Cour d'appel, 30 juin 2014, d. ve. c/ Ministère public en présence de i. da. divorcée ve.
Abstract🔗
Abandon de famille - Éléments constitutifs - Abstention de paiement pendant plus de deux mois (non) - Relaxe
Résumé🔗
Le prévenu doit être relaxé du chef d'abandon de famille, délit qui suppose une abstention de paiement total ou partiel de la pension alimentaire due pendant plus de deux mois et une volonté de ne pas payer. En l'espèce, il est établi que le prévenu n'est pas demeuré volontairement plus de deux mois sans payer la part contributive à l'entretien et à l'éducation de ses deux enfants. Il est établi que le prévenu a réglé à la partie civile la somme de 3 050 euros au mois de septembre et la même somme au mois d'octobre. Cette somme mensuelle comprenait nécessairement le paiement total de la part contributive à l'entretien et l'éducation de ses enfants d'un montant de 1 750 euros dès lors que la prévention ne concerne effectivement que le non-paiement de ces parts contributives.
Motifs🔗
Dossier PG n° 2014/00069
COUR D'APPEL CORRECTIONNELLE
R. 6476
ARRÊT DU 30 JUIN 2014
En la cause de :
d. ve., né le 15 mai 1966 à MONACO, de D et de A CH., de nationalité monégasque, administrateur de société, demeurant X à MONACO (98000) ;
Prévenu de :
ABANDON DE FAMILLE
Présent aux débats, assisté de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur ;
APPELANT/INTIMÉ
Contre :
le Ministère public ;
INTIMÉ/APPELANT
En présence de :
i. da. divorcée ve., née le 10 avril 1968 à BOULOGNE-BILLANCOURT (92), de nationalité monégasque, demeurant X à VALBONNE (06560), constituée partie civile, comparaissant en personne ;
INTIMÉE
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO, jugeant correctionnellement, après débats à l'audience du 16 juin 2014 ;
Vu le jugement contradictoirement rendu à l'encontre de d. VE. par le Tribunal correctionnel le 18 mars 2014 ;
Vu les appels interjetés tant par Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur et celui de d. VE., prévenu, que par le Ministère public, à titre incident, suivant actes de greffe en date du 1er avril 2014 ;
Vu l'ordonnance de Monsieur Gérard FORÊT-DODELIN, Vice Président, en date du 28 avril 2014 ;
Vu la citation à prévenu, suivant exploit de Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 16 mai 2014 ;
Vu les conclusions de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur et celui de d. VE., prévenu, en date du 13 juin 2014 ;
Vu les pièces du dossier ;
Ouï Monsieur Marc SALVATICO, Conseiller, en son rapport ;
Ouï d. VE., prévenu, en ses réponses ;
Ouï i. DA. divorcée VE. en ses déclarations ;
Ouï le Ministère public en ses réquisitions ;
Ouï Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur et celui de d. VE., en ses moyens de défense et plaidoirie ;
Ouï d. VE., en dernier, en ses moyens de défense ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Par jugement contradictoirement rendu le 18 mars 2014, le Tribunal correctionnel a sous la prévention :
« D'être à MONACO, du 1er septembre au 31 décembre 2013, en tout cas depuis temps non prescrit, en méconnaissance d'un jugement prononcé par le Tribunal de Première Instance de Monaco, le 25 octobre 2012, l'ayant condamné à verser une pension alimentaire de 1750 euros mensuels pour sa part contributive à l'entretien de ses enfants a. et an., soit 875 euros par enfant, volontairement demeuré plus de deux mois sans acquitter le montant intégral de la pension », DÉLIT prévu et réprimé par les article 26 et 296 du Code Pénal.
Sur l'action publique,
déclaré d. VE. coupable du délit qui est reproché ;
En répression, faisant application des articles visés par la prévention, ainsi que de l'article 393 du Code pénal,
condamné d. VE. à la peine de CINQ CENTS EUROS D'AMENDE ;
Sur l'action civile,
reçu i. DA. divorcée VE. en sa constitution de partie civile.
la déclarant partiellement fondée en sa demande, condamné d. VE. à lui payer la somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts.
Condamné, en outre, d. VE. aux frais.
Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur et celui de d. VE., prévenu, a interjeté appel dudit jugement le 1er avril 2014.
Le Ministère public a interjeté appel incident le même-jour.
Les appels, réguliers, sont recevables.
Considérant les faits suivants :
Le 7 novembre 2013 i. DA. divorcée VE. se présentait auprès des services de la Sûreté publique de Monaco aux fins de déposer une plainte à l'encontre de d. VE. pour non paiement de pension alimentaire.
Elle exposait que d. VE. qui ne payait jamais à la même date ni les mêmes montants, sans lui donner aucune explication, n'avait pas payé les contributions et pensions des mois de septembre, octobre et novembre 2013.
Elle précisait que son époux avait commencé à ne plus lui verser la totalité des sommes telles que prévues par les décisions judiciaires, depuis le mois de septembre 2013.
Entendu par les services de police, d. VE. reconnaissait avoir payé les sommes mises à sa charge de façon fractionnée en réglant notamment en septembre et octobre 2013 une partie des sommes dues par le paiement direct au propriétaire du loyer de l'appartement que son épouse avait quitté à la fin du mois d'août 2013 en emmenant les enfants avec elle.
Il confirmait ces déclarations devant les premiers juges en remettant à l'audience un tableau et des pièces justificatives.
i. DA. en faisait de même, exposant que restaient dus 1.700 € pour le mois de septembre, la même somme pour le mois d'octobre et celle de 3.000 € pour le mois de novembre 2013, outre les contributions du mois courant.
Pour une parfaite compréhension de la problématique dont la Cour est saisie, il est nécessaire de rappeler que par ordonnance de non-conciliation du 31 mars 2010 d. VE. a été condamné à payer à i. DA. le premier de chaque mois et d'avance à son domicile la somme de 850 € par enfant, soit 1.750 € au titre de sa contribution à leur entretien et leur éducation, outre la somme de 3.800 € à titre de pension alimentaire pour l'épouse.
Suivant arrêt du 15 mars 2011 la Cour d'appel de céans a diminué le montant de la pension alimentaire en la fixant à 3.000 € mensuels.
Par jugement en date du 25 octobre 2012 le Tribunal de première instance a prononcé le divorce des époux VE. DA. et a fixé la part contributive de d. VE. à l'entretien et l'éducation de ses deux enfants à la somme de 875 € par enfant et dit que cette contribution sera révisée annuellement en fonction des variations de l'indice mensuel des prix à la consommation des ménages urbains (série France entière) par l'INSEE et pour la première fois le 1er octobre 2013, le cours de l'indice au mois du jugement étant pris pour base.
Ce jugement a été confirmé par arrêt de la Cour d'appel en date du 30 septembre 2013 devenu définitif en l'absence de pourvoi en révision et en l'état de sa transcription sur les registres de l'État civil de Monaco le 28 novembre 2013.
C'est dans les termes de cette décision définitive, confirmant le jugement du Tribunal de première instance du 25 octobre 2012, que la Cour est saisie.
La partie civile, non appelante, a sollicité la confirmation du jugement sur les intérêts civils.
Le Ministère public a, pour sa part, requis la confirmation du jugement.
À l'audience fixée pour l'examen de l'affaire, le conseil du prévenu a développé ses écrits judiciaires déposés le 13 juin 2014 aux termes desquels il sollicite que soit constaté que le délit d'abandon de famille n'est pas constitué dans la mesure où l'élément moral et l'élément matériel de l'infraction ne sont pas caractérisés et qu'en conséquence il soit renvoyé des fins de la poursuite après infirmation du jugement querellé.
SUR CE,
1/ Sur l'action publique :
Attendu qu'il convient liminairement d'observer que la prévention vise uniquement le non paiement mensuel de la part contributive à l'entretien et l'éducation des deux enfants du prévenu, a. et an., en méconnaissance d'un jugement prononcé par le Tribunal de première instance de Monaco le 25 octobre 2012, confirmé de ce chef par arrêt définitif de la Cour d'appel de céans en date du 30 septembre 2013 ;
Que le défaut de paiement de la pension alimentaire allouée à la plaignante, partie civile, d'un montant de 3.000 € par mois fixé par arrêt de la présente Cour du 31 mars 2010, ne figure pas dans ladite prévention ;
Attendu qu'aux termes de l'article 296 du Code pénal, le délit d'abandon de famille est constitué à l'encontre de : « (…) toute personne qui, en méconnaissance d'une décision l'ayant condamnée à verser une contribution aux charges du ménage, ou une pension alimentaire à son conjoint, à ses ascendants, à ses descendants, sera volontairement demeurée plus de deux mois sans fournir la totalité des subsides déterminés par le juge ni acquitter le montant intégral de la pension.
Le défaut de paiement sera présumé volontaire sauf preuve contraire… » ;
Qu'il s'évince des dispositions de cet article et de la jurisprudence constante en la matière que la constitution du délit suppose l'existence cumulative des deux éléments suivants :
l'élément matériel de l'infraction, caractérisé par l'abstention de paiement total ou partiel de la pension alimentaire due pendant plus de deux mois,
l'élément moral de l'infraction résultant de la volonté de ne pas payer ;
Attendu qu'au cas particulier il convient de relever qu'alors que la prévention ne concerne que le non-paiement des seules parts contributives mensuelles d'un montant de 1.750 €, le prévenu justifie avoir bien réglé cette somme pour les mois de septembre et octobre 2013 ;
Attendu en effet que les relevés bancaires et les tableaux qu'il verse aux débats (pièces 8, 9 et 10) permettent à la Cour de constater que les sommes dues ont bien été réglées et qu'en tout état de cause d. VE. n'est pas demeuré volontairement plus de deux mois sans payer la part contributive à l'entretien et à l'éducation de ses deux enfants ;
Que c'est ainsi par exemple que pour le mois de septembre 2013, le chèque n° 94 87 559 d'un montant de 1.000 € émis le 6 septembre a été débité le 26 septembre 2013 ; que le chèque n° 94 87 565 d'un montant de 2.050 € émis le 25 septembre 2013 a été débité le 8 octobre 2013 ;
Attendu que pour le mois d'octobre 2013 le chèque n° 94 87 566 d'un montant de 1.000 € émis le 7 octobre 2013 a été débité le 18 octobre 2013 ; que le chèque n° 94 87 569 d'un montant de 2.050 € émis le 28 octobre 2013 a été débité le 21 novembre 2013 ;
Attendu qu'il est ainsi établi que d. VE. a réglé à i. DA. la somme de 3.050 € au mois de septembre et la même somme au mois d'octobre 2013 ; que cette somme mensuelle comprenait nécessairement le paiement total de la part contributive à l'entretien et l'éducation de ses enfants d'un montant de 1.750 €, dès lors que la prévention ne concerne effectivement que le non-paiement de ces parts contributives ;
Que dès lors, la Cour ne peut que constater que le prévenu s'est acquitté de la totalité des paiements relatifs à la part contributive à l'entretien et l'éducation de ses deux enfants pour les mois de septembre et octobre 2013, en sorte que le délit d'abandon de famille n'est pas constitué en l'espèce ;
Que l'argumentation de l'appelant afférente à une éventuelle compensation des dettes liquides et exigibles devient sans objet ;
Que dans la mesure où l'élément matériel de l'infraction fait défaut, il convient de constater que le délit d'abandon de famille n'est pas constitué, d'infirmer le jugement querellé et de relaxer d. VE. des fins de la poursuite sans peine ni dépens ;
2/ Sur l'action civile :
Attendu qu'en l'état de la relaxe intervenue, il y a lieu de recevoir i. DA. en sa constitution de partie civile mais de l'en débouter ;
Que le jugement entrepris sera donc infirmé de ce chef ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,
statuant contradictoirement,
Reçoit les appels du prévenu et du Ministère public,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, tant pénales que civiles,
Renvoie d. VE. des fins de la poursuite,
Déboute i. DA. des fins de sa demande,
Laisse les frais à la charge du trésor ;
Composition🔗
Après débats en audience publique de la Cour d'appel de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le seize juin deux mille quatorze, qui se sont tenus devant Monsieur Gérard FORÊT-DODELIN, Vice-président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Monsieur Thierry PERRIQUET, Conseiller, Monsieur Marc SALVATICO, Conseiller, en présence de Madame Aline BROUSSE, magistrat référendaire, faisant fonction de Substitut du Procureur général, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistés de Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en Chef adjoint ;
Après qu'il en ait été délibéré et jugé, le présent arrêt a été signé par Monsieur Gérard FORÊT-DODELIN, Vice-président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Monsieur Thierry PERRIQUET, Conseiller, Monsieur Marc SALVATICO, Conseiller, magistrats en ayant délibéré et ce en application des dispositions des articles 58 à 62 de la Loi 1.398 du 18 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaire ;
Lecture étant donnée à l'audience publique du trente juin deux mille quatorze, par Monsieur Gérard FORÊT-DODELIN, Vice-Président de la formation, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assisté de Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en Chef adjoint et en présence de Monsieur Gérard DUBES, Premier Substitut du Procureur général, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles et ce en application des dispositions des articles 58 à 62 de la Loi 1.398 du 18 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaire.