Cour d'appel, 5 janvier 2015, Ministère public et autres c/ d. GA. et b. CA.
Abstract🔗
Outrages - Outrages à agents publics - Outrages par écrit ou dessin non rendu public - Notion de publicité - Propos diffusés par courriers électroniques et par réseau social - Preuve rapportée de la publicité (oui) - Relaxe.
Résumé🔗
L'article 164 du Code pénal réprime l'outrage par écrit ou dessin non rendus publics, par paroles, gestes, menaces ou par l'envoi, dans la même intention, d'un objet quelconque et visant le Ministre d'État, le Directeur des Services Judiciaires, un Conseiller du gouvernement ou un magistrat de l'ordre administratif ou judiciaire, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions. L'article 165 du Code pénal incrimine l'outrage fait sous une des formes spécifiées à l'article précédent et adressé à un officier ministériel, à un commandant ou agent de la force publique, ou à toute personne chargée d'un service public, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions. Les outrages commis par écrit ou dessin ne doivent pas être rendus publics, en sorte que l'absence de publicité devient un élément constitutif de l'infraction. La problématique est celle de la définition du caractère public des propos incriminés transmis via un réseau social, Facebook en l'espèce, ainsi que par courriels. Aux termes de la jurisprudence française, dont le caractère transposable au présent cas d'espèce n'est pas discuté par les parties, un site de communication ou d'échange doit être considéré comme public dès lors qu'il peut être accessible par un public inconnu et imprévisible, sans que les conditions d'accès en aient été limitées. Ainsi, il y a publicité lorsque les destinataires des messages ne sont pas liés entre eux par une communauté d'intérêts et que les écrits ou propos incriminés sont diffusés sur des sites entièrement accessibles. À l'inverse, dès lors qu'un site sélectionne les internautes et repose sur un choix limité d'usagers réunis par des aspirations, des affinités amicales ou sociales, ou encore par des centres d'intérêts communs, il y a lieu de considérer que l'élément de publicité fait défaut. En l'espèce, les mails incriminés ont été envoyés à trente adresses mail, dont seules quinze étaient valides. Le compte Facebook attaché à une adresse mail fonctionnait avec des paramètres de confidentialité qui limitaient l'accès au contenu du journal à 107 personnes. Ces communiqués ont été diffusés à ces personnes qui les ont, à leur tour, diffusés à de nombreuses autres. Au regard de l'ampleur de la diffusion à un auditoire largement ouvert, dépassant plusieurs milliers de personnes, il devient difficile de considérer non seulement qu'il y a eu une restriction de l'accès à un groupe limité d'individus, mais encore, la plupart de ceux-ci ne se connaissant absolument pas, qu'ils aient pu être liés par une affinité réelle, des aspirations communes ou des objectifs partagés. Par ailleurs, à supposer même franchi cet obstacle juridique lié à la diffusion des écrits litigieux via le compte Facebook, la transmission des mails en cause à des représentants d'organes de presse quotidienne, hebdomadaire et mensuelle, monégasques et français, ainsi qu'à des mouvements politiques, caractérise suffisamment la publicité donnée à ces écrits. En conséquence, la relaxe des prévenus est confirmée.
Motifs🔗
Dossier PG n° 2013/000383
Cour d'appel correctionnelle
ARRÊT DU 5 JANVIER 2015
En la cause du :
- MINISTÈRE PUBLIC ;
APPELANT
- S. E. M. le Ministre d'État, m. RO. ;
- Monsieur p. MA., Conseiller de gouvernement pour l'intérieur ;
Parties civiles, absents, représentés par Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur près la Cour d'Appel, plaidant par ledit avocat-défenseur ;
APPELANTS
Contre :
- d. GA., né le 4 décembre 1960 à MONACO (98000), d'Yvan et de Pierrette TR., de nationalité monégasque, étudiant, demeurant X1 à CAP-D'AIL (06320) ;
présent aux débats, comparaissant en personne, détenu pour autre cause ;
- b. CA., né le 23 décembre 1959 à MONACO (98000), de Romano et d'Andrée HE., de nationalité monégasque, sans emploi, demeurant « X », X2 à MONACO (98000) ;
présents aux débats, assisté de Maître Arnaud CHEYNUT, avocat-stagiaire, commis d'office, et plaidant par ledit avocat-stagiaire ;
Prévenus de :
- OUTRAGES À UN CONSEILLER DE GOUVERNEMENT ET À DES MAGISTRATS DE L'ORDRE JUDICIAIRE DANS L'EXERCICE OU À L'OCCASION DE L'EXERCICE DE LEURS FONCTIONS
- OUTRAGES À UN COMMANDANT ET DES AGENTS DE LA FORCE PUBLIQUE OU À TOUTE PERSONNE CHARGÉE D'UN SERVICE PUBLIC, DANS L'EXERCICE OU À L'OCCASION DE LEURS FONCTIONS
- OUTRAGE À LA PERSONNE DU MINISTRE D'ÉTAT
INTIMÉS
En présence de :
- Monsieur A. KL., Monsieur R. MA., Monsieur Y. SU., Madame I. CA., Monsieur F. GI., Monsieur G. PE., Monsieur C. LA., parties civiles, absents, représentés par Maître R. MULLOT, avocat défenseur près la Cour d'appel, plaidant par ledit avocat-défenseur ;
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,
jugeant correctionnellement, après débats à l'audience du 10 novembre 2014 ;
Vu le jugement contradictoirement rendu par le Tribunal de Première Instance jugeant correctionnellement le 15 juillet 2014 ;
Vu l'appel interjeté à titre principal par le Ministère public suivant acte de greffe en date du 21 juillet 2014 ;
Vu l'appel interjeté par Maître Rémy BRUGNETTI, avocat-défenseur, substituant Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur et celui de S. E. M. le Ministre d'État, m. RO. et de Monsieur le Conseiller de gouvernement pour l'Intérieur, p. MA., le 28 juillet 2014 ;
Vu les ordonnances présidentielles en date des 5 août 2014 et 15 septembre 2014 ;
Vu les citations, signifiées, suivant exploits de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 19 août 2014 ;
Vu les pièces du dossier ;
Vu la note valant conclusions de d. GA., prévenu, en date du 6 novembre 2014 ;
Ouï d. GA., prévenu, en ses déclarations qui invoque in limine litis l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme ;
Ouï Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, en son rapport ;
Ouï les prévenus en leurs réponses ;
Ouï Maître R. MULLOT, avocat-défenseur pour les partie civiles, en sa plaidoirie ;
Ouï Maître Christophe SOSSO, avocat défenseur pour les partie civiles, en ses demandes et plaidoirie ;
Ouï le Ministère Public en ses réquisitions ;
Ouï Maître Arnaud CHEYNUT, avocat stagiaire pour b. CA., en ses moyens de défense et plaidoirie ;
Ouï les prévenus, en dernier, en leurs moyens de défense ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Par jugement contradictoire du 15 juillet 2014 le Tribunal correctionnel a, sous la prévention :
« D'avoir, à Monaco, courant janvier et février 2013, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription :
outragé par écrit Monsieur m. RO., Ministre d'État, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, en écrivant :
« Quant au Ministre d'État Monsieur R. qui couvre ses agissements gravissimes nous lui disons dégage racaille car bientôt nous sortirons tes casseroles et elles sont nombreuses » (communiqué du 2 février 2013, diffusé le 4 février 2013),
DÉLIT prévu et réprimé par les articles 164 du Code pénal,
2) outragé par écrits monsieur p. MA., Conseiller de gouvernement pour l'intérieur dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, en écrivant notamment :
- « nous mettons en ligne les noms de ce réseau mafieux de Francs-Maçons (...) qui menacent, diffament plusieurs de nos compatriotes et avec la complicité de deux hauts magistrats français en poste depuis peu dans notre pays » et « Voici la liste de cette véritable association de malfaiteurs appartenant à ce réseau franc-maçon : (...) p. MA. (actuellement Conseiller de l'intérieur au gouvernement) (...) une très belle brochette de voyous » (communiqué du 31 janvier 2013)
- « nous avons décidé de mettre en ligne ce jour un document qui en dit long sur les méthodes mafieuses de la police de monégasques mais aussi du conseiller de l'intérieur p. MA. et ses acolytes », « ce réseaux mafieux de ripoux de la police et du conseiller de l'intérieur p. MA. », « cette bande de voyous », la « secte notoire de racailles » et « notre compatriote monsieur X a déposé plainte contre (...) MA. (...) pour des faits extrêmement graves »,
« pour dysfonctionnement grave de nature frauduleuse en bande organisée portant atteinte à la vie privée dans un but d'escroquerie et de tentative de meurtre » (communiqué du 2 février 2013, diffusé le 4 février 2013) ;
DÉLIT prévu et réprimé par l'article 164 du Code Pénal,
outragé par écrits monsieur j-p. DR., Procureur général, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, en écrivant notamment :
- « Monsieur DR. essaye par tous les moyens d'enterrer cette affaire. Il est vrai que ces trois personnages ont la particularité de faire partie de la même loge Franc-maçonnique la GNLF, ou il est de notoriété publique que cette secte est une; véritable association de malfaiteurs ; (communiqué du 28 janvier 2013)
- « Tolérance zéro avec les ripoux de la sûreté publique de Monaco et des magistrats voyous du Palais de justice de Monaco », « nous mettons en ligne les noms de ce réseau mafieux de Francs-Maçons (...) qui menacent, diffament plusieurs de nos compatriotes et avec la complicité de deux hauts magistrats français en poste depuis peu dans notre pays » et « Voici la liste de cette véritable association de malfaiteurs appartenant à ce réseau franc-maçon : (...) j-p. DR. (Procureur Général à Monaco) (...) une très belle brochette de voyous » (communiqué du 31 janvier 2013)
- « menaces de mort (...) avec la complicité du Procureur Général Monsieur j-p. DR. et son complice de toujours le juge d'instruction p. KU., qui essayent par tous les moyens de protéger ce réseaux mafieux de ripoux de la police et du conseiller de l'intérieur p. MA. » (communiqué du 2 février 2013, diffusé le 4 février 2013)
- « nous mettons donc en ligne un document qui en dit long sur les procédés mafieux de la sureté publique, avec la complicité du Procureur de Monaco Monsieur DR., qui bien entendu couvre cette bande de mafieux. Il est vrai que Monsieur DR. est une fin connaisseur en la matière. Il lui reste quelques belles casseroles à Perpignan, son ancienne affectation » (communiqué du 3 février 2013)
- « nous savions déjà que Monsieur DR. était une racaille mais il vient de démontrer que son intelligence ne dépasse celle d'un débile » et « nous invitons le nouveau Gouvernement Français à ouvrir une enquête au plus vite sur cette véritable association de malfaiteurs, car il n'y a pas qu'à Lyon et Marseille que les ripoux et les voyous en robe noir existent » (communiqué du 4 février 2013)
DÉLIT prévu et réprimé par l'article 164 du Code pénal,
4) outragé par écrits monsieur p. KU., juge d'instruction dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, en écrivant notamment :
- « Tolérance zéro avec les ripoux de la sûreté publique de Monaco et des magistrats voyous du Palais de justice de Monaco », « nous mettons en ligne les noms de ce réseau mafieux de Francs-Maçons (...) qui menacent, diffament plusieurs de nos compatriotes et avec la complicité de deux hauts magistrats français en poste depuis peu dans notre pays » et « Voici la liste de cette véritable association de malfaiteurs appartenant à ce réseau franc-maçon : (...) p. KU. (premier juge d'instruction à Monaco) (...) une très belle brochette de voyous » (communiqué du 31 janvier 2013)
- « menaces de mort (...) avec la complicité du Procureur Général Monsieur j-p. DR. et son complice de toujours le juge d'instruction p. KU., qui essayent par tous les moyens de protéger ce réseaux mafieux de ripoux de la police et du conseiller de l'intérieur p. MA. » (communiqué du 2 février 2013, diffusé le 4 février 2013)
DÉLIT prévu et réprimé par l'article 164 du Code pénal,
5) outragé par écrits messieurs A. KL., R. MA., André MU., Y. SU., I. CA., F. GI., G. PE. et C. LA., agents de la force publique dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions, en écrivant notamment « Tolérance zéro avec les ripoux de la sûreté publique de Monaco et des magistrats voyous du Palais de justice de Monaco », « nous mettons en ligne les noms de ce réseau mafieux de Francs-Maçons (...) qui menacent, diffament plusieurs de nos compatriotes et avec la complicité de deux hauts magistrats français en poste depuis peu dans notre pays » et « Voici la liste de cette véritable association de malfaiteurs appartenant à ce réseau franc-maçon :
- A. KL. (commandant principal de police à Monaco)
- MA. (divisionnaire à la sûreté publique)
- a. MU. (ancien directeur de la sûreté publique de Monaco)
- SU. (policier à Monaco)
- CA. (policier à Monaco)
- F. GI. (policier à Monaco)
- G. PE. (policier à Monaco)
- C. LA. (policier à Monaco)
- une très belle brochette de voyous » (communiqué du 31 janvier 2013)
et « notre compatriote monsieur X a déposé plainte contre (...) a. MU., A. KL., SU. (...) pour des faits extrêmement graves », « pour dysfonctionnement grave de nature frauduleuse en bande organisée portant atteinte à la vie privée dans un but d'escroquerie et de tentative de meurtre » (communiqué du 2 février 2013, diffusé le 4 février 2013)
DÉLIT prévu et réprimé par l'article 165 du Code pénal,
- rejeté les exceptions de nullités de la citation et de l'arrêt du 17 février 2014,
- déclaré irrecevables les autres exceptions et la demande de dommages et intérêts formées par d. GA.,
- relaxé d. GA. et b. CA. des fins de la poursuite sans peine ni dépens,
- débouté les partie civiles de leurs demandes,
- laissé les frais à la charge du Trésor.
Le Ministère public a interjeté appel de ladite décision le 21 juillet 2014 ;
Maître Rémy BRUGNETTI, avocat-défenseur, substituant Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur et celui de S. E. M. le Ministre d'État, m. RO. et de Monsieur le Conseiller de gouvernement pour l'Intérieur, p. MA., a interjeté appel le 28 juillet 2014 ;
Les appels, réguliers, sont recevables ;
Considérant les faits suivants :
Une enquête de police était diligentée le 31 janvier 2013 en vue de rechercher l'identité des auteurs de mails, contenant des termes outrageants et injurieux, visant, entre autres, un conseiller du gouvernement, des magistrats et fonctionnaires de police, diffusés depuis l'adresse mail suivante : X@gmail. com, auprès d'organes de presse locaux, X et X.
Le titulaire de l'adresse mail, b. CA., contestait être l'auteur des mails incriminés et niait tout lien avec le mouvement nationaliste concerné.
Le 4 février 2013, une diffusion de nouveaux mails, aux termes comparables aux précédents, visant les mêmes personnes, outre le Ministre d'État de la Principauté de Monaco, était effectuée depuis la même adresse et communiquée aux entreprises de presse locales, sous le libellé « communiqué officiel des nationalistes-principistes monégasques : le 2 février 2013 ».
Ce même 4 février 2013, b. CA. et d. GA. étaient interpellés et placés en garde à vue.
Était saisie une tablette numérique dont l'analyse révélait qu'elle était paramétrée sous l'adresse: X@gmail. com, que certains mots, extraits et parties de textes découverts dans la mémoire de la tablette correspondaient exactement aux termes des mails litigieux et que l'adresse mail de d. GA. dX@gmail. com avait été supprimée des paramétrages de la tablette numérique peu de temps avant l'interpellation.
Confrontés dans les locaux des services de police, d. GA. et b. CA. reconnaissaient que la tablette appartenant au premier d'entre eux avait été offerte au second au début du mois de janvier 2013, mais ils contestaient, cependant, être les auteurs des mails en cause et s'accusaient mutuellement.
Une information judiciaire était ouverte le 6 février 2013.
d. GA. et b. CA. étaient, dès lors, inculpés des chefs de :
outrages à un conseiller du gouvernement et à des magistrats de l'ordre judiciaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions au préjudice de p. MA. (conseiller de gouvernement), j-p. DR. et p. KU. (magistrats de l'ordre judiciaire),
outrages à un commandant et à des agents de la force publique ou à toute personne chargée d'un service public, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions au préjudice des nommées A. KL., R. MA., André MU., Y. SU., I. CA., F. GI., G. PE. et C. LA.,
ensemble de faits commis à Monaco, courant janvier et février 2013.
Suivant réquisitoire supplétif daté du même jour, le Procureur général visant des faits non évoqués dans le réquisitoire introductif requérait d'informer également du chef d'outrage visant le Ministre d'État au préjudice de M. m. RO. au vu des termes du mail envoyé depuis l'adresse précitée « X@gmail. com » le 4 février 2013 et les deux inculpés se voyaient notifier ce chef d'inculpation complémentaire.
Une expertise des supports informatiques saisis au domicile respectif des deux inculpés était réalisée.
Elle permettait pour l'essentiel d'établir que l'adresse mail du rassemblement des nationalistes était au nom de b. CA. et se trouvait paramétrée en connexion directe sur les deux ordinateurs saisis chez ce dernier tandis que l'adresse mail de récupération de ce compte mail était bien l'adresse X@gmail. com dont le mot de passe : didierfoot était identique à celui du compte Gmail de l'adresse du rassemblement des nationalistes.
Il en résultait également qu'un compte Facebook lié à ces deux adresses mail avait favorisé la diffusion de plusieurs communiqués des nationalistes principistes depuis le mois d'octobre 2012, que l'ordinateur DELL sur lequel de nombreux documents liés aux nationalistes étaient identifiés avait également été utilisé pour diffuser des communiqués sur le compte Facebook du rassemblement des nationalistes et en envoyer par mail courant janvier 2013, tandis que l'ordinateur HP contenait de nombreux communiqués du rassemblement des nationalistes principistes qui avaient été créés sur cet appareil puis transférés sur une clé USB et diffusés à partir de deux autres ordinateurs Advance et Dell du couple CA..
Les deux inculpés étaient successivement entendus par le magistrat instructeur.
d. GA. reconnaissait avoir, en partie, écrit les communiqués incriminés sur son ordinateur, tantôt seul, tantôt en collaboration avec b. CA. Ce dernier prétendait, dans un premier temps, qu'il était possible que d. GA. ait envoyé de chez lui tous les mails puisqu'il lui avait laissé un accès libre aux ordinateurs de son domicile. Il admettait, ensuite, qu'il avait co-écrit avec ce dernier certains communiqués à la fin de l'année 2012, fait la mise en page d'autres écrits et diffusé certains communiqués à la demande de d. GA. à partir de l'adresse gmail du rassemblement qu'il avait lui-même créée à sa demande.
Suivant réquisitoire définitif en date du 3 janvier 2014, Monsieur le Procureur Général requérait du magistrat instructeur qu'il déclare les susnommés suffisamment prévenus des faits reprochés et les renvoie devant le tribunal correctionnel pour y être jugés conformément à la loi.
Par ordonnance en date du 17 janvier 2014, le juge d'instruction :
A/ retenait qu'il résultait de l'information charges suffisantes contre d. GA. et b. CA. d'avoir, à Monaco, courant janvier et février 2013, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription d'avoir commis les faits visés dans la prévention.
B/ déclarait les susnommés suffisamment prévenus des faits reprochés et les renvoyait devant le Tribunal correctionnel pour y être jugés conformément à la loi.
Le casier judiciaire français de d. GA. ne porte mention d'aucune condamnation. Sur son casier judiciaire monégasque, figurent une condamnation prononcée le 5 octobre 1993 à deux ans d'emprisonnement pour émissions de chèques sans provision, escroqueries, falsification et usage, et banqueroute frauduleuse, ainsi que deux mentions, respectivement en date des 8 mars 1990 et 22 février 1991, relatives à une cessation des paiements et à une liquidation des biens. Le prévenu est présenté comme défavorablement connu au fichier central des services de police.
Le casier judiciaire français de b. CA. ne porte mention d'aucune condamnation. Sur son casier judiciaire monégasque figure une condamnation à un mois d'emprisonnement du chef de conduite sous l'empire d'un état alcoolique prononcée par le Tribunal correctionnel le 18 mai 2007. Le prévenu est présenté comme défavorablement connu par les services de police. Il bénéficie d'une mesure de protection judiciaire au cabinet du juge tutélaire.
Pour relaxer d. GA. et b. CA. des fins de la poursuite, et débouter les parties civiles de leurs demandes, le Tribunal correctionnel, jugeant sur le fondement des articles 164 et 165 du Code pénal que les infractions poursuivies n'étaient pas constituées, retenait d'abord que dans le cadre d'un outrage réalisé par écrit, le caractère non public, dont il constatait l'absence, était un élément constitutif de l'infraction et, qu'en l'espèce, les qualifications de diffamation ou d'injures publiques, telles que prévues par la loi du 15 juillet 2005 sur la liberté d'expression publique, auraient dû être retenues, ensuite que l'information n'avait pas déterminé si et comment les personnes visées comme victimes avaient été informées des propos incriminés, rappelant enfin qu'en matière d'infractions à la loi sur la liberté d'expression publique, toute requalification était impossible.
Par acte en date du 21 juillet 2014, le Procureur général a relevé appel de cette décision.
Par acte en date du 28 juillet 2014, S. E. M. le Ministre d'État m. RO. et Monsieur p. MA., parties civiles, ont également relevé appel du jugement.
Par notes valant conclusions datées du 6 novembre 2014, parvenues le 10 novembre 2014 à la Cour, d. GA. sollicite, sur le fondement des articles 6 et 10 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, que soit prononcée la nullité « absolue »de la citation à prévenu, de son inculpation, de son interpellation en flagrance avec b. CA. ainsi que celle des « outrages ou de la diffamation qui ne sont pas fondés ».
Au début de l'audience fixée pour l'examen de l'affaire, d. GA., invoquant l'article 6 précité, a fait valoir qu'il sollicitait l'immunité de parole, au même titre que les avocats, ainsi que le respect de l'égalité des armes et du contradictoire.
Monsieur le Bâtonnier MULLOT, représentant les parties civiles non appelantes, est intervenu pour corroborer l'action publique.
Les autres parties civiles, SEM le Ministre d'État et Monsieur p. MA., ont demandé à la Cour de :
réformer la décision,
dire que sont réunis les éléments constitutifs de l'outrage,
les accueillir en leur constitution de partie civile,
condamner les prévenus à leur payer à la somme de 1 euro symbolique à titre de dommages-intérêts,
renvoyer, en cas de difficulté, la cause et les parties devant le juge d'instruction.
Ils soutiennent, en substance :
que l'infraction poursuivie est caractérisée, dès lors d'une part que la publicité ne peut être retenue en raison de la diffusion des mails à un cercle restreint de personnes, d'autre part que l'intention de d. GA., clairement exprimée, a toujours été que les personnes visées aient connaissance des écrits,
que les termes employés dans les écrits visés, empreints de mépris, attentatoires à la dignité et à l'autorité, n'ont rien à voir avec la liberté d'expression, ces faits ayant eu un fort retentissement dans la Principauté.
Le Ministère public, qui n'a pas pris de conclusions écrites, a sollicité le rejet des exceptions de nullité, la réformation du jugement et la condamnation de chacun des deux prévenus à la peine de deux mois d'emprisonnement. Il a fait valoir que l'infraction d'outrage était suffisamment caractérisée par les nombreuses constatations matérielles effectuées sur le matériel informatique, par le témoignage circonstancié de M-P. CA. ainsi que par les déclarations des deux prévenus. Il a ensuite exposé d'une part que l'élément de publicité ne pouvait pas être retenu en l'espèce au regard de la diffusion restreinte des mails à un groupe de destinataires choisis ayant entre eux une communauté d'intérêts, d'autre part qu'en adressant les communiqués aux organes de presse, l'intention des prévenus était que les écrits outrageants parviennent à leurs destinataires.
Le conseil de b. CA. a sollicité la confirmation du jugement et le débouté des demandes des parties civiles. Il a fait observer la difficulté posée par la qualification pénale des faits, objet de la poursuite, et a souligné que la requalification des faits était impossible.
d. GA. a exposé qu'il s'agissait d'un procès politique, qu'il intervenait au nom de la liberté d'expression, qu'il était de bonne foi, qu'il n'arrivait pas à faire le deuil de ses parents et qu'en conséquence, l'outrage n'était pas constitué.
SUR CE,
Sur les exceptions de nullité :
Attendu qu'aux termes de l'article 218 alinéa 3 du Code de procédure pénale, toutes les nullités sont couvertes par l'ordonnance de renvoi lorsqu'elle est devenue définitive ;
Qu'en application du texte précité, d. GA. se trouve, dès lors, irrecevable à soulever devant la Cour, postérieurement à l'ordonnance de renvoi, la nullité de son inculpation et de son interpellation en flagrance, le jugement entrepris ne pouvant qu'être confirmé de ce chef ;
Attendu, par ailleurs, que d. GA. sollicite la nullité de la citation à prévenu, sur le fondement de l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, au motif, nouveau devant la Cour, qu'il a déposé plainte contre l'huissier de justice ayant délivré cette citation et que ce dernier ne pouvait donc être juge et partie ;
Mais attendu que le prévenu ne démontre ni en quoi l'huissier de justice aurait commis une faute ou un abus dans l'exercice de son ministère lors de la délivrance de l'exploit, ni aucune violation du texte invoqué ;
Que le jugement sera confirmé, par substitution de motifs, en ce qu'il a débouté d. GA. de l'exception soulevée ;
Attendu, enfin, que d. GA. sollicite la nullité des « outrages ou de la diffamation qui ne sont pas fondés », considérant avoir agi au nom de la liberté d'expression et ne pas avoir commis d'infraction ;
Mais attendu que cette question, relative à l'existence même de l'infraction poursuivie, est une question de fond qui ne relève pas d'une exception de procédure et qui sera examinée plus avant par la Cour.
Sur le fond :
Attendu qu'aux termes de l'article 164 du Code pénal, l'outrage par écrit ou dessin non rendus publics, par paroles, gestes, menaces ou par l'envoi, dans la même intention, d'un objet quelconque et visant le Ministre d'État, le Directeur des Services Judiciaires, un Conseiller du gouvernement ou un magistrat de l'ordre administratif ou judiciaire, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, sera puni d'un emprisonnement de trois mois à un an et de l'amende prévue au chiffre 3 de l'article 26 du Code pénal, ou de l'une de ces deux peines seulement ;
Qu'aux termes de l'article 165 du Code pénal, l'outrage fait sous une des formes spécifiées à l'article précédent et adressé à un officier ministériel, à un commandant ou agent de la force publique, ou à toute personne chargée d'un service public, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, sera puni d'un emprisonnement d'un à six mois et de l'amende prévue au chiffre 2 de l'article 26 du Code pénal, ou de l'une de ces deux peines seulement ;
Attendu qu'il s'évince de ces textes que les outrages commis par écrit ou dessin ne doivent pas être rendus publics, en sorte que l'absence de publicité devient un élément constitutif de l'infraction ;
Attendu que la problématique soumise à la Cour est celle de la définition du caractère public des propos incriminés transmis via un réseau social, Facebook en l'espèce, ainsi que par courriels ;
Attendu qu'aux termes de la jurisprudence française, dont le caractère transposable au présent cas d'espèce n'est pas discuté par les parties, il est acquis qu'un site de communication ou d'échange doit être considéré comme public dès lors qu'il peut être accessible par un public inconnu et imprévisible, sans que les conditions d'accès en aient été limitées ;
Qu'ainsi, il y a lieu de considérer qu'il y a publicité lorsque les destinataires des messages ne sont pas liés entre eux par une communauté d'intérêts et que les écrits ou propos incriminés sont diffusés sur des sites entièrement accessibles ;
Qu'à l'inverse, dès lors qu'un site sélectionne les internautes et repose sur un choix limité d'usagers réunis par des aspirations, des affinités amicales ou sociales, ou encore par des centres d'intérêts communs, il y a lieu de considérer que l'élément de publicité fait défaut ;
Attendu qu'en l'espèce, il ressort du rapport d'expertise judiciaire établi par Jean-Philippe N., auquel a été confié l'examen d'une tablette numérique, d'une clé USB Logitech, d'un ordinateur portable Asus, d'un ordinateur HP, d'un ordinateur Macbook, d'un ordinateur Advance, d'un ordinateur Dell et d'un disque dur externe saisis chez les prévenus :
- que les mails incriminés ont été envoyés à trente adresses mail, dont seules quinze étaient valides,
- que le compte Facebook attaché à l'adresse mail rasemblementdesnationalistes@gmail. com fonctionnait avec des paramètres de confidentialité qui limitaient l'accès au contenu du journal (où figurent les communiqués en cause) aux amis du profil « Marcel CA. », soit 107 personnes, ainsi qu'aux amis de ses amis ;
- que la diffusion de ces communiqués a été « faite aux 107 amis et eux-mêmes avaient une liste importante d'amis (+ 4.000 dans certains cas) et c'est l'effet boule de neige et amplificateur des réseaux sociaux » ;
Attendu qu'il s'en déduit que les communiqués diffusés via le compte Facebook n'ont pas été accessibles à n'importe quel titulaire d'un compte sur ce réseau dès lors que l'accès à ces données suppose, non seulement d'être titulaire d'un compte, mais aussi d'avoir fait l'objet d'un agrément en qualité d'ami ;
Mais qu'il en ressort aussi qu'aux 107 amis du profil « Marcel CA. » doivent être ajoutés « les amis de mes amis », dont le nombre total n'a pas été déterminé ni au cours de l'expertise, ni plus généralement au terme des actes d'instruction, mais dont on sait, que pour certains d'entre eux, il dépasse le nombre de 4.000, lesquels ont, tous sans exception, également eu accès aux communiqués incriminés, le rapport d'expertise ayant relevé que « tous les amis des 107 amis initiaux de « Marcel CA. » avaient donc accès à ces communiqués » et que « si un profil a 100 amis et qu'un de ces amis a lui-même 200 amis, on a, dans l'absolu, une diffusion à 200X100 amis, soit 20.000 personnes qui ont potentiellement accès à mon contenu et ainsi de suite ». Qu'il sera, en outre, relevé qu'aucune information ne figure dans le rapport d'expertise sur les accès, ouverts ou limités, dont bénéficient à leur tour, sur chacun de leurs profils, « les amis de mes amis », ni, partant, sur les risques d'une propagation encore plus large des écrits litigieux ;
Qu'à ce stade et au regard de l'ampleur de la diffusion à un auditoire largement ouvert, dépassant plusieurs milliers de personnes, il devient difficile de considérer non seulement qu'il y a eu une restriction de l'accès à un groupe limité d'individus, mais encore, la plupart de ceux-ci ne se connaissant absolument pas, qu'ils aient pu être liés par une affinité réelle, des aspirations communes ou des objectifs partagés ;
Que la Cour observe, à ce propos, que dans l'espèce ayant abouti à l'arrêt rendu le 10 avril 2013 par la Cour de cassation, décision invoquée à la fois par le Ministère public et les parties civiles, la diffusion des propos qualifiés d'outrageants avait été limitée à 51 personnes ;
Attendu, par ailleurs, qu'à supposer même franchi cet obstacle juridique lié à la diffusion des écrits litigieux via le compte Facebook, la transmission, parfaitement établie en procédure, des mails en cause à des représentants d'organes de presse quotidienne, hebdomadaire et mensuelle, monégasques et français, aux adresses suivantes recensées par le rapport d'expertise judiciaire, X@X. mc,X@X, rX@X, X@X, ainsi qu'à des mouvements politiques, aux adresses suivantes X@X.org et X@X. org, caractérise suffisamment la publicité donnée à ces écrits ;
Attendu, que la Cour, qui s'estime pleinement et suffisamment éclairée par le dossier de la procédure et les débats, considère qu'il n'y a pas lieu de « renvoyer » l'affaire devant le juge d'instruction, aucun complément d'information n'étant nécessaire ;
Attendu, enfin, qu'il n'est pas démontré que la procédure spécifique prévue aux articles 41 et suivants de la loi n° 1.299 du 15 juillet 2005 sur la liberté d'expression publique ait été respectée, en sorte qu'il ne peut y avoir lieu à une éventuelle requalification ;
Attendu, en conséquence, que la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a relaxé les prévenus des fins de la poursuite et en ce qu'il a, par voie de conséquence, débouté les parties civiles de leurs demandes, s'impose.
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,
statuant contradictoirement à l'encontre des prévenus et conformément à l'article 377 du Code de procédure pénale à l'égard des parties civiles,
Reçoit les appels,
Confirme le jugement rendu le 15 juillet 2014 par le Tribunal correctionnel de Monaco en toutes ses dispositions,
Laisse les frais à la charge du Trésor ;
Composition🔗
Ainsi jugé et prononcé en audience publique de la Cour d'appel de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, cinq janvier deux mille quinze, par Monsieur Marc SALVATICO, Conseiller, faisant fonction de Président, Madame Sylvaine ARFINENGO, Conseiller, Monsieur Eric SENNA, Conseiller, en présence de Monsieur Jean-Jacques IGNACIO, substitut du Procureur général, assistés de Mademoiselle Marina MILLIAND, Greffier stagiaire.