Cour d'appel, 30 juin 2014, t. fa., a-m. gu. divorcée dj. et d. pa. c/ Ministère public en présence de l'État de Monaco
Abstract🔗
Action civile - Action civile de l'État - Directeur d'un stade géré par l'État - Qualité pour déposer plainte au nom de l'État (oui)
Résumé🔗
Les caissiers de piscine d'un stade sont poursuivis du chef d'abus de confiance pour avoir mis en place un système de « double vente » de tickets d'entrée, leur permettant de détourner une partie de la recette du jour. Si la piscine n'est ni propriétaire, ni détenteur des fonds détournés, elle est gérée par le Département de l'Intérieur de l'État de Monaco qui est en conséquence la victime des agissements frauduleux des prévenus lesquels, de surcroît, sont employés par l'État, ce qui leur interdit de se prévaloir de leur propre turpitude en application de l'adage « nemo auditur propriam turpitudinem suam allegans ». Il est donc acquis que l'abus de confiance poursuivi a bien été commis au préjudice de l'État à travers sa Direction de l'Intérieur et il est donc indifférent qu'il ne soit pas expressément mentionné dans l'exploit de citation. Le directeur du stade avait ainsi qualité pour déposer valablement plainte au nom de l'État, qu'il représente.
Motifs🔗
Dossier PG n° 2013/002264
COUR D'APPEL CORRECTIONNELLE
R. 6475
ARRÊT DU 30 JUIN 2014
En la cause de :
- t. fa., né le 20 septembre 1978 à SOISSONS (02), de H PI., de nationalité française, caissier, demeurant X à MONACO (98000) ;
- a-m. gu. divorcée DJ., née le 6 février 1966 à MONACO, de E et de H TO., de nationalité monégasque, caissière, demeurant X à MONACO (98000) ;
présents aux débats, assistés de Maître Sophie LAVAGNA, avocat défenseur près la Cour d'appel, plaidant par ledit avocat défenseur ;
- d. pa., née le 27 mai 1987 à MONACO, de E et de L DE ST., de nationalité monégasque, hôtesse-caissière, demeurant X à MONACO (98000) ;
présente aux débats, assistée de Maître Sarah FILIPPI, avocat près la Cour d'appel, plaidant par ledit avocat ;
APPELANTS/INTIMÉS
Prévenus de : ABUS DE CONFIANCE
Contre :
- le Ministère public ;
INTIMÉ/APPELANT
En présence de :
- l'État de Monaco, représenté au sens de l'article 153 du Code de Procédure Civile par Monsieur le Ministre d'État, demeurant en cette qualité Palais du Gouvernement, Place de la Visitation à MONACO (98000), pris en son service du T 19 avenue des Castelans à MONACO, employeur des prévenus, constitué partie civile, représenté par Maître Christophe SOSSO, avocat défenseur près la Cour d'appel, plaidant par ledit avocat défenseur ;
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,
jugeant correctionnellement, après débats à l'audience du 16 juin 2014 ;
Vu le jugement rendu contradictoirement à l'encontre de t. FA., a-m. GU. et d. PA. par le Tribunal correctionnel en date du 25 février 2014 ;
Vu les appels interjetés tant par Maître Sophie LAVAGNA, avocat-défenseur et celui de t. FA. et de a-m. GU. divorcée DJ., prévenus, en date du 26 février 2014 que par le Ministère public à titre incident le 28 février 2014 et le 6 mars 2014 par Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur pour d. PA., prévenue ;
Vu l'ordonnance de Monsieur Gérard FORÊT-DODELIN, Vice Président en date du 17 mars 2014 ;
Vu les citations, suivant exploits, enregistrés, de Maître ESCAUT-MARQUET, huissier, en date des 2 et 16 avril 2014 ;
Vu les conclusions de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur et celui d. PA., prévenue, en date du 13 juin 2014 ;
Vu les pièces du dossier ;
Ouï Maître Sophie LAVAGNA, avocat-défenseur pour t. FA. et a-m. GU. divorcée DJ., prévenus, en sa plaidoirie sur les exceptions de nullité soulevées in limine litis ;
Ouï Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur et celui d. PA., prévenue, en sa plaidoirie sur les exceptions de nullité soulevées in limine litis ;
Ouï Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur pour l'Etat de Monaco, partie civile, en sa plaidoirie sur les exceptions de nullité soulevées in limine litis ;
Ouï le Ministère public en ses réquisitions sur les exceptions de nullités soulevées ;
La Cour, après en avoir délibéré, a joint l'incident au fond ;
Ouï Monsieur Marc SALVATICO, Conseiller, en son rapport ;
Ouï t. FA., prévenu, en ses réponses ;
Ouï a-m. GU. divorcée DJ., prévenue, en ses réponses ;
Ouï d. PA., prévenue, en ses réponses ;
Ouï Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur pour l'État de Monaco, partie civile, en demandes et plaidoirie ;
Ouï le Ministère Public en ses réquisitions ;
Ouï Maître Sophie LAVAGNA, avocat-défenseur pour t. FA. et a-m. GU. divorcée DJ., prévenus, en ses moyens d'appel et plaidoirie ;
Ouï Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur et celui d. PA., prévenue, en ses moyens d'appel et plaidoirie ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Par jugement contradictoire en date du 25 février 2014, le Tribunal correctionnel a, sous la même prévention pour t. FA., a-m. GU. et d. PA. :
« D'avoir à MONACO, courant 2012-2103, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, détourné ou dissipé au préjudice de la piscine du T, des fonds meubles, effets, deniers marchandises, billets, promesses, quittances ou tous autres écrits contenant ou opérant obligation ou décharge, qui ne leur avaient été remis qu'à titre de louage, de dépôt, de mandat, de nantissement, de prêt à usage ou pour un travail salarié ou non, à charge de les rendre ou présenter, ou d'en faire un usage ou un emploi déterminé en l'espèce, en percevant et en conservant indûment et à des fins personnelles, dans le cadre de leurs fonctions, de caissiers, le prix de vente de tickets d'entrée de la piscine acquitté par des clients », DÉLIT prévu et réprimé par les articles 26 et 337 du Code Pénal.
Sur l'action publique,
rejeté l'exception de nullité soulevée par d. PA. et t. FA.,
déclaré a-m. GU. divorcée DJ., d. PA. et t. FA. coupables des faits qui leur sont reprochés ;
en répression, faisant application des articles visés dans la prévention, ainsi que les articles 396 et suivants du Code pénal,
Condamné :
a-m. GU. divorcée DJ. et t. FA. à la peine de UN MOIS D'EMPRISONNEMENT AVEC SURSIS, l'avertissement prescrit par l'article 395 du Code pénal ayant été adressé aux condamnés ;
d. PA. à la peine de UN MOIS D'EMPRISONNEMENT AVEC SURSIS ET PLACEMENT SOUS LE RÉGIME DE LA LIBERTÉ D'ÉPREUVE PENDANT TROIS ANS avec obligation d'indemniser la victime, l'avertissement prescrit par l'article 404 du Code pénal ayant été adressé à la condamnée ;
Sur l'action civile,
reçu l'ÉTAT DE MONACO pris en sa qualité d'employeur des prévenus, en sa constitution de partie civile,
le déclarant partiellement fondé en ses demandes, condamné a-m. GU. divorcée DJ., d. PA. et t. FA. à lui payer chacun la somme de 1.500 euros, et ce, à titre de dommages-intérêts,
condamné, sous la même solidarité, a-m. GU. divorcée DJ., d. PA. et t. FA. aux frais ;
Maître Sophie LAVAGNA, avocat-défenseur et celui de t. FA. et de a-m. GU. divorcée DJ., prévenus, a interjeté appel de ce jugement suivant acte de greffe en date du 26 février 2014.
Le Ministère public a interjeté appel incident le 28 février 2014, à titre incident à l'encontre de t. FA. et de a-m. GU. divorcée DJ., prévenus, et à titre principal à l'encontre de d. PA., prévenue.
Maître Sarah FILIPPI, avocat et celui de d. PA., prévenue, a interjeté appel suivant acte de greffe en date du 6 mars 2014.
Les appels réguliers sont recevables.
Considérant les faits suivants :
Le 14 octobre 2013 la Directrice du T déposait plainte auprès de la Direction de la Sûreté publique contre tous les employés caissiers de la piscine Bsusceptibles d'être impliqués dans des manœuvres frauduleuses visant à détourner une partie de la recette journalière de ladite piscine.
Cette plainte faisait suite à la dénonciation faite par o. DE., caissier suppléant, à n. AL., chef de bureau à la Direction de la Fonction publique et des Ressources humaines, le 11 octobre précédent.
Il était rapidement établi que les caissiers titulaires de la piscine susnommée avaient mis en place le système de « double vente » de tickets d'entrée, leur permettant de détourner une partie de la recette du jour.
Le 17 octobre 2013, les fonctionnaires de police procédaient à l'interpellation sur leur lieu de travail d a-m. GU. et de t. FA., lesquels, entendus sous le régime de la garde à vue, reconnaissaient les faits et précisaient que les détournements perduraient depuis environ deux ans, qu'ils n'étaient pas quotidiens et qu'en définitive ils ne détournaient pas plus de cinq euros environ chacun chaque jour que cela se produisait.
A l'issue de leurs auditions en garde à vue, ils étaient laissés libres et le 23 octobre 2013, la troisième caissière en la personne de d. PA. était à son tour entendue sous le même régime ; elle reconnaissait également les faits et était aussi laissée libre après son audition.
Deux autres personnes étaient également entendues, notamment la fille d a-m. GU., lesquelles reconnaissaient toutes deux avoir été informées des manœuvres frauduleuses des caissiers titulaires, avoir été invitées à y participer, mais avoir refusé.
La plaignante dirigeait finalement sa plainte contre les trois prévenus et précisait qu'il lui était impossible de chiffrer le préjudice.
Pour entrer en voie de condamnation, après avoir rejeté l'exception de nullité soulevée par d. PA. et t. FA., le Tribunal a retenu que les prévenus ont tous trois reconnu les faits poursuivis qu'ils ont opérés pendant deux ans dans le cadre de leur activité de salariés et ont ainsi corroboré la dénonciation faite par o. DE. qui en a été, un temps, le témoin.
À l'audience fixée pour l'examen de l'affaire, le conseil de la partie civile a demandé à la Cour de confirmer le jugement querellé en ses dispositions civiles, la piscine du T étant gérée par le Département de l'Intérieur de l'Etat de Monaco qui est lui-même victime des agissements des prévenus qui n'étaient pas sans savoir que l'Etat est leur employeur, ce qui les empêche de se faire un grief de la mauvaise rédaction de la citation.
Le Ministère public a, pour sa part, fait observer à la Cour que conformément aux dispositions de l'article 369 du Code de procédure pénale, l'exploit de citation contenait toutes les mentions visées par ce texte, que la procédure n'encourait aucune nullité et que l'Etat de Monaco était bien recevable en sa constitution de partie civile.
Les conseils des prévenus ont demandé à la Cour :
à titre principal, de prononcer la nullité de la citation motif pris de ce que la piscine du T n'est pas dotée de la personnalité juridique et qu'elle n'est ni propriétaire, ni détenteur des fonds au sens des dispositions de l'article 377 du Code pénal, qu'ainsi l'exploit de citation comprend une indication erronée des textes fondant la poursuite,
à titre subsidiaire, de considérer que l'Etat de Monaco est irrecevable à se constituer partie civile pour n'être pas mentionné dans l'exploit de citation et n'a donc jamais été considéré comme une victime des faits commis par les prévenus,
à titre infiniment subsidiaire, de débouter l'Etat de Monaco qui ne justifie d'aucun préjudice moral ;
La Cour a joint l'incident au fond ;
SUR CE,
1/ sur les exceptions de nullité et l'irrecevabilité :
Attendu qu'il convient liminairement de relever que contrairement aux protestations des conseils des prévenus, l'infraction d'abus de confiance poursuivie et réprimée par l'article 377 du Code pénal est expressément visée dans l'exploit de citation lequel contient toutes les dispositions prévues, à peine de nullité, par l'article 369 du Code de procédure pénale ;
Que cet exploit contient notamment l'énoncé des faits imputés aux prévenus et l'indication précise des textes sur lesquels la poursuite est fondée en contemplation des dispositions du sixième alinéa de l'article précité ;
Attendu que si la piscine du T n'est ni propriétaire, ni détenteur des fonds détournés au sens de l'article 337 du Code pénal, il ne saurait être contesté que cette dernière est gérée par le Département de l'Intérieur de l'Etat de Monaco qui est en conséquence la victime des agissements frauduleux des prévenus lesquels, de surcroît, ne sauraient dénier être employés par l'État, ce qui leur interdit de se prévaloir de leur propre turpitude en application de l'adage « nemo auditur propriam turpitudinem suam allegans » ;
Qu'il est donc acquis que l'abus de confiance poursuivi a bien été commis au préjudice de l'État de Monaco à travers sa Direction de l'Intérieur ; qu'il est donc indifférent qu'il ne soit pas expressément mentionné dans l'exploit de citation ;
Attendu qu'au visa de ce qui précède il ne peut être utilement soutenu que Madame MO., Directeur du T, n'avait pas qualité pour déposer valablement plainte au nom de l'Etat, alors qu'ès-qualités et de facto elle représente bien ledit État ;
Qu'ainsi, les exceptions sont en voie de rejet ;
2/ sur l'action publique :
Attendu que les faits sont établis par les constatations régulières des procès-verbaux et que l'infraction d'abus de confiance, reconnue par les prévenus, ce qu'ils confirment à la barre, est bien caractérisée en tous ses éléments ; que c'est par des motifs pertinents que la Cour fait siens, ainsi que par une juste appréciation des faits et circonstances de la cause, exactement rapportée dans la décision attaquée, que les premiers juges ont à bon droit retenu les prévenus dans les liens de la prévention ;
Qu'il convient donc de confirmer le jugement déféré sur la déclaration de culpabilité et sur les peines qui constituent une juste application de la loi pénale, étant observé qu'en ce qui concerne d. PA., elle a déjà été condamnée à une peine avec sursis simple en juin 2013 pour des faits commis en mars 2013, ce qui ne la rend plus éligible à une peine similaire et c'est donc justement que le Tribunal l'a condamnée à une peine avec sursis et placement sous le régime de la liberté d'épreuve pendant trois ans avec obligation d'indemniser la victime ;
3/ sur l'action civile :
Attendu que la Cour dispose des éléments d'appréciation suffisants pour confirmer le jugement sur l'action civile, les premiers juges ayant fait une juste appréciation des conséquences civiles de l'infraction ;
Que s'il était difficile de chiffrer précisément le préjudice matériel ainsi que rappelé par le Tribunal, il est par contre plus aisé, en vertu du pouvoir souverain d'appréciation dont dispose la Cour, de confirmer les sommes allouées par les juges du premier degré alors et surtout que contrairement aux allégations des prévenus, l'État de Monaco avait bien sollicité la condamnation de chacun de ceux-ci à 7.500 € à titre de dommages et intérêts, sans expressément qualifier son préjudice de matériel ou de moral ;
Que compte tenu du comportement des prévenus qui n'ont pas hésité à trahir la confiance de leur employeur (l'État de Monaco), pendant au moins deux ans ainsi qu'ils l'ont reconnu, c'est légitimement et de façon particulièrement bien fondée que ce dernier sollicite la confirmation du jugement querellé sur l'action civile ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,
statuant contradictoirement à l'encontre des prévenus et conformément aux dispositions de l'article 377 du Code de procédure pénale à l'égard de la partie civile,
Reçoit les appels ;
Confirme le jugement du 25 février 2014 en toutes ses dispositions tant pénales que civiles ;
Condamne a-m. GU., d. PA. et t. FA. aux frais ;
Composition🔗
Après débats en audience publique de la Cour d'appel de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le seize juin deux mille quatorze, qui se sont tenus devant Monsieur Gérard FORÊT-DODELIN, Vice-président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Conseiller, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Monsieur Marc SALVATICO, Conseiller, en présence de Madame Aline BROUSSE, magistrat référendaire, faisant fonction de Substitut du Procureur général, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assistés de Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en Chef adjoint ;
Après qu'il en ait été délibéré et jugé, le présent arrêt a été signé par Monsieur Gérard FORÊT-DODELIN, Vice-président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, Conseiller, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Monsieur Marc SALVATICO, Conseiller, magistrats en ayant délibéré et ce en application des dispositions des articles 58 à 62 de la Loi 1.398 du 18 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaire ;
Lecture étant donnée à l'audience publique du trente juin deux mille quatorze, par Monsieur Gérard FORÊT-DODELIN, Vice-Président de la formation, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assisté de Madame Virginie SANGIORGIO, Greffier en Chef adjoint et en présence de Monsieur Gérard DUBES, Premier Substitut du Procureur général, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles et ce en application des dispositions des articles 58 à 62 de la Loi 1.398 du 18 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaire.-