Cour d'appel, 17 juin 2014, Le Syndicat des Copropriétaires de l'immeuble «Y» c/ Monsieur e. NE. et Mademoiselle m-a. NE.
Abstract🔗
Prescription – Loi applicable – Application de la loi dans le temps
Résumé🔗
Si la présente action engagée le 29 mars 2010 par la copropriété à l'encontre des deux copropriétaires, prévue par la loi n° 1.329 du 8 janvier 2007 modifiée le 2 juillet 2012, est postérieure à l'entrée en vigueur de ce texte, ses éléments générateurs susvisés lui sont cependant antérieurs et relèvent en conséquence de la prescription de droit commun auparavant applicable, dont le délai est fixé à trente ans aux termes de l'article 2082 du Code civil. Il y a donc lieu de constater que la prescription n'est pas acquise et de rejeter le moyen.
Motifs🔗
COUR D'APPEL
ARRÊT DU 17 JUIN 2014
En la cause de :
- Le Syndicat des Copropriétaires de l'immeuble «Y», sis X1 à Monaco, représenté par son syndic en exercice la Société Anonyme Monégasque dénommée A, dont le siège social est sis «Z», X2 à Monaco, elle-même prise en la personne de son Président délégué en exercice, Monsieur J.W, autorisé à cet effet suivant assemblée générale des copropriétaires du 26 février 2009,
Ayant élu domicile en l'étude de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
APPELANT,
d'une part,
contre :
1/ Monsieur e. NE., né le jma à Turin (Italie), de nationalité italienne, propriétaire exploitant exerçant sous l'enseigne B, demeurant X3 à Monaco,
2/ Mademoiselle m-a. NE., née le jma à Turin (Italie), de nationalité italienne, propriétaire exploitant exerçant sous l'enseigne B, demeurant X4 10099 San Mauro Torinese (Italie), et en tant que de besoin inscrite au RCI sous le n°X, sise X4 à Monaco,
Ayant élu domicile en l'étude de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
INTIMÉS,
d'autre part,
LA COUR,
Vu le jugement rendu par le Tribunal de première instance, le 21 juin 2012 (R.5329) ;
Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 31 juillet 2012 (enrôlé sous le numéro 2013/000034) ;
Vu les conclusions déposées les 27 novembre 2012, 30 avril et 10 décembre 2013 et 8 avril 2014, par Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, au nom de e. NE. et m-a. NE. ;
Vu les conclusions déposées les 5 février et 29 octobre 2013 et 11 février 2014, par Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur, au nom du Syndicat des Copropriétaires de l'immeuble «Y» ;
À l'audience du 6 mai 2014, vu la production de leurs pièces par les conseils des parties ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
La Cour statue sur l'appel relevé par le Syndicat des Copropriétaires de l'immeuble «Y», à l'encontre d'un jugement du Tribunal de Première Instance du 21 juin 2012.
Considérant les faits suivants :
Le Syndicat des Copropriétaires de l'immeuble «Y» reproche à e. NE. et m-a. NE. la transformation de lots dont ils sont propriétaires dans l'immeuble et les a assignés pour voir ordonner la remise en état des lieux sous astreinte et obtenir leur condamnation à lui verser des dommages et intérêts devant le Tribunal de première instance qui, par le jugement entrepris, a :
«(…)Débouté le Syndicat des Copropriétaires de l'immeuble «Y» de l'intégralité de ses demandes.
Rejeté la demande en dommages et intérêts de e. NE. et m-a. NE..
Condamné le Syndicat des Copropriétaires de l'immeuble «Y» aux dépens distraits au profit de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, sous sa due affirmation(…)»
Par son exploit d'appel et assignation du 31 juillet 2012 et ses conclusions récapitulatives du 11 février 2014, Le Syndicat des Copropriétaires de l'immeuble «Y» demande à la Cour de :
«(…)Accueillir le Syndicat des Copropriétaires de l'immeuble «Y» en son exploit d'appel parte in qua et assignation comme recevable en la forme et le déclarer fondé,
Voir débouter les Consorts NE. de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,
Voir confirmer le jugement rendu par le Tribunal de première instance le 21 juin 2012 en ce que la demande en paiement de dommages-intérêts formulée par Monsieur et Mademoiselle NE. en la somme de 10.000 euros a été rejetée,
Voir également confirmer le jugement rendu par le Tribunal de première instance le 21 juin 2012 en ce qu'il a été dit que l'autorisation obtenue du service public B par Monsieur et Mademoiselle NE. n'a été qu'une autorisation sur le plan administratif, sans aucune conséquence légale, et qui ne saurait en aucun cas être opposée au Syndicat des Copropriétaires de l'immeuble «Y»,
Voir réformer le jugement rendu par le Tribunal de première instance en date du 21 juin 2012, pour le surplus, en ce que le Syndicat des Copropriétaires de l'immeuble «Y» a été débouté de l'intégralité de ses demandes,
Statuant à nouveau,
Voir ordonner la remise à son état originel des chambres avec douche, du fait de la mise en place sans autorisation de blocs cuisine, concernant les lots n°37, 38, 40, et 41, propriété de Monsieur et Mademoiselle NE. et ce sous astreinte de 500 euros par chambre et par jour de retard, à compter de la décision à intervenir,
Voir condamner Monsieur et Mademoiselle NE. au paiement d'une somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts, en l'état du préjudice subi par la copropriété du fait de l'inertie des propriétaires incriminés et de leur résistance abusive,
Voir condamner Monsieur NE. et Mademoiselle NE. aux entiers dépens, tant de première instance que d'appel, en ceux compris tous frais et accessoires tels que frais d'huissier, procès-verbaux de constat, sommations et frais d'expertise dont distraction au profit de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur, sous sa due affirmation(…)»
Il expose essentiellement qu'en dépit du règlement de copropriété de cet immeuble de standing prévoyant que les chambres de bonnes ne peuvent avoir d'autre affectation, les intimés les ont transformées sans autorisation en studios d'habitation, créant ainsi une gêne pour ses habitants.
Il fait grief au jugement entrepris d'avoir considéré d'une part qu'aucune disposition du règlement ou de la loi n'interdit une telle transformation qui intéresse seulement les parties privatives de l'immeuble, tout en observant paradoxalement que e. NE. et m-a. NE. ne peuvent s'exonérer en invoquant une autorisation administrative, d'autre part que la preuve de nuisances olfactives n'est pas rapportée, alors qu'il relève que les intimés n'ont pourtant pas été autorisés par la copropriété à installer un système de ventilation susceptible de les faire disparaître ;
Il fait valoir que les lots 37, 38, 40 et 41, propriété des consorts NE., sont mentionnés aux termes du règlement de copropriété comme étant des chambres de bonnes uniquement réservées au logement du personnel de service des résidents, les états de charge produits aux débats mentionnant clairement les lieux comme étant des «chambres de bonnes» et non des «studios».
Que les consorts NE. n'ont sollicité aucune autorisation auprès du syndic qui aurait pu alors réunir l'assemblée générale des copropriétaires pour apprécier son bien fondé et que l'autorisation administrative donnée en 1996 pour transformer une chambre de bonne en studio a été uniquement octroyée sur le plan du logement, aucun moyen ne pouvant être tiré par ailleurs du fait qu'ils aient hérité en 1995 des locaux déjà équipés d'un bloc cuisine.
Que le règlement de copropriété, rendu obligatoire par l'article 4 de la loi n° 1.329 du 8 janvier 2007 modifiée le 2 juillet 2012 a force de loi entre les copropriétaires et les oblige ainsi que leurs ayants cause, aucun d'eux n'ayant le pouvoir de le modifier par des conventions particulières.
Que la question des nuisances olfactives provenant des lots litigieux est récurrente à chaque assemblée générale et a été clairement démontrée.
Que les intimés n'ont pas transmis au syndic un exemplaire des baux consentis ou déclaration des locations verbales dans les 15 jours de la réalisation de l'acte, ce qui l'a empêché de constater la transformation des biens avant la manifestation des premières nuisances.
Qu'ils n'ont pas respecté l'article 8 du règlement de copropriété quant à l'obligation de respecter les règlements d'hygiène, de ville et de police et ont installé des cuisines dans des locaux non prévus pour ce type d'installation car ne disposant pas de système d'aération haute et basse afin d'assurer une ventilation normale.
Que l'installation d'un bloc cuisine dans les locaux non prévus à cet effet peut entraîner ou majorer des risques d'incendie et menacer la sécurité de l'immeuble.
Que les locations ne peuvent avoir lieu que par appartements entiers, seule la location d'une pièce meublée dans un appartement habité par le propriétaire étant tolérée ; que la location à courte ou moyenne durée des chambres engendre une distribution fréquente des badges d'accès à l'immeuble, ce qui menace la sécurité des résidents.
En réplique à l'exception de prescription soulevée par les intimés, le Syndicat des Copropriétaires de l'immeuble «Y» soutient que son action repose sur un double fondement, d'une part les troubles anormaux de voisinage pour lesquels, l'action obéit à la prescription de droit commun aux termes de l'article 2082 du Code civil, d'autre part la violation du règlement de copropriété pour laquelle la prescription a été interrompue par la mise en demeure de supprimer les blocs cuisines litigieux adressée par le syndic le 26 septembre 2001.
Par leurs conclusions récapitulatives enregistrées le 8 avril 2014, e. NE. et m-a. NE. demandent à la Cour de :
«(…)Confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a débouté le Syndicat des Copropriétaires de l'immeuble «Y» de l'intégralité de ses prétentions.
Débouter en conséquence le Syndicat des Copropriétaires de l'immeuble «Y» des fins de son appel «parte in qua» comme de l'ensemble de ses demandes, comme étant irrecevables comme prescrites, et en tous cas injustifiées.
Condamner le Syndicat des Copropriétaires de l'immeuble «Y» au paiement de la somme de 10.000 euros au titre de légitimes dommages et intérêts à chacun des intimés, savoir de Mademoiselle m-a. NE. et Monsieur e. NE., et ce pour procédure et appel abusifs.
Condamner le Syndicat des Copropriétaires de l'immeuble «Y» aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Maître Frank MICHEL, avocat défenseur, sous sa due affirmation(…)»
Ils exposent que le litige lié à la demande de remise en état des lieux formulée abusivement par le syndic procède d'une querelle de voisinage entre leur locataire, titulaire d'un bail à loyer depuis 2005 pour un studio dont ils ont hérité de leur mère en 1995, auquel ils n'ont pas apporté d'autre transformation que celle nécessaire à la mise en conformité du circuit électrique selon constat d'huissier de 1996 mentionnant l'existence de coins cuisines, et un copropriétaire se disant mécontent des odeurs émanant de ce logement.
Ils relèvent que dans ses écrits judiciaires du 5 février 2013, le Syndicat des Copropriétaires de l'immeuble «Y» se prévaut en cause d'appel des dispositions de la loi n° 1.329 du 8 janvier 2007, modifiée le 2 juillet 2012 et font valoir que ce texte prévoit que les actions découlant de ses dispositions se prescrivent par cinq ans ; que l'action fondée sur les troubles du voisinage est de nature personnelle et se prescrit également par cinq ans.
Au fond, ils font valoir que le règlement de copropriété n'interdit pas d'utiliser les chambres de bonnes comme studios, étant relevé que la seule référence aux dites chambres est relative à la répartition des charges de copropriété.
Que l'appelant ne précise pas le fondement sur lequel son autorisation aurait dû être requise pour l'ajout d'une kitchenette dans une partie privative, alors que le local demeure à usage d'habitation et qu'il n'a pas été porté atteinte à la destination de l'immeuble ou aux droits des autres copropriétaires.
Que le service public B a entériné le 1er août 1996 le fait que ces chambres de bonnes soient désormais considérées comme studios car elles possèdent une cuisine ; qu'ils ont donc bien répondu à la copropriété qui leur avait demandé le 23 juillet 2001 de se mettre en conformité avec le règlement en leur précisant «à moins que vous n'ayez obtenu une autorisation de modification par l'ancien service public B».
Que si cette autorisation ne vaut qu'au plan administratif, elle relève néanmoins que les lots présentent les caractères techniques d'habitabilité, la pose de cuisine ne pouvant engendrer de risques pour la solidité de l'immeuble et l'affirmation de l'appelant selon laquelle l'installation de cuisines dans les locaux présente un risque d'incendie n'est nullement étayée.
Que la copropriété est informée de la conformité administrative de l'aménagement depuis 2001 au moins, la décision du 1er août 1996 requalifiant le bien ayant été notifiée au syndic sans que cette notification ne soit suivie d'effet sur le cahier des charges puisque les termes «chambre avec douche» y sont toujours mentionnés.
Que leur demande d'installation d'un système de ventilation ne constitue aucunement une reconnaissance de l'existence d'une situation d'illégalité.
Qu'aucune preuve n'est rapportée de l'existence d'un lien de causalité entre les nuisances prétendues et les locaux pourvus de kitchenettes, au demeurant équipées de hottes.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs écritures ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé ;
SUR CE,
Sur la prescription
Attendu que les intimés sont devenus copropriétaires des lots litigieux en 1995 et y ont fait constater par voie d'huissier la présence de coins cuisine le 18 mars 1996, tandis que le premier courrier adressé par le Syndicat des Copropriétaires de l'immeuble «Y» visant à la mise en conformité des lieux avec le règlement de copropriété est en date du 23 juillet 2001 ;
Attendu que si la présente action engagée le 29 mars 2010 par la copropriété à l'encontre des deux copropriétaires, prévue par la loi n° 1.329 du 8 janvier 2007 modifiée le 2 juillet 2012, est postérieure à l'entrée en vigueur de ce texte, ses éléments générateurs susvisés lui sont cependant antérieurs et relèvent en conséquence de la prescription de droit commun auparavant applicable, dont le délai est fixé à trente ans aux termes de l'article 2082 du Code civil ;
Attendu qu'il y a donc lieu de constater que la prescription n'est pas acquise et de rejeter le moyen ;
Au fond
Attendu que le Tribunal a justement observé d'une part que le règlement de copropriété de l'immeuble «Y» ne comportait aucune disposition interdisant l'installation de coins cuisine dans les lots litigieux, en relevant qu'il s'agissait de parties privatives étant et demeurant à usage d'habitation, d'autre part qu'il n'imposait aucunement que soit recueillie préalablement l'autorisation des autres copropriétaires pour ce type de travaux ;
Attendu que le Tribunal a également retenu que les pièces produites ne permettaient ni de considérer que cette installation était de nature à affecter la solidité ou la sécurité de l'immeuble, ni de caractériser une atteinte aux droits des autres copropriétaires, en ce que la preuve du caractère anormal d'odeurs de cuisine dans cet immeuble d'habitation n'était pas rapportée à suffisance, l'installation d'un système de ventilation approprié pour y remédier n'ayant d'ailleurs pas été jugée utile par ces derniers qui ont rejeté ce projet nonobstant toute considération financière ;
Attendu que c'est donc à bon droit et par une exacte appréciation des faits de la cause non démentie par les pièces produites en cause d'appel que le Tribunal a débouté le Syndicat des Copropriétaires de l'immeuble «Y» de ses prétentions par des motifs qui sont adoptés par la Cour ;
Attendu, sur les dommages et intérêts, que le Tribunal a retenu à juste titre que les consorts NE. n'établissaient pas en quoi le Syndicat des Copropriétaires de l'immeuble «Y» aurait commis une faute dans l'exercice de son droit d'agir en justice ; que ce dernier a usé de son droit d'appel dans des conditions qui ne permettent pas de conclure que l'exercice de ce droit ait créé un préjudice particulier pour les intimés dont il serait nécessaire d'ordonner la réparation ; qu'il y a donc lieu de rejeter les demandes formées de ce chef ;
Attendu que les dépens d'appel suivent la succombance ;
Dispositif🔗
PAR CES MOTIFS,
LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,
statuant contradictoirement,
Rejette l'exception de prescription,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de première instance du 21 juin 2012,
Rejette le surplus des demandes,
Condamne le Syndicat des Copropriétaires de l'immeuble «Y» aux dépens d'appel avec distraction au profit de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,
Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable.
Vu les articles 58 à 62 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires,
Composition🔗
Après débats en audience de la Cour d'Appel de la Principauté de Monaco, par-devant Monsieur Gérard FORET-DODELIN, Vice-Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Monsieur Thierry PERRIQUET, Conseiller, Monsieur Marc SALVATICO, Conseiller, assistés de Madame Laura SPARACIA-SIOLI, Greffier en chef adjoint, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles,
Après qu'il en ait été délibéré et jugé par la formation de jugement susvisée,
Lecture est donnée à l'audience publique du 17 juin 2014, par Monsieur Gérard FORET-DODELIN, Vice-Président, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, assisté de Madame Laura SPARACIA-SIOLI, Greffier en chef adjoint, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, en présence de Monsieur Gérard DUBES, premier substitut du Procureur Général, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles.