Cour d'appel, 30 juin 2014, État de Monaco c/ t. le cl.
Abstract🔗
Action civile - Action civile de l'État - Préjudice subi par un fonctionnaire - Frais de conseil - Préjudice direct (oui)
Résumé🔗
L'article 14 de la loi n° 975 du 12 juillet 1975 portant statut des fonctionnaires de l'État permet à l'administration de se constituer partie civile à l'effet d'obtenir le remboursement des indemnités versées à ses fonctionnaires et énonce qu'elle est tenue de protéger le fonctionnaire contre les menaces, outrages, injures, diffamations ou attaques de toute nature dont il peut être l'objet dans l'exercice de ses fonctions et de réparer, le cas échéant, le préjudice subi. L'État dispose donc d'une action directe contre les auteurs d'une infraction, ce qui le rend éligible à l'application de l'article 2 du Code de procédure pénale. Pour demander la « restitution » des sommes que l'État est amené à verser à ce titre, celui-ci doit pouvoir se constituer partie civile, faire appel pour ce faire à un conseil et ainsi exposer des frais. Il s'agit de frais non restituables qui sont la conséquence directe de l'infraction poursuivie devant la juridiction répressive pour permettre à l'État monégasque de faire valoir ses droits. La demande en paiement des frais de conseil engagés pour assurer la défense de ses intérêts ressortit à un préjudice direct qui entre dans le cadre des demandes autorisées par l'article 2 précité, ces frais étant la conséquence directe de l'infraction poursuivie et doivent donner lieu à réparation. Il sera ainsi alloué à l'État une somme au titre des frais de justice avancés, le prévenu étant condamné au paiement de cette somme.
Motifs🔗
COUR D'APPEL CORRECTIONNELLE
Dossier PG n° 2014/000173
Statuant sur les dispositions civiles
R. 6474
ARRÊT DU 30 JUIN 2014
En la cause de :
L'État de Monaco, représenté au sens de l'article 153 du Code de procédure civile par Monsieur le Ministre d'État, pris tant en son service de la Direction de la Sûreté Publique, qu'en son Service des Prestations Médicales de l'État, en leur qualité respective d'employeur et d'assureur-loi de l'employeur des parties civiles, partie intervenante volontaire,
représenté par Maître Hervé CAMPANA, avocat près la Cour d'appel, plaidant par ledit avocat ;
APPELANT
Contre :
t. le cl., né le 3 janvier 1994 à PARIS (75016), de François-Xavier et de Flore MA., de nationalité monégasque, étudiant, demeurant X à MONACO (98000) ;
Représenté par Maître Olivier MARQUET avocat défenseur près la Cour d'appel, plaidant par ledit avocat défenseur ;
INTIMÉ
En présence du Ministère public ;
Et de :
Messieurs d. fl. et b. is., agents de police à la Direction de la Sûreté publique, domiciliés sur leur lieu de travail, 5 rue Louis Notari à MONACO, parties civiles, représentés par Maître Hervé CAMPANA, avocat près la Cour d'appel ;
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO, jugeant correctionnellement, après débats à l'audience du 16 juin 2014 ;
Vu le jugement contradictoirement rendu par le Tribunal de Première Instance jugeant correctionnellement le 18 mars 2014 ;
Vu l'appel interjeté par Maître Hervé CAMPANA, avocat pour L'État de Monaco, suivant acte de greffe en date du 1er avril 2014 ;
Vu l'ordonnance de Monsieur le Vice Président en date du 28 avril 2014 ;
Vu la citation à prévenu et signification suivant exploit enregistré du ministère de Maître ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 20 mai 2014 ;
Vu les conclusions de Maître Hervé CAMPANA, avocat pour L'État de Monaco, en date du 16 juin 2014 ;
Vu les conclusions de Maître Olivier MARQUET avocat-défenseur pour t. LE CL., en date du 16 juin 2014 ;
Vu les pièces du dossier ;
Ouï Monsieur Marc SALVATICO, Conseiller, en son rapport ;
Ouï Maître Hervé CAMPANA, avocat pour L'État de Monaco, en ses demandes et plaidoirie ;
Ouï le Ministère public ;
Ouï Maître Olivier MARQUET avocat-défenseur pour t. LE CL., en ses demandes et plaidoirie ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Par jugement contradictoire en date du 18 mars 2014, le Tribunal correctionnel a, sous la prévention de rébellion et ivresse publique et manifeste (contraventions connexes) :
Sur l'action publique,
déclaré t. LE CL. coupable du délit et de la contravention connexe qui lui sont reprochés, et en répression, condamné t. LE CL. à la peine de HUIT JOURS D'EMPRISONNEMENT AVEC SURSIS pour le délit, l'avertissement prescrit par l'article 395 du Code pénal ayant été adressé au condamné, SOIXANTE-QUINZE EUROS D'AMENDE pour la contravention connexe de refus de priorité à piéton, et SOIXANTE QUINZE EUROS D'AMENDE pour la contravention connexe ;
Sur l'action civile,
reçu d. FL. et b. IS. en leur constitution de partie civile,
condamné t. LE CL. à payer à d. FL. la somme de 1 euros, et 100 euros à titre de dommages et intérêts à b. IS. ;
reçu l'État de Monaco, employeur et assureur-loi, en son intervention volontaire,
condamné t. LE CL. à lui payer la somme de 46 euros,
condamné, en outre, t. LE CL. aux frais ;
Maître Hervé CAMPANA, avocat et celui de l'État de Monaco, partie intervenante volontaire, a interjeté appel de la décision le 1er avril 2014 ;
L'appel régulier est recevable ;
Considérant les faits suivants :
Dans la nuit du 12 janvier 2014, t. LE CL. a été transporté aux urgences de l'établissement public de droit monégasque I par les pompiers de Monaco après avoir créé du trouble au sein de l'établissement de nuit le D après une consommation excessive d'alcool.
Ayant décidé de quitter ce service contre l'avis du médecin qui l'avait examiné, lequel préconisait la prise en charge par un tiers, le prévenu, faisant fi de cette préconisation, toujours dans un état d'ébriété avancé, refusait de rester à l'hôpital malgré les préconisations de Messieurs d. FL. et b. IS., fonctionnaires de police présents sur les lieux pour autre cause.
Il tenait des propos outrageants à leur endroit, se rebellait et obligeait les agents à le maîtriser avec la force strictement nécessaire.
Conduit à la Direction de la Sûreté publique après qu'un médecin ait indiqué que son état de santé était compatible avec une mesure de rétention dans les locaux de la police, t. LE CL. était placé en garde à vue à compter de 3h20, sans notification de ses droits compte tenu de son état d'ivresse ; ces derniers lui seront notifiés à 9h30.
Lors de son audition il reconnaîtra avoir consommé trop d'alcool et ne plus se souvenir du déroulement de sa soirée, précisant toutefois prendre acte de son comportement et avoir honte de la situation, ne s'expliquant pas les propos qu'il avait pu tenir, cela ne lui ressemblant pas.
Il rajoutera être sincèrement désolé pour les fonctionnaires de police, son comportement étant inadmissible et être offusqué d'avoir pu agir de la sorte.
Pour entrer en voie de condamnation à l'encontre de t. LE CL., le Tribunal a retenu que les faits étaient constants, reconnus par le prévenu et établis tant par l'enquête que par les débats à l'audience.
À l'audience fixée pour l'examen de l'affaire, le conseil de l'État de Monaco, partie civile seule appelante, a déposé des conclusions et demandé à la Cour de :
vu l'article 14 de la loi n° 975 portant statut des fonctionnaires de l'État :
accueillir l'État de Monaco en son appel, le dire recevable et bien fondé et y faire entièrement droit,
juger que la loi n° 636 du 11 janvier 1958 sur les accidents du travail ne s'applique pas aux fonctionnaires de l'État,
En conséquence,
réformer le jugement rendu le 28 mai 2013 en ce qu'il a écarté la demande de l'État tendant au remboursement des frais de justice et, statuant à nouveau :
condamner t. LE CL. à verser à l'État de Monaco la somme de 2050 € au titre des frais de justice qu'il a dû exposer pour défendre ses intérêts.
Le Ministère public s'en est rapporté.
Le conseil du prévenu a lui aussi déposé des conclusions et demandé à la Cour de :
vu l'article 2 du Code de procédure pénale,
vu les dispositions de la loi n° 636 du 11 janvier 1958 sur les accidents du travail,
confirmer le jugement en date du 18 mars 2014 sur les intérêts civils,
déclarer irrecevable l'appel interjeté par l'État de Monaco et le condamner à 1500 € de dommages et intérêts pour appel abusif.
SUR CE,
Attendu qu'en l'absence d'appel tant du prévenu que du Ministère public, la Cour n'est saisie que des dispositions du jugement afférentes à l'action civile ;
Attendu qu'il convient liminairement d'observer que l'État de Monaco a été reçu en son intervention volontaire en qualité d'assureur loi et employeur de ses agents victimes, le prévenu ayant été condamné à lui payer la somme de 46 € au titre de l'indemnisation des frais médicaux ;
Que le Tribunal n'a écarté que la demande au titre des frais de justice au motif que seules les demandes prévues par l'article 13 de la loi n° 636 du 11 janvier 1958 sur les accidents du travail pouvaient prospérer et l'État monégasque, victime indirecte, ne pouvait valablement solliciter que l'indemnisation des frais médicaux ou de la rente prévue en cas d'incapacité permanente ;
Attendu qu'au cas particulier, les victimes étant des fonctionnaires de l'État (Agents de police) la législation de droit commun sur les accidents du travail ne leur est pas applicable, c'est la loi n° 975 du 12 juillet 1975 portant statut des fonctionnaires de l'État qui s'applique à eux ;
Que l'article 14 de cette loi permet à l'administration, savoir l'État, de se constituer partie civile à l'effet d'obtenir le remboursement des indemnités versées à ses fonctionnaires ;
Attendu que cet article dispose :
« L'administration est tenue de protéger le fonctionnaire contre les menaces, outrages, injures, diffamations ou attaques de toute nature dont il peut être l'objet dans l'exercice de ses fonctions et de réparer, le cas échéant, le préjudice subi.
L'administration est, à cet effet, subrogée aux droits de la victime pour obtenir des auteurs des menaces, outrages, injures, diffamations ou attaques, la restitution des indemnités qu'elle aurait versées à titre de réparation ; elle dispose, en outre, aux mêmes fins, d'une action directe qu'elle peut exercer par voie de constitution de partie civile devant la juridiction pénale » ;
Que l'État dispose donc d'une action directe contre les auteurs d'une infraction, ce qui le rend éligible à l'application de l'article 2 du Code de procédure pénale ;
Qu'il est constant que pour demander la « restitution » des sommes que l'État est amené à verser à ce titre, celui-ci doit pouvoir se constituer partie civile, faire appel pour ce faire à un conseil et ainsi exposer des frais ;
Attendu qu'il s'agit de frais non restituables, qui sont la conséquence directe de l'infraction poursuivie devant la juridiction répressive pour permettre à l'État monégasque de faire valoir ses droits ;
Qu'il y a lieu en conséquence de considérer que la demande en paiement des frais de conseil engagés pour assurer la défense de ses intérêts ressortit à un préjudice direct qui entre dans le cadre des demandes autorisées par l'article 2 précité, ces frais étant la conséquence directe de l'infraction poursuivie et doivent donner lieu à réparation ;
Attendu qu'il sera ainsi alloué à l'État monégasque la somme de 2.050 € au titre des frais de justice avancés, t. LE CL. étant condamné au paiement de cette somme ; qu'en l'état de sa succombance il sera débouté de sa demande de dommages intérêts pour appel abusif ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTE DE MONACO,
statuant contradictoirement, conformément aux dispositions de l'article 377 du Code de procédure pénale, sur les dispositions civiles en matière correctionnelle,
Vu les articles 73, 389 alinéa 2, 413 du Code de procédure pénale et 14 de la loi n° 975 du 12 juillet 1975 ;
Reçoit l'appel et le déclare bien fondé ;
Infirme le jugement du 18 mars 2014 en ses dispositions appelées et statuant à nouveau,
Dit que l'État de Monaco dispose d'une action directe contre l'auteur de l'infraction du chef de l'article 14 de la loi n° 975 du 12 juillet 1975 ;
Condamne t. LE CL. à lui payer la somme de 2.050 € au titre des frais exposés pour défendre ses intérêts et déboute ce dernier de sa demande de dommages et intérêts pour appel abusif ;
Condamne t. LE CL. aux frais ;
Composition🔗
Après débats en audience publique de la Cour d'appel de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le seize juin deux mille quatorze, qui se sont tenus devant Monsieur Gérard FORÊT-DODELIN, Vice-président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Conseiller, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Monsieur Marc SALVATICO, Conseiller, en présence de Madame Aline BROUSSE, magistrat référendaire, faisant fonction de Substitut du Procureur général, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistés de Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en Chef adjoint ;
Après qu'il en ait été délibéré et jugé, le présent arrêt a été signé par Monsieur Gérard FORÊT-DODELIN, Vice-président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Conseiller, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Monsieur Marc SALVATICO, Conseiller, magistrats en ayant délibéré et ce en application des dispositions des articles 58 à 62 de la Loi 1.398 du 18 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaire ;
Lecture étant donnée à l'audience publique du trente juin deux mille quatorze, par Monsieur Gérard FORÊT-DODELIN, Vice-Président de la formation, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assisté de Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en Chef adjoint et en présence de Monsieur Gérard DUBES, Premier Substitut du Procureur général, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles et ce en application des dispositions des articles 58 à 62 de la Loi 1.398 du 18 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaire.