Cour d'appel, 19 juin 2012, La SAM SOCIÉTÉ DES BAINS DE MER et du CERCLE des ÉTRANGERS (SBM) c/ g. LO PI.

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Abstract🔗

Licenciement pour inaptitude physique - Étendue de l'obligation de reclassement posée par la loi n°1.348 du 25 juin 2008 - Recherches concrètes non effectuées -Licenciement abusif

Résumé🔗

L'employeur qui procède au licenciement pour inaptitude doit démontrer qu'il a effectué des recherches concrètes de reclassement.

Embauchée le 19 mars 1992 en qualité d'attachée de presse puis en qualité d'assistante de publicité à compter du 16 novembre 1999, une salariée déclarée inapte par le médecin du travail était licenciée pour ce motif le 9 décembre 2009. Estimant son licenciement abusif, elle avait attrait son employeur devant le Tribunal du travail à l'effet d'obtenir sa condamnation au paiement de dommages et intérêts. Cette juridiction, se fondant sur l'obligation active de recherche d'un reclassement pesant sur l'employeur et résultant de l'article 3 de la loi n° 1.348 du 25 juin 2008, devait constater son inexécution. Le licenciement était jugé abusif et l'employeur condamné au paiement d'une somme de 25.000 €de dommages et intérêts.

Sur appel de l'employeur, la Cour, confirmant le jugement entrepris, devait préciser les contours de l'obligation de reclassement telle qu'imposée par la loi précitée n° 1.348 ainsi que l'étendue des recherches concrètes qu'elle exige. Elle énonce que l'existence d'une recherche sérieuse de reclassement n'est pas démontrée par l'employeur, comme elle le devrait dès lors que :

- celui-ci ne donne aucune précision sur la structure de ses effectifs, la nature des différents postes existant dans l'entreprise et les contraintes qu'ils imposaient afin de permettre une comparaison utile avec le travail susceptible d'être fourni par la salariée ;

- l'employeur n'a nullement mentionné dans ses notes de service l'expérience professionnelle de la salariée au sein même de l'entreprise notamment, en vue d'une appréciation concrète par les chefs de service concernés des possibilités de lui proposer un emploi approprié et aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé ;

- les recherches n'ont été ciblées que sur des emplois disponibles dans l'entreprise sans envisager des mesures telles que transformations, mutations de postes ;

- l'employeur a écarté toute possibilité d'aménagement du temps de travail notamment grâce au télétravail.

Faute d'avoir établi que le reclassement s'avérait impossible, la société employeur n'a pas respecté son obligation et le licenciement est abusif, comme l'ont relevé les premiers juges dont la décision est confirmée.


Motifs🔗

COUR D'APPEL

ARRÊT DU 19 JUIN 2012

En la cause de :

- La société anonyme monégasque dénommée la SOCIETE DES BAINS DE MER et du CERCLE des ETRANGERS en abrégé SBM, dont le siège social se trouve Place du Casino à Monaco, agissant poursuites et diligences du Président de son Conseil d'Administration, domicilié en cette qualité audit siège ;

Ayant élu domicile en l'Etude de Maître Thomas GIACCARDI avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

APPELANTE,

d'une part,

contre :

- Mademoiselle g. LO PI., née le 24 août 1962, de nationalité française, domicilié « X » X à Nice (06000) ;

Ayant élu domicile en l'Etude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par Maître Jean Jérôme MONDOLONI, avocat au Barreau de Nice ;

INTIMÉE,

d'autre part,

LA COUR,

Vu le jugement rendu par le Tribunal du travail le 13 octobre 2011 ;

Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 22 novembre 2011 (enregistré sous le numéro 2012-000058) ;

Vu les conclusions déposées le 10 février 2012, par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de g. LO PI. ;

Vu les conclusions déposées le 2 avril 2012, par Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur, au nom de la société des Bains de Mer ;

A l'audience du 15 mai 2012, ouï les conseils des parties en leurs plaidoiries ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur l'appel relevé par la société des Bains de Mer, à l'encontre d'un jugement du Tribunal du Travail le 13 octobre 2011.

Considérant les faits suivants :

Suivant jugement du 13 octobre 2011, auquel il y a lieu de se référer pour plus ample exposé des faits de la cause, le Tribunal du Travail, statuant dans l'instance opposant g. LO PI. à la société anonyme monégasque dénommée Société des Bains de Mer et du Cercle des Etrangers, ci-après SBM, a :

- condamné la SBM à payer à g. LO PI. la somme de 25.000 euros à titre de dommages-intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du jugement,

- débouté g. LO PI. du surplus de ses demandes,

- condamné la SBM aux dépens ;

Suivant exploit du 22 novembre 2011, la SBM a interjeté appel de ce jugement signifié le 2 novembre 2011 à l'effet de voir constater qu'elle a satisfait à son obligation de rechercher les possibilités de reclassement et réformant la décision, débouter g. LO PI. de l'ensemble de ses demandes et la condamner aux dépens.

Elle indique au soutien de son appel que ce sont les fortes contraintes imposées par la situation médicale de l'intéressée qui ont rendu le reclassement impossible.

Elle rappelle que :

- la loi du 25 juin 2008 sur le reclassement ne crée qu'une obligation de moyen à la charge de l'employeur et que la faute ne peut résulter que de l'absence d'effort de reclassement mais nullement du défaut de reclassement,

- elle n'impose nullement à l'employeur de créer un poste,

- les notes de services établies en vue du reclassement ont été rédigées en vue d'une ouverture la plus large possible ; dès lors la mention des postes précédemment occupés par g. LO PI. s'avérait inutile d'autant qu'elle ne pouvait être maintenue dans le service pub auquel elle était attachée,

- il est faux de prétendre que la SBM n'a pas satisfait à son obligation faute d'avoir procédé à une évaluation des besoins de l'entreprise en rapport avec le travail susceptible d'être fourni par la salariée compte tenu de l'incompatibilité des restrictions avec un emploi salarié imposant un travail administratif sur place, à plein temps, au sein d'un service organisé, ce qui excluait la solution du télétravail.

Elle observe encore que l'offre de collaboration en dehors des contraintes inhérentes au contrat de travail qu'elle avait formulée n'a pas été suivie d'effet du fait de g. LO PI. qui n'a entrepris aucune démarche dans le sens d'une activité libérale et a saisi immédiatement le tribunal du travail.

g. LO PI. s'oppose aux prétentions de l'appelante et sollicite pour sa part :

- la confirmation du jugement du Tribunal du Travail en ce qu'il a dit que la SBM n'établissait pas avoir respecté l'obligation légale en matière de reclassement,

- sa réformation pour le surplus, le licenciement devant être déclaré non valable et abusif, et la SBM condamnée à lui payer la somme de 134.000 euros à titre de dommages-intérêts.

Elle invoque une violation de la loi du 25 juin 2008 en matière d'effort de reclassement en ce que l'employeur en l'espèce n'a justifié d'aucun effort réel, concret et crédible de reclassement :

- aucune proposition écrite de reclassement, notamment d'une collaboration en free-lance, ne lui a été faite,

- les recherches ont été limitées aux postes disponibles par le biais de notes de services beaucoup trop imprécises pour que les chefs de service consultés puissent se prononcer sur les possibilités concrètes de reclassement en envisageant des modifications ou adaptations de postes,

- l'employeur ne s'est pas montré loyal dans la recherche d'une solution de reclassement en omettant de faire mention de sa polyvalence et sa longue expérience professionnelle au sein de la SBM.

Elle estime que la déloyauté de l'employeur lui a causé un préjudice tant matériel - étant à ce jour toujours en recherche d'emploi - que moral, qui sera réparé par l'allocation des dommages-intérêts réclamés.

SUR CE,

Attendu que g. LO PI. embauchée au sein de la société SBM depuis 1992, occupait les fonctions d'assistante de publicité au service communication au moment de son licenciement pour inaptitude médicale le 9 décembre 2009 ;

Attendu que le Tribunal du Travail a considéré que l'employeur n'avait pas respecté l'obligation légale de reclassement et l'a donc condamné au paiement de la somme de 25.000 euros à titre de dommages-intérêts ; que celui-ci a fait appel de ladite décision ; pour sa part le salarié a formé un appel incident et partiel ;

Attendu que les appels, qui apparaissent avoir été régulièrement formés, doivent être déclarés recevables ;

Attendu, en droit, que le salarié déclaré médicalement inapte à son poste de travail bénéficie aux termes de la loi n° 1348 du 25 juin 2008 d'une obligation de reclassement ; que le licenciement n'est alors possible qu'en cas d'impossibilité établie de reclassement ou en cas de refus par le salarié du reclassement ;

Attendu dans le domaine des faits, que g. LO PI. a été licenciée au motif que la SBM n'avait pu procéder à son reclassement ;

Qu'elle conteste son licenciement au motif que l'employeur n'aurait pas réellement et loyalement recherché à la reclasser, se contentant notamment de rechercher parmi les postes disponibles au sein de l'entreprise sans envisager de mutations ou de transformations de postes ;

Attendu qu'il incombe à l'employeur à cet égard d'établir qu'il a envisagé toutes les mesures permettant le reclassement ;

Attendu en l'espèce qu'il résulte des éléments de la cause que la SBM ne démontre pas l'existence d'une recherche sérieuse de reclassement selon les préconisations du médecin dès lors que :

- elle n'a donné aucune précision sur la structure de ses effectifs, la nature des différents postes existants dans l'entreprise et les contraintes qu'ils imposaient afin de permettre une comparaison utile et réelle avec le travail susceptible d'être fourni par g. LO PI. au regard des restrictions dégagées,

- elle n'a dans ses notes de service nullement mentionné l'expérience professionnelle de la salariée, au sein même de l'entreprise notamment, en vue d'une appréciation concrète par les chefs de service concernés des possibilités de lui proposer un emploi approprié et aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé,

- elle n'a ciblé ses recherches que parmi les emplois disponibles dans l'entreprise, sans envisager la mise en œuvre de mesures telles que transformations, mutations de postes ou formations, qu'elle n'a donc ni sollicitées ni suggérées auxdits chefs de service,

- elle a écarté toute possibilité d'aménagement du temps de travail, notamment grâce au télétravail, sans justifier des raisons sérieuses qui rendaient, selon elle, impossible la mise en place de cette solution, même pour une partie seulement de sa tâche, faute d'avoir donné, ainsi qu'il a été précédemment relevé, toutes informations utiles sur les postes existants en son sein, ainsi que sur leurs caractéristiques et spécificités ;

Attendu en définitive que la SBM, faute d'avoir établi que le reclassement s'avérait impossible, n'a pas respecté l'obligation légale précitée ; que le licenciement n'est donc pas fondé sur un motif valable et son exercice au mépris de cette obligation revêt un caractère abusif ;

Attendu quant aux conséquences de cette rupture, que g. LO PI. est toujours en recherche d'emploi ; que cependant elle ne donne aucun élément relatif à ses ressources et donc aux conséquences pécuniaires consécutives au licenciement ; que pour le surplus les premiers juges ont justement caractérisé le préjudice moral en découlant ; qu'au regard des éléments d'appréciation de la cause tenant à la grande ancienneté de la salariée, sa polyvalence, les bonnes appréciations dont elle faisait l'objet, son âge (47 ans au moment de la rupture) et les contraintes médicales existantes, le montant des dommages-intérêts alloués sera confirmé ;

Que la décision sera confirmée de ce chef ;

Attendu que la SBM qui succombe devra supporter les dépens ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS, et ceux non contraires des premiers juges

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTE DE MONACO,

statuant contradictoirement, comme juridiction d'appel du Tribunal du travail,

- Déclare recevables les appels principal et incident ;

- Dit que le licenciement n'est pas fondé sur un motif valable et qu'il est abusif ;

- Confirme le jugement rendu le 13 octobre 2011 en ses dispositions relatives à l'indemnisation du préjudice en résultant ;

- Condamne la société anonyme monégasque dénommée Société des Bains de Mer et du Cercle des Etrangers aux entiers dépens qui seront distraits au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation.

- Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable,

Composition🔗

Ainsi jugé et prononcé en audience publique de la Cour d'appel, au Palais de Justice, à Monaco, le dix-neuf juin deux mille douze par Monsieur Robert CORDAS, premier président, Madame Catherine MABRUT, vice-président, chevalier de l'ordre de Saint-Charles, et Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, chevalier de l'ordre de Saint-Charles conseiller, en présence de Monsieur Gérard DUBES, premier substitut du procureur général, assistés de Madame Laura SPARACIA-SIOLI, greffier en chef adjoint, chevalier de l'ordre de Saint-Charles.-

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