Cour d'appel, 30 juin 2014, e. JU. c/ Ministère public
Abstract🔗
Violences volontaires - Violences sur concubin - Victime en état d'ivresse - Proportionnalité des moyens employés (non) - Condamnation - Circonstances atténuantes (oui)
Résumé🔗
Le prévenu doit être condamné du chef de violences commises sur une personne ayant vécu sous le même toit, à savoir sa concubine. En raison de l'imprégnation éthylique que présentait cette dernière, le prévenu s'est légitimement interrogé sur ses aptitudes physiques à la conduite de l'automobile qu'elle envisageait au regard de la préservation de son intégrité physique et de sa sécurité, ce qui l'a ainsi déterminé à tenter de l'en dissuader. À la faveur de cette légitime crainte, il lui appartenait toutefois d'employer des moyens proportionnés au but recherché, à savoir de l'empêcher de conduire, sans se livrer nécessairement à des actes de violence sur sa personne. Le prévenu, qui est nécessairement de par sa profession d'artisan taxi, formé à gérer des situations de relations difficiles avec des tiers, a dès lors fait preuve d'un comportement disproportionné dans les moyens qu'il a mis en œuvre pour empêcher la victime de conduire, lui occasionnant en conséquence des blessures d'une gravité suffisante pour ne pas pouvoir être légitimement excusées.
Motifs🔗
Dossier PG n° 2013/002613
COUR D'APPEL CORRECTIONNELLE
R. 6477
ARRÊT DU 30 JUIN 2014
En la cause de :
- e. JU., né le 23 décembre 1971 à MONACO (98000), de C et de J MA-GA., de nationalité française, chauffeur de taxi, demeurant « X », X à LA TURBIE (06320) ;
Prévenu de :
VIOLENCES VOLONTAIRES SUR PERSONNE AYANT VÉCU SOUS LE MEME TOIT (ITT - de 8 jours)
présent aux débats, assisté de Maître Samuel HABIB, avocat près de la Cour d'appel de Paris, plaidant par ledit avocat ;
APPELANT/INTIMÉ
Contre :
le MINISTÈRE PUBLIC ;
INTIMÉ/APPELANT
En présence de :
Mademoiselle s. i. BE. NI., née le 23 septembre 1986 à SANTA LUCIA (Brésil), de nationalité espagnole, vendeuse, domiciliée sur son lieu de travail, Boutique souvenirs, la société M, X1, à MONACO (98000), constituée partie civile, assistée de Maître Valérie CUNHA, avocat au barreau de Nice ;
INTIMÉE
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTE DE MONACO, jugeant correctionnellement, après débats à l'audience du 16 juin 2014 ;
Vu le jugement contradictoirement rendu à l'encontre de e. JU. par le Tribunal correctionnel le 25 mars 2014 ;
Vu les appels interjetés tant par e. JU., prévenu, en personne, que par le Ministère public, à titre incident, suivant actes de greffe en date du 7 avril 2014 ;
Vu l'ordonnance de Monsieur Gérard FORÊT-DODELIN, Vice Président, en date du 8 mai 2014 ;
Vu la citation à prévenu, suivant exploit de Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 16 mai 2014 ;
Vu les conclusions de Maître Valérie CUNHA avocat et celui de s. i. BE. NI., en date du 16 juin 2014 ;
Vu les pièces du dossier ;
Ouï Monsieur Gérard FORÊT-DODELIN, Vice Président, en son rapport ;
Ouï e. JU., prévenu, en ses réponses ;
Ouï s. i. BE. NI. en ses déclarations ;
Ouï Madame s. BO., née le 31 août 1970 à Orange (84100), demeurant X à Menton (06500), citée en qualité de témoin, serment préalablement prêté ;
Ouï Maître Valérie CUNHA avocat au Barreau de Nice et celui de s. i. BE. NI., partie civile, régulièrement autorisée à plaider par Monsieur le Président, en sa plaidoirie ;
Ouï le Ministère public en ses réquisitions ;
Ouï Maître Samuel HABIB, avocat près de la Cour d'appel de Paris et celui de e. JU., prévenu, régulièrement autorisé à plaider par Monsieur le Président, en ses moyens de défense et plaidoirie ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Par jugement contradictoirement rendu le 18 mars 2014, le Tribunal correctionnel a sous la prévention :
« D'avoir à MONACO, le 6 novembre 2013, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, volontairement commis des violences ou voies de fait sur s. i. BE. NI., personne ayant vécu durablement sous le même toit pour être sa concubine, desquelles il n'est pas résulté une ITT de plus 8 jours, en l'espèce 2 jours », DÉLIT prévu et réprimé par les articles 26, 238 et 239 du Code pénal.
Sur l'action publique,
- déclaré e. JU. coupable du délit qui lui est reproché,
en répression, faisant application des articles visés par la prévention,
- condamné e. JU. à la peine de HUIT CENTS EUROS D'AMENDE ;
Sur l'action civile,
- reçu s. i. BE. NI. en sa constitution de partie civile ;
- la déclarant partiellement fondée en ses demandes, condamne e. JU. à lui payer la somme de MILLE EUROS à titre de dommages-intérêts, toutes causes de préjudices confondus ;
- condamné, en outre, e. JU. aux frais ;
e. JU., prévenu, a interjeté appel en personne dudit jugement le 7 avril 2014.
Le Ministère public a interjeté appel incident le même-jour.
Les appels, réguliers, sont recevables.
Considérant les faits suivants :
Le 8 novembre 2013 s. i. BE. NI. se présentait auprès des services de la Sûreté publique pour déposer plainte à l'encontre de son concubin e. JU., auquel elle reprochait de s'être livré sur elle à des violences, deux jours auparavant au cours de la soirée du 6 novembre 2013 passée ensemble au Grimaldi Forum, où à la suite d'une dispute entre eux et alors qu'elle avait voulu reprendre leur véhicule pour partir, il l'avait saisie violemment par les poignets pour la traîner au sol dans le parking pour s'opposer à son départ, tout en l'insultant copieusement.
Elle produisait un certificat médical établi par le Docteur A du Service des Urgences du Centre Hospitalier Princesse Grace qui faisait état de « dermabrasions de la malléole externe gauche d'environ 5 cm et d'une dermabrasion de la face latérale interne de l'avant bras droit d'environ 10 cms entraînant une ITT de 2 jours sauf complications ».
Entendu le 20 novembre 2013 après avoir été placé en garde à vue, e. JU. déclarait qu'au cours de la soirée du 6 novembre 2013 et alors qu'ils s'étaient rendus ensemble au Grimaldi Forum, sa concubine s. i. BE. NI. avait entrepris de lui faire une scène de jalousie qui l'avait conduite à devoir quitter les lieux, mais qu'étant inquiet au regard des ses aptitudes à la conduite du véhicule il avait « voulu lui venir en aide et l'avait saisie par le bras et l'avait tirée en dehors de l'habitacle » mais qu'ils avaient trébuché tous les deux et étaient tombés au sol.
Il déclarait en outre « qu'il ne l'avait pas tirée au sol sur plusieurs mètres au mieux sur 50 cms et ne comprenait pas que ses blessures ne correspondent pas au contenu de ses dires. Il était vrai qu'ils étaient au niveau du coffre lorsqu'ils sont tombés et qu'il était dès lors possible qu'il l'ait amenée vers lui en tentant de lui enlever les clés ».
Il insistait d'autre part sur ses propres difficultés psychologiques consécutives à une tentative d'autolyse en date de 2007 et sur le fait qu'à la suite de ces évènements malheureux du 6 novembre 2013, il avait dû être hospitalisé 2 nuits à l'Hôpital Saint Roch à Nice.
Il faisait état également de ce que leur couple s'était séparé en suite de ces évènements.
Cité devant le Tribunal correctionnel du chef de violences volontaires sur personne ayant vécu sous le même toit avec ITT de moins de 8 jours, cette juridiction est entrée en voie de condamnation à son endroit dans les conditions exposées supra, tandis que s. i. BE. NI. était reçue en sa constitution de partie civile.
Lors de l'audience devant la Cour, le Conseil de s. i. BE. NI. a conclu à la confirmation du jugement entrepris du chef duquel elle n'avait au demeurant pas relevé appel.
Le Ministère public a requis la confirmation de la décision rendue par le Tribunal correctionnel dès lors que les moyens mis en œuvre par e. JU. pour empêcher sa concubine de reprendre le volant en l'état de son imprégnation éthylique étaient disproportionnés et avaient conduit à lu infliger des blessures de manière illégitime.
Le Conseil de e. JU. a exposé oralement les moyens qu'il estimait utiles à démontrer que son client devait être renvoyé des fins de la poursuite.
SUR CE,
Attendu qu'il est constant que le soir du 6 novembre 2013, sur le coup de 22 heures, une rixe a opposé s. i. BE. NI. à e. JU. au cours de laquelle celle-ci a été blessée dans les conditions constatées par le certificat médical par elle versé aux débats ;
Que e. JU. démontre toutefois qu'en raison de l'imprégnation éthylique que présentait s. i. BE. NI., il s'est légitimement interrogé sur ses aptitudes physiques à la conduite de l'automobile qu'elle avait décidé de réaliser au regard de la préservation de son intégrité physique et de sa sécurité, ce qui l'a ainsi déterminé à tenter de l'en dissuader ;
Attendu que la Cour observe qu'à la faveur de cette légitime crainte rappelée ci-dessus, il lui appartenait toutefois d'employer des moyens proportionnés au but recherché, à savoir de l'empêcher de conduire, sans se livrer nécessairement à des actes de violence sur sa personne ;
Qu'il se déduit en effet du SMS que s. i. BE. NI. lui a envoyé à 21 heures 49, aux termes duquel « je besoin de mon ticket pour sorti stp » qu'elle se trouvait en effet démunie d'un tel titre de sortie ce qui l'empêchait nécessairement de quitter les lieux à bord de cette voiture ;
Que même si le prévenu argue qu'il n'était pas davantage en possession de ce ticket, lequel n'aurait selon lui pas quitté le sac de s. i. BE. NI., rendant dès lors légitime sa préoccupation tenant à sa sécurité, il lui incombait seulement en s'étant rendu sur l'emplacement de stationnement ainsi qu'il l'a déclaré et pour y avoir retrouvé sa concubine installée au volant, de lui subtiliser les clés qui se trouvaient sur le contacteur, la mettant ainsi dans l'impossibilité totale de procéder à un quelconque démarrage du véhicule ;
Que le prévenu qui est nécessairement de par sa profession d'artisan taxi, formé à gérer des situations de relations difficiles avec des tiers, a dès lors fait preuve d'un comportement disproportionné dans les moyens qu'il a mis en œuvre pour empêcher s. i. BE. NI. de conduire, lui occasionnant en conséquence des blessures d'une gravité suffisante pour ne pas pouvoir être légitimement excusées ;
Que c'est dès lors à bon droit que le Tribunal est entré en voie de condamnation à son encontre ;
Attendu sur la peine, que la Cour observe qu'en raison des circonstances de commission de l'infraction, de la personnalité des protagonistes, il existe en la cause des circonstances atténuantes qui doivent bénéficier au prévenu ;
Que le quantum de la peine d'amende qui lui a été infligée sera réformé et cantonné au seul montant de 500 euros ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTE DE MONACO,
statuant contradictoirement,
Déclare e. JU. recevable en son appel,
Au fond confirme le jugement prononcé par le Tribunal correctionnel le 25 mars 2014 en toutes ses dispositions déférées, sauf en ce qui concerne le montant de l'amende infligée,
Le réforme de ce seul chef,
Condamne e. JU. au paiement d'une amende de CINQ CENTS EUROS,
Condamne e. JU. aux frais ;
Composition🔗
Après débats en audience publique de la Cour d'appel de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le seize juin deux mille quatorze, qui se sont tenus devant Monsieur Gérard FORÊT-DODELIN, Vice-président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Conseiller, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Monsieur Marc SALVATICO, Conseiller, en présence de Madame Aline BROUSSE, magistrat référendaire, faisant fonction de Substitut du Procureur général, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistés de Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en Chef adjoint ;
Après qu'il en ait été délibéré et jugé, le présent arrêt a été signé par Monsieur Gérard FORÊT-DODELIN, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Vice-président, Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Conseiller, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Monsieur Marc SALVATICO, Conseiller, magistrats en ayant délibéré et ce en application des dispositions des articles 58 à 62 de la Loi n° 1.398 du 18 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaire ;
Lecture étant donnée à l'audience publique du trente juin deux mille quatorze, par Monsieur Gérard FORÊT-DODELIN, Vice-Président de la formation, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assisté de Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en Chef adjoint et en présence de Monsieur Gérard DUBES, Premier Substitut du Procureur général, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles et ce en application des dispositions des articles 58 à 62 de la Loi n° 1.398 du 18 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaire.