Cour d'appel, 8 juin 2010, M. M. S. c/ Mme C. B.

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Abstract🔗

Abus de droit

Utilisation normale de voies de droit exercées devant des juridictions rabbiniques - Absence de manœuvres ou d'artifices dolosifs imputables à la partie ayant saisi ces juridictions d'où rejet de la demande en dommages et intérêts contre cette partie pour abus de droit

Résumé🔗

Pour obtenir la réformation du jugement qu'il critique M. S. soutient :

- contrairement à ce qu'ont considéré les premiers juges, C. B. a usé de manœuvres dolosives pour obtenir des juridictions rabbiniques de l'État d'Israël une mesure portant atteinte à sa liberté en le frappant d'interdiction de quitter le territoire de cet État ;

- l'arrêt de la Cour Suprême d'Israël du 29 novembre 2004 a stigmatisé ces manœuvres et le détournement de procédure qui s'en est suivi ;

- ainsi C. B. a délibérément commis une faute lui ayant occasionné un préjudice moral et matériel important du fait de la rétention dont il a été l'objet ;

- l'appelant sollicite en conséquence l'allocation de la somme d'un million d'euros à titre de dommages et intérêts en réparation de ce préjudice ;

- à titre subsidiaire il conclut à un sursis à statuer jusqu'à ce que l'exequatur de la décision de la Cour Suprême d'Israël dont il a saisi le tribunal de première instance soit ordonné, sauf à la Cour à considérer que cette décision a d'ores et déjà l'autorité de la chose jugée ;

- C. B. demande au contraire la confirmation du jugement entrepris en reprenant devant la Cour les moyens et arguments qu'elle a invoqués devant le tribunal qui les a retenus ;

Elle soutient ainsi pour l'essentiel :

- son ex-mari ayant refusé de comparaître devant les juridictions rabbiniques de France elle a été dans l'obligation de saisir celles de l'État d'Israël pour obtenir la délivrance du « gueth » ainsi qu'une pension alimentaire ;

- ce faisant elle n'a commis aucune faute ayant seulement utilisé une voie procédurale prévue par le droit israélien ;

- elle s'est conformée aux règles de forme et de fond prévues devant ces juridictions ;

- elle a effectué toutes les démarches nécessaires pour obtenir l'autorisation de s'établir, même temporairement, en Israël ;

- en tout état de cause il n'existe aucun lien entre l'attitude qu'elle a été contrainte ainsi d'adopter et les préjudices invoqués par son ex-mari ;

- ainsi que l'ont exactement retenu les premiers juges la demande de M. S. doit être examinée sur le foncement de la responsabilité délictuelle ;

- ils ont également justement relevé que la mesure de rétention sur le territoire d'Israël prise par les juridictions rabbiniques du premier degré l'a été d'autorité et non pas à la demande de C. B. ;

- il n'est pas contesté par M. S. qu'il n'a pas déféré aux convocations qui lui ont été adressées par les autorités ou juridictions rabbiniques de France ;

- de même il n'a pas obtempéré aux invitations et recommandations de ces mêmes autorités qui l'ont exhorté à procéder à la délivrance du « gueth », ce qui a conduit son ex-épouse à saisir les juridictions rabbiniques d'Israël, afin qu'en application de la loi personnelle des époux, elles se prononcent sur cette demande comme sur celle de la pension alimentaire ;

- il ne peut donc être fait grief à C. B. d'avoir utilisé abusivement une voie de droit qui lui était ouverte sur le territoire d'Israël à défaut d'avoir obtenu satisfaction en France ;

- il n'appartient pas à la juridiction Monégasque de porter un jugement de valeur sur la législation d'un État étranger qui, en l'espèce, prévoit des moyens coercitifs pour contraindre un mari récalcitrant à remettre le « gueth ».

Ainsi que l'a justement rappelé le tribunal par des motifs, que la cour adopte expressément, il convient de constater que C. B. n'a utilisé aucun procédé déloyal pour saisir les juridictions rabbiniques d'Israël puisque son mari avait lui-même indiqué, pour justifier son refus de comparaître devant le Tribunal rabbinique de Paris, qu'il se présenterait devant le président du Tribunal rabbinique de Jérusalem ;

Il ne peut donc se plaindre de la saisine de cette juridiction devant laquelle il acceptait que soit évoqué le litige qui l'opposait à son épouse ;

De même que C. B. a formulé une demande de pension alimentaire en conformité avec le droit applicable en la matière en Israël ainsi que le tribunal l'a exactement analysé ;

En outre que C. B. a démontré qu'elle avait effectué des démarches pour obtenir des autorités israéliennes l'autorisation d'immigrer dans ce pays mais qu'elle n'a pu obtenir satisfaction, son mari s'étant refusé à remplir et signer les documents nécessaires que le conjoint du candidat à l'immigration doit remettre ;

M. S. ne peut donc valablement soutenir que cette demande l'immigration n'était pas sincère et n'avait pour but que de fonder la compétence des juridictions de ce pays ;

Par ailleurs l'arrêt infirmatif de la Cour Suprême d'Israël ne démontre pas pour autant la mauvaise foi de C. B. ;

Ainsi que l'a encore très exactement analysé le tribunal les règles de compétences retenus par les juridictions rabbiniques du premier degré mais écartées en définitive par la Cour Suprême ne résultent pas de manœuvres ou d'artifices dolosifs imputables à C. B. ;

C'est donc à bon droit, par des motifs minutieusement énoncés et juridiquement fondés, que les premiers juges ont rejeté la demande de dommages et intérêts présentée par M. S. ;

Dans le cadre de son appel incident C. B. sollicite une somme de 100.000 euros à tire de dommages et intérêts à raison de la procédure abusive qu'elle a du subir en sus de celle de 2.500 euros qu'elle a obtenu du tribunal à raison de l'incident de la procédure inutilement soulevé par son ex-mari en première instance ;

En raison de l'appel téméraire interjeté par M. S., C. B. a subi un préjudice résultant des tracas de la procédure ;

Elle en recevra réparation par l'allocation d'une somme de 8.000 euros ;


Motifs🔗

La Cour,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La cause ayant été débattue hors la présence du public ;

La cour statue sur l'appel relevé par M. S., à l'encontre d'un jugement du Tribunal de Première Instance du 26 mars 2009.

Considérant les faits suivants :

M. S. de nationalité française et C. B. de nationalité marocaine, tous deux résidents monégasques, se sont mariés le 5 mai 1983 en mairie de Monaco.

De confession juive, ils se sont également mariés religieusement le 8 mai 1983 selon le rite israélite au cours d'une cérémonie à l'association culturelle israélite de Monaco.

Sur demande de l'épouse, leur divorce a été prononcé aux torts exclusifs du mari par jugement du Tribunal de première instance du 8 juillet 1999, confirmé par arrêt de la cour de céans du 30 mai 2000.

C. B. a saisi en 2003 une juridiction rabbinique de l'État d'Israël afin que M. S. lui délivre un acte de répudiation (« gueth ») qui lui permette de retrouver sa liberté, et en outre qu'il soit mis à la charge de celui-ci une pension alimentaire

Dans le cadre de cette procédure, M. S., qui se trouvait momentanément en Israël avec les deux enfants du couple depuis le 5 avril 2004, s'est vu notifier une interdiction de quitter ce pays où il a été contraint de demeurer jusqu'à un arrêt rendu par la Cour Suprême d'Israël le 29 novembre 2004 soit pendant près de huit mois.

M. S. a fait assigner son ex-épouse devant le Tribunal de première instance de Monaco pour obtenir réparation du préjudice qui lui a ainsi été causé ;

Par jugement du 26 mars 2009 il a été débouté de sa demande après que les exceptions de nullité qu'il soulevait aient été rejetées.

Il a relevé appel principal de cette décision et C. B. a formé appel incident.

Les parties ont soulevé des exceptions de procédure et ont également conclu au fond.

SUR CE,

I – Sur les exceptions de procédure

I – 1 les exceptions soulevées par l'appelant

Attendu que M. S. reprend devant la Cour le moyen invoqué en vain devant le tribunal tiré du défaut de traduction par un traducteur assermenté de documents rédigés en langue hébraïque produits par C. B. ;

Qu'il en déduit que l'exactitude de la traduction de ces pièces n'étant pas certaine c'est à tort que le tribunal les a admises ce qui doit entraîner l'annulation du jugement ou tout au moins son infirmation de ce chef en application de l'article 8 de la Constitution aux termes duquel la langue officielle de la Principauté est le français, mais aussi en vertu de la Convention Européenne des Droits de l'Homme qui pose le principe du droit au procès équitable ;

Attendu de même que l'appelant fait grief au jugement entrepris d'avoir considéré qu'il renonçait à ses demandes relatives à la production par C. B. des copies de son passeport et de celui de M. T. ainsi que de l'habilitation de ce dernier à effectuer des traductions sur le territoire de l'État d'Israël ;

Attendu que l'intimée reprend pour s'opposer à ces exceptions les moyens et arguments soutenus avec succès devant les premiers juges ;

Attendu qu'ainsi que l'a exactement retenu le tribunal la traduction en langue française de pièces produites par les parties dans une instance n'est pas soumise à un formalisme particulier ;

Que de plus M. S. ne conteste pas la fidélité de la traduction de ces documents qu'il utilise dans ses écritures judiciaires pour les besoins de son argumentation ;

Qu'il produit lui-même une traduction en français de ces mêmes documents à savoir les décisions rendues par les juridictions d'Israël, qui est parfaitement concordante avec la traduction produite par son ex-épouse ;

Qu'il bénéfice donc d'un procès parfaitement équitable ;

Attendu que c'est également à bon droit que le tribunal a constaté que dans ses dernières conclusions M. S. ne soutenait plus sa demande tendant à la communication de passeports qui au demeurant n'a pas été jugée utile aux débats par les premiers juges ;

Attendu que les exceptions soulevées par M. S. doivent donc être écartées par la Cour comme elles l'ont été par le Tribunal ;

I – 2  les exceptions soulevées par l'intimée

Attendu que dans ses conclusions du 29 mars 2010, C. B. demande le rejet des pièces communiquées par son adversaire (n° 1 à 158) au motif qu'elles auraient du l'être devant les premiers juges, ce qui n'a pas été le cas alors que leur ancienneté permettait de le faire ;

Qu'elle sollicite également le rejet de la pièce n° 18 (thèse en doctorat de droit de Monsieur G. F.) qui n'a pas été communiquée suffisamment tôt ;

Mais attendu qu'il est loisible aux parties de communiquer en cause d'appel toutes pièces qui leur paraissent utiles aux débats même si elles ne l'ont pas été en première instance, ce, quelle que soit la date à laquelle ces pièces ont été établies ou celle à laquelle elles en ont eu connaissance ;

Que dès lors la demande de rejet de ces pièces doit être écartée ;

Attendu que par ces mêmes écritures judiciaires C. B. sollicite le rejet des conclusions déposées par l'appelant le 15 mars 2010 au motif qu'elles ne contiennent aucune argumentation ni analyse des pièces qui y sont invoquées ;

Mais attendu que ces conclusions, certes succinctes, se réfèrent expressément à l'acte d'assignation contenant appel motivé et que dès lors elles n'encourent pas le grief invoqué ;

Qu'elles doivent être admises pour être soumises à l'appréciation de la Cour ;

II – Sur le fond

Attendu que pour obtenir la réformation du jugement qu'il critique M. S. soutient :

– que contrairement à ce qu'ont considéré les premiers juges, C. B. a usé de manœuvres dolosives pour obtenir des juridictions rabbiniques de l'État d'Israël une mesure portant atteinte à sa liberté en le frappant d'interdiction de quitter le territoire de cet État,

– que l'arrêt de la Cour Suprême d'Israël du 29 novembre 2004 a stigmatisé ces manœuvres et le détournement de procédure qui s'en est suivi,

– qu'ainsi C. B. a délibérément commis une faute lui ayant occasionné un préjudice moral et matériel important du fait de la rétention dont il a été l'objet.

Attendu que l'appelant sollicite en conséquence l'allocation de la somme d'un million d'euros à titre de dommages et intérêts en réparation de ce préjudice ;

Qu'à titre subsidiaire il conclut à un sursis à statuer jusqu'à ce que l'exéquatur de la décision de la Cour Suprême d'Israël dont il a saisi le Tribunal de première instance soit ordonné, sauf à la Cour à considérer que cette décision a d'ores et déjà l'autorité de la chose jugée ;

Attendu que C. B. demande au contraire la confirmation du jugement entrepris en reprenant devant la Cour les moyens et arguments qu'elle a invoqués devant le tribunal qui les a retenus ;

Qu'elle soutient ainsi pour l'essentiel :

– que son ex-mari ayant refusé de comparaître devant les juridictions rabbiniques de France elle a été dans l'obligation de saisir celles de l'État d'Israël pour obtenir la délivrance du « gueth » ainsi qu'une pension alimentaire,

– que ce faisant elle n'a commis aucune faute ayant seulement utilisé une voie procédurale prévue par le droit israélien,

– qu'elle s'est conformée aux règles de forme et de fond prévues devant ces juridictions,

– qu'elle s'est conformée aux règles de forme et de fond prévues devant ces juridictions,

– qu'elle a effectué toutes les démarches nécessaires pour obtenir l'autorisation de s'établir, même temporairement, en Israël,

– qu'en tout état de cause il n'existe aucun lien entre l'attitude qu'elle a été contrainte ainsi d'adopter et les préjudices invoqués par son ex-mari ;

Attendu qu'ainsi que l'ont exactement retenu les premiers juges la demande de M. S. doit être examinée sur le fondement de la responsabilité délictuelle ;

Attendu qu'ils ont également justement relevé que la mesure de rétention sur le territoire d'Israël prise par les juridictions rabbiniques du premier degré l'a été d'autorité et non pas à la demande de C. B. ;

Attendu qu'il n'est pas contesté par M. S. qu'il n'a pas déféré aux convocations qui lui ont été adressées par les autorités ou juridictions rabbiniques de France ;

Que de même il n'a pas obtempéré aux invitations et recommandations de ces mêmes autorités qui l'ont exhorté à procéder à la délivrance du « gueth », ce qui a conduit son ex-épouse à saisir les juridictions rabbiniques d'Israël, afin qu'en application de la loi personnelle des époux, elles se prononcent sur cette demande comme sur celle de la pension alimentaire ;

Attendu qu'il ne peut donc être fait grief à C. B. d'avoir utilisé abusivement une voie de droit qui lui était ouverte sur le territoire d'Israël à défaut d'avoir obtenu satisfaction en France ;

Attendu qu'il n'appartient pas à la juridiction Monégasque de porter un jugement de valeur sur la législation d'un État étranger qui, en l'espèce, prévoit des moyens coercitifs pour contraindre un mari récalcitrant à remettre le « gueth » ;

Qu'ainsi que l'a justement rappelé le tribunal par des motifs, que la cour adopte expressément, il convient de constater que C. B. n'a utilisé aucun procédé déloyal pour saisir les juridictions rabbiniques d'Israël puisque son mari avait lui-même indiqué, pour justifier son refus de comparaître devant le Tribunal rabbinique de Paris, qu'il se présenterait devant le président du Tribunal rabbinique de Jérusalem ;

Qu'il ne peut donc se plaindre de la saisine de cette juridiction devant laquelle il acceptait que soit évoqué le litige qui l'opposait à son épouse ;

Attendu de même que C. B. a formulé une demande de pension alimentaire en conformité avec le droit applicable en la matière en Israël ainsi que le tribunal l'a exactement analysé ;

Attendu en outre que C. B. a démontré qu'elle avait effectué des démarches pour obtenir des autorités israéliennes l'autorisation d'immigrer dans ce pays mais qu'elle n'a pu obtenir satisfaction, son mari s'étant refusé à remplir et signer les documents nécessaires que le conjoint du candidat à l'immigration doit remettre ;

Que M. S. ne peut donc valablement soutenir que cette demande d'immigration n'était pas sincère et n'avait pour but que de fonder la compétence des juridictions de ce pays ;

Attendu par ailleurs que l'arrêt infirmatif de la Cour Suprême d'Israël ne démontre pas pour autant la mauvaise foi de C. B. ;

Qu'ainsi que l'a encore très exactement analysé le tribunal les règles de compétences retenus par les juridictions rabbiniques du premier degré mais écartées en définitive par la Cour Suprême ne résultent pas de manœuvres ou d'artifices dolosifs imputables à C. B. ;

Attendu que c'est donc à bon droit, par des motifs minutieusement énoncés et juridiquement fondés, que les premiers juges ont rejeté la demande de dommages et intérêts présentée par M. S. ;

Attendu que dans le cadre de son appel incident C. B. sollicite une somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts à raison de la procédure abusive qu'elle a du subir en sus de celle de 2 500 euros qu'elle a obtenu du tribunal à raison de l'incident de la procédure inutilement soulevé par son ex-mari en première instance ;

Attendu qu'en raison de l'appel téméraire interjeté par M. S., C. B. a subi un préjudice résultant des tracas de la procédure ;

Qu'elle en recevra réparation par l'allocation d'une somme de 8 000 euros ;

Attendu que M. S. qui succombe supportera les entiers dépens ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

la Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

statuant contradictoirement,

– Rejette les exceptions de procédure soulevées par les parties en cause d'appel,

– Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions tant en ce qui concerne les exceptions de procédure que sur le fond,

– Y ajoutant condamne en outre M. S. à payer à C. B. la somme de 8 000 euros pour appel abusif,

– Le condamne aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Maître Etienne LEANDRI,

– Ordonne que lesdits dépens seront provisoirement liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable.

Composition🔗

M. Robert CORDAS, Premier Président ; Mme Catherine MABRUT, Vice-Président, et M. Thierry PERRIQUET, Conseiller, M. Gérard DUBES, Premier Substitut du Procureur Général ; Mes Joëlle PASTOR-BENSA, Etienne LEANDRI, Avocats Défenseurs.

Note🔗

Cet arrêt confirme en toutes ces dispositions le jugement rendu le 26 mars 2009 par le Tribunal de première instance.

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