Cour d'appel, 29 septembre 2014, Madame s. TH. et autres c/ La société à responsabilité limitée «V»

  • Consulter le PDF

Abstract🔗

Marque – Contrefaçon (non)

Action en concurrence déloyale – Faute (non)

Résumé🔗

L'article 1er de la loi n° 1058 du 10 juin 1983 sur les marques de fabrique, de commerce ou de service dispose que : «sont considérés comme marque de fabrique, de commerce ou de service(?) tous signes matériels servant à distinguer les produits, objets ou services d'une entreprise quelconque ». Il est également constant et cela résulte de l'article 2 de la même loi que ne peuvent être utilisées comme marque celles qui consistent exclusivement en un signe ou une indication pouvant servir dans le commerce pour désigner l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, le lieu d'origine ou l'époque de la production des produits ou de la prestation des services. L'aspect distinctif d'une marque caractérise donc un élément essentiel à sa protection, le signe choisi ne pouvant avoir un caractère simplement nécessaire, générique, usuel ou même seulement descriptif. Il s'induit de ces dispositions légales que de tels choix induisent au contraire le maintien à la disposition de tous les acteurs économiques de la marque choisie pour la commercialisation et la diffusion de leurs produits. Il résulte des circonstances de l'espèce que le dépôt de la marque M effectué le 30 novembre 2006 sous le numéro 27.213 pour les classes de produits et services numérotées 16, 35 et 41 ne caractérise, dans sa traduction française, que l'utilisation de termes banaux et nécessaires à la désignation d'un salon automobile organisé sur le territoire monégasque. En effet, les vocables employés qualifient et décrivent de façon générique un salon ayant trait à l'exposition à vocation commerciale de véhicules automobiles et indiquent la simple nature des produits représentés et fournis à l'occasion d'une telle manifestation en Principauté de Monaco. S'agissant de l'utilisation de termes étrangers, un quelconque pouvoir distinctif ne peut leur être reconnu que si les mots employés ne sont pas facilement compréhensibles du public francophone se trouvant dans le pays où la protection est recherchée. À cet égard, la marque déposée est constituée de la succession des trois mots : M, N et S dont la signification générale est immédiatement accessible et qui sont utilisés de manière courante en France et en Principauté de Monaco où résident de surcroît de nombreux anglophones. Ladite marque en l'espèce composée de signes nominaux et de signes figuratifs caractérise une marque semi-figurative dans la mesure où la juxtaposition des trois termes est réalisée à une ligne d'intervalle avec décrochement en arc de cercle. Si une telle composition apparaît originale, il ne saurait en être déduit la nécessaire distinctivité requise pour assurer la protection légale. Seule compte en effet la capacité offerte au consommateur d'individualiser les produits ou services dans le marché par rapport à d'autres biens du même genre offerts par la concurrence, le critère de leur originalité n'apparaissant pas pertinent. Dès lors qu'il n'est pas rapporté la preuve en l'espèce de ce nécessaire pouvoir d'individualisation inhérent à la marque déposée, il s'ensuit que la décision des premiers juges doit être confirmée en ce que la marque M ne présente aucun caractère distinctif et en ce que la demande en nullité de cette marque a été admise, s. TH., b. LE. et la société Y ayant été à bon droit déboutés de leur action en contrefaçon de marque et de leurs demandes d'indemnisation de ce chef.

Il est reproché à la société V d'avoir exploité des noms de domaine dont elle est titulaire à l'effet de créer un risque de confusion pour détourner la clientèle du salon M. L'action en concurrence déloyale sanctionne, sur le fondement des dispositions de l'article 1129 du Code civil, un comportement fautif et suppose, pour sa mise en œuvre, outre la constatation d'une faute caractérisée par l'emploi d'un procédé déloyal, également l'existence d'un préjudice, alors que l'action en contrefaçon sanctionne l'atteinte à un droit privatif sur une marque légalement protégée. Si l'action en contrefaçon n'a pu présentement prospérer, ce n'est qu'en raison de la nullité de la marque M pour défaut de caractère distinctif et non en raison des faits qui auraient présidé à une situation de concurrence, en sorte que la recevabilité de l'action en concurrence déloyale doit être admise. En l'espèce cependant, les demandeurs font grief à la société V d'avoir voulu détourner la clientèle de la société Y en procédant à des actes de parasitisme et en suscitant un risque de confusion auprès du public. Le jeu de la libre concurrence autorisant néanmoins tous les acteurs de la vie économique à enregistrer des noms de domaine en relation directe avec leurs propres activités, la société V apparaissait à cet égard habilitée à réserver des noms de domaine décrivant l'organisation de son salon automobile en Principauté de Monaco tout comme la société Y peut de son côté procéder à la réservation d'un autre nom de domaine employant les termes usuels décrivant ses propres activités, sans que l'utilisation de ces vocables génériques soit de nature à induire un quelconque risque de confusion. Il n'est pas davantage rapporté la preuve du détournement de clientèle allégué, la société V organisant des manifestations en rapport avec les automobiles de luxe alors que la société Y, dont le premier salon n'a au demeurant été organisé qu'en 2007, c'est-à-dire trois ans plus tard, concentre ses activités sur des véhicules plus usuels. Par voie de conséquence, la preuve d'une faute caractérisant des actes de concurrence déloyale n'apparaît pas rapportée et qu'il convient de rejeter tant la demande de radiation et d'interdiction d'usage des noms de domaine utilisés par la société V que les demandes d'indemnisation procédant de l'action en concurrence déloyale formée par les appelants, le jugement entrepris étant de ce chef confirmé en toutes ses dispositions.


Motifs🔗

COUR D'APPEL

ARRÊT DU 29 SEPTEMBRE 2014

En la cause de :

  • 1 - Madame s. TH., née le 9 août 1970 à Nice (France), de nationalité française, domiciliée et demeurant « Y», X1 à Monaco (98000) ;

  • 2 - Monsieur b. LE., né le 13 octobre 1966 à Saint-Etienne (France), de nationalité française, domicilié et demeurant « Y», X2 à Cannes la Bocca (06150) France ;

  • 3 - La Société à responsabilité limitée «Y», société de droit monégasque, enregistrée au Répertoire du Commerce et de l'Industrie sous le n°10S05196, dont le siège social se trouve «X», X3 à Monaco (98000), agissant poursuites et diligences de son gérant en exercice, domicilié en cette qualité audit siège ;

  • Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

  • APPELANTS,

  • d'une part,

contre :

  • - La société à responsabilité limitée «V», société de droit monégasque enregistrée au Répertoire du Commerce et de l'Industrie sous le n°X, dont le siège social se trouve «L», Bloc A, X4 à Monaco (98000), prise en la personne de son gérant en exercice, domicilié en cette qualité audit siège ;

  • Ayant élu domicile en l'Étude de Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

  • INTIMÉE,

  • d'autre part,

LA COUR,

Vu le jugement rendu par le Tribunal de première instance, le 5 décembre 2013 (R.1518) ;

Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 17 janvier 2014 (enrôlé sous le numéro 2014/000100) ;

Vu les conclusions déposées les 21 mars et 24 juin 2014, par Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur, au nom de la SARL V ;

Vu les conclusions déposées le 10 juin 2014, par Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de la SARL Y ;

À l'audience du 1er juillet 2014, vu la production de leurs pièces par les conseils des parties ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel relevé par s. TH., b. LE., et la SARL Y, à l'encontre d'un jugement du Tribunal de Première Instance du 5 décembre 2013.

Considérant les faits suivants :

Suivant jugement du 5 décembre 2013, auquel il convient de se référer pour plus ample exposé des faits de la cause, le Tribunal de première instance statuant dans l'instance opposant s. TH., b. LE. et la société Y, à la société V, a :

  • - écarté des débats la pièce numéro 5 produite par la société V,

  • - déclaré nulle, pour ne pas être distinctive, la marque M déposée en Principauté de Monaco le 30 novembre 2006 suivant procès-verbal de dépôt numéro 27.213 par Monsieur b. LE. et Madame s. TH.,

  • - débouté les demandeurs de l'ensemble de leurs prétentions et la société V des fins de sa demande de dommages et intérêts pour concurrence déloyale,

  • - mis les dépens à la charge des demandeurs.

Au soutien de cette décision, les premiers juges ont pour l'essentiel relevé que le dépôt de marque effectué le 30 novembre 2006 par s. TH. et b. LE. pour les classes 16, 35 et 41 mentionnant «divertissement, activités sportives et culturelles» et comprenant les termes inscrits en lettres capitales avec décrochement en arc de cercle sur la droite : M, correspondait à une marque ne présentant aucun caractère distinctif en sorte que la demande en nullité devait être admise.

S'agissant de la demande fondée sur des actes de concurrence déloyale, les premiers juges estimaient que les pièces produites, n'établissant aucune confusion résultant de l'utilisation des noms de domaine, étaient insuffisantes pour caractériser de tels actes, voire même un quelconque parasitisme économique.

Suivant exploit du 17 janvier 2014, s. TH., b. LE. et la société Y interjetaient régulièrement appel de ce jugement signifié le 18 décembre 2013 à l'effet de voir la Cour :

  • - dire et juger l'appel régulier en la forme,

  • - dire et juger que la marque M est originale et distinctive,

  • - dire et juger que l'usage par la société V des noms de domaine MONACOM.COM, MONACOM. ORG et MONACOM. NET constitue un acte de concurrence déloyale,

Et après avoir réformé le jugement entrepris, statuer à nouveau et :

  • - ordonner à la société V de radier les noms de domaine susvisés auprès des registres concernés sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir,

  • - lui faire interdiction en tout état de cause d'utiliser ou de réutiliser à quelque titre que ce soit, et notamment à titre de nom de domaine, la marque M associée ou non à une autre dénomination quelle qu'elle soit et notamment les noms de domaines précités,

  • - condamner la société V à payer à s. TH. et b. LE. la somme de 60.000 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice subi au titre des actes de contrefaçon de marque,

  • - condamner la société V à payer à la société Y la somme de 60.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi au titre des actes de concurrence déloyale,

  • - autoriser la société Y à faire publier la décision à intervenir par extraits ou en entier dans le journal ou la revue de leur choix aux frais de la société V,

  • - condamner cette dernière aux dépens.

Au soutien de cet appel et aux termes de l'ensemble de leurs écrits, ils font pour l'essentiel valoir que la marque M est originale dans la mesure où l'association de la dénomination et du signe en arc de cercle apparaît distinctive et ne caractérise pas la simple désignation d'un salon de l'automobile.

S'agissant du risque de confusion dans l'esprit de la clientèle, les appelants soutiennent que les trois noms de domaine créés par l'intimée ont pour but de détourner la clientèle du salon M, les internautes étant immédiatement redirigés vers le site concurrent du salon de la société V.

Ils observent que dans la mesure où les noms de domaine correspondent exactement au nom de l'événement organisé par leurs soins et où les utilisateurs n'accèdent pas à un site de promotion du salon M mais à un site de la société V, le risque de confusion apparaît évident et le comportement déloyal établi.

Les appelants font par ailleurs grief aux premiers juges d'avoir jugé que les deux salons n'étaient pas en situation de concurrence alors que le comportement de la société TOP MARQUE révèle son intention de capter déloyalement le fruit de leur investissement humain et matériel, le salon M étant susceptible de présenter toutes sortes de véhicules en ce compris des voitures de luxe.

Ils observent enfin qu'outre le détournement de leur clientèle, les agissements déloyaux de la société V empêchent la société Y d'exploiter un site internet sous le nom du salon qu'elle organise.

Reprochant par ailleurs à la société V une certaine malice et même une intention de nuire à ses intérêts, les appelants entendent la voir déclarer responsable d'une faute ayant consisté à transgresser les impératifs de loyauté et d'honnêteté en matière commerciale.

La société V intimée, entend pour sa part aux termes de l'ensemble de ses écrits voir confirmer le jugement rendu le 5 décembre 2013 en ce que les demandeurs ont été déboutés de leurs prétentions au titre de la contrefaçon de marque et de leurs demandes d'indemnisation corrélative, en ce que la marque M a été déclarée nulle pour défaut de caractère distinctif et en ce que la société Y a été déboutée de l'ensemble de ses demandes au titre de la concurrence déloyale.

Relevant par ailleurs appel incident du jugement entrepris, elle entend voir dire et juger que la société Y a commis des actes de concurrence déloyale à son encontre et condamner cette dernière au paiement de la somme de 30.000 euros à titre de dommages intérêts et, en tout état de cause condamner solidairement s. TH., b. LE. et la société Y au paiement de la somme de 10.000 euros à titre de dommages intérêts pour appel abusif et aux dépens.

À l'appui de ses prétentions, la société V observe en particulier que :

  • - la commission d'actes de contrefaçon suppose l'existence antérieure d'un droit privatif valable sur un signe distinctif qui ne soit pas générique ou usuel,

  • - la marque M apparaît purement descriptive et totalement dépourvue de distinctivité, étant utilisée pour l'organisation en Principauté d'un salon automobile à destination du grand public,

  • - l'emploi de termes étrangers ne confère aucun signe distinctif à cette marque semi- figurative étant composée à la fois de termes inscrits en lettres capitales avec un décrochement et d'un arc de cercle sur leur droite,

  • - les diverses reproductions postérieures au dépôt de la marque semi figurative en 2006 sont toutes différentes et représentent les termes M de différentes manières, tantôt en lettres capitales ou en minuscules, tantôt en rouge ou avec d'autres couleurs, tantôt avec un ou deux arcs de cercle, ce qui ne permet pas au public d'attribuer à la marque un pouvoir d'identification fort des produits et services commercialisés,

  • - la nullité de cette marque pour défaut de caractère distinctif s'imposant, aucun acte de contrefaçon ne peut dès lors être intervenu en sorte que la décision des premiers juges ayant rejeté la demande d'indemnisation de ce chef sera confirmée,

  • - s'agissant des griefs tirés d'une concurrence déloyale qu'aurait commise la société V en exploitant des noms de domaine pour créer un risque de confusion et détourner la clientèle du salon M, le cumul des deux actions en contrefaçon et en concurrence déloyale n'apparaît pas autorisé en l'espèce dès lors que les faits reprochés sont identiques à ceux ayant sous-tendu l'action en contrefaçon,

  • - à défaut de démontrer des faits distincts de ceux fondant l'action en contrefaçon, une faute, outre un préjudice et un lien de causalité entre la faute et le préjudice tel que prescrits par les dispositions de l'article 1229 du Code civil, la demande en concurrence loyale sera déclarée irrecevable,

  • - en tout état de cause, sa demande apparaît infondée dès lors que le jeu de la libre concurrence permet aux entreprises d'enregistrer des noms de domaine en lien avec leurs propres activités ainsi que l'a fait la société V en réservant les trois noms de domaine litigieux composés de termes génériques utiles à la description de l'organisation d'un salon automobile en Principauté de Monaco.

La société intimée estime en revanche que la société Y a elle-même commis des actes de concurrence déloyale en la dénigrant gravement auprès de ses propres clients au moyen d'e-mails ayant discrédité le salon V.

Elle fait grief à cette société d'avoir affirmé que le salon était en déclin et que la société V était en faillite provoquant ainsi l'inquiétude de la clientèle, une telle faute étant à l'origine d'une atteinte à sa réputation et devant être réparée à concurrence de l'octroi d'une somme de 30.000 euros à titre de dommages intérêts.

La société Y appelante, réitérant les moyens et demande formulée dans l'exploit d'appel, entend par ailleurs voir débouter la SARL V des fins de son appel incident.

Elle observe que la société V ne craint pas de se livrer à des mises en scène puériles pour ce préconstituer la preuve d'actes de dénigrement de sa part, divers e-mails envoyés depuis l'adresse personnelle de celui qui enregistrait des noms de domaine pour le compte de la société V sous le nom de H révélant le comportement malhonnête de cette société et son intention de nuire à la société Y.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé ;

SUR CE,

Attendu qu'en l'état de l'appel principal interjeté par s. TH., b. LE. et la société Y et de l'appel incident de la société V, la Cour est saisie de l'entier litige soumis aux premiers juges ;

Que dans le domaine des faits, il résulte des pièces produites que la SARL V existant alors sous une autre dénomination sociale, SCS N, apparaît avoir été le premier organisateur en 2004 d'un salon automobile organisé sur le territoire monégasque et ouvert à une clientèle internationale regroupant pour l'essentiel des véhicules automobiles de luxe ;

Que le 30 novembre 2006, s. TH. et b. LE. ont déposé la marque M pour les classes 16, 35 et 41, cette dernière mentionnant les activités de divertissement, activités sportives et culturelles et le modèle de la marque déposée comprenant à une ligne d'intervalle, avec décrochement en arc de cercle vers la droite, les trois termes inscrits en lettres majuscules M, N et S ;

Que dans le courant de l'année 2007 les organisateurs du salon V ont procédé à la réservation de nom de domaine contenant les termes de M, N et S dans les extensions suivantes :

  • - MONACOM. COM,

  • - MONACOM. ORG

  • - et MONACOM. NET ;

Qu'aux mois de mars 2007, s. TH. et b. LE. décidaient d'organiser en Principauté de Monaco un salon automobile à vocation généraliste baptisé M reprenant à l'identique les termes précédemment utilisés en 2004 par la société SCS N devenue la société V, les deux événements poursuivant leur développement de façon parallèle jusqu'à ce que, par courrier de mise en demeure en date du 16 novembre 2011, la société V fasse grief à la société Y constituée entre s. TH. et b. LE. de commettre à son encontre des actes de dénigrement auprès de ses clients et lui enjoigne de cesser immédiatement tout acte de concurrence déloyale ;

Que suivant lettre en réponse émanant du conseil de la société Y en date du 30 novembre 2011, ces allégations étaient formellement contestées et une mise en demeure était délivrée à la société V de résilier et désinscrire les noms de domaine susvisés et de cesser également tous actes de concurrence déloyale à son encontre sans précision quant à leur nature ;

1 - Sur la nullité de la marque M

Attendu que l'article 1er de la loi n° 1058 du 10 juin 1983 sur les marques de fabrique, de commerce ou de service dispose que :

«sont considérés comme marque de fabrique, de commerce ou de service(…) tous signes matériels servant à distinguer les produits, objets ou services d'une entreprise quelconque» ;

Qu'il est également constant et cela résulte de l'article 2 de la même loi que ne peuvent être utilisées comme marque celles qui consistent exclusivement en un signe ou une indication pouvant servir dans le commerce pour désigner l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, le lieu d'origine ou l'époque de la production des produits ou de la prestation des services ;

Que l'aspect distinctif d'une marque caractérise donc un élément essentiel à sa protection, le signe choisi ne pouvant avoir un caractère simplement nécessaire, générique, usuel ou même seulement descriptif ;

Qu'il s'induit de ces dispositions légales que de tels choix induisent au contraire le maintien à la disposition de tous les acteurs économiques de la marque choisie pour la commercialisation et la diffusion de leurs produits ;

Attendu qu'il résulte des circonstances de l'espèce que le dépôt de la marque M effectué le 30 novembre 2006 sous le numéro 27.213 pour les classes de produits et services numérotées 16, 35 et 41 ne caractérise, dans sa traduction française, que l'utilisation de termes banaux et nécessaires à la désignation d'un salon automobile organisé sur le territoire monégasque ;

Qu'en effet, les vocables employés qualifient et décrivent de façon générique un salon ayant trait à l'exposition à vocation commerciale de véhicules automobiles et indiquent la simple nature des produits représentés et fournis à l'occasion d'une telle manifestation en Principauté de Monaco ;

Que s'agissant de l'utilisation de termes étrangers, un quelconque pouvoir distinctif ne peut leur être reconnu que si les mots employés ne sont pas facilement compréhensibles du public francophone se trouvant dans le pays où la protection est recherchée ;

Qu'à cet égard, la marque déposée est constituée de la succession des trois mots : M, N et S dont la signification générale est immédiatement accessible et qui sont utilisés de manière courante en France et en Principauté de Monaco où résident de surcroît de nombreux anglophones ;

Que ladite marque en l'espèce composée de signes nominaux et de signes figuratifs caractérise une marque semi-figurative dans la mesure où la juxtaposition des trois termes est réalisée à une ligne d'intervalle avec décrochement en arc de cercle ;

Que si une telle composition apparaît originale, il ne saurait en être déduit la nécessaire distinctivité requise pour assurer la protection légale ;

Que seule compte en effet la capacité offerte au consommateur d'individualiser les produits ou services dans le marché par rapport à d'autres biens du même genre offerts par la concurrence, le critère de leur originalité n'apparaissant pas pertinent ;

Que dès lors qu'il n'est pas rapporté la preuve en l'espèce de ce nécessaire pouvoir d'individualisation inhérent à la marque déposée, il s'ensuit que la décision des premiers juges doit être confirmée en ce que la marque M ne présente aucun caractère distinctif et en ce que la demande en nullité de cette marque a été admise, s. TH., b. LE. et la société Y ayant été à bon droit déboutés de leur action en contrefaçon de marque et de leurs demandes d'indemnisation de ce chef ;

2 - Sur l'action en concurrence déloyale formée par la société Y

Attendu qu'il est reproché à la société V d'avoir exploité des noms de domaine dont elle est titulaire à l'effet de créer un risque de confusion pour détourner la clientèle du salon M ;

Attendu que l'action en concurrence déloyale sanctionne, sur le fondement des dispositions de l'article 1129 du Code civil, un comportement fautif et suppose, pour sa mise en œuvre, outre la constatation d'une faute caractérisée par l'emploi d'un procédé déloyal, également l'existence d'un préjudice, alors que l'action en contrefaçon sanctionne l'atteinte à un droit privatif sur une marque légalement protégée ;

Que si l'action en contrefaçon n'a pu présentement prospérer, ce n'est qu'en raison de la nullité de la marque M pour défaut de caractère distinctif et non en raison des faits qui auraient présidé à une situation de concurrence, en sorte que la recevabilité de l'action en concurrence déloyale doit être admise ;

Qu'en l'espèce cependant, les demandeurs font grief à la société V d'avoir voulu détourner la clientèle de la société Y en procédant à des actes de parasitisme et en suscitant un risque de confusion auprès du public ;

Attendu que le jeu de la libre concurrence autorisant néanmoins tous les acteurs de la vie économique à enregistrer des noms de domaine en relation directe avec leurs propres activités, la société V apparaissait à cet égard habilitée à réserver des noms de domaine décrivant l'organisation de son salon automobile en Principauté de Monaco tout comme la société Y peut de son coté procéder à la réservation d'un autre nom de domaine employant les termes usuels décrivant ses propres activités, sans que l'utilisation de ces vocables génériques soit de nature à induire un quelconque risque de confusion ;

Qu'il n'est pas davantage rapporté la preuve du détournement de clientèle allégué, la société V organisant des manifestations en rapport avec les automobiles de luxe alors que la société Y, dont le premier salon n'a au demeurant été organisé qu'en 2007, c'est-à-dire trois ans plus tard, concentre ses activités sur des véhicules plus usuels ;

Que par voie de conséquence, la preuve d'une faute caractérisant des actes de concurrence déloyale n'apparaît pas rapportée et qu'il convient de rejeter tant la demande de radiation et d'interdiction d'usage des noms de domaine utilisés par la société V que les demandes d'indemnisation procédant de l'action en concurrence déloyale formée par les appelants, le jugement entrepris étant de ce chef confirmé en toutes ses dispositions.

3 - Sur l'action en concurrence déloyale formée par la société V

Attendu que cette société reproche dans le cadre de son appel incident à la société Y d'avoir commis des actes de concurrence déloyale à son préjudice en la dénigrant gravement auprès de ses clients, demande dont elle était déboutée par les premiers juges pour défaut de justificatifs ;

Que parmi ces actes portant atteinte à la réputation d'une entreprise, le dénigrement consiste à jeter le discrédit sur elle en diffusant des informations malveillantes ou vexatoires sur son travail ou sa personne, voire sur les produits ou les services de celle-ci ;

Attendu qu'en cause d'appel, la Société V verse une pièce aux débats démontrant que des personnes se revendiquant comme les organisateurs du M tentaient de discréditer le salon V présenté comme «en déclin», «trop cher» ou «réalisant peu de ventes» ;

Que si de tels propos caractérisent des actes jetant le discrédit sur l'entreprise concernée, il n'apparaît pas établi qu'ils soient réellement imputables aux représentants légaux de la société Y, la pièce produite pour en justifier n'apparaissant pas suffisamment circonstanciée à cet égard, en sorte que la preuve de la faute reprochée à la société Y n'est pas rapportée et que l'action en concurrence déloyale dirigée à son encontre ne saurait prospérer, la décision entreprise devant également être confirmée de ce chef ;

Attendu sur la demande de dommages-intérêts pour appel abusif formée par l'intimée à l'encontre des appelants, que si ces derniers ont réitéré en cause d'appel les arguments dont ils ont fait état en première instance, il ne saurait en être déduit qu'ils ont, ce faisant, fait dégénérer en abus leur droit d'appel, aucune démonstration d'une faute ou d'une intention blâmable n'étant par ailleurs rapportée ;

Qu'il y a ainsi lieu de rejeter la demande de dommages-intérêts pour appel abusif formée par la société V ;

Attendu que le jugement entrepris sera par voie de conséquence confirmé en toutes ses dispositions en ce compris la condamnation des demandeurs aux dépens de première instance et qu'il convient de laisser également à la charge de ces derniers, appelants, la charge des dépens d'appel ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant publiquement et contradictoirement,

déclare recevables les appels principal et incident,

Au fond en déboute les parties et confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 5 décembre 2013 par le Tribunal de première instance,

Déboute la société V des fins de sa demande de dommages-intérêts pour appel abusif,

Condamne s. TH., b. LE., la société Y aux dépens d'appel et dit qu'ils seront distraits au profit de Maître Olivier MARQUET, avocat défenseur, sous sa due affirmation,

Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable.

Vu les articles 58 à 62 de la loi n° 1398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,

Composition🔗

Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Madame Brigitte GRINDA GAMBARINI, Premier Président, Officier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Conseiller, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Mademoiselle Magali GHENASSIA, Juge de Paix, complétant la Cour et remplissant les fonctions de conseiller en vertu de l'article 22 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires, assistés de Madame Laura SPARACIA-SIOLI, Greffier en chef adjoint, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles,

Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,

Lecture est donnée à l'audience publique du 29 septembre 2014, par Madame Brigitte GRINDA GAMBARINI, Premier Président, Officier de l'Ordre de Saint-Charles, assistée de Madame Laura SPARACIA-SIOLI, Greffier en chef adjoint, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, en présence de Mademoiselle Cyrielle COLLE, substitut du Procureur Général.

  • Consulter le PDF