Cour d'appel, 10 mai 2011, P. c/ D.

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Abstract🔗

Union libre

Litige en liquidation d'une ancienne union libre - Dommage moral subi par la défenderesse à propos du procès - Pressions exercées sur celle-ci en vue de la faire céder - Intrusion dans la vie professionnelle de la défenderesse avec l'intention de nuire à sa réputation - Faits constitutifs d'une atteinte délictuelle fautive - D'où réparation du dommage moral causé

Résumé🔗

Il importe de relever que l'appel « parte in qua » interjeté par M. P. ne porte que sur le seul chef de condamnation du jugement déféré l'ayant condamné à payer à E. D. la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi.

À cet égard, en considération du fait que le Tribunal de Première Instance a jugé mal fondées les demandes relatives au prêt, à la plus-value et de l'indemnité d'occupation émanant de M. P., il appartient à la Cour de seulement rechercher et d'apprécier si le préjudice moral invoqué par E. D. existe, et est bien en relation directe avec un quelconque comportement fautif qu'aurait eu à son égard l'appelant, et soit susceptible d'une réparation.

Il résulte des éléments du dossier, que E. D. établit avoir subi un « surmenage professionnel et des problèmes de santé physique » l'ayant conduite à se voir prescrire par un médecin psychiatre un arrêt de travail pour une période du 15 juin au 14 juillet 2009, avec un repos conseillé auprès de sa famille.

Il importe de relever que cet état anxieux résulte incontestablement de l'attitude vindicative adoptée les mois précédents par M. P. qui, au prétexte d'un prétendu droit à un solde créditeur d'une créance de nature purement civile, n'a pas hésité à exercer des pressions morales sur son ex-compagne en entrant en contact avec ses supérieurs hiérarchiques au sein de la Sûreté Publique puis en adressant le 22 août 2008 au Directeur de la Sûreté Publique un courrier lui demandant de « faire entendre raison » à son agent en vue d'apurer la dette dont il se prétendait créancier.

En agissant ainsi, M. P. a commis une indiscutable intrusion dans la vie professionnelle d'E. D. afin de régler un contentieux privé relatif à un recouvrement de créance dont le principe même était contesté et n'a pas en définitif été reconnu judiciairement.

En adoptant un tel comportement avec le dessein patent d'exercer des pressions morales en vue de faire céder, à propos d'un litige purement privé et civil, son ex-compagne, prise en sa qualité de fonctionnaire de police, avec toutes les conséquences professionnelles et administratives devant nécessairement en découler et qui se sont confirmées en l'espèce puisqu'une enquête interne a été immédiatement diligentée et qu'une audition a même été effectuée par le responsable de l'Inspection Générale des Services, M. P. a indiscutablement commis, par son intention délibérée de nuire à la réputation professionnelle d'E. D., une atteinte délictuelle fautive à son intérêt légitime directement génératrice d'un dommage moral devant être réparé.

Au titre de l'évaluation de la réparation de ce préjudice moral ainsi enduré et telle que raisonnablement et équitablement estimée par les premiers juges, il convient de confirmer purement et simplement le montant ainsi justement apprécié de 5 000 euros de dommages et intérêts et de débouter tant l'appelant de son appel principal mal fondé que l'intimée de son appel incident tout autant mal fondé à cet égard.


Motifs🔗

(en matière civile)

LA COUR,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

La Cour statue sur l'appel parte in qua relevé par P. à l'encontre d'un jugement du Tribunal de première instance en date du 11 février 2010.

Considérant les faits suivants :

Selon assignation en date du 29 mars 2010, P. a relevé appel en intimant D. des dispositions d'un jugement en date du 11 février 2010 prononcé par le Tribunal de première instance qui, saisi par lui d'une demande en condamnation à paiement au titre du remboursement de frais communs et de liquidation d'un solde d'un compte commun relatif à une ancienne union libre, outre la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et manifestement injustifiée, l'a très partiellement accueilli en ses demandes, a condamné D. à lui payer la somme de 84,86 euros, mais l'a débouté du surplus de ses demandes, ainsi que D. de ses demandes au titre des taxes et factures et l'a condamné à lui payer la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts.

À l'appui de son acte introductif d'instance devant la Cour, il demande :

• La constatation de ce que D. ne démontre pas avoir subi un quelconque préjudice consécutivement à son intervention,

• Qu'il soit jugé qu'il n'a commis aucune faute délictuelle ayant pu causer un préjudice moral à D.,

• Que, statuant à nouveau, le jugement entrepris soit infirmé parte in qua, quant à sa condamnation à verser à D. la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts.

Il fait valoir que tout d'abord le dommage dont excipe D. doit nécessairement présenter quatre caractères, être certain ou actuel, direct, personnel et doit consister en une atteinte à un intérêt légitime, tandis que la faute doit comprendre deux éléments, l'un objectif, une atteinte portée aux droits d'autrui par un fait illicite, et l'autre subjectif, la conscience chez son auteur des conséquences que l'acte illicite va entraîner.

Or la seule et unique intention de P. étant de pouvoir rencontrer D. afin de recouvrir sa créance, cette condamnation à lui verser 5.000 euros de dommages et intérêts, lui apparaît manifestement injustifiée, surtout au regard d'un prétendu préjudice moral non-caractérisé.

Par conclusions en réponse du 15 juin 2010, P. maintient sa demande de réformation du jugement entrepris en rappelant les conditions et circonstances dans lesquelles il a été appelé à financer une acquisition en commun avec D. d'une villa située à Eze-Village pour un montant de 525.000 euros, outre les frais, en ayant consenti un apport personnel de 236.000 euros, tandis que D. a versé, outre la somme de 155.000 euros provenant d'un prêt bancaire, celle de 45.000 euros à titre d'apport personnel, chaque partie ayant convenu de récupérer chacune leurs différents apports personnels sur le fruit de la revente de la villa au prix de 570.000 euros, la plus value restant de 66.167,56 euros étant alors à répartir à hauteur de la moitié entre chaque partie.

Cependant, sur demande de D. expliquant qu'il lui serait impossible de racheter un logement compte tenu de ses revenus, P. lui a alors, selon lui, proposé de lui céder la totalité de la plus-value réalisée, soit la somme de 33.083,78 euros et de répartir dans un premier temps le fruit de la vente de leur villa à hauteur de moitié chacun, et ce, malgré un apport personnel nettement supérieur.

Le notaire ayant partagé à parts égales après remboursement des prêts la somme de 347.167,56 euros, chaque partie ayant perçu la somme de 173.583,78 euros, D. s'était, selon l'appelant, engagée à lui restituer le différentiel outre la somme par lui perçue et son apport personnel de base, soit 236.000 euros, soit approximativement 62.000 euros.

En réalité, lors de la vente, P., qui n'a perçu que la somme totale de 223.583,78 euros (173.583,78 euros + 50.000 euros) soit moins que son apport personnel, considère que D. s'est, grâce à lui, enrichie de la somme totale de 78.167,56 euros, soit un montant de la plus value de plus de 12.000 euros.

Dès lors P. considère qu'il serait par-là même inéquitable de sanctionner son action en le condamnant à payer à D. des dommages et intérêts pour un prétendu préjudice moral.

Rappelant les circonstances dans lesquelles il a été amené à réclamer son dû contestant toute donation ou toute libéralité consentie à D., P. considère qu'il n'en demeure pas moins qu'à l'issue de la vente de la villa l'intimée restait bien redevable à son égard de la somme de 12.000 euros après remboursement de la somme de 50.000 euros et que dès lors, en sollicitant par voie judiciaire le paiement de cette somme, il n'a commis aucune faute délictuelle et qu'il ne doit donc être tenu à aucun paiement de dommages et intérêts ;

Par conclusions en date du 25 mai 2010, l'intimée, D., a déclaré s'opposer aux prétentions articulées à son encontre pour solliciter le débouté de P. des fins de son appel parte in qua, comme de l'ensemble de ses demandes, et la confirmation de la décision entreprise en ce qu'elle l'a condamné à lui payer des dommages et intérêts en réparation du préjudice moral par elle subi, y ajoutant, que ce montant desdits dommages et intérêts devra être porté, sur appel incident, à la somme de 10.000 euros, outre l'allocation d'une somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour appel manifestement abusif.

D. rappelle les circonstances dans lesquelles les deux parties, alors en union libre, ont acquis chacun pour moitié indivise une villa qu'ils ont, suite à une dégradation de leurs relations, ultérieurement revendue en août 2008, le notaire rédacteur de l'acte de vente ayant attribué aux deux propriétaires pour moitié indivise le produit de la vente, soit 173.583,78 euros chacun.

Ce n'est que plus tard que, harcelée par son ancien compagnon, qu'elle a consenti à lui adresser un chèque de 50.000 euros pour solde de leur compte, ce qui ne l'a pas empêché de réclamer une somme de 12.000 euros qui, selon lui, resterait due au titre d'un solde de prêt de 62.000 euros que celui-ci lui aurait prétendument consenti.

C'est devant son refus que P. va alors entreprendre de faire pression sur elle en contactant ses supérieurs hiérarchiques au sein de la Sûreté Publique, puis en adressant un courrier à caractère diffamatoire à Monsieur le Directeur de la Sûreté Publique, lui occasionnant ainsi un grave préjudice puisqu'elle va être contrainte de s'expliquer devant le Commandant responsable de l'Inspection Générale des Services alors qu'il est évident que le litige est purement civil et ne concerne en rien ses fonctions au sein de la Police.

Contestant formellement l'existence d'un quelconque prêt formalisé, soit sous acte authentique, soit sous seing privé, D., qui est fonctionnaire de police, rappelle que le jugement entrepris a débouté P. de l'ensemble de ses demandes à l'exception de celle relative à la somme de 84,86 euros au titre d'un solde restant dû sur les comptes entre parties et qu'elle a été soumise à une stratégie de harcèlement au point de faire le mélange des genres entre vie professionnelle et sphère privée en faisant pression sur elle, via ses supérieurs hiérarchiques, au sein de la Sûreté Publique et par l'envoi d'un courrier proprement diffamatoire occasionnant une enquête interne de la part de l'Inspection Générale des Services en devant fournir des explications sur ce litige purement civil avec toutes les conséquences désastreuses d'une telle procédure administrative.

D. considère qu'en entreprenant une telle démarche déplacée, qui fait apparaître une véritable intention de nuire et caractérise manifestement une faute délictuelle, P. a volontairement porté atteinte à sa réputation et à son image en ayant parfaitement conscience que cela pourrait lui nuire, tant professionnellement que moralement, lui occasionnant ainsi un préjudice moral très important justifiant une réparation qu'elle souhaite voir portée à la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts, outre l'octroi d'une somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour appel abusif en l'obligeant par ailleurs à engager des frais de Conseil nullement répétés au titre des dépens.

Par conclusions récapitulatives et responsives en date du 26 octobre 2010 et par conclusions en date du 25 janvier 2011, D. insiste sur le caractère véritablement diffamatoire et fautif du courrier adressé par P. à Monsieur le Directeur de la Sûreté Publique lui ayant directement causé un préjudice moral devant être réparé, tandis que les attestations numérotées 20 à 22, telles que produites par l'appelant, qui se bornent à rapporter des affirmations de P., sont sans valeur probante n'apportant rien de nouveau aux débats.

SUR CE,

Attendu que P., fonctionnaire des Domaines de la Principauté de Monaco, et D., fonctionnaire de police au sein de la Sûreté Publique à Monaco, qui ont entretenu depuis juin 1998 une relation amicale, puis sentimentale, ont par volonté de vie commune acquis courant 2005 chacun pour moitié indivise une villa à Eze moyennant le prix de 525.000 euros ;

Que l'année suivante, les parties ayant finalement décidé de mettre fin à leur union libre et de se séparer, et donc de revendre ladite villa acquise l'année précédente, P. va quitter les lieux dont il conservera les clefs dans l'attente d'une revente qui interviendra le 5 août 2008 moyennent un prix de revente de 570.000 euros ;

Attendu qu'un différend s'est alors élevé entre les deux parties, P. prétendant qu'au regard de leurs apports respectifs D. resterait lui devoir, après remboursement anticipé du prêt bancaire et attribution par le notaire rédacteur de l'acte du produit de la vente par moitié indivise aux deux propriétaires, d'un solde résiduel de 62.000 euros ;

Que D., qui a adressé « pour solde de tout compte  » à P. un chèque daté du 21 août 2008 de 50.000 euros, s'est alors vue réclamer un solde de 12.000 euros au titre d'un prétendu prêt de 62.000 euros qu'il lui aurait consenti et dont elle conteste formellement le principe ;

Attendu qu'il importe de relever que l'appel « parte in qua » interjeté par P. ne porte que sur le seul chef de condamnation du jugement déféré l'ayant condamné à payer à D. la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi ;

Qu'à cet égard, en considération du fait que le Tribunal de Première Instance a jugé mal fondées les demandes relatives au prêt, à la plus-value et de l'indemnité d'occupation émanant de P., il appartient à la Cour de seulement rechercher et d'apprécier si le préjudice moral invoqué par D. existe, et est bien en relation directe avec un quelconque comportement fautif qu'aurait eu à son égard l'appelant, et soit susceptible d'une réparation ;

Attendu qu'il résulte des éléments du dossier, que D. établit avoir subi un « surmenage professionnel et des problèmes de santé physique » l'ayant conduite à se voir prescrire par un médecin psychiatre un arrêt de travail pour une période du 15 juin au 14 juillet 2009, avec un repos conseillé auprès de sa famille ;

Qu'il importe de relever que cet état anxieux résulte incontestablement de l'attitude vindicative adoptée les mois précédents par P. qui, au prétexte d'un prétendu droit à un solde créditeur d'une créance de nature purement civile, n'a pas hésité à exercer des pressions morales sur son ex-compagne en entrant en contact avec ses supérieurs hiérarchiques au sein de la Sûreté Publique puis en adressant le 22 août 2008 au Directeur de la Sûreté Publique un courrier lui demandant de « faire entendre raison  » à son agent en vue d'apurer la dette dont il se prétendait créancier ;

Attendu qu'en agissant ainsi, P. a commis une indiscutable intrusion dans la vie professionnelle de D. afin de régler un contentieux privé relatif à un recouvrement de créance dont le principe même était contesté et n'a pas en définitif été reconnu judiciairement ;

Qu'en adoptant un tel comportement avec le dessein patent d'exercer des pressions morales en vue de faire céder, à propos d'un litige purement privé et civil, son ex-compagne, prise en sa qualité de fonctionnaire de police, avec toutes les conséquences professionnelles et administratives devant nécessairement en découler et qui se sont confirmées en l'espèce puisqu'une enquête interne a été immédiatement diligentée et qu'une audition a même été effectuée par le responsable de l'Inspection Générale des Services, P. a indiscutablement commis, par son intention délibérée de nuire à la réputation professionnelle de D., une atteinte délictuelle fautive à son intérêt légitime directement génératrice d'un dommage moral devant être réparé ;

Attendu qu'au titre de l'évaluation de la réparation de ce préjudice moral ainsi enduré et telle que raisonnablement et équitablement estimée par les premiers juges, il convient de confirmer purement et simplement le montant ainsi justement apprécié de 5.000 euros de dommages et intérêts et de débouter tant l'appelant de son appel principal mal fondé que l'intimée de son appel incident tout autant mal fondé à cet égard ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco, statuant contradictoirement,

– Reçoit les appels principal et incident, réguliers en la forme,

– Déboute P. et D. de leur appel respectif mal fondé,

– Confirme le jugement du Tribunal de première instance en date du 11 février 2010 en ce qu'il a condamné P. à payer à D. la somme de 5.000 euros (cinq mille euros) à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

– Condamne P. aux dépens d'appel, distraits au profit de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur, sous sa due affirmation

– Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable.

Composition🔗

Mrs. CORDAS prem. pres ; PERRIQUET et CAMINADE cons ; - M. IGNACIO subst. proc. gen ; Mme BARDY gref. en chef. - Mes LAJOUX et MICHEL av. chef.

Note🔗

Cet arrêt déboute les deux parties de leur appel respectif comme mal fondé, confirme le jugement du tribunal de première instance du 11 février 2010 ayant condamné P. à payer à D. la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral.

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