du 12 août 2014.
La SARL A s'oppose pour sa part aux prétentions de l'appelant et conclut à la confirmation de l'ordonnance entreprise, l'acte d'appel étant irrecevable et infondé.
À défaut, si la Cour venait à réformer la décision sur la nullité du commandement, la société A demande à la Cour de prononcer la nullité du contrat de location gérance et de :
dire et juger ses prétentions recevables et bien fondées,
juger le Juge des référés incompétent pour défaut d'urgence et pour contestations sérieuses,
renvoyer s. CO. à se pourvoir au fond,
le condamner aux dépens distraits au profit de Maître Christiane PALMERO.
Elle réitère les moyens soulevés en première instance et expose en substance que :
- le commandement de payer du 18 avril 2014 est nul aux motifs :
qu'il ne lui a pas été délivré et qu'il ne mentionne pas l'intention du bailleur de se prévaloir de la clause résolutoire,
qu'il ne respecte pas les dispositions de l'article 148 du Code procédure civile dans la mesure où elle n'a pas été avisée de son dépôt en Mairie par l'huissier significateur qui a réalisé un envoi sans accusé de réception,
le Juge des référés est incompétent eu égard au défaut d'urgence d'une part, à l'existence de contestations sérieuses d'autre part tenant :
à la nullité du contrat de location-gérance pour dol (dissimulation de la véritable valeur du bien loué, fixation des loyers à une somme disproportionnée), de sorte que l'application de la clause résolutoire ne saurait être valablement appréciée qu'après que la question de la validité du contrat ait été tranchée,
à la modification unilatérale des conditions de règlement des loyers, domaine qui relève de la compétence exclusive de la Commission arbitrale des loyers commerciaux.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé.
SUR CE,
Attendu qu'il n'est pas discuté que l'appel de l'ordonnance entreprise du 12 novembre 2014 a été régularisé dans le délai imposé par la loi et est donc recevable ;
Attendu que s. CO. poursuit l'infirmation de l'ordonnance ;
Que la société A sollicite pour sa part à titre principal sa confirmation et, à défaut, sa réformation pour voir dire la juridiction des référés incompétente pour statuer ;
Qu'il appartient donc à la Cour de statuer sur ladite compétence avant de pouvoir éventuellement aborder les autres demandes ;
Attendu que dans le contrat de location-gérance du 11 avril 2011 réitéré le 3 octobre 2011, liant les parties, figure une disposition intitulée « clause résolutoire » aux termes de laquelle les parties ont expressément fait attribution de compétence au Juge des référés, selon la pratique habituelle en la matière, pour prononcer l'expulsion après avoir constaté le jeu de la clause résolutoire ;
Attendu que, saisi d'une demande d'expulsion fondée sur les effets d'une telle clause résolutoire, le Juge des référés ne statue pas en vertu des dispositions de l'article 414 du Code de procédure civile et demeure simplement tenu de vérifier si les conditions de mise en œuvre de la clause conventionnelle sont ou non remplies et si aucune mauvaise foi ne l'accompagne ;
Qu'en effet, le contrat étant la loi des parties, l'office de ce magistrat demeure, en une telle matière, extrêmement limité et consiste simplement à constater une situation intervenue de plein droit et d'en tirer les conséquences sans préjuger au fond, les droits des parties étant réservés ;
Que la juridiction des référés se trouve donc compétente pour statuer sur la demande ;
Attendu, en l'espèce, que s. CO. a fait délivrer le 18 avril 2014 un commandement de payer, visant la clause résolutoire, demeuré infructueux ;
Attendu que, s'il n'est pas contesté par la locataire-gérante que la somme réclamée de 46.541,43 euros n'avait toujours pas été réglée par elle lors de l'envoi dudit commandement, ainsi que l'a relevé le premier juge, celle-ci prétend, d'une part, qu'elle n'aurait pas eu connaissance de cet acte, et, d'autre part, qu'il ne mentionnerait pas l'intention du bailleur de se prévaloir de la clause résolutoire stipulée au bail ;
Attendu que selon le dernier alinéa de l'article 148 du Code de procédure civile, l'huissier devra, en cas de dépôt à la Mairie de l'exploit à délivrer par ses soins, en donner avis, par lettre recommandée, au destinataire ; que si la preuve de l'envoi doit être établie, la justification de la réception de l'acte n'est en revanche pas nécessaire ;
Attendu que l'appelant produit en cause d'appel l'original du commandement de payer, sur lequel figure la mention, apposée par l'huissier, du dépôt en Mairie de la copie de cet acte, et l'original du récépissé de dépôt qui y est joint, révélant que l'huissier s'est conformé aux prescriptions de l'article précité en envoyant le même jour à la société A, en son siège social sis X, un recommandé sans avis de réception ;
Qu'il produit également le retour de ce recommandé qui porte la mention « pli avisé et non réclamé » ;
Attendu par ailleurs que la locataire soutient à tort que le bailleur n'aurait pas précisé son intention de se prévaloir de la clause résolutoire dans la mesure où il est expressément indiqué dans l'acte :
« lui déclarant que faute par elle de ce faire (…), mon requérant entendant se prévaloir de la clause résolutoire « résiliation » du contrat de gérance n° 124375 (…) ainsi libellée (…) » ;
Que cette mention révèle le caractère explicite et univoque du commandement quant à l'intention du bailleur de se prévaloir de la clause résolutoire conventionnelle dont le contenu s'y trouve en outre intégralement reproduit ;
Attendu en définitive qu'il suit de ce qui précède que les conditions de mise en œuvre de la clause résolutoire étaient réunies contrairement à ce que le premier juge a retenu ;
Attendu qu'il n'est pas contesté qu'à la date du 18 avril 2014, le loyer étant payable d'avance conformément à la loi des parties, la somme de 46.541,43 euros représentant le 2nd trimestre 2014, le loyer de mars 2014 et un arriéré pour les mois de février et janvier 2014, était exigible ;
Que la clause résolutoire avait donc acquis ses effets au 26 avril 2014, soit huit jours après le commandement de payer, étant surperfétatoirement observé que le moyen tiré de la nullité du contrat apparaît inopérant dans le cadre de la présente instance, d'autant qu'il n'est sous-tendu par aucune pièce ;
Qu'il est dès lors établi que le commandement est demeuré infructueux ; qu'il ne résulte d'aucune circonstance de la cause qu'il ait été délivré de mauvaise foi ou que le bailleur ait fait preuve d'une volonté de nuire à sa locataire-gérante dans la mise en œuvre de la clause résolutoire conventionnelle ;
Que par suite, les demandes de s. CO. tendant à voir constater l'acquisition de la clause résolutoire, la résiliation subséquente du bail et ordonner l'expulsion de la société A sont fondées ;
Que la décision entreprise sera donc réformée de ces chefs ;
Que s'agissant du délai pour libérer les lieux, la Cour estime qu'il convient de le fixer à un mois, après la signification de la présente décision, compte tenu de la nature commerciale du bail et des contraintes nécessairement liées à l'exercice d'une activité commerciale, et de prévoir une astreinte provisoire de 200 euros par jour de retard, à compter de l'expiration dudit délai, pendant un délai d'un mois, passé lequel il serait à nouveau fait droit ;
Et attendu que la SARL A qui succombe sera condamnée aux dépens, tant de première instance que d'appel ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,
statuant publiquement et contradictoirement,
Reçoit s. CO. en son appel, et l'y déclare bien fondé,
Réforme l'ordonnance de référé du 12 novembre 2014, en ce qu'elle a débouté s. CO. de sa demande d'expulsion,
Et statuant à nouveau,
Dit que les conditions d'acquisition de la clause résolutoire contenue dans le bail sont réunies et que par son effet le contrat de location-gérance se trouve de plein droit résilié,
Dit que la SARL A devra libérer les lieux dans le mois de la signification du présent arrêt,
Ordonne, à défaut de ce faire, l'expulsion de corps et de biens de la SARL A, ainsi que celle de tout occupant de son chef, si besoin avec le concours de la force publique et d'un serrurier, dans le mois suivant la signification du présent arrêt, et sous astreinte provisoire de 200 euros par jour de retard, à compter de l'expiration dudit délai, pendant un délai d'un mois, passé lequel il serait à nouveau fait droit,
Condamne la SARL A aux entiers dépens avec distraction au profit de Maître Arnaud ZALBADANO, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,
Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable.
Composition🔗
Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Brigitte GRINDA GAMBARINI, Premier Président, Officier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Conseiller, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, assistés de Madame Laura SPARACIA-SIOLI, Greffier en chef adjoint, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles,
Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,
Lecture est donnée à l'audience publique du 10 FÉVRIER 2015, par Madame Brigitte GRINDA GAMBARINI, Premier Président, Officier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Laura SPARACIA-SIOLI, Greffier en chef adjoint, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, en présence de Monsieur Michaël BONNET, Premier substitut du Procureur Général.