Cour d'appel, 20 mars 2012, B. c/ SAM Everial

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Abstract🔗

Contrat de travail

Transfert transnational du contrat liant un salarié à une société française, à l'origine, transféré ensuite à une société monégasque, dans le cadre d'une cession.

Novation constituée par ce changement d'employeur.

Application de la loi monégasque, dans l'action judiciaire en rupture de contrat, l'exécution de celui-ci ayant eu lieu à Monaco et les parties n'ayant pas entendu maintenir la loi française applicable à l'origine.

Résumé🔗

Au fond

Par acte sous seing privé intitulé « Vente de fonds de commerce » en date du 23 décembre 2003, la société de droit français ELAN INFORMATIQUE, représentée par son gérant A. B. et la société anonyme monégasque APS CONSULTING, ont convenu des charges et conditions de la cession de divers éléments du fonds de commerce de la première ;

Dans le cadre de cette cession était notamment prévu un transfert de deux contrats de travail, dont celui d'A. B. ;

En premier lieu, il est constant en droit du travail, qu'un changement d'employeur constitue une novation du contrat du travail, lequel en Principauté est formé par le seul échange du consentement des parties sur ses éléments essentiels, sans autre condition de forme, par application de l'article 2 de la loi n° 729 du 19 mars 1963 ; que cette novation lorsqu'elle s'emplace dans le cadre d'un transfert lié au changement de la situation juridique de l'employeur s'accompagne en principe d'un maintien des éléments essentiels du contrat de travail ;

Les parties sont contraires quant aux effets de ce transfert ;

A. B. invoque les dispositions de l'article L 122-12 du Code du travail français qui garantit au salarié le maintien de l'ensemble des droits et obligations qui résultent de son contrat de travail ;

Cependant en l'espèce, s'agissant d'un transfert transnational concernant deux entités juridiques relevant de droits différents, l'article L 122-12 invoqué n'est évidemment pas applicable de plein droit ; toutefois les parties en présence peuvent, avec l'accord du salarié, convenir d'un transfert du contrat du travail s'y référant, mais ce dans la limite des dispositions conventionnelles, ce qu'elles ont fait en l'occurrence ;

Dans ce cas, le salarié concerne passe au service du repreneur qui est tenu de reprendre le salarié, mais uniquement dans les termes et conditions prévus dans la convention de cession ;

En l'espèce, dans leur accord, les parties contractantes n'ont pas entendu maintenir l'application de la loi originelle, de sorte que s'applique la loi du pays où s'exécute l'obligation qui fait l'objet du contrat c'est-à-dire la loi du lieu du travail ; qu'elles n'ont pas davantage convenu qu'était conservée la convention collective à laquelle était soumis A. B. dans le cadre de son contrat de travail initial ;

Ainsi les premiers juges ont à bon droit considéré que la loi monégasque était applicable au contrat de travail exécuté à Monaco ;

Ils ont également à bon droit refusé d'admettre les prétentions d'A. B. fondées sur les dispositions de la législation française et la convention collective du travail précitée, non applicables en la cause ;

Examinant le surplus des prétentions d'A. B. le Tribunal du Travail a encore fort justement retenu que l'employeur dispose en Principauté de Monaco d'un droit unilatéral de résiliation dont il avait en l'espèce fait régulièrement usage en versant les indemnités prévues en ce cas ; que les premiers juges ont simplement rectifié le montant de la somme due au titre du préavis pour tenir compte de l'ancienneté maintenue du salarié ;

La décision des premiers juges sera confirmée sur ce point.


Motifs🔗

COUR D'APPEL

ARRÊT DU 20 MARS 2012

En la cause de :

- Monsieur a. B., né le 2 août 1943 à Draguignan (83), de nationalité française, demeurant à Draguignan 83000- X ;

Ayant élu domicile en l'Etude de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, plaidant par Maître Henri Charles LAMBERT, avocat au Barreau de Nice ;

APPELANT,

d'une part,

contre :

- la société anonyme monégasque EVERIAL, anciennement dénommée DIGIDOC, anciennement dénommée APS CONSULTING, dont le siège social se trouve 7, rue du Gabian à Monaco, prise en la personne de son administrateur délégué en exercice, demeurant et domicilié en cette qualité audit siège ;

Ayant élu domicile en l'Etude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par Maître Delphine FRAHI, avocat au Barreau de Nice ;

INTIMÉE,

d'autre part,

LA COUR,

Vu le jugement rendu par le Tribunal du Travail, le 9 juin 2011 ;

Vu l'exploit d'appel et d'assignation du ministère de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 22 juillet 2011 (enregistré sous le numéro 2012-000013);

Vu les conclusions déposées le 29 novembre 2011, par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, au nom de la SAM EVERIAL ;

Vu les conclusions déposées le 10 janvier 2012, par Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, au nom de a. BL. ;

À l'audience du 31 janvier 2012, ouï les conseils des parties en leurs plaidoiries ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La cour statue sur l'appel relevé par A. B., à l'encontre d'un jugement du Tribunal du Travail du 9 juin 2011.

Considérant les faits suivants :

Statuant dans l'instance opposant A. B. à la société anonyme monégasque dénommée DIGIDOC devenue EVERIAL, le Tribunal du Travail, par jugement du 9 juin 2011 a :

– dit que le contrat de travail ayant lié la société anonyme monégasque APS CONSULTING devenue DIGIDOC puis EVERIAL à A. B. était soumis à la loi monégasque,

– condamné la société anonyme monégasque dénommée DIGIDOC devenue EVERIAL à payer à A. B. la somme brute de 1 983,28 euros à titre de complément d'indemnité de préavis ainsi que la somme brute de 198,33 euros au titre des congés payés afférents, avec intérêts au taux légal à compter du 10 août 2005,

– débouté les parties du surplus de leurs demandes,

– fait masse des dépens supportés à hauteur de 3/4 par A. B. et 1/4 par la société anonyme monégasque dénommée DIGIDOC devenue EVERIAL.

Suivant exploit en date du 22 juillet 2011, A. B. a relevé appel de ce jugement, signifié le 22 juin 2011, aux fins de

– infirmer la décision entreprise,

– condamner la société EVERIAL à lui payer les sommes suivantes :

– 1 144,60 euros au titre de rappel de salaire,

– 114,46 euros au titre des congés payés,

– 18 639,82 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

– 1 863,98 euros au titre des congés payés dont à déduire 757,56 euros,

– 6 846,47 euros au titre de l'indemnité compensatrice de délai congé,

– 684,65 euros au titre des congés payés, dont à déduire 802,13 euros.

Ces sommes portant intérêts au taux légal à compter de la réquisition du 10 août 2005 devant le conseil de prud'hommes de Nice, valant mise en demeure,

– la condamner à lui payer les sommes de :

– 2 282,19 euros au titre de l'indemnité pour non respect de la procédure de licenciement,

– 27 386,33 euros au titre de l'indemnité de licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

– 15 000 euros de dommages-intérêts,

ces sommes portant intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir,

– dire et juger qu'il n'est pas tenu par la clause de non-concurrence en l'absence de contrepartie financière,

– condamner la société EVERIAL aux entiers dépens ;

Au soutien de son appel, le demandeur fait grief à la décision entreprise de reposer sur une contradiction de motifs et sur un manque de base légale.

Son argumentation est la suivante :

– Dans le cadre de l'acte de cession de fonds de commerce du 23 décembre 2003, non contraire à l'ordre public, les parties ont entendu contractualiser entre elles les dispositions de la loi française sur le transfert du contrat de travail en cas de changement dans le statut juridique de l'employeur, au demeurant identiques à l'article 15 de la loi n° 729,

– Le tribunal du travail a refusé d'appliquer la volonté des parties, et ce faisant, a violé l'article 989 du Code civil lequel confère valeur légale à la convention des parties,

– Il a considéré à tort qu'il y avait novation dans le contrat de travail alors qu'il s'agissait d'un transfert et non substitution d'un nouveau contrat au précédent, preuve en est l'absence d'un instrumentum,

– La seule novation a été celle de l'employeur,

– La décision des premiers juges sera donc infirmée,

– En conséquence son employeur sera condamné à lui payer au titre de la rupture de son contrat de travail, les sommes précédemment exposées ; A. B., réitère à cet égard les moyens développés dans ses écrits de première instance ; il a toutefois abandonné sa demande au titre des frais irrépétibles.

La société EVERIAL conclut pour sa part à la confirmation de la décision des premiers juges, sauf en ce qu'elle l'a condamnée à payer à A. B. la somme de 1 938,28 euros à titre de complément d'indemnité de préavis majorée des congés payés y afférents et des intérêts au taux légal.

Elle réclame par ailleurs l'allocation de la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive.

Elle rappelle dans le domaine des faits qu'A. B., dont le contrat de travail a pris fin le 6 octobre 2004, avait été embauché à Monaco, suivant demande d'autorisation d'embauchage, valant contrat, déposée le 12 janvier 2004 à effet du 15 décembre 2003, suite à la cession du 23 décembre 2003.

Elle soutient en droit que :

– le changement d'employeur s'analyse en une novation par changement de débiteur et de créancier, par application de l'article 1119 du Code civil,

– en l'absence de texte régissant le transfert transfrontalier de contrat de travail de la France vers Monaco, les conditions d'application de l'article L 122-12 du Code du travail français ne sont pas remplies ; le champ d'application de la loi française demeure restreint au territoire national et le transfert impose un accord entre les parties, le respect de l'ordre public monégasque et l'accord express du salarié concerné ; cela étant le cas, il y a eu novation du contrat de travail,

– à défaut de loi d'autonomie, la loi applicable est la loi d'exécution du contrat de travail, soit la loi monégasque ; cela est d'autant plus vrai que le transfert de contrat dans le cadre d'une cession ne peut entraîner le transfert d'éléments autres que contractuels, notamment la convention collective et qu'il en va de même ici s'agissant de la loi.

Quant aux conséquences de la rupture du contrat de travail, elle s'oppose :

– aux demandes fondées sur des textes français, non applicables en la cause,

– au paiement de l'indemnité de préavis sollicitée au regard du versement par ses soins de la somme de 1 375 euros à ce titre,

– au rappel de salaire de 1 144 euros faute de toute preuve,

– à la demande tendant à voir écarter une clause de non concurrence en ce qu'elle n'a pas été soumise au préliminaire de conciliation.

Enfin elle estime qu'en interjetant appel pour présenter des demandes vouées à l'échec du fait de leur fondement sur des dispositions législatives françaises, A. B. lui a causé un préjudice qui sera réparé par la somme de 5 000 euros.

SUR QUOI,

1° – En la forme

Attendu que les appels principal et incident, qui apparaissent avoir été régulièrement formés, doivent être déclarés recevables ;

2° – Au fond

Attendu que par acte sous seing privé intitulé « Vente de fonds de commerce » en date du 23 décembre 2003, la société de droit français ELAN INFORMATIQUE, représentée par son gérant A. B. et la société anonyme monégasque APS CONSULTING, ont convenu des charges et conditions de la cession de divers éléments du fonds de commerce de la première ;

Que dans le cadre de cette cession était notamment prévu un transfert de deux contrats de travail, dont celui d'A. B. ;

Attendu en premier lieu, qu'il est constant en droit du travail, qu'un changement d'employeur constitue une novation du contrat du travail, lequel en Principauté est formé par le seul échange du consentement des parties sur ses éléments essentiels, sans autre condition de forme, par application de l'article 2 de la loi n° 729 du 19 mars 1963 ; que cette novation lorsqu'elle s'emplace dans le cadre d'un transfert lié au changement de la situation juridique de l'employeur s'accompagne en principe d'un maintien des éléments essentiels du contrat de travail ;

Attendu, que les parties sont contraires quant aux effets de ce transfert ;

Attendu qu'A. B. invoque les dispositions de l'article L 122-12 du Code du travail français qui garantit au salarié le maintien de l'ensemble des droits et obligations qui résultent de son contrat de travail ;

Attendu cependant en l'espèce, que s'agissant d'un transfert transnational concernant deux entités juridiques relevant de droits différents, l'article L 122-12 invoqué n'est évidemment pas applicable de plein droit ; que toutefois les parties en présence peuvent, avec l'accord du salarié, convenir d'un transfert du contrat du travail s'y référant, mais ce dans la limite des dispositions conventionnelles, ce qu'elles ont fait en l'occurrence ;

Attendu que dans ce cas, le salarié concerne passe au service du repreneur qui est tenu de reprendre le salarié, mais uniquement dans les termes et conditions prévus dans la convention de cession ;

Attendu en l'espèce, que dans leur accord, les parties contractantes n'ont pas entendu maintenir l'application de la loi originelle, de sorte que s'applique la loi du pays où s'exécute l'obligation qui fait l'objet du contrat c'est-à-dire la loi du lieu du travail ; qu'elles n'ont pas davantage convenu qu'était conservée la convention collective à laquelle était soumis A. B. dans le cadre de son contrat de travail initial ;

Qu'ainsi les premiers juges ont à bon droit considéré que la loi monégasque était applicable au contrat de travail exécuté à Monaco ;

Qu'ils ont également à bon droit refusé d'admettre les prétentions d'A. B. fondées sur les dispositions de la législation française et la convention collective du travail précitée, non applicables en la cause ;

Qu'examinant le surplus des prétentions d'A. B. le Tribunal du Travail a encore fort justement retenu que l'employeur dispose en Principauté de Monaco d'un droit unilatéral de résiliation dont il avait en l'espèce fait régulièrement usage en versant les indemnités prévues en ce cas ; que les premiers juges ont simplement rectifié le montant de la somme due au titre du préavis pour tenir compte de l'ancienneté maintenue du salarié ;

Que la décision des premiers juges sera confirmée sur ce point ;

Qu'enfin A. B. réclame le paiement d'un rappel de salaire, sans satisfaire pour autant à l'exigence de preuve que lui avait opposée le Tribunal du Travail pour le débouter ;

Attendu, en dernier lieu, s'agissant de la question de l'illicéité de la clause de non concurrence, que cette demande faute d'avoir été soumise au préalable de conciliation, doit, conformément à l'article 1er de la loi du 16 mai 1946 portant création du tribunal du travail selon lequel le bureau de jugement ne peut connaître que des demandes soumises préalablement à la tentative de conciliation, être déclarée irrecevable ;

Attendu, quant à la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive, que la société EVERIAL ne caractérise aucune manœuvre procédurale abusive à son encontre, l'appelant n'ayant fait qu'user de son droit de faire appel en se méprenant sur la portée de ses droits ;

Qu'il convient donc de débouter la société EVERIAL de ce chef ;

Et attendu qu'A. B. qui succombe en totalité en ses prétentions devant la Cour supportera les dépens ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

et ceux non contraires des premiers juges,

LA COUR D'APPEL,

Statuant contradictoirement comme juridiction d'appel du Tribunal du travail,

– Déclare les appels recevables en la forme,

– Confirme le jugement du Tribunal du Travail du 9 juin 2011 en toutes ses dispositions frappées d'appel,

– Y ajoutant, déclare irrecevable la demande faite au titre de la clause de non concurrence,

– Déboute la société anonyme monégasque EVERIAL de sa demande de dommages-intérêts,

– Condamne A. B. aux dépens d'appel avec distraction au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur sous sa due affirmation,

– Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le greffier en chef, au vu du tarif applicable.

Composition🔗

Ainsi jugé et prononcé en audience publique de la Cour d'appel, au Palais de Justice, à Monaco, le vingt mars deux mille douze par Monsieur Robert CORDAS, premier président, Monsieur Thierry PERRIQUET, et Madame Muriel DORATO-CHICOURAS, chevalier de l'ordre de Saint-Charles conseillers, en présence de Monsieur Michael BONNET, substitut du procureur général, assistés de Madame Laura SPARACIA-SIOLI, greffier en chef adjoint, chevalier de l'ordre de Saint-Charles.

Note🔗

Cet arrêt confirme le jugement du Tribunal du travail du 9 juin 2011.

Il a fait l'objet d'un pourvoi en révision qui a été rejeté le 24 janvier 2013 en ces termes : « un changement d'employeur constitue une novation du contrat de travail, lequel à Monaco est formé par le seul échange du consentement des parties sur ses éléments essentiels et le transfert d'un contrat de travail depuis la France vers Monaco n'est pas régi par une convention internationale conclue entre les deux États ; c'est par une interprétation souveraine, exemple de dénaturation et sans violer les textes visés au moyen, que la Cour d'appel a retenu, par motifs propres et adoptés, que dans leur accord les sociétés n'avaient pas entendu maintenir l'application de la loi originelle et en a déduit à bon droit que la loi monégasque était applicable au contrat du travail exécuté à Monaco. »

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